Retour à l'accueil
6 janvier 1833 - Numéro 1
 
 

 



 
 
    
 Résumé
de l’état de l’industrie lyonnaise en 1832.

L’année qui vient de s’écouler est au nombre de celles où notre industrie, continuellement languissante, n’a fait qu’aggraver le sort, déjà si précaire, de nos nombreux ouvriers. Son commencement, triste comme la fin du drame sanglant qui venait d’avoir lieu, n’avait laissé qu’incertitude et défiance dans tous les esprits. Toutefois cet état d’irritation sembla se calmer un instant. Paris, ce grand consommateur, sembla renaître aussi ; il avait besoin de nouveautés pour la belle saison, l’Angleterre nous demanda des étoffes, l’on entrevit dès lors un crépuscule d’espérance qui nous promettait un meilleur avenir, chacun crut voir un terme à ses maux. Mais à peine le commerce et nos ateliers commençaient-ils à reprendre quelque activité, que l’apparition subite du choléra, qui moissonnait dans la capitale et dans plusieurs départemens, porta également au commerce de notre cité un coup terrible. Les demandes furent contremandées, et la vente des nouveautés brusquement interrompue. Cette suspension inattendue dans la vente de nos étoffes causa des pertes à quelques fabricans, mais de combien elle rejeta loin cet avenir meilleur, seule espérance des travailleurs, lorsqu’ils se virent de nouveau sans ouvrage. En proie à tant de calamités, nos ouvriers ne parurent point redouter le fléau pour eux-mêmes ils le désiraient peut-être comme un terme à leurs souffrances. L’on peut dire que Lyon aussi a eu son choléra, car on y périssait d’ennui et de privations. Cet état se prolongea jusqu’en juillet.

Le mois d’août fut moins triste que les précédens, le commerce reprit quelqu’activité, quelques articles eurent un écoulement suivi jusqu’en novembre, principalement les peluches et les velours de divers genres, et les schals, articles qui sont encore les seuls dont la fabrication se soit soutenue jusqu’à ce moment ; les gilets et autres étoffes façonnées, n’obtinrent vente qu’à l’aide de la diversité des desseins et par de nouvelles créations. La plupart de ces articles trop variés et sans suite, occasionnant aux chefs d’ateliers des cessations et des dépenses continuelles, ne leur ont point produit de bénéfices réels. Et quoique les ouvriers aient travaillé pendant environ quatre mois, les prix de la main d’œuvre ne se sont pas élevés, ils ont même été diminués dans plusieurs articles. Le sort des ouvriers est resté le même, que précédemment, et chez le plus grand nombre il est devenu plus triste. Le nombre toujours croissant des ouvriers qui [3.2]s’adressent à la caisse de prêt, malgré leur répugnance à y avoir recours, prouve suffisamment le dénuement dans lequel se trouvent les chefs d’ateliers.

La caisse de prêt a prêté pendant environ un mois, par petites sommes de 50 à 200 fr., près de 30 mille fr. Ce fait seul peut faire juger des besoins de la classe la plus nombreuse de notre ville et apprécier le malaise qui semble se perpétuer, et finira par se répandre dans toutes les classes de la société en relation avec les ouvriers, car leur misère s’est accrue pendant ce dernier mois de l’année où les besoins sont si grands. Beaucoup sont encore privés de feu et de vêtemens suffisans pendant la saison rigoureuse que nous traversons.

Nous avons donc été étonnés de voir dans le rapport de M. d’Argout à la chambre des Députés, sur le commerce et l’industrie française, que notre Ville était dans un état prospère. « Vingt-quatre mille métiers sont occupés, tous les bons ouvriers travaillent. » Nous sommes fondés à croire que M. le Ministre a été induit en erreur, ces renseignemens lui auront sans doute été fournis par M. Fulchiron ou par le courrier de Lyon. Si cela est, devons-nous nous en applaudir ? Quoi, notre cité, (tous les ouvriers étant occupés), on ne compterait plus que vingt quatre mille métiers, naguère, on en portait le nombre à trente-six mille, quelques auteurs dans leurs statistiques l’ont fait monter jusqu’à quatre-vingt mille. Notre fabrique serait donc déjà dépeuplée d’un tiers de ses métiers et de ses ouvriers, et le nombre diminue encore tous les jours. Si cela est ce simple énoncé n’est-il pas la réponse la plus vraie que l’on puisse faire à ceux qui dans un intérêt politique quelconque vantent la prospérité de la fabrique lyonnaise ? ne prouve-t-il pas que son activité est toujours déclinante.

M. le Ministre du commerce, dans son rapport, semble ignorer la triste situation de nos ouvriers, et que de leur sort dépend celui de notre villei ou s’il ne l’ignore pas, pourquoi le cache-t-il ?

(La suite au prochain n°)

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique