Retour à l'accueil
20 janvier 1833 - Numéro 3
 
 

 



 
 
    
 Considérations sur la non-réélection

de m. falconnet.

Nous n’aimons pas les questions de personnes, mais lorsqu’elles se présentent nous les traitons avec franchise. Ainsi, à propos de la non réélection de M. Falconnet et de son remplacement par M. Dumas, nous avons le droit de dire, sans que ce dernier en soit offensé, que nous aurions préféré M. Falconnet ; cette préférence s’explique, nos affections nous portaient vers lui ; nous sommes convaincus d’ailleurs qu’il n’a pas individuellement mérité cette espèce de réprobation, et pour tout dire nous croyons qu’on n’a pas assez apprécié [2.1]ni récompensé ses services. Les torts qu’il a pu avoir comme prud’homme, il les partage avec ses collègues : nous nous sommes trop expliqués là dessus pour avoir besoin d’y revenir. La question d’ailleurs est grave et irritante. De bons citoyens ont pu la comprendre différemment que nous ; nous nous abstiendrons d’en dire davantage.

D’un autre coté, selon nos principes, la non-réélection d’un fonctionnaire est peut-être plutôt un bien qu’un mal. Elle prouve à ceux qui auraient la fatuité de se croire nécessaires, qu’aucun homme ne saurait l’être dans l’état actuel de notre civilisation ; elle empêche que l’élection soit un jeu au profit de la vanité d’un homme quel qu’il soit, elle donne à tous espoir d’un accès plus ou moins éloigné aux fonctions publiques, et de cette manière toutes les capacités sont accueillies, toutes les ambitions légitimes ont une issue. Ainsi peut-être en ne pas nommant M. Falconnet, ses collègues n’ont-ils voulu que faire acte d’omnipotence. En ce cas nous les en féliciterions dans l’intérêt de la liberté ; car nous ne sommes pas de ceux qui désirent que les places soient inféodées à quelques-uns. L’ostracisme des Athéniens n’avait d’autre but que de prouver le pouvoir de la volonté populaire. On se souvient aussi de cette belle parole du Spartiate Pedarète qui se félicitait, au sortir d’une assemblée où il n’avait pu être élu, que sa patrie renfermât trois cents citoyens plus dignes que lui. Soumis à une épreuve semblable, M. Falconnet a dû se rappeler la gloire dont ce Grec se couvrit à cette occasion ; mais plus heureux il ne s’est vu préféré qu’un seul citoyen, et il a pu attribuer aux chances du scrutin et de la négligence de ses amis, sa défaite électorale.

Nous terminerions ici notre article si nous ne croyions devoir considérer sous un autre aspect cette non réélection.

A tort ou à raison, M. Falconnet a été considéré comme devant être le chef de ses collègues ; on lui a attribué une influence que peut-être il n’avait pas. – Ce serait, nous a-t-on dit, sous ce rapport, qu’on a voulu par sa non réélection témoigner de la défaveur dans laquelle les prud’hommes sont tombés envers leurs commettans. Personne n’accuse leur moralité ou leur zèle, mais on les blâme d’avoir faibli de prime abord, et d’avoir cru obtenir des améliorations par les voies de la conciliation ; en un mot, d’avoir été à cet égard le jouet des négocians. On aurait voulu que, sans s’inquiéter du résultat, ils eussent exigé la libre défense et l’établissement d’une jurisprudence fixe, et encore une mercuriale satisfaisante portant avec elle une sanction pénale contre les contrevenans ; en telle sorte que le prix des façons payé au dessous de la mercuriale, le refus des tirelles, laçage de cartons, etc., eussent été considérés par les prud’hommes comme des contraventions du même genre que celles qu’ils sont chaque jour appelées à constater, et que ces contraventions eussent été punies de la même manière. Un tel état de choses, s’il était possible, produirait l’avantage que l’ouvrier n’aurait plus la crainte de se brouiller avec son marchand ; la notoriété publique dans ce système suffirait pour motiver le transport et l’investigation des prud’hommes. On pense généralement que les prud’hommes pouvaient, en parlant haut et ferme, obtenir ce changement notable dans les rapports des marchands et des ouvriers.

Si c’est là le motif, comme nous avons quelque raison de croire, de la non réélection de M. Falconnet, les électeurs n’auront pas manqué d’imposer leur volonté à son successeur, M. Dumas. En ce cas, la mission de ce [2.2]dernier est immense ; il a dû en mesurer l’étendue et la charge avant de l’accepter, car il ne serait pas admis à se justifier en disant qu’on ne connaît les difficultés d’un plan de campagne que sur le terrain. Cette excuse banale n’est valable que pour les questions que la presse n’a pas soumises à la discussion publique ; mais nous n’avons eu garde (c’était notre devoir) de laisser l’opinion incertaine à ce sujet.

Nous avons dit aux concurrens de MM. Falconnet et Sordet, ces paroles dont M. Dumas doit faire aujourd’hui son évangile : En demandant à succéder à des hommes connus irréprochables, vous prenez l’engagement de faire plutôt et mieux qu’eux.

Le succès seul pourra justifier M. Dumas, nous lui le souhaitons de bien bon cœur ; qu’il obtienne seulement la libre défense, et si le temps d’exiger un peu plus est passé, peu importera ; nous avons jeté dans notre Notice de jurisprudence du conseil des prud’hommes (voir l’Echo, n° 2) le fondement d’une jurisprudence fixe ; alors M. Dumas aura bien mérité de la classe ouvrière ; il doit compter sur nous ; qu’il mette la main à l’œuvre, nous le seconderons de tous nos efforts ; il ne voudra pas qu’on dise de lui ce qu’on a dit de tant d’autres : « Il ne valait pas la peine de changer. »

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique