|
7 octobre 1832 - Numéro 50 |
|
|
|
DU CONSEIL DES PRUD’HOMMES. 1
Deuxième article (v. n° 49), Nous devons ici rechercher les causes qui peuvent empêcher les prud’hommes chefs d’ateliers de remplir le mandat qu’ils ont reçu de leurs collègues ; car, ainsi que nous l’avons dit dans notre premier article, nous n’accusons ni leurs intentions, ni leur capacité. La première de ces causes qui se présente à notre esprit, c’est le défaut d’homogénité du conseil. Pour établir cette proposition, nous avons besoin de nous reporter en arrière. Avant la révolution, la fabrique d’étoffes de soie et celles qui lui sont analogues, avaient des maîtres-gardes chargés de protéger et faire valoir leurs droits. Nous n’avons pas à nous occuper de la manière dont ces fonctionnaires remplissaient le devoir de leurs charges ; ces temps ne furent pas exempts de troubles et d’intrigues. Nous en avons donné la preuve dans un article intitulé : les Marchands et les Ouvriers en 1759, inséré dans le numéro 40 de l’Echo. La révolution renversa les maîtrises et les jurandes, les corporations, les communautés, les syndics, les maîtres-gardes, et institutions analogues ; elle déblaya [1.2]le terrain sur lequel le temple majestueux de la liberté devait s’éleveri2. Sous l’empire des lois nées de la révolution, les juges de paix, sublime création de l’assemblée constituanteii furent appelés à juger les contestations qui s’élevaient entre les marchands-fabricans et les ouvriers, ainsi et de la même manière qu’ils jugeaient les différens des autres citoyens ; avant que de rendre leurs jugemens, ils étaient obligés de consulter des experts choisis par les parties, comme cela a lieu pour les autres professions. La fabrique d’étoffes de soie était donc régie par le droit commun ; les ouvriers étaient loin de s’en plaindre. En 1806 cet ordre de choses changea. L’heureux conspirateur de brumaire, oubliant son origine plébéienne, voulait raviver l’aristocratie agonisante, et au lieu de marcher avec le siècle, il crut pouvoir l’enrayer en faisant un pas rétrograde vers le passé. Il imagina de redonner la vie à une institution oubliée, et les prud’hommes succédèrent aux maîtres-gardes. Pourquoi, dans quel but, il est facile de le comprendre. Le décret de 1806 est entaché de l’esprit aristocratique qui domine cette époque de gloire et d’asservissement. Ainsi pour représenter quelques centaines de fabricans, cinq négocians sont nommés ; et pour représenter plusieurs milliers d’ouvriers, quatre chefs d’ateliers seulement. Cette disposition abusive est maintenue par le décret du 11 juin 1809. Nous ne faisons pas l’histoire de la fabrique lyonnaise. Hâtons-nous d’arriver à notre époque. Les événemens de novembre 1831, en prouvant d’une manière authentique la misère de la classe ouvrière, sa volonté d’en sortir pour l’avenir, et sa force pour y réussir, engagèrent le pouvoir à des concessions tardives. On avait brisé violemment, et contre la foi des promesses, le tarif qu’on avait eu l’impudeur de dire qu’il fallait laisser tomber en désuétude, on fut obligé de promettre une mercuriale, et de suite l’on accorda à la classe des ouvriers en soie, une représentation plus vraie et plus large de ses intérêts. On n’accorda pas tout ce qu’on aurait dû, mais enfin, [2.1]on fit un pas dans la carrière de l’amélioration, on oublia, peut-être à dessein, d’annuler la disposition bizarre des décrets qui donnaient à la classe la moins nombreuse un représentant de plus. Mais quoique dans ces événemens, les ouvriers de toutes les professions se fussent joints aux ouvriers en soie, et eussent fait cause commune, comme ils n’avaient pas formulé leurs plaintes d’une manière aussi précise, on ne s’occupa pas d’eux, et l’on n’appela pas les autres classes d’ouvriers à élire des prud’hommes concurrement avec les ouvriers en soie. Cependant cela eût été juste à notre avis. Les mécaniciens, les horlogers, les ébénistes, les bourreliers, les fabricans de plâtre, etc., devaient être convoqués pour nommer quelques-uns des membres d’un conseil dont ils sont justiciables. Bien plus, les professions de la chapellerie, de la bonneterie, de la passementerie, qui sont seules représentées, n’ont pas joui du bénéfice de ce nouveau mode d’élection. Nous avons donc raison de dire que le conseil n’est pas homogène ; c’est-à-dire, un. Les prud’hommes qui le composent, autres que les dix-sept de la fabrique, ont besoin d’être retrempés dans le baptême d’une élection populaire. Ce sont eux qui, par leur vote, donnent aux prud’hommes négocians une majorité qui arrête tout l’effet, tout l’espoir de changement que la classe ouvrière attendait du nouveau conseil. Nous devons aller plus loin, et dire que ce vote n’est jamais donné en connaissance de cause. Car enfin, que peut connaître un prud’homme chapelier à la question des tirelles, du laçage des cartons, des déchets ou autre de ce genre ? par pudeur il devrait s’abstenir de prendre part à la solution de ces sortes de questions. Les tribunaux ne jugent que des questions de droit, ils renvoient devant experts tout ce qui tient à l’appréciation des points de fait. Le conseil des prud’hommes, lui, ne peut pas suivre ce mode de procéder ; le prud’homme est à la fois expert et juge. Il y a par conséquent abus dans la présence continuelle des prud’hommes étrangers à la fabrique. Ils doivent donner leur avis dans les questions générales et dont la solution résulte de l’examen des textes divers de la loi ; ils doivent attendre sur leurs siéges qu’une cause à eux compétente se présenteiii, mais ils doivent s’abstenir de juger ce que, soit dit sans leur déplaire, ils ne peuvent comprendre. Un exemple va rendre sensible ce que nous avançons, supposons appel d’un jugement du conseil. Le tribunal de commerce, s’il a besoin de s’éclairer des lumières d’une expertise, ira-t-il nommer un chapelier pour régler les déchets qu’il faut allouer dans la fabrique d’une étoffe de soie ? pourquoi le conseil le fait-il ? C’est une anomalie ridicule. Tous les abus s’enchaînent, nous sommes loin d’en avoir parcouru le cercle, on dirait qu’il s’élargit à mesure qu’on avance. Les prud’hommes ont des suppléans, il nous a été rapporté que ces suppléans avaient voté en présence même de ceux qu’ils sont appelés à suppléer. Le calcul en a été fait, l’observation précisée, nous avons peine à le croire ; car le mot de suppléant indique l’époque de la fonction, c’est l’absence du titulaire. Si ce titulaire [2.2]est présent, le suppléant non-seulement ne doit pas voter, mais il doit se retirer ; tout au plus, peut-on lui accorder l’honneur de la séance. Enfin, il n’est pas jusqu’à la disposition des places des prud’hommes qui ne mérite d’être critiquée. D’où vient cet amalgame de prud’hommes fabricans et prud’hommes chefs d’ateliers. Est-ce pour se contrôler ou pour opérer une fusion, et dans quel sens. Les hommes unis, pouvant se consulter facilement, ont plus d’ensemble, plus de poids, plus de courage même. Voit-on dans les assemblées