CHANT HÉROIQUE. – 1828.
Air : Pages m’a dit : Chante la Grèce antique.
Quand on fêtait le vieux Saturne à Rome,
L’esclave était dégagé de ses fers :
Il reprenait les nobles droits que l’homme
Tient, en naissant, du roi de l’univers :
Qu’en faisait-il ? – Dans une lâche orgie
Il s’endormait, rêvant des jours plus doux.
« – Ne dormons point lorsque la tyrannie
« Va, dès demain, s’appesantir sur nous ! »
Tel est le cri qu’un vieux soldat, esclave,
Fait retentir en un de ces repas :
Eh ! quoi, dit-il, comme une froide lave,
Des oppresseurs nous foulent sous leurs pas :
Le titre d’homme, amis, on nous le nie :
Qu’on nous connaisse au pouvoir de nos coups :
Ne dormons, etc.
Les voyez-vous : ces maîtres que j’abhore,
Sur leurs Tarquins déployer leur fureur ?
Pour un soupçon, les voyez-vous encore,
Sacrifier Manlius, leur vengeur ?
Et, seuls jouets d’une longue avanie,
De liberté nous serions peu jaloux,
Ne dormons, etc.
Tous pleins de cœur, pour un jour de défaite,
Quoi ! nous serions esclaves à jamais !
Quoi ! sous le joug courbant toujours la tête,
Sur nous toujours seraient levés les fouets !…
[8.1]Du fouet sanglant vengeons l’ignominie :
Nous le pouvons si nous le voulons tous.
Ne dormons, etc.
N’est-elle pas, cette race romaine,
Le rejeton d’un ramas de bandits ?
Elle a le sceptre, et nous portons la chaîne !!
Nos bras nerveux sont-ils donc engourdis ?…
Donnons l’exemple à la terre asservie :
Oui, les premiers, relevons les genoux.
Ne dormons, etc.
Ce soir encor, chacun de nous est libre ;
Demain… Grands Dieux !… n’attendons pas le jour :
Que, sous nos lois, coule aujourd’hui le Tibre :
C’est aux romains de trembler à leur tour.
Rappelons-nous, frères, notre patrie
Pleurant des fils, des pères, des époux.
Ne dormons, etc.
On court s’armer ; et, pour chef, on proclame
SERVILIUS. – C’était notre héros :
Tremblez, tyrans ! mais un lâche, un infame,
A dénoncé les sublimes complots…
Servilius, – sous le poignard impie
Tombe… Son cri, peuples, l’entendez-vous !…
Ne dormons point, lorsque la tyrannie
Va, dès demain, s’appesantir sur nous.
P. CORRÉARD