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21 octobre 1832 - Numéro 52 |
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BANQUET INDUSTRIEL 1
Pour l’anniversaire de la fondation l’Echo de la Fabrique. Les actionnaires de l’Echo de la Fabrique, réunis dans leur séance du 15 octobre courant, ont résolu de célébrer, par un banquet, l’anniversaire de la fondation de ce journal des ouvriers. Ils ont cru devoir réunir dans une fête de famille, tous ceux qui s’intéressent à leur entreprise philantropique (car l’Echo n’est nullement une spéculation, mais une tribune ouverte à la classe prolétaire toute entière). Aucune pensée politique ne peut présider à cette réunion. Les intérêts moraux et matériels des travailleurs, seuls l’absorbent. Une bannière est déployée, sur laquelle on lit ces mots : Amélioration physique et morale des prolétaires. Une pensée d’avenir, il est vrai, anime les actionnaires de l’Echo, on ne saurait leur en faire un crime. Ce banquet aura lieu le dimanche vingt-huit octobre.2 L’heure et le lieu de la réunion seront indiqués dans le journal. Les souscripteurs pourront se rendre directement au bureau à midi. Il ne sera porté aucun toast, ni prononcé aucun discours sans qu’ils aient été soumis à l’approbation d’une commission que nous indiquons ci-après. Tous devront être étrangers a la politique. Ce banquet fera époque dans nos annales, car il ouvrira une ère nouvelle. Vingt-quatre commissaires ont été nommés : On donnera au bureau de l’Echo l’adresse de ces Messieurs à ceux qui désireront des billets. [1.2]Le prix des billets a été fixé à trois francs. Ils seront délivrés par chaque commissaire sous sa responsabilité personnelle. Ils devront être revêtus de la signature du trésorier, du commissaire, et signés en présence de ce dernier par le souscripteur. Tous ceux qui ne seront pas réguliers seront refusés. M. Berger, gérant du journal, a été nommé tresorier. Une commission exécutive, de neuf membres, a été nommée ; elle est composée de MM. Labory, président, Legras, secrétaire ; Jacob, Berthelier, Moine, Perret, Blanc, Falconnet et Matras, membres. La commission des toasts est composée de MM. Bouvery, Falconnet, Matras, Berger et Chastaing. Ceux qui désireront porter des toasts ou prononcer des discours devront s’adresser à elle, au bureau de l’Echo, les mardi 23, jeudi 25 et samedi 27, a 6 heures précises du soir. Aucune chanson ne sera chantée. On pourra lire des pièces de vers. L’Echo rendra compte de cette fête populaire et industrielle dans le numéro qui suivra. Les membres de la commission exécutive, Labory, président. M. Legras, secrétaire, MM. les Commissaires sont invités à se rendre demain lundi, à cinq heures précises au bureau de l’Echo.
a messieurs1 FALCONNET, LABORY, MARTINON, BOURDON, PERRET, SORDET ET VERRAT, prud’hommes chefs d’atelier. Messieurs, L’art de répondre sans rien dire n’est pas nouveau, vous l’avez employé dans toute son étendue. Trop haut placés apparemment, vous avez cru devoir, dans votre sagesse, dédaigner les avis de vos amis : vous avez répondu avec fiel à des attaques qui étaient loin de vous être personnelles, vous le savez. Il ne nous convient pas de pousser plus loin personnellement cette polémique qui devient oiseuse. Maladroitement vous avez refusé [2.1]la planche du salut qu’une main secourable vous tendait. Votre orgueil s’applaudit, car vous aussi vous avez fait de la force. Eh bien, soit : si votre tems est précieux, le nôtre ne l’est pas moins. Vous voulez connaître les plaintes qui sont portées contre vous, bientôt vous les connaîtrez, et d’une maniére plus efficace. Allons, Messieurs, enveloppez-vous dans votre dignité. Marchez la tête haute, le précipice est à deux pas, marchez toujours. Vous êtes fâchés qu’on vous ait averti. C’est dommage ; adieu donc, très-hauts et puissans seigneurs. Nous vous abandonnons, quant à présent, à votre concience, et à la reconnaissance des collègues qui vous ont élus. Si par résipiscence il vous convenait de répondre à nos articles, nous pourrions alors oublier vos torts envers nous dans l’intérêt de la chose publique, mais jusque là vous nous permettrez d’être sobres dans nos paroles. Car aujourd’hui comme hier nous sommes obligés de vous dire : nous attendons votre réponse, des milliers de lecteurs l’attendent. Si vous croyez sérieusement avoir répondu, nous vous plaignons. Quant à votre collègue M. Charnier, il paraît qu’il a compris sa mission et qu’il est honteux de n’avoir pu l’accomplir, puisqu’il n’a pas cru devoir s’associer à votre réponse ; il aurait peut-être dû s’en expliquer ; les demi mesures ne sont plus permises en France.
Concours ouvert sur le choix d’un terme générique, simple, complet et euphonique, pour désigner la classe des ouvriers en soie. Ce concours a été fermé le quinze du courant. Un grand nombre de concurrens se sont présentés. M. Marius Chastaing, rédacteur en chef de l’Echo, a fait un rapport détaillé au comité de surveillance dans sa séance du 16 de ce mois. Le comité avant de prononcer aucune décision, a nommé une commission composée de quatre membres, MM. Bofferding, J. Marrel, Falconnet et Berthelier, pour donner son avis motivé. Nous donnerons dans le prochain numéro, le rapport de M. Chastaing. Le gérant, BERGER.
MM. Berthelier, Biollay, Bofferding, Drivon cadet, Jacob, J. Marrel, Moine, chefs d’atelier, ont été nommés membres du comité de surveillance de l’Echo de la Fabrique dans la séance du 15 octobre courant ; ils exerceront leurs fonctions du 1er novembre prochain, au 1er février 1833.
AVIS1 sur la rédaction du compte rendu de la séance du conseil des prud’hommes. Nos lecteurs ont observé deux améliorations dans ce compte-rendu : l° La question à juger et la réponse tirée de la décision du conseil sont en tête de chaque affaire, et en petit texte ; 2° le jugement est séparé du point de fait par des guillemets. Nous avons cru devoir adopter ce mode, pour faciliter les recherches. Nous réunirons ensuite toutes ces questions sous un seul titre « Jurisprudence du conseil des prud’hommes » : Nous en formerons un article séparé, dont nos lecteurs sentiront l’importance. Une jurisprudence ainsi fondée, sur des jugemens et susceptible d’être invoquée dans toutes les affaires identiques, liera le conseil envers ses justiciables et empêchera l’arbitraire de s’y introduire.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
Audience du 19 octobre, (présidée par m. goujon.) [2.2]Nous ne croyons pas devoir entretenir nos lecteurs de diverses affaires entre des maîtres et leurs élèves, dans lesquelles ces derniers ne s’étant pas conformés aux précédentes décisions du conseil qui leur ordonnaient de rentrer dans leurs ateliers, ont été condamnés solidairement avec leurs parens à payer diverses indemnités ; et quand aux affaires qui auront été jugées conformément aux décisions déjà rapportées, et ne présenteront aucun incident remarquable, nous les passerons sous silence. *** Première question. – Lorsqu’un chef d’atelier, après avoir acheté un métier complet, et dont la bonne qualité des agrès et ustensiles lui a été garantie dans l’acte de vente, est obligé de remplacer un des ustensiles qui se trouve en mauvais état, peut-il, lors même qu’il a soldé son vendeur, réclamer une indemnité pour la perte qu’il éprouve ? – R. Oui : l’acheteur a toujours recours contre le vendeur, lorsqu’il est constant que ce dernier n’a pas rempli les conditions de la vente. Le sieur Paraton avait acheté un métier du sieur Esterre, ce dernier lui avait garanti le bon état des ustensiles, et de plus, s’était engagé à rendre au sieur Paraton le métier prêt à travailler. Le sieur Paraton se plaint qu’après avoir soldé le sieur Esterre, il ne lui a point donné le métier prêt à travailler, et que lorsqu’il a commencé à le mettre en activité, il a éprouvé beaucoup de difficultés, le peigne étant de plusieurs morceaux coupait les fils. Il demande qu’une somme de seize francs qu’il doit au sieur Esterre, lui demeure acquise, et que de plus, celui-ci soit tenu de reprendre ledit peigne et de lui en rembourser le montant. Le sieur Esterre répond que le peigne qu’il a vendu était celui qui travaillait sur le métier antérieurement à la vente, que de plus, aucune observation ne lui avait été faite par le sieur Paraton, qu’à l’époque où il lui réclama ce qu’il lui était dû ; il ne croit pas devoir reprendre le peigne, ni perdre les seize francs qui lui sont dus. « Attendu qu’il est constant que le sieur Esterre n’a pas livré le métier dans l’état promis ; attendu que le peigne était de deux morceaux et coupait la chaîne ; les seize francs restent alloués audit Paraton pour toute indemnité, il restera possesseur du peigne ; le sieur Esterre renvoyé d’instance sur ce dernier point. » *** Deuxième question. – Un ouvrier compagnon, qui a attendu plusieurs jours que sa pièce fût montée, et qui lorsqu’il est pret à travailler est averti par le maître que, sur la nouvelle pièce, il lui sera fait un rabais de cinq centimes par aune, est-il en droit d’exiger le prix précédent ou une indemnité pour son tems perdu ? – R. Le maître doit payer le même prix qu’à la pièce précédente, on une indemnité en raison des jours de travail perdus, faute par lui d’avoir averti en tems utile, c’est-à-dire avant le montage de la nouvelle pièce. Le sieur Néel, ouvrier mousselinier, chez le sieur Sprecher, expose qu’il fabriquait de l’étoffe au prix de 40 cent. l’aune, et avoir attendu trois jours une nouvelle pièce ; que lorsqu’elle fut montée, le sieur Sprecher ; lui dit, ne pouvoir le payer que 35 cent. l’aune ; il demande le prix précédent, ou une indemnité pour son temps perdu ; le sieur Sprecher répond avoir averti son ouvrier lorsque sa pièce était après se monter. « Attendu que l’ouvrier n’a été averti que lorsque sa pièce a été montée, le conseil condamne le maître à lui payer le même prix qu’à la précédente, ou une indemnité de trois jours de travail, à raison de 2 francs par jour. » *** Troisième question. – Le conseil des prud’hommes est-il compétent [3.1]pour juger les différends qui s’élèvent entre un fabricant et un chef d’atelier, lorsqu’il s’agit de transactions, de ventes, et par suite de la reprise des objets vendus ? – R. Non. L’affaire entre les sieurs Pijol et Ginet, que nous avions cru conciliée, affaire qui a déja paru plusieurs fois au conseil, lequel d’abord s’était cru compétent, puisqu’il avait deux fois renvoyé l’affaire pardevant arbitre, est appelée de nouveau. Le sieur Pijol dit que par erreur, dans ses réclamations, il a oublié d’y comprendre une somme de 300 francs. « Attendu, qu’il s’agit de la vente d’un atelier, qui fut ensuite repris par le vendeur, le conseil se déclare incompétent, renvoie les parties pardevant les tribunaux qui doivent en connaître »i. Un jugement par défaut a condamné le sieur Billon à payer au sieur Moyant, les déchets et tirelles sur trois pièces.
i Nous ignorons le motif qui a empêché le conseil de se déclarer incompétent dès la première comparution des parties, si vraiment il est incompétent, ce qui n’est pas prouvé ; car aucune discussion n’a éclairé l’affaire. Prompte justice est la meilleure, dit un adage bien connu, et que les plaideurs invoquent avec raison. Si le conseil par suite d’une fatuité aristocratique ou banquière, que nous ne pouvons comprendre, ne s’était pas refusé aussi scandaleusement à entendre le défenseur du sieur Pijol. Il est probable qu’il eût été, dès lors, éclairé sur sa compétence. Mais ces Messieurs en savent plus que les tribunaux et la cour de cassation elle-même. Heureusement l’arbitraire a un terme.
INVENTION JUDICIAIRE. 1
Nouvelle manière d’interroger et d’entendre les parties au conseil des prud’hommes. Les petites audiences de ce conseil sont tenues par deux négocians et deux chefs d’atelier : le président est toujours l’un des négocians comme cela est juste, (dans l’ordre aristocratique). Samedi 13 octobre dernier une cause, entre un maître et son apprentit, est appelée : l’une des parties présente sa défense écrite à M. le président qui la lit à voix basse, et demande ensuite à cette personne si elle n’a rien à ajouter ; sur sa réponse négative, M. le président, s’adressant à la partie adverse, lui demande si elle n’a rien a répliquer, à quoi elle répond, Non : Monsieur, car je n’ai rien entendu ; et le conseil à prononcé sa décision. Certes nous étions de grands sots de mettre tant d’importance à la question de la libre défense ; cette question devient oiseuse après un pareil mode d’interrogatoire. L’inventeur mérite un brevet d’invention et de perfectionnement.
AU RÉDACTEUR.
Monsieur, Je crois devoir, dans l’intérêt de notre industrie, signaler à la vindicte publique la maison de commerce Gauthier et Cuchet, qui vient depuis quelques jours (sans doute pour braver les ouvriers et le conseil des prud’hommes), d’afficher dans ses magasins, un avis ainsi conçu : MM. les maîtres ouvriers sont prévenus, qu’à dater du 1er octobre, il ne leur sera accordé que moitié déchet, vu que le crêpe-zéphir se traite comme le crêpe de Chine. Ce ne saurait être par erreur que ces [3.2]Messieurs prétendraient avoir le droit de diminuer le déchet sur cet article, ce dont jusqu’ici nous n’avions pas d’exemple : c’est donc une bravade que je ne sais comment qualifier. Je crois donc devoir avertir mes confrères, que ces Messieurs n’ont pas le droit de faire une retenue semblable, que cela ne s’est jamais fait, et que d’ailleurs, il serait de toute impossibilité de n’être pas en solde. B. JACOB. Note du Rédacteur. – Honneur à M. Jacob ! Que tous les chefs d’atelier l’imitent, et bientôt les abus disparaîtront. Un négociant, peut, avec ses confrères, faire telles conventions que bon lui semble ; la loi les protège, mais il n’y a pas de convention entre le négociant et l’ouvrier qui ne puisse être résiliée par le conseil des prud’hommes, tuteur des intérêts de la classe ouvrière. Le déchet ordinaire est de 30 grammes, aucune convention ne peut le diminuer. Honte à ceux qui se soumettraient à l’arbitraire.
M. Buvet, chef d’atelier, nous écrit pour se plaindre que MM. les marchands fabricans prennent les chefs d’atelier qui vont chez eux pour leurs domestiques en les faisant aller tantôt chez l’ourdisseuse ou le laceur, tantôt chez le teinturier, etc. Il pense, et nous sommes de son avis que ces commissions doivent être faites par les commis de magasin. Au reste, les chefs d’atelier qui s’y soumettent ont un tort non moins grave ; ils doivent regarder celui qui leur propose la commission, et lui dire paisiblement : Est-ce à moi que vous parlez ? Les tyrans sont coupables, sans doute, mais les esclaves encore plus.
Salles d’asile gratuites
pour les enfans des deux sexes de 2 a 6 ans. Nous avons rendu compte dans les n.os 42 et 44, du journal de la salle d’asile, pour les petits enfans du quartier saint-paul, et nous avons sollicité, autant qu’il était en nous, l’autorité d’étendre ce bienfait aux autres quartiers de la ville. Nos vœux commencent à être exaucés. Une ordonnance de M. le Maire du vient de créer une salle d’asile pour le quartier saint-georges. Elle est ouverte depuis le huit de ce mois, rue St-Georges, n. 66, et montée des Epies, n. 17. Par une 2me ordonnance de M. le maire, du 15 Octobre, une autre salle est établie, Grande Côte ; n. 66, et rue Capon, maison Mathieu, pour le quartier du de la Grande Côte. Elle a été ouverte le 18 de ce mois. Nous avons lieu d’espérer que les autres quartiers jouiront successivement des avantages, que de semblables établissemens doivent procurer à la classe pauvre et laborieuse. L’approche de l’hiver en fait une nécessité ; et personne ne se plaindra d’un pareil emploi des fonds municipaux. L’intervention de Madame Gasparin, épouse du préfet, et de quelques autres dames charitables, n’est pas étrangère à ces actes, qui, soit qu’on les considère sous le rapport de la charité religieuse, ou simplement sous celui de la philantropie, n’en méritent pas moins l’approbation de tous les bons citoyens, et en particulier de ceux qui, comme nous, ont pris pour devise : amélioration physique et morale de la classe prolétaire.
MISSION SAINT-SIMONIENNE .
Nous ne comprenons pas la religion saint-simonienne, et ne croyons pas que du cahos qui règne en matières religieuses puisse sortir une religion nouvelle et générale : mais nous comprenons la politique saint-simonienne et admirons les hommes qui l’ont proclamée. [4.1]Les apôtres Bruneau et Hoardi, qui ont passé quatre jours dans notre ville et qui partent ce soir pour Nîmes, ont trouvé dans notre population ouvrière une bienveillance et presque une sympathie générale aux quelles la population de la capitale ne les a pas accoutumés : c’est qu’ici il n’est pas un ouvrier qui ne sache que les grands principes qui dominent la politique aussi bien que la religion saint-simonienne, sont le classement selon la capacité, la rétribution selon les œuvres et que tous les efforts doivent tendre à l’amélioration progressive du sort physique, intellectuel et moral de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Que l’on approuve ou non les idées saint-simoniennes (et nous sommes loin de toutes les adopter), on ne peut refuser estime et admiration à des hommes, qui, afin de réaliser leurs convictions généreuses ont quitté des positions brillantes ou aisées pour se faire peuple, c’est-à-dire, pauvres, misérables, exposés à souffrir la faim, la soif et les injures et forcés au travail.
i M. Ribes, le troisième, est resté malade en route. Leur costume est très gracieux et commode.
Nouvelles diverses. Recrutement. Nous nous empressons d’apprendre à nos lecteurs que le conseil de révision du département du Rhône a terminé, le 10 septembre dernier son travail, relatif à la classe de 1831. Il en résulte la libération des numéros qui suivent, ceux, savoir : dans la division du nord, le n° 224 ; dans la division du midi, le n° 329 ; et dans celle de l’ouest, le n° 142. Convocation des chambres. Par ordonnance du roi, du 11 octobre, les chambres sont convoquées pour le 19 novembre prochain. Nouveau ministère. Par ordonnance du roi du 11 octobre, le ministère a été formé de la manière suivante : Le maréchal Soult, duc de Dalmatie, ministre de la guerre, président du conseil ; le duc de Broglie, ministre des affaires étrangères ; M. Humann, des finances ; M. Rigny, de la marine ; M. Barthe, de la justice et des cultes ; M. d’Argout, du commerce et des travaux publics ; M. Thiers, de l’intérieur ; M. Guizot, de l’instruction publique.
DES MACHINES DANS L’INDUSTRIE,
en réponse à m. bouvery. Par M. Anselme Petetin. V. n. 50. (suite et fin). Au Rédacteur. (Nous avons étudié les résultats isolés d’une machine dans la société, et nous avons trouvé que ces résultats sont incontestablement avantageux pour les producteurs et les consommateurs. Maintenant, en généralisant la question, voyons quels résultats compliqués produisent un nombre illimité de machines, dans un nombre illimité d’industries). Supposons donc la mécanique poussée à son plus haut point de perfection dans toutes les subdivisions de toutes les industries ; supposons, non des milliers de machines, mais une seule et complète machine qui résume toutes les autres, comme dans un mécanisme [4.2]qui renferme une multitude de ressorts, tous les rouages se combinent pour produire un dernier et unique résultat. Supposons une grande machine qui accomplisse par un seul moteur tout le travail industriel de la France ; qui, par exemple, laboure la terre, sème le blé, le récolte, le batte, le réduise en farine, pétrisse la pâte et cuise le pain ; qui en même temps file et tisse toutes les étoffes ; qui bâtisse les maisons, imprime les livres, transporte les produits d’un lieu à un autre, qui, en un mot, ne laisse rien à faire au bras de l’homme de tous les travaux qui maintenant composent l’industrie. Cette machine sera-t-elle un bien ou un mal pour la société ? Je ne pense pas que la réponse puisse être douteuse. Il est évident qu’il y aura en dernière analyse plus de produits, c’est-à-dire plus de bien-être sans fatigue de production. Or, toute la question des machines est résumée dans cette hypothèse. Nous marchons incessamment vers la réalisation de cette supposition, qui maintenant, peut-être, paraît absurde ; chaque perfectionnement mécanique est un pas vers ce résultat final. Seulement, comme rien ne doit être livré au hasard, comme il faut que l’intelligence et l’humanité président à toute action humaine, la société, c’est-à-dire l’état ou le gouvernement, s’il était bon, devrait veiller au développement de ce principe excellent d’amélioration, et guérir avec sollicitude les maux particuliers enfantés par le progrès général. Quand le principe sacré de l’égalité civile surgit du sein de l’immortelle assemblée de 89 ; quand ce germe fécond de civilisation fut jeté sur notre sol par cette puissante main populaire, espérait-on qu’il grandirait sans effort, sans déchirement pour la terre qui l’enfantait ? S’imaginait-on qu’il s’établirait dans le monde sans froisser des intérêts vivans ? – Non, certes, et les deux classes privilégiées qu’il venait déposséder au profit du plus grand nombre, avaient droit de crier à la spoliation ; et le tort des assemblées populaires (si le peuple et le passé peuvent avoir des torts), fut de n’avoir pas adouci, pour la noblesse et le clergé, l’amertume d’une dépossession que la notion fausse de la propriété telle qu’elle régnait alors et qu’elle régne encore aujourd’hui, leur faisait regarder comme un vol véritable, commis par la majorité sur la minorité. Mais il faut que le monde marche au travers de tous les intérêts égoïstes et de toutes les passions particulières, il faut que le progrès arrive malgré les clameurs, malgré les sanglots et les pleurs des individus ou des castes ; il faut que dans l’industrie comme dans la politique, le génie humain suive son instinct de perfectionnement et continue cette route où nous le voyons cheminer le long des siècles et des générations, et dont le but ignoré le tourmente à toute heure d’un vague besoin de mouvement. La véritable et difficile question est donc de créer cette puissance centrale et protectrice qui règle tous les progrès et adoucisse toutes les souffrances. C’est d’empêcher que les améliorations tournent au profit exclusif de quelques individus ; c’est de prohiber, sans violer aucun droit, la concentration des capitaux dans un petit nombre de mains ; c’est de veiller à ce que les produits soient répartis avec équité, entre tous les membres de la famille sociale. – On peut, en effet, par la supposition que nous avons admise tout-à-l’heure, s’assurer de la nécessité de celle loi de répartition dont j’ai parlé dans ma première lettre. – Que la machine universelle [5.1]fut la propriété d’un seul individu, il est clair que cet homme serait le maître absolu du pays et exercerait sur la population tout entière un droit positif de vie et de mort. Eh bien ! dans les détails de l’industrie actuelle, ce droit exhorbitant se réalise pour les grands capitalistes, et nous l’avons bien vu lorsqu’après la révolution de 1830, il prit fantaisie aux millionnaires carlistes d’affamer la France en retirant immédiatement leur argent de la circulation, pour forcer le peuple à désirer le retour de l’enfant du miracle et à crier Vive Henri V dans les angoisses de la faim. – Belle spéculation, sans doute ! Pleine de moralité et d’humanité et bien digne des mitrailleurs de juillet ! Ainsi, c’est toujours au point de vue politique qu’il faut revenir pour juger la question tout entière, et je ne comprends pas la répugnance de M. Bouvery à s’y placer franchement. A qui en effet confierons-nous le soin de faire cette répartition nécessaire des produits ! Sera-ce à ceux-là même qui profitent du monopole ? ou bien à ceux qui en souffrent ? Ce ne doit être exclusivement ni aux uns ni aux autres : c’est à tous qu’il faut donner cette importante mission, puisqu’elle regarde tout le monde ; c’est aux riches, puisqu’ils possèdent et que la propriété est un droit sacré ; c’est aux pauvres, puisqu’ils travaillent et que le travail est un droit non moins inviolable et non moins saint ; puisque le travail est une propriété aussi. Ici, je l’avoue, malgré toute mon attention, je ne distingue plus la véritable pensée de M. Bouvery ; je cherche vainement à saisir dans ses paroles une proposition précise et formelle. Je suis, dit-il, parfaiternent d’accord avec M. Petetin lorsqu’il affirme que le but unique de la politique et de l’économie sociale doit être l’amélioration du sort moral et matériel des travailleurs, seulement nous différons sur l’emploi des moyens pour y parvenir ; il veut changer les systèmes de gouvernement, et moi je voudrais changer les idées, parce que je crois que les choses sont plus fortes que les hommes, et que tout le problème à résoudre consiste à faire comprendre aux classes élevées de la société, que cette amélioration est la conditio sine qua non de leur bien-être et de leur repos futur, et que lorsque l’opinion en sera venue à ce point, les gouvernemens s’empresseront de seconder sa direction, d’abord parce qu’ils n’ont aucun intérêt à ce que les peuples soient malheureux, et ensuite parce qu’ils sauront que leur existence est à ce prix. Il n’y a que les partisans d’un fatalisme aveugle qui puissent admettre que les choses sont plus fortes que les hommes. Je ne connais rien qui ne puisse être modifié par les forces humaines unies dans une commune conviction ; je ne crois pas que les choses puissent être changées si l’on ne change pas d’abord les idées. Pour quiconque admet le progrès paisible et renie les violences de minorités, (et assurément c’est là le sentiment de M. Bouvery aussi bien que le mien), il n’y a qu’une manière d’arriver à une organisation nouvelle, c’est de convaincre la majorité de l’excellence de cette organisation, c’est de s’aider de l’assentiment universel. Quand l’impôt progressif sera compris de tout le monde, quand son équité sera sentie par la majorité, l’impôt progressif sera établi. L’école St-Simonienne a présenté un système qui, au premier aperçu, paraît avoir résolu la difficulté ; cependant, en y réfléchissant, il me paraît inapplicable, car il est fondé sur un sentiment dont l’existence ne me semble pas bien démontrée. Quand je vois le christianisme et toutes les institutions humaines s’efforçant à l’envi, depuis deux mille ans, de prêcher aux hommes l’amour, la concorde et l’esprit d’association, et qu’après tant d’efforts je vois les hommes se haïr et se diviser plus que jamais, je suis, dis-je, fondé à croire que ces sentimens n’existent pas dans la nature d’une manière absolue. [5.2]L’école St-Simonienne a fait une absurdité en donnant pour base à sa doctrine un sentiment religieux de dévouement qui n’est pas dans la nature humaine, et sa chute a été causée précisément par cette tentative malheureuse. Mais l’esprit d’association n’a rien de commun avec le sentiment du dévouement : on s’associe dans des vues d’intérêt individuel et parce qu’il est tout simple de prêter secours à autrui pour en être aidé à son tour ; parce que les intérêts généraux réclament l’association et que les intérêts individuels sont les seuls qui peuvent en souffrir ; parce que les passions exclusives des aristocrates seront impuissantes contre la volonté générale, quand les masses auront compris que les diverses fractions du peuple sont solidaires les unes des autres, et qu’elles ne se divisent qu’au profit de quelques ambitieux qui les exploitent ; enfin parce que l’association, n’est pas une cause de mort pour les ambitions honnêtes qu’il faut bien se garder d’étouffer, et que les influences de capacité trouveront leur place dans le système de l’association et de l’élection tout aussi bien que sous le régime des hommes de loisir, c’est-à-dire des paresseux et des ignorans. Il ne faut détruire aucune passion naturelle et ne pas trouver mauvais qu’un homme qui a de l’intelligence et de l’activité veuille s’élever dans la société et prendre une influence légitime ; – il faut plutôt s’indigner de ce que cet homme rencontre devant lui des barrières posées par des fainéans ineptes, qui l’arrêtent tout court et prétendent diriger sans partage les affaires d’un pays que leur immoralité corrompt et que leur inhabilete bouleverse. Quel est le remède ? C’est là 1e problème à résoudre : M. Petetin le trouve dans des institutions républicaines, et l’appel au pouvoir de toutes les capacités ; malgré toute l’estime que m’inspire son talent, je ne puis m’empêcher de dire que j’ai peu de foi en ce système, parce qu’il suppose les hommes tels qu’ils devraient être et non tels qu’ils sont, et que de plus le principe électif pris dans sa plus grande extension, ne me paraît pas le plus sûr pour faire ressortir les capacités, dans le plus grand nombre de cas l’intrigue y ayant plus de chance que le mérite. Que d’ailleurs un gouvernement composé de capacités sans fortune, se donnerait un air de tyrannie s’il voulait blesser les intérêts des classes riches au bénéfice des classes pauvres. Le remède consiste donc, à mon avis, dans la nécessité bien sentie de la part des classes riches, de se dépouiller au profit des travailleurs d’une forte partie de leur superflu. Je n’ai pas à m’expliquer ici sur l’opportunité du suffrage universel introduit brusquement dans nos lois. Tout ce que peuvent dire ceux qui repoussent cette mesure, c’est que le peuple n’est point encore assez éclairé pour user librement et une intelligence du vote politique qui lui serait remis. La conclusion nécessaire de cette opinion, c’est qu’il faut amener progressivement le peuple à ce degré de lumière et d’indépendance. Mais personne ne niera, je présume, que la propriété est un mauvais signe de la capacité. M. Bouvery, moins que tout autre, pourrait le nier, lui qui est sorti d’une élection populaire, d’une élection proletaire si admirable par les hommes qu’elle a donnés pour représentans aux intérêts des ouvriers. Je n’ai pas assez mauvaise opinion de l’aristocratie d’argent pour croire que si le gouvernement était livré au talent seul, il ne s’y trouvât que des capacités sans fortune. Mais si ce malheur arrivait, ce serait tant pis pour les classes riches qui vraiment ne mériteraient pas alors d’être défendues, et qui ne seraient plus qu’un troupeau de pourceaux à l’engrais, indignes d’occuper la moindre fonction sociale. – M. Bouvery cite l’exemple de l’Angleterre pour montrer le déplorable effet du perfectionnement des machines. Mais j’avais [6.1]moi-même choisi cet exemple dans ma première lettre pour prouver les tristes conséquences d’une mauvaise répartition des produits, c’est-à-dire d’une représentation inexacte des intérêts. M. Bouvery voudrait-il me dire quels sont, dans le gouvernement anglais, les représentans des immenses populations prolétaires de Birmingham, de Leeds, de Liverpool, de Manchester. Comment donc les lois seraient-elles faites dans l’intérêt des travailleurs, quand leur rédaction est confiée exclusivement à ceux-là même qui exploitent la classe laborieuse ? Comment les capitalistes anglais songeraient-ils au bien-être de leurs ouvriers, quand ils peuvent à leur gré s’enrichir par leurs souffrances ? Sans doute, en face d’un péril imminent, et d’une catastrophe radicale, les aristocrates cèdent à la fin comme nous venons de le voir dans l’affaire de la réforme : mais faut-il livrer le repos du monde à ces concessions bénévoles des privilégiés ? Faut-il que nous soyions continuellement menacés d’effroyables bouleversemens par l’obstination aveugle de quelques hommes ! Ne vaut-il pas mieux confier notre destinée et le repos des classes riches elles-mêmes, à cette intelligence populaire qui ne pourra pas avoir de passions exclusives, car elle sera le résumé de toutes les intelligences, de toutes les volontés, de tous les intérêts ? Je suis profondément étonné qu’un homme aussi éclairé que lui, et qui tient, par le suffrage de ses pairs, un si haut rang dans une population industrieuse, toute ardente d’intelligence politique, ait pu écrire une pareille opinion. – A Dieu ne plaise que je veuille réveiller de tristes souvenirs et de funestes passions ; mais je prie M. Bouvery, de se demander ce qu’aurait été le tarif de novembre, ce que serait la mercuriale actuelle, si la rédaction en avait été confiée exclusivement aux fabricans ? – Je le prie de se souvenir des discussions qui ont eu lieu dans les chambres de la restauration sur la législation des céréales, discussions qui se répétèrent presque identiques dans le parlement d’Angleterre ; – des discussions de la dernière session sur l’amortissement, véritable chancre financier qui ne profite qu’à une douzaine de banquiers ; – enfin, des discussions scandaleuses de la même chambre, sur la loi des grains. – Si tand d’exemples ne suffisent pas pour convaincre M. Bouvery de la folie qu’il y aurait à s’en fier à la générosité des aristocrates, pour améliorer le sort des classes populaires, tous mes raisonnemens n’auraient pas plus de puissance que ces faits éclatans. Je suis loin de penser, certes, que tous les riches soient des hommes durs, haineux et cupides ; qu’ils spéculent tous sur la misère des pauvres, qu’ils se réjouissent des maux du peuple, et ne cherchent qu’à exploiter ses souffrances. Je ne crois pas que tout banquier soit un tigre qui s’abreuve avec volupté de la sueur des travailleurs : ce serait là une idée abominable et absurde. – Je sais au contraire, et je me plais à le dire, que l’immense majorité des grands industriels et capitalistes qui maintenant forment l’aristocratie sociale et politique, et qui se sont organisés en caste, surtout pendant la restauration, à la faveur des luttes libérales contre les aristocrates de naissance, est animée de sentimens très humains, et désirerait sincèrement que le sort du peuple fut amélioré. J’en connais beaucoup qui ne reculent jamais devant un sacrifice personnel, quand il s’agit d’une bonne action à faire ; et quoi que j’aie pu écrire, moi-même, Monsieur des aristocruches de Lyon, je suis le premier à déclarer qu’il y a presque généralement dans les classes [6.2]riches de notre ville, une propension frappante et très louable à la charité chrétienne et à la bienfaisance philantropique, et je n’ai aucune raison de nier qu’il en soit partout ainsi. – Vous voyez, Monsieur, que nulle préoccupation de parti ne m’empêche de reconnaître et d’avouer les vérités, même qui semblent contredire mon opinion. – Je ne crois donc pas à la cruauté des aristocrates d’argent. Mais je crois à la nature des choses ; je crois à la vitalité des principes ; je crois qu’un principe aristocratique ne se suicide pas plus qu’un principe démocratique ; je crois à la logique des interêts ; je crois surtout à l’énergie des intérêts de caste ; je crois qu’il est niais de demander à une classe d’abdiquer ses avantages sociaux ; je crois qu’il faut l’y forcer, qu’il faut, par la discussion, gagner peu à peu du terrain sur elle et l’obliger à laisser le champ libre aux intérêts, aux principes nouveaux. Que penseriez-vous, Monsieur, d’un héritier qui s’en irait prier l’homme dont il attend les biens, de mourir au plus vite pour le laisser plutôt jouir de son patrimoine ? – Eh bien ! Monsieur, ce serait cent fois plus raisonnable que d’attendre d’une aristocratie quelconque des concessions bénévoles ; car il peut y avoir des motifs d’affection personnelle qui dictent à un vieillard la folie de céder aux prières de son héritier, et il n’y a point d’affection, il n’y a que des antipathies de classe à classe ; il n’y a qu’une hostilité de fait et de raison ; il n’y a que le combat, que la lutte, qu’un antagonisme qui est le fait lui-même, et sans lequel il n’y aurait plus de classes. Dès qu’il a été constaté que des intérêts classés dans la société sont distincts, il faut qu’ils soient hostiles ; dès qu’ils sont hostiles, ils doivent se combattre jusqu’à ce que l’un ou l’autre succombe ; et celui qui doit succomber c’est celui du petit nombre, c’est le principe d’exception et de privilége que l’histoire nous montre déclinant toujours, depuis l’esclavage antique et le servage féodal, jusqu’au prolétarisme contemporain. – Mais ne demandez pas à une aristocratie de s’abdiquer elle-même et de se suicider par peur du combat ; ce serait lui demander plus qu’elle ne peut faire, car elle n’existerait déja plus, si elle était ainsi résignée d’avance à mouriri1. – Il faut qu’un principe, c’est-à-dire, une classe, croie à son éternité, et qu’il agisse en conséquence. C’est là toute l’histoire, c’est là tout le progrès politique, et il ne faut ni s’en étonner ni s’en plaindre, car c’est une loi de conservation providentielle. Si le besoin invincible de la vie n’était pas dans les intérêts de classes, c’est-à-dire dans les principes aussi bien que dans les individus, l’ordre social serait un immense désordre, un cahos où rien ne marcherait faute de cohésion et d’harmonie entre tant d’élémens divers. – [7.1]Si, dès qu’un droit nouveau est reconnu et constaté par les intelligences avancées, il entrait brusquement et pleinement dans la sphère des faits, le monde ne serait plus qu’un champ de bataille sans sécurité et sans repos, une arène de luttes violentes et brutales. – Mais la providence a pris soin d’éviter ce danger : elle a voulu que la force morale, c’est-à-dire, la science et la conviction, disposassent seules de la force matérielle ; elle a voulu que rien ne se fit malgré les croyances du plus grand nombre et par le caprice des minorités. – Elle a voulu que le progrès des lumières fut lent, et que les masses ne se défissent que peu à peu et un à un de leurs préjugés et de leurs erreurs, afin que les droits anciens (car la possession est un droit) ne fussent pas tout à coup brisés et foulés aux pieds ; afin que nulle existence ne fût compromise, et que les classes et les individus prissent sans catastrophes leur assiette paisible, en faisant place aux intérêts et aux droits nouveaux. Mais encore faut-il que ces droits et ces intérêts aient un moyen de se faire entendre, et de lutter contre les faits anciens. Or, c’est ce qui n’est pas maintenant, et c’est ce que doivent faire les institutions républicaines, contre lesquelles M. Bouvery manifeste de si singulières répugnances. – Les institutions républicaines, bien loin de supposer abstractivement à l’homme un degré impossible de perfection, lui reconnaissent toutes ses passions, tous ses penchans bons et mauvais ; pardessus tout, elles reconnaissent les cupidités des masses et des individus ; car elles offrent à tous des moyens légaux de les satisfaire légitimement. J’ignore comment cette idée absurde a pu s’établir et se formuler en un axiôme trivial que les amis du privilége vous jettent à la figure dès qu’il est question de république ; j’ignore comment le gouvernement, qui est institué par et pour les intérêts de tous et de chacun, a pu passer pour un régime de dévouement absurde et de fanatisme politique. – « Oh ! s’écrie à tout propos le juste-milieu, les Français sont trop intéressés pour être jamais républicains. » – Et en disant cela il nous prend tout doucement notre argent dans nos poches et s’en goberge à son aise ; et ces Français si cupides se laissent faire tranquillement. – « Oh ! dit-il encore, les Français sont trop vaniteux, trop amoureux des honneurs et des distinctions pour être républicains. » – Et en attendant, le juste-milieu se chamarre de cordons et s’empare de toutes les places et de tous les affiquets de la royauté derrière laquelle il se cache. – Vraiment, Messieurs, si nous sommes tellement cupides et vaniteux, laissez-nous donc notre part, non des cordons et des crachats dont le peuple se soucie peu, mais de notre argent, s’il vous plaît ; – laissez-nous nos écus, et ne les prodiguez pas à la liste civile et aux courtisans : ne les prenez pas sous tous les prétextes et par tous les moyens ; changez la base de ces impôts indirects qui nous écrasent, l’assiette des contributions directes qui nous paraît inique. – Vraiment, Messieurs, pour des gens intéressés, nous sommes bien complaisans de nous laisser ainsi prendre le plus clair des produits de notre travail. Si nous désirons les institutions républicaines, ce n’est point, croyez-le, par amour des hautes et romanesques vertus de Sparte et de Rome, c’est tout bonnement pour vivre plus à l’aise et n’être pas rançonnés par une aristocratie pillarde, vaniteuse et fainéante. Il est clair que cette fausse notion de la république a été répandue par les gens qui rattachaient à ce mot le souvenir de l’héroïsme grec ou romain. Certes, je crois que le républicain se bat pour la liberté de son [7.2]pays au moins aussi bien que les soldats royaux ; car il sait pour quoi et pour qui il expose sa vie. Nos admirables conscrits de 92 l’ont suffisament prouvé, aussi bien que les Suisses et les Américains. – Mais j’ai dit ailleurs, comment les vertus antiques n’étaient plus nécessaires, et deviendraient même dangereuses au milieu des molles habitudes de notre civilisation moderne. J’ai démontré que ces dévouements violens étaient indispensables dans un temps où la barbarie des mœurs opposait des résistances brutales au progrès : Il fallait que la vertu progressive fût plus colossale encore que les redoutables ennemis qu’elle trouvait devant elle. – Mais aujourd’hui que toutes les transactions sont opérées par les convictions et les forces morales, ce serait une dépense inutile de vertus et de courage que cette sublime abnégation que l’histoire attribue aux peuples de la Grèce et de l’Italie antique. Aujourd’hui, les institutions républicaines ne peuvent être rien qu’un ensemble de lois faites dans l’intérêt de tous, et qui donne à chacun un avantage particulier à accomplir son devoir. – Pour cela, il faut que chacun soit consulté, et que tous les intéressés concourent à la rédaction de ces lois ; car la volonté et les besoins d’autrui ne peuvent pas être pris pour mes besoins et ma volonté. Il faut qu’un prolétaire, et non pas un propriétaire, représente les prolétaires ; qu’un travailleur, et non pas un oisif, représente les travailleurs ; il faut qu’un canut et non pas un parisien millionnaire, ou un vaudevilliste millionnaire, ou un traducteur d’Homère, représente les canuts. – Quand il en sera ainsi, Monsieur, l’immense voix du peuple, saura bien se faire entendre, et dire ce que le peuple veut, ce que le peuple pense, ce que 1e peuple aime et ce qu’il hait, ce qu’il respecte et ce qu’il méprise, Jusque-là, malgré de consolantes exceptions, les aristocrates d’argent exploiteront le peuple et le calomnieront pour excuser leur iniquité. Je suis, Monsieur, etc. Anselme Petetin, rédacteur en chef du Précurseur.
i Je laisse l’argument que pourrait me fournir le vote de plusieurs députés libéraux, dans la dernière discussion parlementaire sur la loi des grains, entre autres celui de MM. Laurence et Demarçay. Mais je ne puis résister au désir de citer ici un exemple pris tout près de nous, et qui rend parfaitement ma pensée, l’explique et la justifie. – Il y a à Lyon un homme riche, dont la bienfaisance est connue et honorée de tout le monde ; qui est toujours prêt à soulager les souffrances individuelles qui se présentent à lui ; qui dans les désastres de novembre, s’occupait, à l’Hôtel-de-Ville, de pourvoir à la subsistance de la population ouvrière répandue en armes dans les rues, tandis qu’on saccageait sa maison, qu’on brûlait ses livres, son portefeuille et ses marchandises. – Eh bien ! cet homme-là est celui-là même qui a combattu avec le plus d’acharnement le plan d’impôt progressif proposé dans le conseil municipal en faveur des classes inférieures. – L’intérêt politique de classe l’emportait sur les sentimens personnels. Voila mon argumentation prouvée par un fait éclatant.
SERVILIUS,
CHANT HÉROIQUE. – 1828. Air : Pages m’a dit : Chante la Grèce antique. Quand on fêtait le vieux Saturne à Rome, L’esclave était dégagé de ses fers : Il reprenait les nobles droits que l’homme Tient, en naissant, du roi de l’univers : Qu’en faisait-il ? – Dans une lâche orgie Il s’endormait, rêvant des jours plus doux. « – Ne dormons point lorsque la tyrannie « Va, dès demain, s’appesantir sur nous ! » Tel est le cri qu’un vieux soldat, esclave, Fait retentir en un de ces repas : Eh ! quoi, dit-il, comme une froide lave, Des oppresseurs nous foulent sous leurs pas : Le titre d’homme, amis, on nous le nie : Qu’on nous connaisse au pouvoir de nos coups : Ne dormons, etc. Les voyez-vous : ces maîtres que j’abhore, Sur leurs Tarquins déployer leur fureur ? Pour un soupçon, les voyez-vous encore, Sacrifier Manlius, leur vengeur ? Et, seuls jouets d’une longue avanie, De liberté nous serions peu jaloux, Ne dormons, etc. Tous pleins de cœur, pour un jour de défaite, Quoi ! nous serions esclaves à jamais ! Quoi ! sous le joug courbant toujours la tête, Sur nous toujours seraient levés les fouets !… [8.1]Du fouet sanglant vengeons l’ignominie : Nous le pouvons si nous le voulons tous. Ne dormons, etc. N’est-elle pas, cette race romaine, Le rejeton d’un ramas de bandits ? Elle a le sceptre, et nous portons la chaîne !! Nos bras nerveux sont-ils donc engourdis ?… Donnons l’exemple à la terre asservie : Oui, les premiers, relevons les genoux. Ne dormons, etc. Ce soir encor, chacun de nous est libre ; Demain… Grands Dieux !… n’attendons pas le jour : Que, sous nos lois, coule aujourd’hui le Tibre : C’est aux romains de trembler à leur tour. Rappelons-nous, frères, notre patrie Pleurant des fils, des pères, des époux. Ne dormons, etc. On court s’armer ; et, pour chef, on proclame SERVILIUS. – C’était notre héros : Tremblez, tyrans ! mais un lâche, un infame, A dénoncé les sublimes complots… Servilius, – sous le poignard impie Tombe… Son cri, peuples, l’entendez-vous !… Ne dormons point, lorsque la tyrannie Va, dès demain, s’appesantir sur nous. P. CORRÉARD
COUPS DE NAVETTE.
Si au moins la réponse de ces messieurs était en vers on ne pourrait pas dire qu’elle n’a ni rime ni… On demandait à un chef d’atelier ce qu’il avait trouvé de plus remarquable dans la lettre de ces messieurs, deux colonnes de petit texte. Un célèbre chimiste se charge de distiller la réponse de MM. les prud’h… ; il ne répond pas du résidu. En parlant de l’Académie, Piron1 disait : Ils sont là 40 qui ont de l’esprit comme 4 ; en supposant que ces messieurs, aient autant d’esprit que des académiciens ; il y aurait cette règle de proportion à faire : 40 : 4 :: 8 : x ; c’est-à-dire, si 40 ont de l’esprit comme 4, combien bien 8 en ont-ils ? Un pâtissier est attaché au conseil des prud’h…, afin que cette profession soit représentée, il fournira de brioches ces messieurs. Un homme comme moi, a dit M. Ch....r, répondre à des journalistes ! Fi donc ! MM. les négocians ont envoyé chez MM. les prud’h… chefs d’atelier, pour les féliciter. La meilleure intelligence règne entr’eux. Ces Messieurs ont pris pour eux la maxime dont M. le général Sébastiani2, alors ministre, voulait que la France fit son profit : « Soyons sages. » Il y en a qui croient à la métempsycose3, et que l’ame de feu tarif est passée dans la mère curiale ; ils se trompent, la métempsycose est une chimère ; d’autres croient que Dieu fera un miracle, et que puisque Lazare fut ressucité, tarif pourrait bien l’être. Hélas ! il ne se fait plus de miracles depuis Voltaire ; ceux-là seuls, à notre avis, ont raison qui n’espèrent voir le grand tarif qu’au jour de la résurrection des morts. Il y a le temps d’attendre. M. Ch....r, est le plus grand des prud’hommes chefs d’atelier (pour la taille, entendons-nous). M. V…y demande un brevet d’invention pour les interrogatoires.
AVIS DIVERS.