législatives, les députés de l’opposition se confondre avec ceux qui défendent le ministère ? Ainsi, en résumé, voici les abus auxquels il est urgent de remédier : 1° Défaut d’élection des prud’hommes actuels étrangers à la fabrique, on peut soutenir qu’ils ne représentent pas suffisamment la classe ouvrière qu’ils sont appelés à juger ; 2° Défaut de concours de tous les justiciables du conseil, autres que les ouvriers en soie à la nomination des prud’hommes qui leur sont attribués ; 3° Injustice d’un nombre supérieur de prud’hommes fabricans à celui des prud’hommes chefs d’atelier ; 4° Vote inconvenant des prud’hommes étrangers à la fabrique dans les questions spéciales qui la regardent, et pour lesquels les prud’hommes cumulent la fonction d’experts avec celle de juges ; 5° Adjonction et vote illégal des suppléans ; 6° Défaut d’harmonie résultant de la dissémination des prud’hommes. Nous pensons qu’il y aurait lieu à réformer de suite ces abus. Mais lors même qu’il n’existeraint pas, les prud’hommes chefs d’ateliers sont ils tout à fait exempts de blâme. Non, notre parole est amie mais franche. Ils ont oublié leur origine3, ils n’ont pas eu foi en eux, et n’ont vu que leur petit nombre. Ils ont cru pouvoir lutter avec avantage, ou même se sont-ils dégoûtés de lutter contre une majorité compacte, imbue de préjugés, soumise à l’influence de doctrines totalement divergentes ; là a été leur erreur ; une faute grave a été commise par eux, ils en subissent les conséquences : ils auraient dû appeler l’investigation de la presse sur toutes les questions ardues, il auraient dû rendre compte à leurs collègues des difficultés qui se présentaient sous leurs pas, ils ne l’ont pas fait, et dès-lors ils n’ont pu franchir ces difficultés. Ils passeront sous les fourches caudines du négociantisme, la publicité seule est la sauve-garde des droits méconnus. Si les prud’hommes l’ont oublié, nous sommes chargés (car ce n’est pas en notre nom que nous élevons une clameur qu’on ne regarderait pas comme acerbe ni insolite, si on connaissait les pivots sur lesquels sa base s’appuye), nous sommes chargés de leur le rappeler. Là, il est vrai, se borne notre mission, là s’arrête notre pouvoir. Il en est temps encore, les liens d’affection et de confiance qui existent entre les prud’hommes chefs d’atelier et leurs commettans ne sont pas tous rompus. On leur tient compte de leur position. Mais un magistrat doit faire abnégation de tous ses intérêts ; et ici c’est le cas de dire, on ne pense pas que la position des prud’hommes soit assez indépendante : comme chefs d’atelier, ils peuvent craindre pour leurs intérêts privés ; comme magistrats, leur institution aurait besoin peut-être de la sanction législative ; comme fonctionnaires salariés, leur traitement ne devrait pas être à la merci de l’autorité municipale ; il devrait être fondé et garanti par une loi. Que si ce sont-là les motifs qui diminuent leur indépendance, que ne s’adressent-ils à leurs commettans ? [3.1]Quatre-vingt mille individus qui vivent de la fabrique, sauront bien soustraire, par une souscription honorable, leurs représentans aux exigences du pouvoir. Nous ne pensons pas avoir blessé les personnes, c’était bien loin de notre idée ; nous estimons, nous honorons les prud’hommes actuels ; et c’est parce que nous les estimons, parce que nous les honorons que nous les avons jugés dignes d’entendre la vérité. Nous leur l’avons dite, nous attendons une réponse explicite ; des milliers de lecteurs l’attendent.
i Veut-on élever un magnifique monument ? Il faut, avant d’en jeter les fondemens, faire choix de la place, abattre les masures qui la couvrent, en enlever les décombres, etc. Helvétius. ii Cette institution ne pourrait remplir son but qu’autant que l’élection la vivifierait et l’arracherait à la faveur et à l’intrigue des ministères. iii Cette institution ne pourrait remplir son but qu’autant que l’élection la vivifierait et l’arracherait à la faveur et à l’intrigue des ministères.
AU REDACTEUR.
Nous publions la lettre d’un marchand fabricant dont nous avons parlé dans notre dernier numéro ; l’auteur s’étant fait connaître à nous. Lyon, 24 septembre 1832. Monsieur, J’ai lu dans vos derniers numéros plusieurs articles traitant des discussions élevées sur les tirelles et le laçage des cartons. Je vous adresse mes observations, et si vous les croyez utiles, vous en tirerez parti ; je fais fabriquer les articles marabout, mouchoirs, écharpes, robes ; je fabrique également des courons façonnés gros de Naples, satins et autres. J’ai toujours suivi la règle de donner 15 grammes de tirelles en outre pour les marabouts, mouchoirs ; je reçois à chaque coupe une tirelle légère pour faciliter l’aprêt, en outre, le déchet usuel. Presque tous les maîtres que j’occupe sont en avance de soie, et cependant ceux qui tissent le marabout avancent plutôt moins et recueillent moins de leurs avances, parce que le prix du cru est moindre que celui du cuit, et aussi parce que malgré toute bonne foi, il arrive quelques fois que, pressé, on est obligé de donner le marabout arrivant du moulin et chargé d’humidité ; il m’est arrivé plus d’une fois de balancer des comptes où le maître eût été lézé par ce fait sans qu’il y eût aucune mauvaise intention. Il est de toute justice que cet ancien réglement de la fabrique soit maintenu, le déchet et la tirelle sont des primes favorables au maître et même au marchand, car dans les fabriques particulières où cet encouragement n’existe pas, toute surveillance ne parviendra jamais à empêcher une perte de soie bien plus considérable : les faits sont faciles à citer. J’ajouterai aussi que les localités produisent des différences ; j’ai occupé plus d’un maître qui avançait beaucoup dans tel appartement, et changeant de local avançait beaucoup moins, et vice versa ; mais quelques maîtres avanceraient sans déchet et sans tirelle ; ce sont des exceptions qui ne doivent point faire enfreindre les réglemens. Quand au laçage des cartons, j’ai adopté la décision du conseil ; car il est juste que des cordes qui deviennent notre propriété soient à nos frais, le maître doit seulement les entretenir durant qu’il s’en sert. Tous ces réglemens seront sans doute adoptés par le conseil des prudhommes, afin que, dans tous les cas, le maître obtienne leur rigoureuse exécution. C’est avec plaisir que je vous adresse mes observations, je ne désire rien tant que l’extirpation de l’abus, mais pour y parvenir, il ne faut aigrir personne ; car tel gens de bonne foi se méfiant les uns des autres, ne se comprennent pas. Je me plais à vous dire que j’aperçois dans vos colonnes moins de fiel qu’à votre début, remplissez votre mission conciliatrice, et vous trouverez le concours de tous les amis du bien. [3.2]Je garde l’anonyme, parce que je ne veux point m’étendre en discussion ni en réponses, et que je vous fais part de ma conviction avec certitude, qu’il me faudrait bien des faits pour la détruire et non des paroles. Un marchand fabricant.
