[1.1]Tambours, du convoi de nos frères !
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Passerez-vous inaperçues et veuves de tout souvenir, déplorables journées que novembre ramène ? Serai-je seul à célébrer votre anniversaire funèbre ?… J’écoute et n’entends pas les hymnes religieux qui vous furent promis ! Où donc sont les prêtres… ? où est la cassolette ? Ma voix profane s’élèvera seule libre de toute crainte.
Lyon ! ô ma patrie ! couvre-toi d’un crêpe funéraire… plusieurs de tes enfans, en ces jours néfastes, sont morts… Garde-toi de les maudire… Les fureurs parricides de Catilina, l’ambition de César ne leur mirent point les armes à la main… Ce ne fut pas non plus le stupide dévouement aux droits incertains d’une royauté morte qui leur fit quitter une vie paisible et les provoqua sur un champ de bataille. La faim horrible, la misère digne de pitié furent les hérauts d’armes… O Lyon ! tes fils malheureux, mais toujours citoyens, n’élevèrent point, dans leur détresse, le drapeau de la révolte jadis sans tache, ni cet étendard tricolore, noble reste des beaux jours de la France républicaine ; étendard glorieux qui, des neiges du Mont-Saint-Bernard, alla réfléchir le soleil d’Orient dans la brûlante Égypte ; glorieux encore, lorsque mouillé des pleurs de la liberté trahie, il alla, protégé par l’aigle impériale, promener ses caprices meurtriers de capitale en capitale. Ils savaient, ces ouvriers citoyens, qu’on ne peut le déployer sans crime que sur la frontière, en face de l’étranger. Ils n’arborèrent pas non plus le drapeau rouge de la guerre civile, oriflamme de sang, signal de vengeance et de proscription, mais un drapeau noir !… Emblême lugubre et sacré, tu fus leur [1.2]seul guidon. Une courte inscription te servait de devise :
Vivre en travaillant ou mourir en combattant !
Dormez en paix, victimes de novembre ! Que la terre vous soit légère !… votre sang a fécondé le sol où doit croître l’arbre de l’émancipation des prolétaires… Une auréole de gloire ne ceindra pas vos tombeaux inconnus… Ah ! vous n’eussiez pas voulu d’une gloire souillée du sang de vos concitoyens… Votre mémoire cependant ne sera pas oubliée dans l’histoire du prolétariat… L’avenir est dévoilé !… je vous l’annonce… vos neveux auront cessé d’être les ilotes de la civilisation ; alors ils vous consacreront un cénotaphe simple et beau comme votre vie… Les arts l’embelliront. Le David de ce temps-la suspendra, à la voûte du temple, un tableau mémoratif ; et son génie franchissant les siècles écoulés, sur la toile docile à son pinceau, retracera, avec leurs attributs divers, vos trois journées. La première a pour type la misère ; la seconde est voilée ; les palmes du triomphe, l’olivier pacifique distinguent la troisième. Un autre Lebrun vous consacrera ses chants lyriques.
Salut ! salut à vos mânes !!!
Dormez en paix, victimes de novembre !