[8.2]Sous presse : La Liberté ranimant les cendres de Guillaume Tell, poème. – En vente chez M. Perret, imprimeur, et chez les principaux libraires. [112] M. Dervieux fils, chapelier, rue Romarin, n° 5, détenu dans la maison d’arrêt de Roanne, en attendant son jugement, expose aux chefs d’atelier et ouvriers ses compatriotes, que par suite des événemens de novembre dans lesquels il a été compromis, il a perdu sa clientelle qui était principalement composée de négocians. Ceux dont il partagea les opinions, la conduite et les dangers, ne voudront sans doute pas qu’il continue à être victime : il compte sur eux pour remplacer les pratiques qu’il a perdu. La générosité de la classe ouvrière lui fait espérer qu’il ne sera pas trompé dans son attente. On aura rien à désirer sous le rapport de la bonne qualité, de la prompte exécution et de la modicité des prix. [113] Géométrie transcendante, résolution dans toute la rigueur géométrique du problême de la multisection de l’angle. Question de grande analyse à résoudre et mise au concours par H. S. de la Planche cadet, à Lyon. Chez l’auteur, rue St-Pierre, n° 8. 52 pages in-8°, avec planches. Prix : 1 fr. [110] Un métier de velours unis, en bon état, à vendre ou à louer, pour maître : on donnera toute facilité. S’adresser au bureau. [111] L’on demande un ouvrier pour un métier à la Jacquard, de robes et autres articles. S’adresser chez M. Gras, plieur, rue Vaubecour, n° 7. A vendre, deux métiers en 5/4 et un en 4/4, monté pour le gilet, ensemble ou séparément, et appartement à louer à la Noël. S’adresser rue des Flesselles, n° 5, au 2e. [53] Les sieurs Deleigue et Bailly, mécaniciens, rue St-George, n. 29, à Lyon, préviennent MM. les fabricans, chefs d’ateliers et dévideuses qu’ils viennent d’obtenir un brevet d’invention et de perfectionnement d’un nouveau genre de mécaniques rondes, dites à roue volonté, propres à dévider, trancanner et faire des cannettes à plusieurs bouts, de toutes sortes de soie. Par un nouveau procédé ; elles suppriment rouleaux, cordages et engrenages et sont supérieures à toutes celles qui ont paru jusqu’à ce jour. Les broches tournant par une seule roue qui tourne horizontalement, font qu’elles tournent toutes régulièrement. [82] A vendre, plusieurs régulateurs, remisses et peignes de 3/4 et 7/8 de 72 à 84 dents au pouce, navettes en bois pour battant à bouton. S’adresser au Bureau. [86] A vendre de gré à gré en totalité ou en partie, atelier pour l’apprêt en satin, consistant en calandre, presse, cartons, etc. S’adresser rue Tables-Claudiennes, n. 15. [92] Le sieur DAVID, mécanicien, à Lyon, place Croix-Pâquet, prévient MM. les fabricans, chefs d’ateliers et devideuses qu’il établit ses nouvelles mécaniques avec une seule roue comme avec plusieurs, avec une seule corde, comme sans corde, moyens qui appartiennent à l’invention dont il est breveté, par le mécanisme de roues tournant horizontalement, dont le plan circulaire fait mouvoir les broches, et dont l’axe général ou moteur a été par lui placé au centre des mécaniques à devider, de forme ronde, afin de pouvoir les simplifier. Ce résultat a valu au sieur David un brevet ainsi qu’une mention honorable de la chambre de commerce, et une médaille en séance publique de la société d’encouragement pour l’industrie. Toutes mécaniques à devider et faire les cannettes qui n’avaient pas été confectionnées dans ses ateliers, seront confisquées, et les contrefacteurs poursuivis devant les tribunaux. Le sieur David adopte aux anciennes mécaniques ses nouveaux procédés qui se construisent de forme ronde, longue et en fer à cheval ; il fait des échanges de ses nouvelles contre des anciennes ; en conséquence, il a toujours à vendre des mécaniques de rencontre. Le nombre d’ouvriers qu’occupe le sieur David le met à même de livrer plusieurs de ces nouvelles mécaniques le jour même qu’on lui en fait la demande, et à un prix très-modéré. [94] Six métiers de courants à vendre, ensemble ou séparément, s’adresser au bureau. [104] Restaurant, grande rue Mercière, n. 56. On sert à dîner à toute heure, on loue des chambres garnies au jour et au mois. On donne des cabinets aux sociétés qui veulent être séparées. [103] A vendre, 3 métiers moulés à neuf, l’un en grosse peluche, le deuxième en gros de Naples, et le troisième en velours plein, avec beaucoup d’ustensiles, balance, rouet, etc., ensemble ou séparément. S’adresser à M. Patouillet, rue du Bœuf, n. 16, au 3., deuxième montée.
Notes ( BANQUET INDUSTRIEL)
L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Notes ( a messieurs FALCONNET , LABORY , MARTINON...)
L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Notes ( AVIS sur la rédaction du compte rendu de...)
Cet avis fait directement écho à la controverse en cours sur la faiblesse des prud’hommes chefs d’ateliers. Leur mission doit être, selon Marius Chastaing, de s’impliquer en faveur de la fixation d’une véritable jurisprudence, fruit de l’usage, des actes de l’autorité législative et des arrêts de tribunaux, pour permettre ainsi l’élaboration d’un véritable « code des ouvriers en soie » (numéro du 25 novembre 1832). L’Echo de la Fabrique tentera, avec ses armes propres, de participer à la création de cette irréversibilité en ouvrant quelques semaines plus tard une nouvelle rubrique, « Notices de jurisprudence du conseil des prud’hommes de Lyon », considérée comme un renfort dans l’établissement d’un « code des prud’hommes » (numéro du 13 janvier 1833).
Notes ( INVENTION JUDICIAIRE.)
L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Notes ( DES MACHINES DANS L’INDUSTRIE,)
A propos de la note (i) : Justin Laurence (1794-1863) fut, sous la Restauration, la figure de l’opposition libérale dans le Sud-Ouest et, au début de la Monarchie de Juillet, député des Landes siégeant au centre droit. Quant à lui, Marie-Jean Demarcay (1772-1839), baron de l’Empire et proche de Lafayette, il anima l’opposition sous la Restauration. Député de la Vienne, de 1828 à 1839, il se rallia un court temps au régime de Juillet pour, ensuite, s’inscrire de nouveau dans l’opposition.
Notes ( COUPS DE NAVETTE.)
Alexis Piron (1689-1773), auteur de comédie et d’opéra-comique, notamment de La métromanie (1738). Le comte Horace Sébastiani de la Porta (1772-1851), général de Napoléon et député de l’opposition (Corse) sous la Restauration, fut ministre de la Guerre, de la Marine, des Affaires étrangères, au début de la monarchie de Juillet. En ce milieu de l’année 1832, il était, avec Montalivet, l’un des ministres les moins populaires du moment. Doctrine de la transmigration des âmes, d’abord développée par les philosophes grecs, la métempsycose connaîtra, avec le thème du progrès, un renouveau en France dans cette période ; peu avant 1830, Pierre-Simon Ballanche (1776-1847) publie ses Essais de palingénésie sociale. Le thème s’intègre au versant spiritualiste des doctrines sociales d’auteurs tels que Charles Fourier ou Pierre Leroux et se retrouve dans les œuvres d’écrivains tels que George Sand.
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