Au rédacteur. Lyon, le 29 septembre 1832. Une mercuriale a été faite ; apparemment qu’elle doit être connue de ceux qu’elle intéresse. Vous annonciez dans un de vos derniers numéros que vous la donneriez lorsqu’elle aurait été vérifiée. Ce travail a-t-il eu lieu ? on en entend plus parler. Je sais bien qu’elle est affichée au greffe du conseil des prud’hommes, mais il ne convient pas à tout le monde d’y aller pour subir des questions plus ou moins insolites. Je vous engagerais donc à en afficher une copie dans vos bureaux, si vous ne pouvez l’insérer dans le journal. Je suis à ce sujet l’organe de plusieurs chefs d’ateliers. Votre dévoué. Déléas fils. Note du rédacteur. La mercuriale n’a pas été vérifiée ; il paraît que MM. les prud’hommes fabricans sont en désaccord avec ceux chefs d’ateliers sur ce point comme sur bien d’autres.
CONSEIL DES PRUD’HOMMMES.
Audience du 4 octobre, (présidée par m. goujon.) Dans la séance de ce jour, à laquelle assistait un auditoire nombreux, plusieurs causes intéressantes, surtout en ce qu’elles fixent la jurisprudence du conseil sur des points de droit où il n’avait pas encore eu à se prononcer, sont successivement appelées ; les questions suivantes ont été agitées et résolues. Première question. – Un maître, dont l’élève est sorti de son atelier, sans avoir terminé son apprentissage, et dont les conventions portent une indemnité, payable dans le cas où elles ne seront pas remplies, peut-il, lorsqu’il a obtenu un jugement par défaut contre ce même apprenti, prendre en contravention le maître qui l’a reçu, soit qu’il l’occupe en qualité d’apprenti, soit comme ouvrier à gage, dans un état quelconque. – R. « Oui. Le contrevenant ayant son recours contre le répondant. » Le sieur Larouy, chef d’atelier, avait une apprentie qui s’est enfuie de chez lui. Ayant fait assigner le sieur Ponsard, père de l’apprentie, à comparaître à l’audience du conseil, du 30 mai de cette année ; le sieur Ponsard ne s’y étant pas présenté, fut condamné par défaut, à payer au sieur Larouy, la somme de 200 fr., montant de l’indemnité portée sur l’acte d’apprentissage. Depuis, le sieur Larouy a pris en contravention le sieur Boirivent, négociant et chef d’atelier, comme occupant dans ses ateliers son élève sans livret. Le contre-maître de l’atelier, fondé de procuration du sieur Boirivent, dit pour sa défense, que cette fille n’a pas été trouvée à tisser de l’étoffe, ce qui est impossible ; ne permettant pas que personne entre dans ses ateliers, par la raison, dit-il, qu’il a le plus grand intérêt à ce que le genre d’étoffes qu’il fait fabriquer, ne soit pas connu ; et il déclare n’avoir occupé la fille Ponsard, que comme une ouvrière à gage, pour faire les canettes, et en conclut, qu’il ne peut y avoir contravention contre le sieur Boirivent, déclarant avoir reçu de bonne foi, la fille Ponsard, qui lui fut amenée par son père, et ignorant qu’elle eût contracté des [4.1]engagemens comme apprentie. La fille Ponsarda fait défaut. « Attendu qu’il est constant que la fille Ponsardtravaille dans les ateliers du sieur Boirivent, le conseil décide que la contravention contre ledit est constante ; en conséquence, le condamne au paiement de la somme demandée et aux frais, sauf son recours contre les Ponsard. » Deuxième question. Un propriétaire, ou tous autres qui seraient créanciers d’un chef d’atelier, ont-ils le droit, lors même que du consentement réciproque des parties, la dette aurait été inscrite sur le livret de ce dernier, de forcer le fabricant, détenteur du livret, à retenir le huitième sur les façons du débiteur, lorsqu’il s’y refuse et dénie au fabricant le droit de lui faire aucune retenue pour solder ses dettes, autres que celles résultant d’avances faites par un fabricant ? – R. « Non. Aucune somme ne pouvant être écrite sur le livret que celle des fabricans. » Loi du 18 mars 1806. Le sieur Carteron, créancier, pour location, du sieur T........, chef d’atelier, d’une somme de plus de 400 fr., l’a fait inscrire sur les livrets de ce maître, d’accord avec lui pour être payé par huitième sur ses façons, après les sieurs Favier et Rebeyre, négocians détenteurs des livrets, et créanciers eux-mêmes. Le sieur Carteron réclamait au sieur Favier les retenues qu’il avait dû faire à son débiteur. Le sieur Favier, expose au conseil, que l’ouvrier s’est refusé à laisser aucune somme, en lui déniant le droit de les lui retenir, sans sa volonté ; et qu’il a été forcé de lui faire son compte. Il demande que le conseil prononce sur cette affaire, qui est d’un intérêt majeur. Après délibération, la décision suivante a été rendue : « Attendu que la loi sur les livrets dit formellement qu’ils ne sont institués que pour conserver la propriété des fabricans, et qu’ils n’ont été établis que pour leur donner sûreté de leurs créances, le conseil déboute le sieur Carteron de sa demande en retenue, au sieur Favier, et annulle la créance portée sur les livrets à sa requête. » Troisième question. – Un ouvrier compagnon, peut-il réclamer au maître qui l’occupe, un prix plus élevé que celui payé par le fabricant à ce dernier, surtout si le prix du fabricant est au dessous du cours fixé par la mercuriale ? – R. « Oui. Le maître ayant recours contre le fabricant en augmentation de prix de façons. » Le sieur Biespre, ouvrier compagnon chez le sieur Panisset, réclame à ce dernier, le prix de 45 c par aune de rubans, et appuie sa demande en disant que le prix courant de cet article est ainsi fixé à 45 c par la Mercuriale ; il réclame aussi une indemnité pour son temps perdu. Le sieur Panisset répond qu’après l’audience de conciliation, qui a eu lieu, il a règlé son ouvrier au prix de 40 c prix auquel il a lui-même été réglé par le sieur Goybet, et paraît surpris de ces nouvelles réclamations, et surtout, de celles pour le temps perdu, puisque le sieur Biespre a travaillé au sortir de chez lui. Le sieur Biespre dit avoir demandé de l’argent, à raison de ses besoins, et réclame maintenant, parce qu’il ne peut laisser en rente chez un maître 4 ou 5 fr. qui lui reviennent. « Attendu que le prix des rubans est de 45 c, le conseil décide que le prix sera payé au sieur Biespre par le sieur Panisset, qui est en outre condamné aux frais, et auquel son recours est conservé contre le sieur Goybet (qui fait défaut), pour le prix de la façon, et déboute le sieur Biespre de sa demande en indemnité ».
AU REDACTEUR.
[4.2]Monsieur, En réponse à l’article inséré dans votre dernier numéro, concernant les signatures des prud’hommes chefs d’ateliers (section de fabrique) ; La mienne étant de ce nombre, j’ai l’honneur de vous observer que je n’ai signé que d’après l’avis d’un avocat que je consultai à ce sujet. Ce dernier m’ayant répondu que dans tous les tribunaux la minorité signait les décisions de la majorité, et que conséquemment ma signature ne serait point un signe d’approbation, mais seulement une attestation de présence au conseil lorsque le jugement fut rendu. Veuillez agréer, etc. Charnier. Ce 1er octobre 1832.
Secours aux blessés. M. V.... de St-Just à donné : 10 fr Collecte au bureau de l’Echo : 6 fr 75 Id. dans l’atelier de M. Berger, gérant de l’Echo : 6 fr 25 Total : 23 fr 00 Cette somme a été remise au sieur B…, l’une des malheureuses victimes de novembre, sorti récemment de l’hôpital. Nous continuerons d’appeler l’attention de nos lecteurs sur les ouvriers blessés à cette fatale époque. Les offrandes les plus modiques seront reçues avec reconnaissance au bureau de l’Echo, où elles seront inscrites sur un registre spécial. BERGER
RÉCLAMATION DE M. LACOMBE,
Chef d’Atelier, rue Boucherie-St-Georges, n° 2. M. Lacombe nous adresse une lettre, dans laquelle il repousse avec toute l’énergie possible la qualification d’agent secret de la police ou de mouchard, que des ennemis personnels paraissent lui appliquer. Nous jugeons inutile d’insérer cette lettre qui a paru dans le n° 91 de la Glaneuse. La présente mention devant suffire pour remplir le devoir que notre fonction de journaliste nous impose, d’ouvrir nos colonnes à tous nos concitoyens, et pour donner la publicité nécessaire au démenti formel que le sieur Lacombe porte à ses calomniateurs.
BANQUET OFFERT A M. GARNIER-PAG ÈS.
Une réputation immense de patriotisme et de talent, avait précédé M. Garnier-pagès, membre de la société Aide-toi, le ciel t’aidra, et député de la Côte-Saint-André (Isère). Aussi dix-huit cent quatre-vingt-trois convives se sont empressés d’accourir au banquet que des patriotes Lyonnais ont eu l’heureuse idée d’offrir le 30 septembre dernier, dans l’Elisée lyonnais, au représentant de la jeune France. Aucun banquet patriotique n’avait encore réuni un pareil nombre de souscripteurs. M. Pagès méritait cet honneur, et les Lyonnais tenaient aussi à lui offrir une compensation aux injures et aux persécutions dont il a été abreuvéi1. [5.1]Le plus grand ordre a régné dans cette nombreuse réunion, solennité vraiment nationale. Des citoyens généreux ont porté des toasts énergiques applaudis à outrance, et qu’on lira avec plaisir dans le Précurseur et la Glaneuse, le cadre de notre feuille ne nous permettant pas de les transcrire. M. Beaune instituteur, président du banquet, a porté le dernier toast à M. Garnier-Pagès qui y a répondu par un discours remarquable et improvisé, qui a produit une grande sensation. La fête s’est terminée sans aucun trouble ni accident, par une collecte en faveur de la Tribune, qui a produit 662 fr. 15 cent., manifestation éclatante de la sympathie des Lyonnais avec les doctrines de cet estimable journal. M. Amédée Roussillac, l’un de nos collaborateurs, nous a remis les vers suivans, qui n’ont pu être lus publiquement, la commission des toasts ayant refusé toute espèce de vers. A M. Garnier-Pagès. Viens parmi nous, viens, nous savons comprendre Ton caractère et tes hautes vertus ! Toi, dont la voix n’a cessé de défendre Nos libertés et nos droits méconnus. Tribun du peuple, un laurier populaire Te rendra doux un pénible devoir. Et, tu le vois, l’amour du prolétaire Console bien des haines du pouvoir.
i On sait que M. Pagès, commissaire du convoi funèbre du géneral Lamarque, a été obligé, avec ses collègues Cabet et Laboissières, de fuir pendant tout le temps que la capitale fut privée de la protection des lois confiées à sa garde, et qu’elle avait la faiblesse de se laisser ravir. Aussitôt que la Charte eut repris son empire, ces dignes mandataires du peuple se présentèrent devant la justice, et furent acquittés.
Un jeune lyonnais, M. Hypolite Flandrin, élève de M. Ingrès, vient de remporter à l’Institut de Paris, le premier grand prix de peinture.
SOCIÉTÉ ROYALE D’AGRICULTURE, 1
histoire naturelle et arts utiles de lyon, Programme des prix mis au concours pour 1833, et années suivantes. 1. Une médaille d’or, de la valeur de 300 fr., à l’auteur de l’ouvrage le plus propre à répandre, parmi les propriétaires-cultivateurs et les fermiers, les connaissances les plus saines ainsi que les plus positives sur l’agriculture théorique et pratique (prix prorogé). 2. Un prix de 1 000 fr. pour celui qui fera connaître les moyens de détruire la pyrale de la vigne (pyralisvitis ouvitana), qui, à diverses époques, a exercé de grands ravages dans les vignobles du Mâconais et du Beaujolais. Les concurrens devront exposer clairement les procédés qu’ils auront mis en usage, et les succès qu’ils auront obtenus, lesquels devront être constatés d’une manière authentique (prix prorogé.) MM. Coubayon et Gourd, négocians à Lyon et propriétaires de vignobles dans l’arrondissement de Villefranche, ont fait pour ce prix un fonds de 600 fr., et la société y a ajouté 400 fr. 3. Une prime de 300 fr. sera accordée au cultivateur du département du Rhône, qui, dans le courant des années 1833, 1834 et 1835, aura cultivé sur le sol le plus étendu à l’état nain, vulgairement dit en prairie, des mûriers des Philippines (morus cucullata), la contenance du sol ne pourra pas être de moins d’un are. Deux autres primes, chacune de 150 fr., seront accordées au cultivateur qui, par ce genre de culture, aura le plus approché du premier. Une médaille d’or de 300 fr. sera décernée à titre de prix à l’éleveur, qui, dans le temps indiqué ci-dessus, aura nourri, avec succès le plus grand nombre de vers à soie, en employant les feuilles du mûrier des Philippines cultivé en prairies ; toutefois l’éducation ne pourra être moindre d’une once. Trois autres médailles, chacune de 100 fr., seront la récompense des éleveurs qui auront le plus approché du premier. Les cultivateurs qui auront concouru pour la culture des muriers des Philippines, pourront se présenter pour l’éducation des vers-à-soie, au moyen des feuilles de cette espèce de murier. Les uns et les autres accompagneront l’envoi de leurs mémoires [5.2]d’attestations données par MM. les maires ou autres fonctionnaires publics des lieux qu’ils habitent, ils devront avoir opéré dans le département du Rhône. Les fonds des prix et des primes pour l’encouragement de la culture des muriers des Philippines en prairies, ont été faits par M. Mahieu Bonafous, lyonnais, et correspondant de la société à Turin. 4. Une médaille d’or de 300 fr, sera, en août 1833, décernée à l’auteur du meilleur mémoire sur la question suivante : Déterminer les cas où il est avantageux de tenir constamment bêtes bovines à l’étable, selon l’âge, le sexe, les races et les genres de service ; indiquer les moyens les plus économiques de les y nourrir principalement, quand il y a disette, des fourrages des prairies ; faire connaître les soins hygiéniques particuliers que le bétail exige dans cet état. 5. Une médaille de même valeur sera décernée, à la même époque, à l’inventeur d’une machine propre à briser les pierres siliceuses de la manière la plus convenable pour l’entretien des chemins publics. 