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4 novembre 1832 - Numéro 54
 
 

 



 
 
    
 Un dernier mot à M. Anselme Petetin,1

Sur la question des machines.

M. Petetin persiste dans son opinion, et pour appuyer son raisonnement, il développe la supposition d’une machine qui accomplirait tout le travail industriel de la France, et il demande si cette machine serait un bien ou un mal pour la société : à cela, je n’ai qu’un mot à répondre, je ne suis, pas l’adversaire des machines en ce sens qu’elles diminuent le labeur et les fatigues de l’homme, cela serait absurde, et je pensais avoir été mieux compris, mais j’ai dit : Si les moyens d’existence des neuf dixièmes de la population se composent de salaires, comment nourrira-t-on ces vingt ou vingt-cinq millions d’individus lorsque, grace aux [6.2]machines, il n’y aura plus de salaires ? D’un autre côté, comment empêcher, sans violer aucun droit, que la machine universelle devienne la propriété d’un seul individu ? C’est là l’unique problême à résoudre. Dans des questions pareilles, il ne suffit pas de se tenir dans le vague des observations et des généralités, il faut présenter une solution ou reconnaître son impuissance. Il est fort aisé de dire que le gouvernement, s’il était bon, devrait guérir avec sollicitude les maux particuliers enfantés par le progrès général ; mais il est plus difficile de dire comment, surtout si, comme dans la question qui nous occupe, il faut renverser les termes de la proposition, et faire des maux particuliers un mal général. Dans l’hypothèse de la machine universelle de M. Petetin, que fera-t-on pour nourrir les prolétaires augmentés de toutes les petites existences qui ne vivent que par eux ? Etablira-t-on la loi agraire ? Admettra-t-on le système St-Simonien, qui concentre dans une seule main toutes les propriétés de l’état ? Fera-t-on une taxe des pauvres ou tuera-t-on tous ceux qui ne sont pas propriétaires ? Dans mon intelligence obtuse je ne vois que ces quatre moyens en dehors de celui que j’ai proposé, examinons : le moindre inconvénient des deux premiers est de violer tous les droits ; or, M. Petetin ne veut pas qu’on en viole aucun ; le troisième n’est qu’une modification des deux premiers ; et quand au quatrième, je pense que M. Petetin ne refusera pas de convenir avec moi que son exécution est trop difficile pour qu’on puisse l’admettre. Dès lors, il voudra bien me permettre d’attendre encore une autre solution de la difficulté.

M. Petetin prétend que j’ai de la répugnance à me placer franchement au point de vue politique, sans examiner si de ma part cette répugnance ne serait pas fondée ; vu mon peu de lumières en pareilles matières, je dois lui dire qu’il se trompe, car je crois qu’il n’y a pas de résultat possible sans la politique, seulement je répugne à me placer à son point de vue. Le principe des républiques, dit Montesquieu, c’est la vertu ; or, M. Petetin croit-il que dans notre vieille société gangrenée au cœur par l’excès de la civilisation, et qui succombe sous le poids de ses vices, croit-il, dis-je, que la vertu ait beaucoup d’empire ? Je ne doute pas que s’il avait à me répondre demain, il ne me répondit par l’affirmative ; car il est encore sous le charme prestigieux de ces séduisantes théories d’autant plus dangereuses que leur impossibilité ne peut être démontrée que par l’expérience, et qu’il n’est que trop vrai que l’expérience ne profite qu’aux individus ; et non aux masses. Sans cela, il comprendrait que ce que l’on nomme si fastueusement le progrès, n’est qu’une prime d’encouragement accordée à toutes les passions mauvaises de l’humanité, pour se produire et se développer librement.

En résumé, toute cette polémique déjà trop longue, se réduit à savoir comment on pourvoira à la subsistance des pauvres, lorsque l’extension des machines aura détruit tous les salaires ; attendra-t-on l’éruption du volcan ou lui préparera-t-on une issue régulière ? et qu’elle sera-t-elle ? que l’on veuille bien répondre à cette question d’une manière positive et péremptoire, et je changerai d’opinion ; mais jusques-là je n’en verrais pas la raison. Ce qui me reste à faire, c’est de terminer une discussion où j’ai trop de désavantage, obligé que je suis de lutter d’une part, contre des idées reçues, et de l’autre, contre un talent qui m’est trop supérieur pour que les chances soient égales. Le temps résoudra le problême.

Bouvery.

Notes ( Un dernier mot à M. Anselme Petetin,)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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