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13 janvier 1833 - Numéro 2
 
 

 



 
 
    
 

Résumé
de l’état de l’industrie lyonnaise en 1832.
(Suite et fin.)

S’il est difficile de préciser le nombre des métiers occupés et de ceux inoccupés, il est suffisamment prouvé qu’à aucune époque de paix et de travail, la masse des ouvriers ne s’est vue aussi malheureuse, jamais le salaire [3.1]ne fut aussi mince, et la spéculation du fabricant portée si loin, jusque sur une tirelle de la valeur de 50 c. par pièce. Les négocians, en faisant ainsi des réductions dans le prix de la main-d’œuvre et en changeant les usages de la fabrique au détriment de l’ouvrier, ne sauraient transmettre à la chambre de commerce et au gouvernement des notions sur la prospérité du commerce ; autrement ils seraient dans la contradiction la plus étrange, et que l’on ne saurait comment qualifier.

Nous terminons notre résumé par un fait qui pourra éclairer les hautes intelligences qui président à nos destinées. Dans l’ancien temps, et même sous l’empire, lorsque nos ouvriers fabriquaient des étoffes riches, devant servir au luxe des palais de nos souverains, ou à celui des cours étrangères, ils avaient du bénéfice, on les citait comme les plus heureux d’entre leurs confrères. Aujourd’hui, par suite du système égoïste et ruineux de la concurrence, les ouvriers qui ont disposé leurs métiers pour la fabrication de riches étoffes pour meubles, même ceux qui ont tissé celles devant servir à l’embellissement des Tuileries, etc., se trouvent (prélèvement fait des dépenses qu’ils ont été obligés de faire), en perte, attendu les réductions faites sur leur main d’œuvre, et que la misère et la crainte de se brouiller avec un fabricant les forcent à supporter. Que dirait dans son rapport, M. le ministre, s’il avait connaissance d’un pareil résultat des commandes royales ? Je crois qu’il ne pourrait concevoir une pareille organisation, une pareille dépendance de l’ouvrier ; comprendrait-il ce besoin qui le fait continuellement rechercher de l’ouvrage sans calculer ses bénéfices, soutenu seulement par l’espoir d’un travail plus fructueux que le précédent, il ne pourrait concevoir surtout comment l’ouvrier se résigne à supporter patiemment un tel état de choses.

Tant qu’on ne changera pas de système, et qu’au lieu de rechercher par tous les moyens de concurrence le bon marché, on ne cherchera pas à faire vivre l’ouvrier en travaillant ; tant qu’une main forte et protectrice de notre industrie ne la fera pas sortir de l’ornière profonde dans laquelle elle est embourbée, la seconde ville du royaume sera une des plus misérables. Les ouvriers de Lyon, laborieux et intelligens, travaillent plus d’heures que dans aucune ville du monde, et leurs salaires, sont moins élevés que dans aucune grande ville de France. Les locations, les denrées de première nécessité y sont plus chères, même que dans la capitale.

Enfin, nous ne déguiserons point que depuis quelques jours nos fabricans ont reçu des commissions de Paris et de l’Amérique, que quelques ateliers commencent à se remonter, mais ces commandes sont encore loin de pouvoir occuper tous les métiers vacans, et de pouvoir imprimer à notre industrie une activité que l’on puisse hardiment qualifier de prospérité. Nous croyons pourtant que l’année 1833 ne saurait être aussi désastreuse que celle que nous venons de passer ; car, pour qu’il y ait prospérité, il faut que tous les ouvriers soient continuellement occupés et que la main-d’œuvre subisse une augmentation dans tous les articles, et il faudrait encore que cet état de choses se prolongeât long-temps pour rendre à notre population le bien-être physique et moral auquel elle a droit. Alors seulement il y aura prospérité, et le ministère pourra citer cet état sans crainte d’être contredit. Le gouvernement, quel qu’il soit, qui rendra à notre ville le bonheur qui [3.2]semble avoir fui de nos murs depuis quelques années, aura comblé les vœux de notre population, qui ne demande qu’à vivre honnêtement du fruit de son travail.

F........t1.

Notes (  Résumé de l’état de l’industrie...)
1 F……..T est la signature de Joachim Falconnet.

 

 

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