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30 décembre 1832 - Numéro 62
 
 

 



 
 
    
 De l’élection prochaine des prud’hommes.1

Si nous sommes partisans de l’élection, c’est quelle est un moyen naturel de réparer les erreurs commises, de récompenser les services rendus. Vous allez en faire l’expérience tout à l’heure, citoyens, auxquels l’Echo s’adresse.

Par suite du roulement annuel, deux prud’hommes fabricans, MM. Falconnet et Sordet ; trois prud’hommes négocians, MM. Brisson, Reverchon et Riboud, sont soumis à une nouvelle élection ; trois autres ont donné leur démission, MM. Bonnet, Favier et Vuldy, et doivent être remplacés.

Chefs d’atelier : Nous n’aurons pas la prétention de vouloir influencer votre choix, mais nous devons vous dire que ne pas continuer leur mandat à MM. Falconnet et Sordet, dans l’état de nos mœurs, serait leur imprimer un stigmate de désaprobation que des candidats nouveaux, quoique repoussés, n’ont pas à craindre. En déposant votre vote dans l’urne du scrutin, vous pèserez soigneusement cette conséquence grave pour des hommes honnêtes.

Soit que vous confirmiez à MM. Falconnet et Sordet le mandat que vous leur donnâtes il y a un an et dont ils sont solidaires avec leurs collégues restans, soit que d’autres citoyens soient appelés par vous à leur succéder, vous n’oublierez pas de lier les uns et les autres de nouveau par une profession de foi explicite. Un homme public ne doit pas reculer devant la nécessité de se mettre en scène : tant pis pour ceux qui voudront [1.2]trouver du ridicule à ce spectacle auquel il faudra bien nous accoutumer dans un temps plus ou moins prochain ; tant pis pour ceux aussi qui croiraient qu’on flétrit un citoyen en lui donnant le nom de tribun. Ce nom est l’un des plus beaux que l’histoire ancienne et moderne nous ait légué.

Si, retrempés par le baptême d’une élection nouvelle, vos anciens prud’hommes viennent reprendre leur place au conseil, vous aurez le droit de leur demander en retour de cette marque honorable de confiance, qu’ils suivent vos inspirations sans regarder en arrière et qu’enfin ils exigent ce qu’on promit un jour pour l’oublier le lendemain.

Vous avez besoin d’une jurisprudence fixe, d’améliorations nombreuses, vous en ferez la condition sine qua non de vos votes.

Mais si de nouveaux défenseurs se présentent et que vous vouliez éprouver leur courage, non encore révélé, vous leur ferez sentir la responsabilité immense qu’ils assument sur leur tête, vous leur direz : En demandant à succéder à des hommes connus, irréprochables, vous prenez l’engagement de faire plus tôt et mieux qu’eux.

Quant à vous, négocians, rassemblés aussi pour élire vos représentans, écoutez sans colère une voix, si non amie (vous ne le croiriez pas), du moins impartiale. Les circonstances nous autorisent à vous adresser quelques avis.

Le mal qui ronge la société est grand. Vous ne l’avez pas sondé, c’est pourquoi vous le niez ; cependant il dépend de vous, non de le guérir (ce n’est pas en votre pouvoir), mais d’adoucir la crise qui se prépare. La société grosse d’un monde nouveau a besoin d’une main amie qui lui aide, et elle est livrée à des hommes sans entrailles, armés d’un forceps barbare.

Négocians, portez dans vos choix un esprit de conciliation ; il vous faut des hommes sages et non des guerriers. Ne l’oubliez pas, toute lutte tournerait à votre détriment ; c’est à vous de présenter l’olivier de la paix, il sera accueilli ; des noms trop significatifs seraient un commencement d’hostilités : la guerre appelle la guerre. La classe des ouvriers a besoin d’une amélioration dans son sort, elle souffre au moral comme au physique. Envoyez de prudens arbitres pour traiter ces grands intérêts. Le sort futur de votre commerce en [2.1]dépend. Gardez-vous d’envoyer des hommes imbus de préjugés aristocratiques, repoussans par une morgue insultante, hideux par un égoïsme brutal, insipides par un entêtement ridicule. Surtout point de ces hommes faux, cachant sous une apparente popularité leur soif insatiable d’honneurs et de priviléges. Vous comprenez, sans doute, tout ce que nous vous disons et tout ce que les convenances nous empêchent de vous dire.

Puisse l’amour-propre, ce tyran des âmes faibles, ne pas vous détourner de suivre la pensée généreuse qui a jailli tout à l’heure dans vos cœurs et que j’ai surprise à votre insu ! Vous êtes citoyens et français !

Notes ( De l’élection prochaine des prud’hommes.)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing, d’après la table de L’Écho de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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