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16 décembre 1832 - Numéro 60
 
 

 



 
 
    
 COLONIE SOCIÉTAIRE.1

Pendant que le gouvernement, sortant d’une longue et coupable apathie, nomme une commission pour aviser aux moyens d’établir, en France, des colonies agricoles destinées à améliorer le sort du peuple, de simples particuliers mettent la main à l’œuvre d’une manière aussi hardie que neuve. D’un côté, les saints simoniens viennent, à pied, comme de pauvres prolétaires, pour travailler [6.2]avec nos artisans, et commencer, par leur exemple, l’émancipation des travailleurs. Sublime apostolat auquel nous applaudirions de tout notre coeur, si des idées mystiques ne venaient, mal-à-propos, s’y joindre ; si… Mais ce n’est pas la notre sujet. Tant pis pour eux…  Le monde profite des erreurs de tout le monde. C’est un enfant insouciant et courageux qui marche dans les ténèbres comme en plein jour. D’un autre côté, Ch. Fourrier, ce philosophe inconnu de 1808, a pris un essor tel, qu’il laisse derrière lui ses rivaux Owen et Saint-Simon. Il commence le grand œuvre promis par le phalanstère (Voyez l’Echo n° 44). Honneur à lui, qui ne craint pas de recevoir le démenti de ses théories ! Honneur à ceux qui se sont associés au philosophe pour régénérer, non plus d’une manière spéculative, mais matériellement, la classe souffrante des prolétaires.

M. Baudet-Dulary2, député de Seine-et-Oise, et M. Devay, agronome, élève de M. Mathieu Dombasle, propriétaires de 500 hectares (quinze cents journaux), à Condé-sur-Yesgres, près Houdan, à quinze lieues de Paris, viennent de former, sous le nom de colonie sociétaire, une société anonyme pour établir, sur ce terrain, une exploitation agricole, manufacturière et commerciale, suivant les principes de M. Charles Fourrier.

La colonie sociétaire publiera un recueil périodique, sous le titre de la Réforme industrielle, lequel rendra compte de cet intéressant établissement. Puisse-t-il prospérer ! Le nom de M. Fourrier sera grand parmi les hommes.

Marius Ch.....g.

Notes ( COLONIE SOCIÉTAIRE.)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing, d’après la table de L’Écho de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Baudet-Dulary venait d’acheter, avec les frères Devay, un ensemble de terrains d’environ 500 ha de superficie sur le territoire de Condé. Une société en commandite allait être créée le 31 mai 1833 et sa gérance confiée à Baudet-Dulary. Suivant les statuts de l’entreprise, la société devait disposer de 900 000 francs correspondant aux bâtiments, terrains, bestiaux, et de 300 000 francs d’actions réservées. La colonie devait démarrer avec l’embauche de cent-cinquante ouvriers pour atteindre, au final, six cents ouvriers. En réalité, le capital reçu fut bien inférieur aux espérances et compromit les chances de construction du phalanstère. Dans l’hiver 1833-1834, les travailleurs installés sur le domaine se dispersèrent et les apporteurs du capital foncier reprirent leurs terres. L’insuffisance de capitaux, l’inexpérience dans le domaine de la gestion, un niveau de dépenses élevées et non prévues précipitèrent l’échec de cette expérience fouriériste. Voir à ce propos l’ouvrage d’Henri Desroche, La société festive, du fouriérisme écrit aux fouriérismes pratiqués, Paris, Le Seuil, 1975, p. 220-236 ; et celui de Jonathan Beecher, Fourier. Le visionnaire et son monde [trad. de l'américain par Hélène Perrin et Pierre-Yves Pétillon], Paris, Fayard, 1993, 626 pages.

 

 

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