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11 novembre 1832 - Numéro 55
 
 

 



 
 
    
 COMMEMORATION FUNÉRAIRE1

EN L’HONNEUR DE M. BERNA.

Jean-Charles Berna, né à Francfort-sur-le-Mein, le… est décédé à la Sauvagère, près Lyon, commune de St-Rambert-l’Ile-Barbe, le 27 mai 1832, âgé de cinquante-quatre ans, ne laissant aucun héritier direct de son nom, mais seulement une fille mariée à M. Sabrand, fils. Nous ne redirons pas les titres de cet homme de bien à l’estime de ses compatriotes adoptifs en général, et des ouvriers en particulier. L’Écho a été dépositaire des regrets unanimes que sa mort a causé (Voyez n. 32.). Néanmoins, nous ne devons pas passer sous silence la cérémonie qui a eu lieu le 1er novembre courant, au cimetière de Loyasse, où reposent ses dépouilles mortelles. Cette cérémonie, en honorant d’une manière particulière la mémoire de ce bon citoyen, témoigne aussi de la moralité du peuple et de sa reconnaissance pour ses bienfaiteurs, reconnaissance d’autant plus belle et digne d’attention, que la mort qui efface ordinairement le souvenir des personnes qui nous furent même les plus chères, a été impuissante malgré un laps de cinq mois qui se sont écoulés depuis le décès de M. Berna, jusqu’à ce jour où a eu lieu l’acte religieux dont nous allons entretenir les lecteurs. Aux détracteurs du peuple, nous leur rappellerons ce jour mémorable.

On sait qu’un usage immémorial veut que le jour et le lendemain de la Toussaint on célèbre ce qu’on appelle la fête des morts, fête qui consiste en une promenade dans les divers cimetières. Il y a quelque chose de sublime dans cette communication spirituelle, dans ce voyage des vivans au séjour que leurs parens, leurs amis occupent, et où ils doivent se rendre à leur tour.

Le 1er de ce mois, époque de cette fête sacrée, malgré une pluie battante, les ouvriers de la manufacture de la Sauvagère, au nombre de plus de deux cents, se sont rendus processionnellement, et dans un silence religieux, vers la tombe de M. Berna, où ils ont déposé chacun une couronne d’immortelles, emblême de leurs sentimens de vénération et d’amour.

M. Diano, ancien employé de la Sauvagère, a prononcé, en présence de ses camarades attendris, un discours touchant dont nous extrayons ce passage :

« Cinq mois se sont écoulés depuis que nous avons accompagné, à sa dernière demeure, la dépouille mortelle de celui dont nous venons aujourd’hui honorer la mémoire, l’appareil lugubre qui nous environne, la douleur empreinte sur vos fronts, ces larmes que je vois prêtes à s’échapper de vos yeux, tout m’annonce qu’il me reste un devoir bien pénible à remplir, et que je vais renouveler vos regrets en vous retraçant la perte que nous avons faite.

Mes amis, l’hommage que nous rendons en ce jour aux cendres de [5.2]notre bienfaiteur, est un témoignage de la reconnaissance que nous lui devons.

Ah ! que ne sont-ils présens ces froids égoïstes, ces spéculateurs de la sueur du pauvre, qui croient que l’univers n’est fait que pour eux, et que le malheureux doit ramper à leurs pieds. Ils verraient combien cette classe d’hommes, qu’ils insultent journellement en l’appelant prolétairei, sait apprécier les bienfaits et rendre hommage à la vertu. Ah ! si quelquefois, dérobant un instant à leurs plaisirs, à leurs calculs, ils venaient en ces lieux contempler ces tombeaux où tout orgueil se brise, où toute position sociale s’anéantit, où les honneurs et les dignités ne sont plus, ils réfléchiraient sans doute sur la vie humaine ; leur ame endurcie par la soif de l’or s’ouvrirait à la raison, à la pitié, à la justice, ils reconnaîtraient que tous les hommes sont frères et pétris du même limon.

Celui dont nous honorons la mémoire, malgré sa grande fortune, savait apprécier les hommes, il les considérait comme tous égaux ; le malheur seul était près de lui un titre spécial de recommandation.

Si quelque chose peut suspendre nos regrets, c’est l’idée consolante que nous nous reverrons un jour dans l’éternité. »

Notes ( COMMEMORATION FUNÉRAIRE)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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