Retour à l'accueil
13 janvier 1833 - Numéro 2
 
 

 



 
 
    
 NOTICES DE JURISPRUDENCE1

du conseil des prud’hommes de lyon,

Du 4 octobre 1832 au 31 décembre suivant.

[4.1]La jurisprudence, ainsi que nous l’avons expliqué dans le n° 57 de l’Echo, se forme par les arrêts ou décisions des tribunaux. Nous avons donc cru devoir recueillir les divers jugemens rendus par le conseil des prud’hommes, afin que les justiciables puissent y avoir recours au besoin et les invoquer comme des précédens. Cela suppléera en quelque sorte au défaut d’une jurisprudence fixe que nous eussions désirée, que nous ne cesserons de réclamer, et qu’il était du devoir des prud’hommes d’établir.

Nous n’avons pu commencer ce travail qu’à partir de la séance du conseil du 4 octobre dernier, attendu que jusque là on avait omis de rédiger le compte-rendu suivant les formes judiciaires, dont la principale consiste à faire précéder le jugement de la question de droit à résoudre.

Nous avons donné un numéro d’ordre à ces différentes décisions, afin lorsqu’elles seront devenues plus nombreuses, de faciliter les recherches. Nous avons pensé qu’il était convenable de diviser dès à présent ces notices en quatre classes ; à cet effet, au lieu de suivre l’ordre chronologique qui nous eût été certes bien plus commode, nous les avons distribuées en quatre séries. La première série est relative aux rapports du chef d’atelier avec le négociant, la seconde à ceux du chef d’atelier avec son ouvrier ou compagnon ; la troisième comprend tout ce qui est relatif aux obligations réciproques du maître et de l’élève ou apprenti ; la dernière série est réservée aux décisions qui intéressent le chef d’atelier dans ses relations avec diverses personnes.

Nous parviendrons ainsi à donner un code des prud’hommes. On doit sentir l’importance d’un pareil travail entrepris dans l’intérêt de la classe nombreuse des justiciables auxquels l’Echo s’adresse plus spécialement.

Si ce labeur préliminaire est accueilli, nous publierons un appendice tous les semestres.

Dans le nombre de ces notices on ne trouvera pas celle relative à la prescription d’un mois, dans l’affaire Naud contre Bender à notre avis, il n’y a pas jugement vu la conduite scandaleuse de M. Goujon, président, envers Me Augier, avocat du sieur Naud, ouvrier auquel il a refusé la parole après avoir lu au conseil, dans la salle de ses délibérations, la consulte de l’avocat de la partie adverse, M. Bender, négociant.

lre Série.
Des chefs d’atelier dans leur rapport avec les négocians.

N° 1. Le déchet des matières laine, coton et bourre de scie, est-il de 45 grammes par kilogr. ? – Oui.
(Mulcras contre Montperlier et Dubois, 11 octobre 1832. Voir l’Echo, n° 51.)

N° 2. Un négociant a-t-il le droit de fixer le déchet des matières laine et coton, au-dessous de 45 grammes par kilogr., lors même qu’il a écrit en tête du livre du maître, convenu et d’accord à 30 gr. par kilogr. ? – Non, le déchet des matières laine et coton ne peut être fixé au-dessous de 45 gr.
(Garcin contre Berger, 27 novembre 1832. Voir l’Echo, n° 58.)

N° 3. Les tirelles sont-elles dues sur l’article marabou ?– Non.
(Fabre contre Oyex et Montgrenier, 13 novembre 1832. Voir l’Echo, n° 56.)

N°4. Le négociant doit-il une indemnité au chef d’atelier, lorsque ce dernier, ayant reçu une disposition, en commence l’execution et [4.2]qu’ensuite cette disposition lui est retirée ? – Oui, une indemnité est due toutes les fois que la chose commandée a eu un commencement d’exécution et a occasionné une perte de temps.
(Déal contre Lupin, 27 novembre 1832. Voir l’Echo, n° 58.)

N° 5. Un fabricant qui fait perdre plusieurs jours a un chef d’atelier, soit en lui faisant attendre de l’ouvrage, soit en négligeant de se rendre aux invitations de ce dernier à comparaître devant le conseil, doit-il un défraiement ? – Oui, le fabricant est responsable du temps qu’il fait perdre par sa négligence.
(Combet contre Burel et Beroujon, décembre 1832. Voir l’Echo, n° 59.)

N° 6. Le conseil des Prud’hommes est-il compétent pour juger les différends qui s’élèvent entre un fabricant et un chef d’atelier, lorsqu’il s’agit de transactions, de ventes par suite de la reprise des objets vendus ?– Non.
(Pijol contre Ginet, 18 octobre 1832. Voir l’Echo, n° 52.)

