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28 octobre 1832 - Numéro 53
 
 

 



 
 
    
DE LA CAISSE DE PRÊT proposée pour les Ouvriers en soie de Lyon1.2

La seule chose que le gouvernement ait songé de faire en faveur des Lyonnais, est l?établissement d?une caisse de prêt destinée à faire des avances aux chefs d?atelier de la fabrique d?étoffes de soie seulement ; sans doute, ils sont plus malheureux et plus nombreux que les autres industriels. Pourtant les tullistes et d?autres branches d?industrie souffrent également, et nous croyons qu?il y aurait de l?injustice à les priver des avantages de cette banque, qui devrait être générale et ouverte à toutes les industries. Une somme de 170 mille francs a été mise, aussi par le gouvernement, à la disposition de la chambre de commerce, lors de son installation. Ce n?est comme nous l?avons annoncé le 12 octobre, que le conseil des prud?hommes a été appelé à nommer six de ses membres pour former une commission qui sera également composée de membres du conseil municipal et de la chambre de commerce.

Pour bien apprécier l?emploi que font nos administrateurs des fonds qui leur sont confiés, et qui sont destinés à soulager les malheureux, nous devons nous reporter en arrière.

La formation d?une caisse de prêt, pour les chefs d?atelier de Lyon, ne date pas d?aujourd?hui. Le gouvernement avait mis à la disposition de la chambre de commerce 25,000 fr. le 30 mai 1831 ; ainsi, ce n?est qu?à la négligence de cette chambre, et de ceux qui ont [1.2]pouvoir sur elle, que les ouvriers doivent d?en avoir été privés jusqu?à ce jour ; voici les faits :

Par une décision de M. le ministre du commerce, en date du 30 mai 1831, le versement d?une somme de 25,000 fr., à la caisse des prud?hommes, est ordonné comme devant servir de premiers fonds à un établissement d?utilité publique, de prêt pour les chefs d?atelier ; cette décision fut sanctionnée par une ordonnance royale, le 27 juin 1831. La chambre de commerce a fait connaître au conseil des prud?hommes cette décision, et l?a invité à nommer plusieurs de ses membres, pour donner son avis sur l?organisation de la caisse.

Le conseil, après avoir nommé ses membres et donné son avis, reçut, à la date du 31 juillet 1831, la réponse suivante :

« La chambre de commerce décide n?avoir pu prendre en considération les propositions des membres du conseil »

Depuis cette époque, ces 25,000 fr. sont demeurés sans emploi. L?on n?en a plus parlé.

Avant les tristes événemens de novembre, M. Dumolard, alors préfet, sans parler de ces 25,000 fr., annonçait que le gouvernement était dans l?intention de donner un fonds de 400,000 fr. pour fonder l?utile établissement d?une caisse de prêt. Il ajoutait qu?il avait fait la demande que cette somme fût portée à 600 mille francs ; et qu?il attendait incessamment les premiers fonds. Cette caisse devait plus tard dépasser un million : on devait y verser le produit des bénéfices de la Condition des soies. M. Dumolard pensait aussi que la chambre de commerce et tous les capitalistes s?empresseraient d?y verser des fonds, afin d?assurer et d?étendre les bienfaits de cette institution, et lui donner toute l?importance dont elle paraît susceptible. Où sont ces promesses ?

La misère seule a marché. Mais sans incriminer contre le passé, parlons du présent qui nous appartient.

Les ouvriers vont-ils, enfin, après un an et demi de promesses, jouir bientôt des avantages que pourra leur procurer cette caisse, ou seront-ils dupes d?une mystification ? On serait presque fondé à le croire, par la lenteur que l?on met à penser seulement à son exécution. Nous sommes fondés à demander compte de la négligence que l?on apporte à cet établissement. Car, [2.1]indépendamment de ces premiers 25,000 fr. laissés sans emploi, il y a plusieurs mois que le gouvernement a versé les premiers fonds. D?où vient donc que l?on a attendu si long-temps pour appeler la coopération des prud?hommes ? Et depuis que ces derniers ont choisi les membres qui doivent s?occuper de cette organisation, ils n?ont pas encore eu de réunion générale.

Nous croyons donc devoir engager messieurs les prud?hommes à réclamer une prompte organisation de cette banque. C?est à eux que nous nous adressons, à eux qui connaissent les besoins de leur classe, besoins si pressans à l?entrée de l?hiver, et surtout dans ces momens où l?ouvrage manque déjà à beaucoup d?entre eux. Avec de la bonne volonté, il ne faudrait pas quinze jours pour mettre la caisse à même de faire son service. Nous reviendrons souvent sur ce sujet ; nous croyons qu?il intéresse trop vivement l?industrie pour le négliger. Car, nous ne pourrions, comme nous l?avons dit, taxer la négligence sur un objet aussi pressant, autrement que de mystification. La plaisanterie serait par trop forte.

Notes (DE LA CAISSE DE PRÊT proposée pour les Ouvriers en soie de Lyon.)
1 L?auteur de ce texte est Joachim Falconnet d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Falconnet sera l?un des principaux défenseurs de la caisse de prêt. Il analyse le crédit comme un lien renforçant la solidarité et comme un moyen de redistribuer l?activité et les positions, une véritable « banque industrielle » (numéro du 18 novembre 1832). Son argumentation s?oppose à ceux estimant que cette institution constitue un moyen de contrôler et de domestiquer les ouvriers (numéro du 25 novembre 1832).

 

 

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