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11 novembre 1832 - Numéro 55
 
 

 



 
 
    
 Des relations commerciales
ENTRE LA FRANCE ET LA GRANDE BRETAGNE.1

Cette question importante, relative à une réduction réciproque dans les tarifs de droit de douane, des deux pays, est agitée dans ce moment au ministère français par l’entremise de M. Bowraing2, agent anglais, chargé par son gouvernement de cette mission spéciale, ne doit être, de notre part, abordée qu’avec une extrême réserve. Tout en exprimant notre opinion sur cette grave question, s’il est dans l’intérêt des populations d’admettre la liberté du commerce, dont nous n’avons encore tenté que des essais insignifians, ou de rentrer sous le joug du système prohibitif de l’empire. Nous en appelons aux lumières et aux patriotisme de tous ceux qui ont une connaissance spéciale et directe de l’importance de nos relations commerciales avec l’Angleterre3.

Nous ne doutons pas, que le gouvernement anglais, soit en prohibant nos étoffes, soit lorsqu’il en permit en 1825 l’entrée, ne fut inspiré par le désir de nous faire dans la suite une concurrence ruineuse, en s’emparant d’une partie de nos exportations.

En remontant à l’année 1818, époque à laquelle, après nos désastres de 1815, notre fabrique prit un grand accroissement, par l’invention d’étoffes nouvelles, appropriées à la mécanique à la Jacquard, dont la découverte était récente. Nos étoffes n’entraient en Angleterre que par contrebande ; par contre, nos exportations étaient alors immenses dans le Nord, l’Allemagne et l’Amérique ; et la consommation intérieure, malgré les prix élevés de la soie et de la main-d’œuvre était bien plus considérable qu’aujourd’hui par suite d’une aisance générale.

Ce fut en 1824 que l’activité de notre fabrique, ayant éprouvé du ralentissement, la France et l’Angleterre consentirent un traité par lequel nos soieries furent reçues en Angleterre moyennant un droit de douane de 40 pour cent, réduit en 1826 à 30 pour cent. Alors le gouvernement anglais espérait lutter avec avantage contre nous par l’introduction de nos machines, à engager à sa solde fabricans et mécaniciens pour monter ses fabriques sur le modèle des nôtres. Tous ces essais furent infructueux (les Anglais sont seulement parvenus à fabriquer des étoffes unies moins lourdes que précédemment). Ce nouveau débouché ranima alors notre industrie ; et nos exportations pour ce pays s’élèvent maintenant au quart de nos exportations générales ; elles dépassent la valeur de 25 millions de fr.

Nos exportations pour le Nord et l’Allemagne, ont diminué dans une proportion plus grande ; l’Amérique seule nous a toujours offert ses débouchés, mais seulement pour des étoffes légères et de bas prix.

Les manufacturiers anglais n’ont cessé depuis plusieurs années de réclamer contre les traités qui permettent l’entrée de nos tissus. Les rassemblemens des ouvriers tisseurs de soie de Londres, et les troubles de Bristol, sont là pour attester la décadence de cette branche d’industrie chez nos voisins. Dernièrement le parlement a été appelé à décider si l’Angleterre continuera à recevoir les étoffes françaises, ou si l’on rentrerait [5.1]dans le système des prohibitions. Les manufacturiers de soieries étaient soutenus par les torys, ou le parti aristocratique, et il ne s’en est fallu que d’une seule voix, pour que la majorité ne rentrât dans le système des prohibitions. Ce système serait aujourd’hui ruineux pour les deux pays. Le gouvernement doit donc traiter cette question dans l’intérêt de la France, et non dans celui de quelques riches manufacturiers ; dont les produits sont en concurrence avec l’Angleterre.

Notre ville et tout le Midi sont intéressés à la liberté du commerce avec l’Angleterre, sous peine d’une stagnation d’autant plus désastreuse ; que la récolte des soies a été abondante, et que si nous manquons de débouchés, il y résulterait nécessairement une misère épouvantable dans toute cette partie de la France.

(La suite au prochain numéro.)

Notes ( Des relations commerciales
ENTRE LA FRANCE ET LA GRANDE BRETAGNE.)

1 L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 John Bowring fera au Parlement anglais le compte-rendu officiel de son passage à Lyon dans le Report from the Select Committee on the Silk Trade with Minutes of Evidence publié en 1832. Un peu plus tard, ses remarques se préciseront dans son Second Report on the Commercial Relations Between France and Great Britain. Silk and Wine, publié en1835.
3 Globalement la part des produits manufacturés exportés est beaucoup plus faible en France qu’en Grande-Bretagne, avec de fortes différences sectorielles. La soierie représente 8 % de l’ensemble des exportations en 1819. Cette industrie exporte 2/3 de sa production entre 1820 et 1860. La soierie lyonnaise, en particulier, a peu de concurrents étrangers, à l’exception de l’Italie, dont la France cherche à étouffer l’industrie. Elle dispose du marché européen, mais il s’agit de marchés étroits car ce produit n’est destiné qu’à une clientèle aisée. Référence : P. Verley, L’Échelle du monde, Paris, Gallimard, 1997, p. 499-605.

 

 

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