N° 7. Un fabricant qui fait l’avance d’une somme à un maître ouvrier, a-t-il le droit de lui retenir cette somme entière à la fin de sa pièce, munie dans le cas où le maître refuse de continuer de travailler pour lui ? – Non, le fabricant ne peut retenir que le huitième.
(Jacquet contre Paul, 11 octobre 1803. Voir l’Echo, n° 51.)

2Série.
Des chefs d’atelier dans leurs rapports avec les ouvriers ou compagnons.

N° 1. Le conseil est-il compétent pour autoriser un fabricant à payer à un ouvrier les prix des façons à lui dues par le chef d’atelier chez lequel il travaillait et qui vient de décéder ? – Non.
(Michaud contre Berliat-Sarrasin et succession de Deschamp, 11 octobre 1832. Voir l’Echo, n° 51.)

N° 2. Un ouvrier compagnon peut-il réclamer au maître qui l’occupe un prix plus élevé que celui payé par le fabricant à ce dernier, surtout si le prix du fabricant est au-dessous du cours fixé par la mercuriale ? – Oui, le maître ayant recours contre le fabricant en augmentation de prix de façons.
(Biespre contre Panisset, 4 octobre 1832. Voir l’Echo, n° 50.)

N° 3. Un ouvrier compagnon peut-il réclamer un solde de compte à son maître, après cinq mois qu’il est sorti de son atelier, sans avoir exigé de lui une reconnaissance de la somme qui lui est due ? – Oui, il ne peut y avoir prescription, l’ouvrier est toujours à temps de réclamer lorsqu’il lui est dû, et que le maître ne peut constater par des livres en règle qu’il a soldé.
(Argeron contre Boissieux, 11 octobre 1832. Voir l’Echo, n° 51.)

N° 4. Un ouvrier compagnon qui a attendu plusieurs jours que sa pièce fût montée, et qui, lorsqu’il est prêt à travailler, est averti par le maître que, sur la nouvelle pièce, il lui sera fait un rabais de 5 centimes par aune, est-il en droit d’exiger le prix précédent ou une indemnité pour son temps perdu ? – Oui, le maître doit payer le même prix qu’à la pièce précédente, ou une indemnité en raison des jours de travail perdus, faute par lui d’avoir averti en temps utile, c’est-à-dire avant le montage de la pièce nouvelle.
(Néel contre Sprecher, 18 octobre 1832. Voir l’Echo, n° 52.)

N° 5. Lorsqu’un maître a promis à un ouvrier un salaire mensuel, à raison d’un prix convenu et d’une quinzaine d’essai, peut-il, après cette quinzaine, sous le prétexte que cet ouvrier n’est pas assez habile, lui diminuer le salaire promis ? – Non, le salaire réciproquement convenu doit être payé.
(Retouret contre Girard, 8 novembre 1832. Voir l’Echo, n° 55.)

N° 6. L’ouvrier qui quitte l’atelier de son maître sans avertir, est-il tenu à une indemnité ? – Oui.
(Jacob contre Vaormelingen, 15 novembre 1833. Voir l’Echo, n° 56.)

N° 7. Un chef d’atelier qui occupe un ouvrier à journée, peut-il, d’après la date d’entrée de l’ouvrier dans l’atelier, portée sur sa main courante, refuser à ce dernier les journées qu’il réclame, d’une date antérieure à la sienne ? – Non, le livre du maître ne peut faire règle qu’autant qu’il n’y a point de preuves contraires.
(Renal contre Pothier, décembre 1832. Voir l’Echo, n° 59.)

N° 8. Lorsqu’un chef d’atelier promet de payer les deux tiers de la façon qu’il reçoit du négociant à son ouvrier compagnon, mais déclare à ce dernier un prix au-dessous de celui qui lui est réellement payé, l’ouvrier compagnon a-t-il le droit de réclamer le prix payé par le fabricant ? – Oui.
(Fabre contre demoiselle Ginot, 20 décembre 1832. Voir l’Echo, n° 61.)

N° 9. Lorsqu’un maître a réduit la somme qui lui est due par une nouvelle inscription sur le livret de l’ouvrier, peut-il être admis à réclamer contre la diminution qu’il a librement consentie ? – Non.
(Masson contre Algond, 27 décembre 1832. Voir l’Echo, n° 62.)

[5.1]3e série.
Des chefs d’atelier dans leur rapport avec les élèves ou apprentis.

N° 1. Lorsqu’un élève a terminé son apprentissage, et que pendant sa durée il s’est arriéré, peut-il être admis à réclamer contre une tâche trop élevée ? – Non.
(Masson contre Algond, 27 décembre 1832. V. l’Echo, n° 62.)

