NECESSITÉ D’UNE STATISTIQUE GÉNÉRALE DE L’INDUSTRIE LYONNAISE.1
Nous avons souvent dans cette feuille, donné la statistique de plusieurs villes manufacturières, celle des villes étrangères, principalement dans leur rapport avec notre industrie. Nous aurions bien voulu donner spécialement la statistique générale de la fabrique des étoffes de soie de Lyon et de ses alentours ; fabrique qui par son importance, fruit de son grand développement, du nombre et de la variété de ses produits, doit marcher en première ligne et servir de modèle à toutes les autres industries ; ce travail est au-dessus des forces d’un seul homme. Il est vrai de dire que l’on ne s’est jamais, à Lyon, occupé d’une statistique, dans tous les détails dont elle est susceptible, pour fournir les données qui peuvent être utiles à l’administration de notre cité et au gouvernement. Depuis nombre d’années on n’y pensait même pas. La chambre de commerce, le comité des arts et manufactures, le conseil des prud’hommes ont [2.2]vécu à cet égard dans l’insouciance et la plus complète ignorance.
Le gouvernement précédent n’a pu connaître le développement qu’avait pris la fabrique lyonnaise, autrement que par le nombre des constructions qui se sont élevées sur tous les points de notre ville depuis 12 ans ; de même, qu’il semblait vouloir ignorer sa décadence depuis quelques années, et la misère de nos nombreux ouvriers. Depuis la révolution de juillet, le malaise et la misère ont augmenté ; les évènemens de novembre ont enfin ouvert les yeux, et fait connaître la plaie dans toute sa profondeur. On a du songer à la guérir, mais on n’a rien fait encore pour y arriver, parce que l’on manque des données précises sur lesquelles il faut se baser. Le malaise, trop prolongé, des classes industrielles demande un prompt et sûr remède.
Si, comme plusieurs journaux l’ont annoncé, on travaille dans ce moment au ministère du commerce à recueillir tous les renseignemens pour faciliter les opérations commerciales sur toute la France, par un système combiné de communications par canaux et chemins de fer ; à augmenter les populations agricoles, en formant des colonies-modèles d’agriculteurs, on songera aussi, sans doute, à encourager notre commerce et à lui donner un nouvel essor, en améliorant le sort des classes industrielles de nos cités populeuses, et en particulier de la nôtre. Dans cette hypothèse, une statistique exacte et générale du commerce et de l’industrie lyonnaise dans toutes ses branches, exécutée d’après un recensement fidèle et détaillé, fait par MM. les membres du conseil des prud’hommes, chacun dans la partie qui lui est spéciale, serait un document authentique très-précieux, puisqu’il n’en existe point ; il serait d’une grande utilité et deviendrait un foyer de lumières, où nos administrateurs, la chambre de commerce, le préfet et autorités compétentes viendraient s’éclairer, et puiser tous les renseignemens dont ils auraient besoin, pour les transmettre à M. le ministre du commerce ; ils pourraient alors appuyer leurs demandes sur les faits qui auraient été recueillis dans ce travail, faits qui seront nombreux et irrécusables. Ce travail, exécuté consciencieusement, donnera sans doute lieu à bien des réflexions, quand on reconnaîtra la décadence dans laquelle notre industrie tombe chaque jour, l’émigration continuelle de nos ouvriers à l’étranger ou dans les campagnes environnantes, où bientôt nos manufactures doivent dépérir par leur isolement, leur éloignement du centre, et leur privation de cette communication facile, de cet ensemble d’où seuls peuvent jaillir les procédés d’activité et de perfectionnement dont toutes les industries sont susceptibles.
Le conseil des prud’hommes doit donc prendre l’initiative dans cette mesure urgente et indispensable, se rappeler qu’un recensement entre dans ses attributionsi, qu’il doit être la base de ses opérations, que ce travail lui est personnel, que son mandat, qu’il doit remplir avec zèle, ne se borne pas seulement à concilier les différens qui s’élèvent entre les fabricans et les chefs d’ateliers, et entre ceux-ci et leurs ouvriers, ce qui n’est, au fait, que la tolérance des abus et des vices qui existent dans l’organisation et les usages de notre fabrique, mais bien à les détruire et par tous les moyens. Que ces moyens, ils ne les posséderont que lorsqu’ils auront acquis une connaissance parfaite de leur industrie et de ses besoins, et se seront éclairés des lumières de leurs confrères.
F......t.