6. Une médaille de la valeur de 300 fr. sera décernée, au mois d’août 1837, au jardinier qui présentera la pépinière la mieux fournie et la mieux entretenue en espèces et variétés d’arbres fruitiers et autres éminemment utiles, tels que mûriers, ormes, etc. 7. Une médaille de 200 fr. sera accordée, à la même époque, à celui qui aura greffé, dans le département du Rhône, le plus grand nombre de châtaigniers et de noyers. Le nombre ne pourra pas être au dessous ; de 100. 8. Des médailles de 100 fr. seront accordées également, en août 1837, aux jardiniers qui auront planté, suivant la méthode de Butret, au moins seize pêchers en huit variétés différentes, et dans les meilleures qualités ; ces pêchers auront dû être élevé en espalier à la française, et d’après les principes de Butret. Les concurrens pour la destruction de la pyrale, ceux pour la culture du murier des Philippines en prairies, ceux enfin pour l’éducation des arbres fruitiers, et les greffes des châtaigniers et des noyers pourront faire connaître leurs noms, la société se réservant, avant de prononcer, de faire constater des commissaires le résultat des opérations. Quant aux autres sujets de prix, les concurrens mettront en tête de leurs mémoires une épigraphe qui sera répétée dans un bulletin cacheté, contenant le nom de l’auteur, et le bulletin ne sera ouvert qu’autant que l’auteur obtiendrait au moins une médaille du 100 fr. ; s’il n’était jugé digue que d’une moindre distinction, ce ne serait que du consentement de l’auteur que son nom serait proclamé par la société. Les membres ordinaires de la société sont seuls exceptés du concours. Les mémoires et pièces à l’appui seront adressés au secrétaire de la société, ou à tout autre membre du bureau ; ils doivent, dans toutes les années, être parvenus avant le 15 juin. TROLLIET, président. GROGNIER, secrétaire.
MM. les actionnaires de l’Echo, sont invités à se rendre au bureau du journal, lundi 15 du courant, à six heures précises du soir, pour nommer la commission de surveillance qui doit remplacer celle dont les pouvoirs expirent le premier novembre prochain.
DES MACHINES DANS L’INDUSTRIE,
en réponse a m. bouvery. Par M. Anselme Petetin. Au Rédacteur. Monsieur, M. Bouvery réplique dans le dernier n° de l’Echo, à la réponse que j’avais faite à son premier article, sur l’intervention des machines dans l’industrie. Cette réponse est conçue en termes si bienveillans pour moi que je n’hésite pas à soumettre de nouvelles observations relatives au même sujet, soit à M. Bouvery, soit à cette partie du public qui s’occupe de matières industrielles. – Il me semble que les lecteurs verront en ceci, Monsieur, autre chose qu’une polémique personnelle : c’est une discussion dont le fond est de la plus haute importance et à laquelle les hommes éclairés et amis du progrès populaire ne peuvent rester indifférens. [6.1]Il y a une foule de sujets tout aussi élémentaires qui sont jusqu’ici demeurés obscurs, parce qu’ils n’ont point été soumis au flambeau de la discussion publique, et le temps où l’administration devra être bâsée sur l’intérêt du plus grand nombre, est je l’espère, assez proche pour que nous devions songer à faire passer dans les esprits ces doctrines politiques et économiques, cette sorte de crèdo social qui doit être la base des régimes de l’avenir. La question des machines en particulier, mérite d’autant plus cet examen solennel que sa solution renferme le sort futur de la civilisation industrielle. Entendue dans le sens que je lui donne, elle assure à la fois le repos et le progrès des classes laborieuses, elle prévient cette révolte de l’ignorance et de la faim, dont la France et l’Angleterre ont eu de si terribles exemples. – Résolue dans le sens de M. Bouvery, elle laisse au sein des populations industrieuses un germe de défiance et d’irritation, que le moindre perfectionnement mécanique, que des innovations nécessaires feraient certainement fermenter et grandir, jusqu’à d’horribles catastrophes. Tels sont, en réalité, les deux termes de cette question. – Les machines sont-elles utiles ou nuisibles aux intérêts des masses ? – Si nous ne parvenons pas à démontrer qu’elles sont en thèse générale, non-seulement utiles mais indispensables au bien-être des classes les plus nombreuses et les plus pauvres, et que les inévitables inconvéniens qu’elles entraînent après elles proviennent uniquement des vices d’un, gouvernement où toute l’influence est livrée aux oisifs, il est clair que le peuple devra se révolter contre toute machine nouvelle, et détruire par la force brutale cet instrument d’un intérêt égoiste qui vient affamer des cités entières. – La conséquence est horrible, mais rigoureuse. Avant d’essayer de répondre à M. Bouvery, je dois déclarer que j’ai trouvé son argumentation un peu confuse et qu’il m’est assez difficile d’en découvrir les liaisons : c’est moi, sans doute, qu’il faut en accuser, car si j’avais mieux posé mes raisonnemens il n’aurait pas manqué de les suivre dans leur enchaînement logique. Quoi qu’il en soit, au point où en est la question, il me paraît qu’elle se divise en deux branches : la première toute industrielle, la seconde qui touche à la politique organique. – Je vais les examiner toutes deux. A l’égard de la première, je dirai que M. Bouvery n’a pas assez nettement distingué la production de la consommation. Il confond évidemment l’une avec l’autre, et néglige le seul moyen qui puisse conduire à un résultat clair et positif, qui serait d’étudier le résultat général des machines d’un côté pour la production, de l’autre pour la consommation ; en d’autres termes, pour les producteurs et pour les consommateurs. Il y a deux manières d’arriver à connaître ce résultat : – Premièrement en recherchant ce que fais de bien ou de mal dans la société une machine nouvelle, sans compliquer la question des effets d’autres machines dans les différentes industries. En second lieu, de se placer tout d’un coup au point de vue extrême ; de se figurer la mécanique poussée à sa dernière perfection dans toutes les industries, et de se demander quel serait alors l’état de la société laborieuse. On remarquera que je néglige complètement tous les petits avantages accessoires que je pourrais trouver dans des aperçus de détails. Que je n’examine pas, par exemple, s’il est vrai, comme le suppose M. Bouvery, qu’une machine nouvelle jette réellement sur pavé grand nombre d’ouvriers : s’il n’est pas probable, au contraire, [6.2]comme le soutient l’école de Smith et de M. Say, que le bon marché des produits accroit à tel point la consommation que presque toujours une industrie perfectionnée prend aussitôt un développement qui lui permet d’occuper beaucoup plus de bras, tout en simplifiant la main d’œuvre. – Si, comme je l’ai démontré dans ma première lettre, les désastres de plusieurs de nos industries, comme ceux de la rouennerie, et des étoffes de coton, n’ont pas été causés par l’incurie du gouvernement, lequel, sans s’inquiéter de l’immense activité portée tout-à-coup sur cette industrie, ne prit aucun soin ni d’en modérer l’excès par des mesures directes d’administration ; ni de pousser et dessimuler d’autres industries, dont les travailleurs arrièrés n’avaient pas assez de produits à offrir en échange de cette masse énorme de tissus, à quelques bas prix qu’ils fussent descendus par la concurrence illimitée ; qui ne s’occupât nullement, par exemple, de perfectionner l’agriculture, afin que les paysans pussent acheter ces étoffes qu’on leur offrait à si bon marché, et qui restaient dans les magasins faute de moyens d’échange dans la main de ceux à qui elles étaient destinées. Il vaut mieux aller tout droit au fond de la question par les deux thèses que je viens d’indiquer. – Elles dégagent le problême de tous ses termes obscurs et le résolvent dans toute sa rigueur. Qu’arrive-t-il quand une machine nouvelle s’introduit dans l’industrie ? Une chose facile à découvrir, si l’on veut laisser de côté toute préoccupation étrangère, si l’on s’en tient à ce point unique, sans s’inquiéter de ce qui peut arriver ailleurs, par l’effet d’autres machines dans d’autres branches de l’industrie. Il arrive, tout simplement, comme je l’ai dit dans ma première lettre, que la masse des consommateurs gagne toute la différence entre le prix ancien et le prix nouveau, établi par le perfectionnement mécanique. Il est vrai qu’une partie des travailleurs, précédemment occupés par cette industrie, retomberont à la charge de la société, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé à les employer ailleurs, et c’est ici que l’idée des ateliers publics réclamés par M. Bouvery, doit recevoir son application. Ce qu’il importe de constater, c’est l’avantage que la machine nouvelle apporte à la masse sociale : or, il est certain, et M. Bouvery ne le nie pas, qu’il serait fort heureux pour tout le monde que le prix d’un habit fût réduit à cinq sous, car tous seraient par là garantis du froid, et tous auraient moins de travail et de fatigue pour se procurer ce vêtement, il resterait à tous plus de temps, soit pour se procurer d’autres élémens de bien-être, par exemple, les lumières intellectuelles, ou plus de loisir pour le repos et le plaisir qui, encore une fois, est aussi pour l’homme un besoin de première nécessité. M. Bouvery est embarrassé de savoir comment les consommateurs se procureront même cette faible somme de cinq sous, si toutes les industries admettent les machines, et laissent ainsi sans emploi la majeure partie des bras. – Cet argument est évidemment celui sur lequel il compte le plus ; je conçois qu’il soit difficile à réfuter si l’on se jette dans le calcul infini des influences réciproques de la production et de la consommation, du salaire et de son emploi. Cependant, si au lieu de suivre, à travers tant d’obstacles et d’obscurités, l’effet d’une machine sur une classe de travailleurs, puis d’une autre machine sur d’autres travailleurs, et enfin de mille machines sur mille industries et sur des millions de salaires et de consommateurs ; si au lieu de s’engager dans cet abîme de chiffres et de fractions, on va droit au dernier [7.1]résultat ; si l’on fait comme dans une dernière équation algébrique la somme de tous ces termes épars. Si l’on totalise la double influence dont nous cherchons les effets, on arrive à une proposition qui éclaircit tous les doutes et produit un dernier résultat, dont la frappante évidence doit convaincre tous les esprits. (La suite au prochain numéro.)
DE L’ÉGALITÉ DEVANT LA LOI. Selon nous, l’égalité devant la loi, consignée dans la charte retournée de 1830, est encore un de ces mensonges que la tradition apporte, qu’un petit nombre de crédules acceptent, et dont s’indignent les hommes sensés. Non, il n’est pas vrai que les Français soient égaux devant la loi : il n’existe d’autre égalité entre eux que celle du hasard de la naissance. Pour que les Français fussent égaux devant les lois, il faudrait d’abord qu’on abolît les lois de mise en liberté sous caution ; – Tant que le riche pourra se soustraire à une détention préventive, en déposant dans les coffres du fisc une somme quelconque ; il n’y aura pas égalité entre lui et le malheureux forcé d’attendre dans un cachot le jour de la justice ; – il n’y aura égalité entre eux que devant le hasard qui pouvait vouloir que le riche naquît pauvre, et que le pauvre naquît riche. De l’égalité devant la loi, il n’y en a point. – Et si l’on suivait cette idée jusque dans sa dernière expression, on serait étonné de voir combien la part du riche est large ; – on serait tenté de s’écrier : malheur à ceux-là qui ont fait la loi dans leur intérêt exclusif, et n’ont songé à une immense population que pour lui infliger et la forcer de porter le châtiment de leurs turpitudes et de leurs crimes. En effet, que deux individus, l’un riche et l’autre pauvre, soient traduits devant une cour d’assises, il arrivera souvent que le fait, encore mal éclairci, qui les conduit devant les jurés, permettra leur mise en liberté sous caution. Eh bien ! le riche gagnera la frontière et attendra sur un sol étranger qu’il lui soit permis de rentrer dans sa pairie. S’il est condamné, la loi ne pourra pas l’atteindre ; car il préférera abandonner un peu d’or, plutôt que de subir une peine infamante ; tandis que le malheureux, traîné de prison en prison, et jusqu’à l’échafaud peut-être, viendra payer de sa liberté ou de sa vie, le crime de son complice et le sien. Car il faut bien satisfaire la vindicte publique ; il faut bien que justice se fasse. Voila ce qu’on appelle égalité devant la loi. Dans les causes civiles, dans les procès entre simples citoyens, l’égalité devant la loi n’existe pas davantage. Elle ne sera jamais qu’une insultante ironie, tant qu’il faudra de l’argent pour plaider, tant que les charges d’avoués, de notaires et d’huissiers, tant que les fonctions d’avocats, et jusqu’aux procès-verbaux de garde-champêtre ne seront pas à la charge de l’Etat, sans que les titulaires aient le droit de se faire payer par les parties leurs actes, leurs plaidoieries ou leurs rapports. Si le tribunal de première instance n’avait jamais réformé le jugement d’un juge-de-paix ; si la Cour royale n’avait jamais réformé celui du tribunal de première instance ; si les juges suprêmes avaient toujours sanctionné l’arrêt d’une Cour royale, alors, et en supposant que tout individu possédât assez d’argent pour plaider devant la justice de paix, il y aurait à peu près égalité, sur ce point, entre les Français. – Malheureusement, il n’en est pas ainsi, et si nous avons tant de juridictions graduelles, c’est qu’elles sont nécessaires, et que souvent il [7.2]a fallu toutes les lumières de la dernière Cour pour découvrir la vérité. – Or donc, comment veut-on qu’un prolétaire, vivant au jour le jour, et qui a besoin de toutes ses heures pour gagner un peu de pain, poursuive un procès devant les hautes juridictions, avance aux hommes d’affaires des frais présumés, et consigne des amendes exorbitantes ? – Il ne le pourra jamais ; et, eût-il le meilleur droit possible, la justice de sa cause s’arrêtera là où ses moyens pécuniaires ne lui permettront plus de suivre son adversaire. Il se désistera d’une demande équitable, il déclarera que c’est à tort qu’il a gagné son procès, ou enfin il sera obligé de subir une transaction honteuse et spoliatrice. Il est donc évident qu’en matière civile comme en matière criminelle, l’égalité des Français devant la loi n’est qu’une mystification scandaleuse, à moins qu’elle ne soit, et c’est ce que nous aimons à penser, un droit écrit dans le présent, pour devenir un fait dans l’avenir. Il n’y aura égalité entre les Français devant la loi, que lorsque la mise en liberté sous caution n’existera plus, lorsque l’arrestation n’aura lieu qu’après la condamnation, et enfin, quand les fonctions d’avocats, d’avoués, de notaires, etc., seront rétribuées par l’Etat, et ouvriront ainsi à tous les Français, riches ou pauvres, toutes les arènes de la justice. (Journal du Commerce de Lyon, n° 1373, 28 septembre 1832.) Note du rédacteur. – Nous nous associons autant qu’il est en nous aux principes émis par l’auteur de cet article ; déjà nous avions réclamé contre le mode actuel de mise en liberté sous-caution des prévenus, lequel ne permet qu’à l’homme riche d’en profiler (voyez l’Echo, n° 45, Cour d’assises du Rhône, Affaire Tocanier.). Quant au dernier paragraphe de l’art. ci-dessus, nous ne partageons pas complètement l’opinion de l’auteur. A notre avis, de tous ceux qu’il nomme, le notaire seul devrait être salarié par l’état, car seul il est fonctionnaire, pourvu toutefois qu’il se renferme strictement dans la passation des actes qui lui sont présentés ; l’huissier devrait également être à la charge du budget de l’état, car il est dans l’ordre civil, ce que le gendarme est dans l’ordre criminel, plus ou moins haut placé dans la hiérarchie des fonctionnaires, peu importe. Mais l’avoué n’est nullement fonctionnaire, nous l’avons dit et prouvé ailleurs ; il n’est qu’un agent d’affaires commerciales ou civiles, un fondé de pouvoir que la loi a eu tort d’imposer à la volonté des parties. En qualité de mandataire il doit être salarié par le client qui l’emploie, comme tout autre agent d’affaire ou courtier. Le ministère de l’avocat est d’un autre ordre de choses, il se rapproche des arts libéraux, il est sur la même ligne que le prêtre, le médecin, l’artiste et le savant. L’avocat n’exerce ni un métier, ni une fonction, il remplit un sacerdoce. Voila l’opinion que nous avons produite dans nos articles sur l’égalité sociale, et nous croyons devoir y persister.
Nouveau Schisme dans l’Eglise catholique. eglise française.1 Nous ne devons plus passer sous silence l’Eglise française que l’abbé Châtel2 a fondée à l’époque de la révolution de juillet et à laquelle plusieurs communes ont adhéréi. Cette église diffère de l’église romaine, dans les dogmes suivans : Elle rejette l’infaillibilité du pape et des conciles ; elle n’accorde ce don qu’à Dieu seul. Elle rejette aussi le droit divin, ou pour mieux dire, elle n’en connaît qu’un, le droit du peuple, selon cette maxime : vox populi, vox dei, la voix du peuple est la voix de Dieu. Suivant en cela les usages de l’église primitive, l’église française permet aux prêtres le mariage, plus tolérante que l’église de Rome, elle accorde la sépulture ecclésiastique à tous ceux dont les dépouilles mortelles lui sont présentées, ne se reconnaissant pas le pouvoir de l’excommunication. Elle supprime le jeûne, le maigre, et les dispenses de temps et de parenté pour le mariage, s’en rapportant pour les dispenses légales à l’autorité civile. Enfin, elle célèbre les offices en langue vulgaire et s’autorise à ce sujet de la doctrine de l’apôtre St-Paul. Ferdinand-François Chatel, fondateur de cette nouvelle église, est né à Gannat (Allier), le 9 janvier 1795, et fut successivement vicaire de la cathédrale de Moulins, curé de Monnetay-sur-Loire, aumônier du 20e régiment de ligne et ensuite du 2e régiment de grenadier à cheval de l’ex-garde royale. En 1830, il rédigeait la partie religieuse d’un journal de l’opposition intitulé : le Réformateur, ou l’Echo de la religion et du siècle. Au mois d’août de cette mème année, il ouvrit l’église française chez lui, à Paris, rue des Sept voies, n° 18, mais par suite du nombre de ses prosélytes, il fut obligé de l’agrandir et la transféra successivement en janvier 1831, rue de la Sourdière ; au mois de juin suivant, rue de Cléry, salle Lebrun ; et en novembre dernier, rue du faubourg St-Martin, n° 59. L’abbé Châtel a été sacré évêque primat, par un pontife qui avait reçu l’onction d’un évêque sacré lui-même par un évêque romain. Nous ne devons pas nous dissimuler que cette église, qui ne met pas la France en désaccord avec les autres nations européennes, a des chances de réussite, dans un avenir prochain. Sa tolérance et sa liturgie française, ainsi que son retour aux doctrines primitives de l’église dans l’importante question du célibat des prêtres ; voila les moyens qu’elle emploie pour se concilier les suffrages d’un peuple en qui, il faut bien le dire, la foi religieuse se borne en général à la croyance en Dieu, considéré comme cause première de l’univers.
iL’église française est établie à Lannecorbin, canton de Galaut arrondissement de Tarbes (Hautes-Pyrénées) ; à la Chapelle St-Sépulcre, près Montargis (Loiret) ; à Roche-sur-Rognon et Bettaincour (Haute-) ; à Villefavart, près Limoges (Haute-Vienne), à Paris ; Clichy-la-Garenne et Boulogne (Seine) ; à Saintprix et Ermont dans la vallée de Montmorency. Elle est demandée à Bourges, à Nantes et dans d’autres départemens.
COUPS DE NAVETTE.
Mercure est le dieu des voleurs. Si la Mercuriale est sa femme, ce n’est pas étonnant que les ouvriers n’y aient pas confiance. Dimanche dernier, l’émeute, faute de billets n’a pu entrer à l’Elysée lyonnais. Personne ne veut être mouchard, et cependant la police sait tout ce qui se passe, même dans les lieux où ses agens habituels n’entrent pas. Le Courrier de Lyon, dit qu’il a vu, qu’au banquet Garnier-Pagès, la table d’honneur était servie en fer comme celle des autres convives. Il faut en conclure que le rédacteur qui a vu cela a été obligé pour entrer, de jouer le rôle d’un bousingot ou d’un mouchard. Vil pamphlétaire ! Le lendemain Paul-Louis1 disait à qui voulait l’entendre, je suis un vil pamphlétaire, et ce [8.2]nom est devenu honorable. Il en est déjà advenu autant du mot prolétaire, je prédis la même bonne fortune à celui de bousingot. Une compagnie d’assurance générale pour la liberté de la presse s’est formée à Paris. Elle exige pour première condition, que les journaux assurés soient en blanc. On avait proposé de mettre sous la première page des …, sur la deuxième des –, sur la troisième des ?., sur la quatrième des ! !, on a craint les allusions. Il y a alliance offensive et défensive entre le Précurseur, la GlaneuseLa Glaneuse et l’Echo de la Fabrique. Le traité a été signé par les ministres plénipotentiaires des très-hautes, très-puissantes et très-excellentes parties contractantes. On attend sous peu de jours les ratifications.
AVIS DIVERS.
[82] A vendre, plusieurs régulateurs, remisses et peignes de 3/4 et 7/8 de 78 à 84 dents au pouce, navettes en bois pour battant à bouton. S’adresser au Bureau. [86] A vendre de gré a gré en totalité ou en partie, atelier pour l’apprêt en satin, consistant en calandre, presse, cartons, etc. S’adresser rue Tables-Claudiennes, n° 15. [92] Le sieur DAVID, mécanicien, à Lyon, place Croix-, prévient MM. les fabricans, chefs d’ateliers et devideuses qu’il établit ses nouvelles mécaniques avec une seule roue comme avec plusieurs, avec une seule corde, comme sans corde, moyens qui appartiennent à l’invention dont il est breveté, par le mécanisme de roues tournant horizontalement, dont le plan circulaire fait mouvoir les broches, et dont l’axe général ou moteur a été par lui placé au centre des mécaniques à devider, de forme ronde, afin de pouvoir les simplifier. Ce résultat a valu au sieur David un brevet ainsi qu’une mention honorable de la chambre de commerce, et une médaille en séance publique de la société d’encouragement pour l’industrie. Toutes mécaniques à devider et faire les cannettes qui n’avaient pas été confectionnées dans ses ateliers, seront confisquées, et les contrefacteurs poursuivis devant les tribunaux. Le sieur David adopte aux anciennes mécaniques ses nouveaux procédés qui se construisent de forme ronde, longue et en fer à cheval ; il fait des échanges de ses nouvelles contre des anciennes ; en conséquence, il a toujours à vendre des mécaniques de rencontre. Le nombre d’ouvriers qu’occupe le sieur David le met à même de livrer plusieurs de ces nouvelles mécaniques le jour même qu’on lui en fait la demande, et à un prix très-modéré. Nota. les mécaniques font les roquets et canettes de trois formes différentes si on le désire (bombées, cylindrique et à fuseau), et se font en même temps de plusieurs longueurs ; on peut procurer aux broches tous les mouvemens pour dévider ensemble les matières fortes et faibles. [96] Une mécanique en 900 et deux en 400, à vendre. [97] A vendre, un atelier de devidage, composé de trois mécaniques longues, de 32 guindres, avec le mobilier. On céderait l’appartement. S’adresser petite rue Sainte-Catherine, n° 5, au 4. [103] A vendre, 3 métiers montés à neuf, l’un en grosse peluche, le deuxième en gros de Naples, et le troisième en velours plein, avec beaucoup d’ustensiles, balance, rouet, etc., ensemble ou séparément. S’adresser à M. Patouillet, rue du Bœuf, n° 16, au 3., deuxième montée. [104] Restaurant, grande rue Mercière, n° 56. On sert à dîner à toute heure, on loue des chambres garnies au jour et au mois. On donne des cabinets aux sociétés qui veulent être séparées. Le prix du dîner est de 1 fr. 25 cent. On sert un potage, trois plats, et une demi bouteille de vin, pain à discrétion ; pour 1 fr. 50 cent. on a la bouteille entière. [105]. AVIS AUX PÈRES DE FAMILLE. – Institution pestalozrienne de l’Arbresle (Rhône), dirigée par MM. Morand Leyat, et Girard, disciple de Pestalozzi. L’organisation de cet établissement est conforme en tout à la méthode de Pestalozzi, connue si avantageusement en Europe et en Amérique. S’adresser pour avoir le prospectus, chez M. Flechet, négociant, place de la Préfecture, et pour tous les renseignements, à l’Arbresle, à M. Leyat, chargé de la correspondance.
Notes ( DU CONSEIL DES PRUD’HOMMES. )
L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). Citation tirée de Claude-Adrien Helvétius (1715-1771), De l’homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation, publié en 1772. L’interpellation par Chastaing des prud’hommes canuts participe d’un débat beaucoup plus vaste qui se met en place, va se poursuivre et s’approfondir. La presse ouvrière lyonnaise de ses années 1831-1835 oscillera entre deux grandes tendances : l’une, appuyée principalement sur le Mutuellisme, sera plutôt centrée sur le métier de la Fabrique et sur les intérêts des chefs d’ateliers, l’autre plus attentive à la constitution d’une solidarité « horizontale » unissant tous les travailleurs de tous les corps de métiers. Cette dernière tendance qualifie la nouvelle équipe Chastaing-Berger et lui fera rapidement adopter un ton beaucoup plus politique. Cette orientation explique en grande partie le remplacement de Chastaing un an plus tard à la tête de L’Echo de la fabrique par un chef d’atelier mutuelliste, Bernard. Elle explique aussi la volonté de Chastaing, immédiatement après de créer un organe concurrent, L’Echo des travailleurs.
Notes ( BANQUET OFFERT A M. GARNIER-PAGÈS.)
Jean-Frédéric Garnier de Laboissière (1796-1873), soldat de Napoléon, candidat républicain en Charente au début de la Monarchie de Juillet, sera finalement député entre 1839 et 1842.
Notes ( SOCIÉTÉ ROYALE D’AGRICULTURE, )
La Société d’agriculture et d’histoire naturelle de Lyon avait été fondée en 1798. La seconde moitié du 18e siècle imposa l’idée que l’agriculture ne procédait pas simplement de l’habitude mais méritait plutôt le statut de « science pratique ». Les années 1802-1848 enregistrent alors l’essor des sociétés savantes et de l’enseignement agricole (Michel Cointat, « L’enseignement agricole de 1750 à 1848 », in Michel Boulet (dir.), Les enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture 1760-1945, Dijon, Edicagri éditions, 2000).
Notes ( Nouveau Schisme dans l’Eglise catholique....)
L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). L’Abbé (puis Mgr) Ferdinand-François Châtel ( (1795-1857), bénéficiant de l’anti-cléricalisme des lendemains de Juillet, avait créé avec L’Eglise Française une branche dissidente de l’Eglise Romaine ; initialement favorable à un ensemble de ruptures – rejet du pouvoir spirituel du pape, mariage des prêtres, suppression de l’abstinence et de la confession, emploi du français dans la liturgie, son mouvement allait évoluer par la suite. Cette Eglise sera finalement dissoute et ses biens confisqués, par Louis-Philippe en 1842 puis en 1844 commençant alors une existence plus souterraine.
Notes ( COUPS DE NAVETTE.)
Référence ici à Paul-Louis Courrier (1772-1825).
|
|
|
|
|
|