N° 2. Un maître a-t-il le droit de fixer à son élève une tache plus élevée que celle d’usage ? – Non.
(Masson contre Algond, 27 décembre 1832. V. l’Echo, n° 62.)

N° 3. Lorsqu’un apprenti soustrait des matières appartenant à son maître, ce dernier a-t-il, en renvoyant son élève, le droit d’exiger, non-seulement le prix de son apprentissage, mais encore l’indemnité stipulée pour le cas où l’élève n’achèverait pas le temps fixé pour son apprentissage ? – Oui, dans ce cas, le maître, en renvoyant son élève, a le droit d’exiger toutes les sommes qui lui sont dues à divers titres par les conventions.
(Bérenger contre … 21 octobre 1832. Voir l’Echo, n° 54.)

N° 4. Un maître dont l’élève est sorti de son atelier sans avoir terminé son apprentissage, et dont les conventions portent une indemnité payable dans le cas où elles ne seraient pas remplies, peut-il, lorsqu’il a obtenu un jugement par défaut contre ce même apprenti, prendre en contravention le maître qui l’a reçu, soit qu’il 1’occupe comme apprenti, soit comme ouvrier à gage dans un état quelconque ? – Oui, le contrevenant ayant son recours contre le répondant.
(Larouy contre Boyrivent, octobre 1832. Voir l’Echo, n° 50.)

4série.
Des chefs d’atelier dans leur rapport avec diverses personnes.

N° 1. Un propriétaire ou tous autres qui seraient créanciers d’un chef d’atelier, ont-ils le droit, lors même que du consentement réciproque des parties, la dette aurait été inscrite sur le livret de ce dernier, de forcer le fabricant, détenteur du livret, à retenir le huitième sur les façons du débiteur lorsqu’il s’y refuse et dénie au fabricant le droit de lui faire aucune retenue pour solder ses dettes, autres que celles résultant d’avances faites par un fabricant ? – Non, aucune somme ne pouvant être inscrite sur le livret que celle des fabricans. (Loi du l8 mars 1806.)
(Carteron contre T…., 4 octobre 1832. Voir l’Echo, n° 50.)

N° 2. Lorsqu’un chef d’atelier, après avoir acheté un métier complet, et dont la bonne qualité des agrès et ustensiles lui a été garantie dans l’acte de vente, est obligé de remplacer un des ustensiles qui se trouve en mauvais état, peut-il, lors même qu’il a soldé son vendeur, réclamer une indemnité pour la perte qu’il éprouve ? – Oui, l’acheteur a toujours recours contre le vendeur, lorsqu’il est constant que ce dernier n’a pas rempli les conditions de la vente.
(Paraton contre Esterre, 18 octobre 1832. Voir l’Echo,  52.)

N° 3. Un chef d’atelier peut-il se refuser au paiement des sommes qu’il doit à une devideuse, sous le prétexte que cette dernière l’a trompé en imbibant les soies de matières grasses, capables d’altérer le brillant des étoffes, à raison de quoi il avance avoir subi une diminution de la part du négociant ? – Non, le maître ne peut pas se refuser au paiement de sa devideuse sur des allégations non justifiées.
(Dame Mounier contre Verrier, 25 octobre 1832. Voir l’Echo, n° 53.)

N° 4. Un manufacturier qui fait venir un ouvrier pour travailler dans ses ateliers, a-t-il le droit, lorsque ce dernier ne reste que peu de temps chez lui, de se faire rembourser la somme qu’il a dépensée pour son voyage ? – Oui, le maître a droit au remboursement des frais de voyage, lorsque l’ouvrier n’a pas travaillé assez long-temps dans son atelier pour l’indemniser.
(Rodet contre Michel, 31 octobre 1832. Voir l’Echo, n° 54.

Notes ( NOTICES DE JURISPRUDENCE)
1 Cette nouvelle rubrique répondait en partie aux vœux d’une jurisprudence « fixe » réclamée par les canuts mais qui se heurtait à l’opposition des négociants et des principales autorités de la ville ; pour la fixer, il fallait, en premier lieu, qu’elle soit rédigée dans le respect de certaines normes judiciaires. C’est ce qui sera fait dans L’Écho de la Fabrique, de trimestre en trimestre, au cours de l’année 1833. Dans cette première « notice de jurisprudence », les rédacteurs de l’Echo synthétisent les décisions prises dans les principales affaires parues à la rubrique « Conseil des Prud’hommes » depuis le numéro 50 jusqu’au numéro 62.

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique