Concours ouvert sur l’adoption d’un terme générique, pour désigner la classe des ouvriers en soie d’une manière complète, simple et euphonique.1
Rapport fait le 16 octobre 1832, à la commission de surveillance de l’Echo, par M. Marius Chastaing, rédacteur en chef.
Messieurs, la question qui nous occupe semble au premier coup-d’œil être oiseuse, cependant elle ne l’est point ; elle est la suite du mouvement social dont aujourd’hui nous sommes spectateurs en même temps qu’acteurs.
Notre programme, « amélioration physique et morale de la classe prolétaire, » est le résultat de la marche de l’esprit humain auquel nous avons dû nous associer. La discussion qui s’agite actuellement en est une conséquence. Je ne crois pas avoir à insister davantage là dessus.
La classe des ouvriers en soie comme toutes les autres, se divise en un grand nombre de professions, ayant chacune un nom distinct. Il y a parmi eux des veloutiers, des rubanniers, des satiniers, des taffetatiers, etc. Ces divers états réunis en forment un seul désigné par un sobriquet devenu à Lyon une injure, je ne sais pourquoi. Ce sobriquet, c’est le mot canut. Pour éviter de l’employer, il faut se servir d’une périphrase, et dire : Fabricans d’étoffes de soie ou ouvriers en soie. Il y a mieux : par suite de l’extension de l’industrie, des caprices de la mode, ces appellations sont inexactes ; car l’ouvrier en soie de nos jours, ne fabrique pas seulement des étoffes de soie, mais toutes sortes de tissus ; il travaille la laine, le coton, le fil et la soie ensemble ou séparément, et sans s’astreindre à un genre spécial de tissage, comme font ceux qui fabriquent seulement de la toile ou de la mousseline et qu’on appelle tisserands, mousseliniers.
Les autres classes de la société ont cependant chacune un terme générique qui est en honneur, ainsi : sous le nom de prêtres on comprend toutes les fonctions sacerdotales, depuis celle de sacristain jusqu’à la plus éminente ; sous le nom d’artistes, le peintre, le sculpteur, le musicien, le mime ou comédien, et tous [3.1]ceux qui exercent les arts libéraux sont désignés en général. Le titre d’hommes de lettres se donne à tous les écrivains dans quelque genre qu’ils écrivent. Poète, grammairien, mathématicien, tous sont hommes de lettres. On range sous le nom de militaire, le général et l’officier, l’officier et le soldat. La classe des officiers elle même, comprend tous ceux qui ont un commandement quelconque à l’armée, quel que soit le grade. Sous le nom d’homme de loi, on comprend l’avocat, l’avoué, l’huissier, l’agent d’affaire. Enfin sous celui de marchand, de négociant, se trouvent compris tous ceux qui exercent un commerce plus ou moins étendu. C’est donc aux ouvriers de la fabrique lyonnaise seuls, qu’il manque un nom générique sous lequel ils puissent être désignés en corps et qui ne soit pas une injure ; dès lors, il convient de chercher un terme appellatif qui remplace celui de canut. Cette nécessité est universellement sentie. On conçoit le désagrément de faire du néologisme, mais dans un ordre de choses nouveau, il faut des noms nouveaux. Quelques-uns crurent trouver ce qu’ils cherchaient dans le mot ferrandiniers ; ils étaient dans l’erreur. Vous connaissez l’étymologie de ce mot : il vient de ferrandine., étoffe passée de mode ; il ne peut donc pas plus servir à désigner en général la classe des ouvriers en soie que tel autre mot spécial à l’une des nombreuses sous-divisions de cette classe. Cependant, on afficha hautement la prétention de substituer le mot de ferrandinier à celui de canut.
M. Meziat ayant protesté contre par des raisons adoptées par vous dans sa lettre insérée dans le numéro 43 du journal, et proposé le mot de Sericariens qui ne vous parut pas davantage convenable, vous crûtes devoir pour résoudre le problème ouvrir le concours duquel je viens vous rendre compte.
Ce concours a été ouvert le 26 août dernier, et le délai fixé est expiré le quinze de ce mois. Le prix offert aux concurrens était faible, un abonnement gratuit au journal, mais vous saviez que ce n’était pas l’intérêt qui vous amènerait des prétendans à ce prix. Vous ne vous êtes pas trompés, et jamais l’on ne se trompera, lorsqu’on aura foi en la moralité, en la générosité de la classe ouvrière.
Vingt-cinq personnes ont répondu à votre appel, 41 mots plus ou moins heureux sont proposés ; voici le tableau chronologique que j’ai l’honneur de vous soumettre :
dates. | concurrens. | Mots proposés. |
Août. 26. | 1° Méziat | 1. Textoricarien. 2. Textorycien. 3. Tissericien. |
Août. 26. | 2° Charbon | 4. Tisseur. |
Août. 27. | 3° Domaine jeune | 5. Tissoie. |
Août. 28. | 4° Collomb fils | 6. Arachnéens. |
Août. 30. | 5° Bitry | 7. Polymithe. |
Août. 30. | 6° Remond fils | Tisseur. V. N° 4. 8. Armuratisseur. |
sept. 3. | 7° Cornillon | 9. Armatisseur. 10. Cotisseur. |
sept. 3. | 8° Cheneval | 11. Maître tisseur de soie. |
sept. 4. | 9° Renigu | 12. Tissutier. |
sept. 5. | 10° Cl. B....t | Tissutier. V. n. 12. 13. Artisseur. |
sept. 5. | 11° Vettard | 14. Tissoyer. |
sept. 5 | 12° Janin | 15. Bombixier. |
sept. 7. | 13° Charnier | 16. Tisseur de soie. |
[3.2]sept. 9. | 14° D. Morel | 17. Tissoyen. 18. Tissoierien. |
sept. 19. | 15° Collomb père | 19. Pamphilarien. |
sept. 23. | 16° J.... H… | 20. Bombitisseur. |
sept. 25. | 17° Leborgne | 21. Sericarier. |
octo. 8. | 18° Topin | 22. Maître fabricant d’étoffes de soie. |
octo. 10. | 19° Labory | 23. Canut. |
octo. 12. | 20° Veloutier | 24. Soierinier. 25. Soierineur. 26. Soieriniste. Sericarier. V. n.21. 27. Sericarieur. 28. Sericareur. 29. Sericariste. 30. Sericariniste. |
octo. 15. | 21° Bofferding | Tissutier. V. n. 12. |
octo. 15. | 22° Thevenin | 31. Textorien |
octo. 15. | 23° Corréard | Canut. V. n. 23. |
octo. 15. | 24° Guillot | 32. Sériciphante. 33. Séricicophante. 34. Séritextor. 35. Séritexteur. 36. Séritisseur. 37. Bombitexteur. 38. Bombycinaire. 39. Bombytextorien. Bombitisseur. V. n. 20. 40. Bombitissorien. |
octo. 15. | 25° Bouvery | 41. Omnitisseur. |
(La suite au prochain numéro.)