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20 janvier 1833 - Numéro 3 |
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Avis. Nous prévenons nos abonnés que notre intention est de publier incessamment la table des principaux articles du journal depuis sa fondation, 30 octobre 1831 jusqu’au 30 décembre dernier. Cette table ne sera distribuée qu’à ceux qui auront renouvelé leur abonnement pour 1833. – Nous publierons à l’avenir, à la fin de chaque année une table générale des matières. Nota. Il ne nous reste que fort peu d’exemplaires du dernier n° contenant la Notice de jurisprudence du conseil des prud’hommes.
DU REFUS DE SERMENT DES CHEFS D’ATELIER.
Les chefs d’atelier de la première section de la ville de Lyon étaient, comme on sait, réunis dimanche dernier sous la présidence de M. Isaac Rémond. Déjà deux ouvriers s’étaient présentés, et soit conviction (ce qu’il ne nous appartient pas de scruter), soit timidité ou crainte de ne pouvoir voter, ils avaient prêté le serment illégal et sacrilége de fidélité au roi contre lequel nous nous sommes élevés dans notre dernier numéro, lorsque M. Berger, notre gérant, est venu déposer son vote, injonction du président de prêter serment ; réponse de M. Berger qu’il ne veut pas, et par suite refus du président de recevoir son bulletin. Mais en ce moment [1.2]l’Echo circulait dans la salle, ses doctrines étaient hautement approuvées, et une protestation allait être signée contre cette entrave apportée au droit des chefs d’atelier électeurs. Craignant sans doute l’effet de cette protestation, et voyant que personne ne s’approchait pour voter, M. le président a mis fin à la fermentation qui régnait, en déclarant qu’il allait envoyer un exprès au préfet pour lui faire part du refus des ouvriers de prêter serment, et lui demander ses ordres. Cet exprès est revenu peu après apportant l’ordre du préfet de s’abstenir de faire remplir cette formalité, et le carton sur lequel était écrit le serment a été enlevé aux applaudissemens de l’assemblée. L’élection a continué et le dépouillement du scrutin a produit le résultat dont nous rendrons compte ci-après. Nous félicitons les ouvriers de leur belle conduite en cette circonstance grave, et de l’adhésion qu’ils ont donnée par là, soit aux principes professés par les rédacteurs de l’Echo, soit à la conduite de M. Berger. Les ouvriers ont vu que l’union faisait la force, et que, sans aucune collision avec l’autorité, le peuple obtenait justice lorsqu’il le voulait. Cet enseignement ne sera pas perdu. Honneur aussi à la sagesse de M. Gasparin ! Il a prouvé en cette occasion qu’il était digne de son pèrei1 et de sa réputation politique. Le procès est jugé, il ne nous convient pas d’insister davantage.
i M. Gasparin, l’un des membres de l’immortelle convention nationale.
Considérations sur la non-réélection
de m. falconnet. Nous n’aimons pas les questions de personnes, mais lorsqu’elles se présentent nous les traitons avec franchise. Ainsi, à propos de la non réélection de M. Falconnet et de son remplacement par M. Dumas, nous avons le droit de dire, sans que ce dernier en soit offensé, que nous aurions préféré M. Falconnet ; cette préférence s’explique, nos affections nous portaient vers lui ; nous sommes convaincus d’ailleurs qu’il n’a pas individuellement mérité cette espèce de réprobation, et pour tout dire nous croyons qu’on n’a pas assez apprécié [2.1]ni récompensé ses services. Les torts qu’il a pu avoir comme prud’homme, il les partage avec ses collègues : nous nous sommes trop expliqués là dessus pour avoir besoin d’y revenir. La question d’ailleurs est grave et irritante. De bons citoyens ont pu la comprendre différemment que nous ; nous nous abstiendrons d’en dire davantage. D’un autre coté, selon nos principes, la non-réélection d’un fonctionnaire est peut-être plutôt un bien qu’un mal. Elle prouve à ceux qui auraient la fatuité de se croire nécessaires, qu’aucun homme ne saurait l’être dans l’état actuel de notre civilisation ; elle empêche que l’élection soit un jeu au profit de la vanité d’un homme quel qu’il soit, elle donne à tous espoir d’un accès plus ou moins éloigné aux fonctions publiques, et de cette manière toutes les capacités sont accueillies, toutes les ambitions légitimes ont une issue. Ainsi peut-être en ne pas nommant M. Falconnet, ses collègues n’ont-ils voulu que faire acte d’omnipotence. En ce cas nous les en féliciterions dans l’intérêt de la liberté ; car nous ne sommes pas de ceux qui désirent que les places soient inféodées à quelques-uns. L’ostracisme des Athéniens n’avait d’autre but que de prouver le pouvoir de la volonté populaire. On se souvient aussi de cette belle parole du Spartiate Pedarète qui se félicitait, au sortir d’une assemblée où il n’avait pu être élu, que sa patrie renfermât trois cents citoyens plus dignes que lui. Soumis à une épreuve semblable, M. Falconnet a dû se rappeler la gloire dont ce Grec se couvrit à cette occasion ; mais plus heureux il ne s’est vu préféré qu’un seul citoyen, et il a pu attribuer aux chances du scrutin et de la négligence de ses amis, sa défaite électorale. Nous terminerions ici notre article si nous ne croyions devoir considérer sous un autre aspect cette non réélection. A tort ou à raison, M. Falconnet a été considéré comme devant être le chef de ses collègues ; on lui a attribué une influence que peut-être il n’avait pas. – Ce serait, nous a-t-on dit, sous ce rapport, qu’on a voulu par sa non réélection témoigner de la défaveur dans laquelle les prud’hommes sont tombés envers leurs commettans. Personne n’accuse leur moralité ou leur zèle, mais on les blâme d’avoir faibli de prime abord, et d’avoir cru obtenir des améliorations par les voies de la conciliation ; en un mot, d’avoir été à cet égard le jouet des négocians. On aurait voulu que, sans s’inquiéter du résultat, ils eussent exigé la libre défense et l’établissement d’une jurisprudence fixe, et encore une mercuriale satisfaisante portant avec elle une sanction pénale contre les contrevenans ; en telle sorte que le prix des façons payé au dessous de la mercuriale, le refus des tirelles, laçage de cartons, etc., eussent été considérés par les prud’hommes comme des contraventions du même genre que celles qu’ils sont chaque jour appelées à constater, et que ces contraventions eussent été punies de la même manière. Un tel état de choses, s’il était possible, produirait l’avantage que l’ouvrier n’aurait plus la crainte de se brouiller avec son marchand ; la notoriété publique dans ce système suffirait pour motiver le transport et l’investigation des prud’hommes. On pense généralement que les prud’hommes pouvaient, en parlant haut et ferme, obtenir ce changement notable dans les rapports des marchands et des ouvriers. Si c’est là le motif, comme nous avons quelque raison de croire, de la non réélection de M. Falconnet, les électeurs n’auront pas manqué d’imposer leur volonté à son successeur, M. Dumas. En ce cas, la mission de ce [2.2]dernier est immense ; il a dû en mesurer l’étendue et la charge avant de l’accepter, car il ne serait pas admis à se justifier en disant qu’on ne connaît les difficultés d’un plan de campagne que sur le terrain. Cette excuse banale n’est valable que pour les questions que la presse n’a pas soumises à la discussion publique ; mais nous n’avons eu garde (c’était notre devoir) de laisser l’opinion incertaine à ce sujet. Nous avons dit aux concurrens de MM. Falconnet et Sordet, ces paroles dont M. Dumas doit faire aujourd’hui son évangile : En demandant à succéder à des hommes connus irréprochables, vous prenez l’engagement de faire plutôt et mieux qu’eux. Le succès seul pourra justifier M. Dumas, nous lui le souhaitons de bien bon cœur ; qu’il obtienne seulement la libre défense, et si le temps d’exiger un peu plus est passé, peu importera ; nous avons jeté dans notre Notice de jurisprudence du conseil des prud’hommes (voir l’Echo, n° 2) le fondement d’une jurisprudence fixe ; alors M. Dumas aura bien mérité de la classe ouvrière ; il doit compter sur nous ; qu’il mette la main à l’œuvre, nous le seconderons de tous nos efforts ; il ne voudra pas qu’on dise de lui ce qu’on a dit de tant d’autres : « Il ne valait pas la peine de changer. »
SUR L’ÉLECTION Des prud’hommes négocians.
Des noms trop significatifs seraient un commencement d’hostilités. La guerre appelle la guerre. (L’Echo, n° 62, De l’élection prochaine des prud’hommes.) Nous nous étions adressés aux négocians, et nous leur avions fait entendre des paroles de paix. Ils n’ont pas voulu ou ils n’ont pas su nous comprendre. Nous désirions de poser les armes et amener chefs d’atelier et marchands à fraterniser ensemble. Notre espérance est malheureusement déçue. Nous continuerons à combattre puisqu’il le faut. Aucune amélioration pacifiquement obtenue n’est possible avec la composition actuelle du conseil des prud’hommes. Il ne s’agit plus d’espérer la libre défense, l’établissement d’une jurisprudence fixe. On ne pouvait attendre la première que d’un conseil pénétré de ses devoirs et des droits des justiciables ; la seconde ne pouvait être demandée qu’à des hommes au-dessus de tout intérêt de caste et amis de la classe ouvrière. Ce serait peine perdue aux prud’hommes chefs d’atelier d’en faire la demande à leurs collègues ; ce serait folie aux ouvriers d’y songer. Organes des ouvriers, notre opinion est connue sur MM. Riboud, Brisson et Reverchon, ils rentrent au conseil, et dès lors MM. Goujon et Gamot auront des soutiens dans leurs principes hétérodoxes et antipathiques aux ouvriers. A eux viennent se joindre M. Bender qui a invoqué l’édit désastreux de 1744, qui écrit sur les livres de tous les ouvriers qu’il emploie : Le laçage des cartons à la charge du maître ; point de tirelles. M. Troubat dont les démêlés avec M. Desmaisons ne sont pas oubliés ; M. Carrier qui est connu sur la place pour l’un de ceux qui payent le moins les ouvriers. Avons-nous besoin d’en dire davantage. Ces choix sont-ils assez significatifs ? où trouver des noms plus hostiles ? C’est ici le cas pour nous de déplorer la démission de M. Estienne, le seul qui ait voté avec ses collègues [3.1]chefs d’ateliers, le seul qui ait reconnu la justice des plaintes des ouvriers, et la nécessité de les réintégrer dans la jouissance de leurs droits, méconnus et violés par la cupidité et l’orgueil réunis. Nous ne savons si M. Paul Eymard voudra recueillir l’héritage de M. Estienne, nous n’avons entendu aucune plainte contre lui, on le verrait même avec plaisir à la présidence ; mais il est bien jeune, et nous ne pouvons nous empêcher de faire un retour sur le passé ; car M. Goujon aussi s’était annoncé sous des dehors de popularité dont il se dépouilla le lendemain du jour où il monta sur le fauteuil, grâce à l’appui des prud’hommes chefs d’atelier dont il avait surpris la bonne foi. Qu’adviendra-t-il d’un tel état de choses ? Dii omen avertant !
Elections des Prud’hommes.
passementerie, rubanerie, guimperie, et tirage d’or Les marchands ont réélu MM. Amédée Laucas et Claude-Antoine Pitrat. Ce dernier comme suppléant. chapellerie. Les marchands ont nommé MM. Rodet et Perticoz. M. Aragon a été nommé suppléant. Les chefs d’atelier ont réélu MM. Teissier cadet et Jubié, celui-ci en qualité de suppléant. fabrique d’étoffes de soie. Les marchands ont réélu MM. Riboud, Brisson et Reverchon ; ils ont élu en remplacement des démissionnairesi, MM. Paul Eymard, Bender, Troubat et Carrierii. Les chefs d’atelier de la première section de la ville ont nommé M. Dumas en remplacement de M. Falconnetiii ; M. Sordet a été réélu par les chefs d’atelier de la commune de la Croix-Rousseiv. MM. Riboud et Reverchon viennent de se démettre.
i Au nombre des démissionnaires que nous avons précédemment cités, il faut ajouter M. Estienne, le seul que les ouvriers puissent regretter. Nous nous plaisons à lui rendre ce témoignage. ii La liste des électeurs arrêtée le 5 janvier, porte 437 noms. Il ne s’est présenté que 87 votans ; il faut attribuer cela à la formalité du serment qui a été exigée et contre laquelle les négocians, n’osant pas protester, ont préféré s’abstenir de voter. iii La liste des électeurs chefs d’atelier possédant au moins 4 métiers, arrêtée le 5 janvier, monte à 291 pour cette section. Il y a eu deux tours de scrutin : au 1 er, sur 126 votans, M. Falconnet a eu 57 voix, et M. Dumas 42 ; au 2 e tour, sur 114 votans M. Dumas a eu 60 voix, et M. Falconnet 54. iv Le nombre des électeurs inscrits était de 313 ; il s’est présenté 159 votans, sur lesquels M. Sordet a obtenu 86 voix. Ce prud’homme vient de donner sa démission ; nous n’en connaissons pas les motifs.
Des coalitions d’Ouvriers i.
L’inquiétude et les réclamations qui se reproduisent sans cesse de toutes les parties de la classe ouvrière et sur tous les points de la France, sont un fait trop général pour qu’il ne doive pas être pris en sérieuse considération. Ces dispositions unanimes d’hommes qui se communiquent leurs souffrances, annoncent que le temps est venu de changer ou tout au moins de modifier les rapports des maîtres et des ouvriers. Les uns gagnent [3.2]trop, les autres trop peu : la législation est toute paternelle pour les premiers, elle est d’une rigueur excessive pour les seconds. La raison en est toute simple : c’est que comme ce sont les riches qui ont fait les lois, les intérêts des riches y sont parfaitement représentés tandis que ceux des pauvres y sont fort négligés. Voyez le code pénal : « Toute coalition de la part des maîtres pour faire abaisser les prix de travail est punie d’un emprisonnement de six jours à un mois. Toute coalition de la part des ouvriers pour suspendre, empêcher ou enchérir les travaux, sera punie d’un emprisonnement d’un mois à trois mois. – Les chefs ou moteurs seront punis d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans. – Ils pourront, après l’expiration de leur peine, être mis sous la surveillance de la haute police pendant deux ans au moins et cinq ans au plus. » La différence de ces deux articles dont l’un est si indulgent pour les fabricans, l’autre si rigoureux pour les travailleurs, est d’autant plus choquante que les hommes que la loi traite avec tant de dureté sont précisément ceux qui sont le plus constamment exposés à ses atteintes. Le fabricant est éclairé, il est ordinairement dans l’aisance, il a pour lui les ressources de la raison et de la fortune : dans les circonstances difficiles il peut attendre. – L’ouvrier, au contraire, vit au jour le jour, aux prises avec ses impérieux besoins, avec les nécessités de sa famille, avec la faim de ses enfans. – S’il demande une augmentation de salaire, si sa voix s’unit à celle de ses compagnons de travail dans le même intérêt, s’il s’abstient de travailler un jour, deux jours, il faut qu’il y soit sollicité par de bien vives souffrances.– C’est le besoin du moment qui le poussera à ce parti extrême. – Le fabricant, au contraire, n’y sera entraîné que par un froid calcul, par une vue éloignée de spéculation. Le jour où il aura pris cette détermination, rien n’aura manqué plus que les autres jours à la satisfaction de tous ses besoins et de tous ses plaisirs. Les ouvriers, en se coalisant, ne font qu’un tort très-momentané aux maîtres, aux fabricans, aux entrepreneurs qui ont des fonds en réserve, qui possèdent ordinairement des terres et des maisons. Mais il n’en est pas de même de la coalition de ces derniers : elle enlève au pauvre travailleur le pain de sa journée, celui de sa famille, car son capital à lui, c’est la sueur de ses bras. Si donc il devait y avoir des circonstances atténuantes pour les uns et des circonstances aggravantes pour les autres, les premières devraient assurément être pour les ouvriers, les autres pour ceux qui les emploient. Il n’en est point ainsi : là comme partout ailleurs ce sont les petits qui pâtissent pour ceux qui sont plus puissans qu’eux ; parce que les petits ne nomment pas de députés, ne jouissent d’aucun droit politique et ne sont nullement représentés dans la confection des lois. Nous regardons assurément les coalitions d’ouvriers comme un fait déplorable, mais nous disons que ce fait, quand il se reproduit aussi fréquemment que de nos jours et sur autant de points à la fois, est la marque d’une misère profonde, et qu’il devrait bien plutôt éveiller l’intérêt et la prévoyance des gouvernans que leur sévérité. Nous nous détachons ici de tout fait local : nos réflexions ne s’appliquent pas plus aux tailleurs de Clermont qu’aux ouvriers en soierie de Lyon, qu’aux fileurs de Rouen, qu’aux charpentiers et aux serruriers de Paris, mais nous sommes convaincus que cette unanimité [4.1]de plaintes annonce la même unanimité de malaise, que de pareils faits ne peuvent reconnaître une cause momentanée, que là encore comme partout ailleurs se fait reconnaître le symptôme du mal qui agite la société, du besoin d’égalité qui la tourmente. – La différence de position des entrepreneurs et des ouvriers est trop grande, trop inhumaine ; il faut qu’elle se modifie. Dans cette situation, il est d’un haut intérêt que ceux qui ont le pouvoir en main ne demeurent pas froids et impassibles en présence des avertissemens qu’ils reçoivent, et ne prétendent pas appliquer dans toute leur rigueur, des textes sur lesquels le mouvement qui s’accomplit chaque jour doit bien exercer quelque atteinte. A cette époque de transition, les magistrats rempliraient une haute mission d’humanité, s’ils savaient se placer entre des lois qui meurent, mais dont ils ont la garde, et les inspirations et les pressentimens de l’avenir. – De cette manière, plus ils auraient de respect pour le progrès de l’humanité, et plus ils assureraient encore d’égards et de durée au pouvoir dont ils sont les dépositaires. Si ceux qui sont préposés à la garde du présent savaient déchirer le bandeau qui leur cache l’avenir, les conquêtes de la raison coûteraient moins de larmes et moins de sang à l’humanité. Encore une fois, quand l’action des lois devient difficile, c’est qu’elles cessent d’être en rapport avec les vœux et les besoins du temps : leur application exige alors de grands ménagemens, et pour en revenir aux coalitions d’ouvriers, ce serait travailler utilement à les prévenir que de ne point les voir réalisées là où il n’y a encore que de premiers germes de mécontentement ; ce serait faire acte de raison autant que d’humanité que d’intervenir pour concilier bien plutôt que pour réprimer et sévir, pour amener la transaction et la paix entre ceux qui sont en guerre que pour imposer des châtimens, qui, sans atténuer en rien les causes du mal présent, ne font que susciter de nouvelles difficultés pour l’avenir. Trélat.
i Nous croyons utile d’appeler l’attention des lecteurs sur cette matière importante qu’on n’avait pas encore considérée sous ses diverses faces. Le procès des ouvriers charpentiers de Paris, dont nous avons rendu compte dans notre avant-dernier numéro, a mis à l’ordre du jour cette question de la coalition des ouvriers sur laquelle nous pourrons revenir.
MITAINE
Ou le Prolétaire oublié en prison. Et lorsque la porte d’un cachot crie sur ses gonds, la société tout entière devrait se lever et écouter. Servan. A vous heureux citoyens que la fortune et la puissance environnent. – A vous que l’ambition ou la cupidité peuvent seules émouvoir. – A vous qui, indifférens aux maux de vos semblables, laissez écouler dans une douce quiétude votre vie inutile. – Je veux troubler votre ame, y faire naître le remords et la crainte. – Je veux y déposer la larve invisible qui doit engendrer un ver rongeur. – Soyez attentifs ! sous vos yeux passeront successivement les divers tableaux où sont esquissées les misères du prolétariat. – Ma galerie est loin d’être épuisée, chaque jour fournit une page à cette histoire du peuple. – Je burinerai chaque page : que m’importe votre colère ! – J’ai déjà offert à vos yeux irrités Demangeot ou le prolétaire mourant de faim, Vichard ou le soldat réduit à la mendicité, Blois ou le vieillard indigenti ; aujourd’hui je vous montrerai Mitaine ou le prolétaire en prison.1 [4.2]Ces jours derniers un homme est amené sur les bancs de la cour d’assises de Paris. Le président l’interroge. On m’a oublié en prison, répond avec douceur ce malheureux, et je vous jure que je n’étais pas coupable, je m’étais rendu moi-même chez, le commissaire de police pour me plaindre des gardes municipaux qui m’avaient maltraité. On m’a arrêté et voilà SEPT MOIS que je suis détenu. ON M’A OUBLIÉ ! Quel était le crime de cet homme. Il était prévenu d’avoir donné, dans les journées de juin, un coup de poing à un garde municipal. Aucun témoin ne s’est présenté. Il a été acquitté. – Je vous remercie, Messieurs, voilà ses dernières paroles à ses juges en sortant de l’audience. Depuis le six juin sept mois s’étaient écoulés. Eût-il été coupable, Mitaine n’encourait qu’une peine légère, et on le retient sept mois prisonnier. Mais pourquoi fut-il arrêté ? il était prolétaire, et le caprice d’un commissaire de police fut la loi qu’il dut subir. S’il avait eu cinq cents francs à verser dans la gueule du Cerbère fiscal (beaucoup moins de ce que le peuple alloue par heure à un autre homme pour être roi), alors la prison se fût incontinent ouverte. Si, même sans fortune, il eût été Châteaubriand ou Béranger ; s’il eût été procureur du roi ou avocat, alors encore entouré de gloire ou de puissance, on ne l’aurait pas oublié. Mais qu’est-ce qu’un prolétaire aux yeux de la société actuelle ; on dirait qu’il n’en fait pas partie ; aussi il est jeté dans les fers, qui s’en inquiète ? Sept mois on l’oublie et la société ne se lève pas tout entière pour crier vengeance. – Et des magistrats disent avec sang-froid et comme chose naturelle, nous l’avions oublié. Nous l’avions oublié : voilà sa seule indemnité ! et pendant sept mois une femme, des enfans, un père nourris jusque-là par son travail, auront péri de faim s’ils ne se sont livrés à la mendicité, au vol, à la prostitution !… et lui-même aura perdu son industrie, ruiné sa santé ; aura été perverti par l’infâme contact avec les scélérats qu’entasse pêle-mêle notre immoral système répressif. – Vous l’aviez oublié ! magistrats descendez, descendez alors de ce siège que vous êtes indignes d’occuper… votre devoir était de vous enquérir du sort d’un de vos concitoyens. Et vous lois sans pudeur ! vous savez fixer le moindre délai dans lequel la vente d’un arpent de terre aura lieu, et vous n’en fixez point pour le temps pendant lequel un homme sera privé de sa liberté. – Retournez donc dans les forêts de vos ancêtres, malheureux prolétaires, elles ont caché des crimes moins grands que ceux que tolère la civilisation. Un dernier trait saillant de ce tableau de la vie prolétaire, doit encore arrêter vos regards. Ne trouvez-vous pas quelque chose d’indéfinissable dans ces paroles si simples mais si amères que profère Mitaine acquitté. Je vous remercie, Messieurs. Sans doute il a raison, et son naïf langage renferme une affreuse vérité. On pouvait aussi bien le retenir toute sa vie en prison que durant sept mois ; on pouvait l’oublier jusqu’au jour où les bastilles nouvelles tomberont sous le marteau prolétaire ; car tel est le lot du pauvre ; telle est son idée de la protection qu’il doit attendre des lois qu’il remercie le pouvoir de sa justice, et il est prêt à rendre grace de tout le mal qu’on ne lui fait pas. Qu’on ne s’étonne plus de l’anathème lancé contre la [5.1]société ! qu’on s’étonne, au contraire, de ce que, avec tant d’élémens de ruine, elle puisse encore subsister. O prolétaires, vous êtes admirables par votre longanimité à supporter vos maux. Marius Ch......g.
i Voy. l’Echo,1832, Nos 16, 21 et 53.
AU RÉDACTEUR. Lyon, 14 janvier 1833. Monsieur, Votre journal est ouvert à toutes les réclamations qui intéressent la classe ouvrière ; je viens vous signaler une grande infortune à soulager. Le sieur Descœurs, ouvrier en soie, rue du Vieil-Renversé, n° 4, n’ayant qu’un métier, père de deux enfans en bas âge dont l’un est encore nourri par sa femme, crut pouvoir, dans sa misère, s’adresser à la caisse de prêts afin d’obtenir quelques secours. Il lui fallait un livret, il alla le demander au sieur Valançot, négociant, montée du Griffon. Ce dernier lui refusa d’abord, et comme il ne voulait pas non plus faire aucune avance au sieur Descœurs, celui-ci fut obligé de persister. M. Valançot lui le délivra alors en lui disant Vous vous en repentirez. Descœurs alla toucher à la caisse la faible somme de 40 fr., et comme M. Valançot en fut instruit il lui fit dire le lendemain d’aller chercher de l’ouvrage ailleurs. Frappé de ce coup, le malheureux a perdu la tête… sa raison s’est égarée… Voilà l’ouvrage de M. Valançot. Que de tristes réflexions cela fait naître. Sans doute la caisse de prêts doit prendre ses sûretés, mais s’il y avait moyen de soustraire l’ouvrier de bonne foi à l’humiliation de demander un livret au négociant pour lequel il travaille, et de prévenir par là la vengeance de ceux que cela contrarie nous ne savons pourquoi. M. le Rédacteur ce sujet mérite toute votre attention. En attendant, une femme et deux enfans sont sans ressources, leur chef, leur appui naturel ne peut plus être pour eux qu’une charge. Je vous propose d’ouvrir une souscription en faveur de cette famille désolée. Simple ouvrier moi-même, je vous apporte ma faible offrande en vous garantissant l’exactitude des faits ci-dessus. J’ai l’honneur, etc. Bouchet, Chef d’atelier, montée St-Barthélemy, n° 21. 1re liste de souscription. M. Bouchet, 1 fr. – Le gérant et le rédacteur en chef de l’Echo, 2 fr.
EXAMEN D’UN OUVRAGE NOUVEAU. Un plaisant qui se cache sous le nom d’un chef d’atelier mécontent, vient de publier une brochure intéressante dont nous lui avons promis de rendre compte. Elle est intitulée « question : Vaudrait-il mieux que les chefs de commerce fussent maîtres dans leurs magasins plutôt que les commis ». Avec cette épigraphe : Il vaut mieux s’adresser au bon Dieu qu’aux Saints. Il règne dans cet opuscule une franche gaîté et un esprit satyrique que je ne peux mieux comparer qu’à celui de Figaro, avant qu’il eût suivi l’exemple de Basile, et se fût laissé convertir par les argumens irrésistibles. Cet ouvrage, qui par sa nature échappe à l’analyse, est divisé par chapitres ; voici les titres de [5.2]quelques-uns : c’est un commis qui est le sujet principal, le héros. Nous sommes loin de croire que tous ses collègues soient dans le même cas. Il est bistau et mange chez son père la frugale soupe de pommes de terre. – Il est commis appointé et va voir les ouvriers, il est honnête.– Il s’émancipe et devient jeune France. – Il fait son entrée au café de la Perle. – Il est séducteur et joueur de billard, seconde force. C’est un fashionable. Il joue à l’écarté et est proclamé dandy (ce qui est le nec plus ultra du suprême bon ton).– Il est atroce et rit des larmes de l’innocence trompée. – Ses appointemens sout augmentés grace à madame. – Il faut dire la vérité, il a appris à bien peser, ce qui lui a valu la confiance du patron. – Il devient impertinent, loue une chambre garnie, mange chez Victor et ne salue plus son père dans la rue. – Il est le maître au comptoir et rudoye les ouvriers, surtout il feint de ne pas reconnaître les amis de son père. – Il est de plus en plus insolent et cependant il fait le libéral. – Son insolence n’a plus de bornes. – Il reçoit des calottes d’un chef d’atelier à qui il a manqué grossièrement, etc., etc., etc. Cette brochure contient 120 pages in-8°, et se vend au bureau de l’Echo de la Fabrique et chez les marchands de nouveautés. Prix : 1 fr. 50 c.
MONT-DE-PIÉTÉ. Le vendredi 25 courant, et jours suivans, depuis quatre heures après-midi jusqu’à huit, dans la salle des ventes du Mont-de-Piété, place Confort, vis-à-vis la galerie de l’Argue, au 1er, il sera procédé à l’adjudication au plus offrant et dernier enchérisseur, de divers objets engagés pendant le mois de décembre de l’année 1831, depuis le n° 79034 jusque et compris le n° 86235. Les lundis et les jeudis on vendra les bijoux, l’argenterie, les montres et les dentelles, etc. Les mardis, les draps, les percales, indiennes, toiles en pièces et hardes. Les mercredis, les matelas, les lits de plume, les glaces, les livres reliés et en feuilles, les vieux papiers, autres objets et hardes. Et les autres jours (vendredis et samedis, le linge, les hardes, etc.) Les ventes ont lieu au comptant. Les dégagemens n’ont lieu que jusqu’à midi.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
Audience du 17 janvier. (présidée par m. goujon.) Un chef d’atelier qui a fait des échantillons à un négociant pour l’exécution desquels il a monté plusieurs dispositions sur le même métier, et qui aurait ensuite consenti à tenir ce négociant quitte de ses frais de montage moyennant 5 francs et la promesse d’ouvrage continu pendant six mois, sur la dernière disposition a-t-il le droit si le marchand ne tient pas cette convention, de réclamer sa main-d’œuvre des échantillons et ses frais de montage ? – R. Oui, le fabriquant lui ayant refusé l’ouvrage qu’il lui devait. Le sieur Gallien, marchand, déclare s’être opposé à la levée du jugement rendu par défaut contre lui au profit du sieur Montigon, attendu qu’il ne lui doit rien, ce dernier ayant demandé l’acquit de son livret, il n’avait pas cru devoir se rendre devant le conseil. M. le président fait observer au sieur Gallien qu’il a eu tort en faisant défaut sur l’assignation. Le sieur Montigon réclame au sieur Gallien quatorze journées qu’il a passées à lui faire des échantillons, à 2 fr. 50 c. par jour, et le remboursement de sa dépense de deux montages de métier, en tout 75 fr. Le sieur Gallien dit qu’il a donné une somme de 5 fr. à la dame [6.1]Montigon pour les frais de montage, et qu’il ne pouvait continuer à donner de l’ouvrage, attendu que la fabrication du sieur Montigon ne lui convenait pas. Le sieur Montigon rappelle la convention faite alors avec le sieur Gallien, par laquelle il abandonnait ses frais de montage, ce dernier lui ayant promis de son côté, de lui continuer de l’ouvrage suivi sur la même disposition, par grands aunages, et pendant six mois ; au lieu de cela il n’a fabriqué que deux petites pièces d’un article de 45 c. l’aune. « Attendu qu’il est constant que le sieur Montigon a passé 14 jours à faire des échantillons sur lesquels il y en a douze de travail à 2 fr. 50 c. par jour, ce qui fait 30 fr. Attendu que les deux montages de métier sont évalués à 15 fr. chaque, soit 30 fr., le conseil condamne le sieur Gallien à payer ces deux sommes, montant à 60 fr., au sieur Montigon, et aux frais. » Le sieur Imbert expose qu’en 1828 il fut obligé de quitter Lyon, et qu’alors son épouse sollicita plusieurs fois les sieurs Mantelier et Neyron de régler compte. Elle ne put l’obtenir ; elle fut donc obligée en partant de laisser ses livres entre leurs mains sans aucun réglement. Au bout de six mois elle revint à Lyon, voulut encore régler, mais ne put rien obtenir. Il paraît qu’après ce laps de temps, ces négocians réglèrent à leur fantaisie, réclamèrent un solde au fils du sieur Imbert, qui aurait été condamné comme possédant l’atelier, à le payer aux sieurs Mantelier et Neyron. Le sieur Imbert, de retour à Lyon, espérant que la fabrique n’est plus sous le joug des marchands, et qu’il peut obtenir justice d’un tribunal qui juge publiquement et non à huis-clos comme faisait l’ancien, et dans lequel de véritables députés des ouvriers ont pris place, réclame un nouveau règlement de compte fait contradictoirement avec lui. A cette demande dont la justice est évidente, le sieur Mantelier répond qu’il y a eu jugement ; mais le sieur Imbert lui oppose encore avec raison que ce jugement, s’il est vrai qu’il existe, ne peut avoir de force qu’autant qu’il aurait acquis l’autorité de la chose jugée, ce qui n’est pas, puisqu’il n’est pas même signifié. Le sieur Mantelier ne réplique rien ; mais le président, sans aucune délibération, « déclare que le conseil ne peut revenir sur les jugemens rendus par le précédent conseil, et renvoie Mantelier et Neyron d’instance. » Nous apprenons que dans la cause entre Nesme et Viallet (voir l’Echo, n° 2), M. Goujon a également décidé qu’il n’y avait pas lieu à revenir sur le précédent jugement, qui n’est pas non plus signifié, et a défendu au sieur Viallet de répondre à aucune invitation du sieur Nesme. Nota. Ces deux décisions, prises contre les principes les plus simples du droit, nous engagent à traiter la question : « Des jugemens rendus par le conseil des prud’hommes, de leur exécution et de la manière dont ils acquièrent l’autorité de la chose jugée. » Nous le ferons incessamment. Nous serons obligés en même temps de soulever une question fiscale pour laquelle nous avons déjà fait des démarches auprès du receveur de l’enregistrement.
Tullistes de Lyon.
Nous apprenons d’une source certaine que les maîtres tullistes, ne pouvant plus vivre au prix de leurs façons, ont résolu de cesser de travailler. En ce moment tous les métiers sont arrêtés et les pièces cachetées.
LITTÉRATURE.
[6.2]UNIVERSITÉ DE FRANCE. concours de philosophie pour 1833. Le conseil royal de l’instruction publique, Vu l’article 17 du règlement du 27 mai 1831, modifié par l’arrêté en date de ce jour, portant qu’à l’avenir les questions qui doivent être discutées à la seconde épreuve du concours de philosophie seront publiées six mois d’avance ; Sur le rapport de M. le conseiller chargé des études philosophiques, Arrête ainsi qu’il suit lesdites questions pour le concours de l’année 1835 : 1° Exposer les règles générales de la critique historique, dans leur application à l’histoire de la philosophie. 2° Diviser en un certain nombre d’époques l’histoire entière de la philosophie ; faire connaître le caractère de chacune de ces époques, et, dans leur succession, montrer le progrès de la philosophie elle-même. 3° Recueillir, discuter, coordonner tous les fragmens qui subsistent de Démocrite. 4° Rechercher les divers passages de Platon où se rencontre la théorie de la réminiscence, et discuter le mérite de cette théorie. 5° Exposer en détail les idées contenues dans les trois premiers livres de la Métaphysique d’Aristote. 6° Histoire de la scolastique de l’Université de Paris, au 12e et au 13e siècles. 7° Donner une analyse de Novum Organum de Bacon, et apprécier la méthode générale de Bacon, dans son application à l’étude spéciale de la philosophie. 8° Faire connaître en détail et apprécier la méthode cartésienne, d’après les ouvrages même de Descartes. 9. Discuter le mérite de la méthode employée par Condillac, dans le Traité des Sensations. Le conseiller exerçant les fonctions de vice-président, Villemain1. Le conseiller exerçant les fonctions de secrétaire, Cousin. Approuvé conformément à l’art. 21 de l’ordonnance du 26 mars 1829. Le ministre de l’instruction publique, Guizot.
SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE ST-QUENTIN (aisne.) Cette Société décernera dans sa séance annuelle (août 1833) une médaille d’or de 150 francs aux auteurs du meilleur mémoire sur chacune des questions suivantes : 1° Quelles doivent être les bases et l’étendue de l’instruction primaire en France. 2° L’état doit-il une instruction primaire au peuple ?
NOTICE
SUR LA CROIX-ROUSSE, SAINT-CLAIR, SERIN et vaise, faubourgs de lyon, par m. beaulieui1. La Croix-Rousse tire son nom d’une croix en pierre de Couzon, qui y fut érigée en mémoire d’une mission faite en l’année 1560 ; son église paroissiale était autrefois celle des augustins réformés qui s’y établirent en 1624. Vers ce temps ce faubourg n’était qu’une dépendance du village de Cuire. On trouve, dans un manuscrit intitulé : Chronique sur les masures de l’Ile-Barbe, que l’endroit où est ce faubourg portait, vers le 12e siècle, le nom de coteau St-Sébastien ; non (comme l’assurent plusieurs auteurs modernes), à cause d’une récluserie ainsi nommée et dont la chapelle, située au haut de la colline, subsistait il y a peu de temps, mais parce qu’une chapelle dédiée à saint Sébastien y avait été élevée à côté d’une autre dédiée [7.1]à saint Pothin. Cette dernière chapelle, qui existe toujours, a donné son nom à la rue où elle est située ; elle fut bâtie vers l’an 1315, par Béatrix de Ferlay, comtesse de Sathonnay, en mémoire d’un vœu fait par elle le jour de la fête de saint Pothin, ainsi que le rapporte la chronique. En 1340 Françoise-Isabeau Alleman, nièce de la précédente, héritière des dépendances et de la tour barbare, appelée depuis de son nom, la Tour de la Belle Allemande, fit élever la chapelle de St-Sébastien à l’entrée d’un souterrain qui conduisait dans la tour barbare, et cela en mémoire du jour de sa délivrance de cet asile où l’avaient plongée le farouche dom Diego, abbé de l’Ile-Barbe, et le débauché Cristophe de Brossannes, souverain seigneur de Royodan (château de Roye sur le bord de la Saône, près l’Ile-Barbe.) Il est à remarquer que ce vaste plateau qui s’étend depuis le faubourg jusqu’à Neuville-sur-Saône, et sur lequel sont situés Cuire, Caluire, Sathonnay, Neyron, etc., était antérieurement dépendant de deux bourgs célèbres connus sous les Romains sous les noms de Vimies et Dole ; le premier, aujourd’hui Neuville, dont nous venons de parler et où l’empereur Caracalla fut proclamé César ; le second, que la tradition indique avoir été englouti par les eaux dans un lieu appelé les Echets, près Neyron, où se voit encore un étang dont la profondeur est inconnue. Depuis 1819 on s’est habitué à appeler la Croix-Rousse du nom de ville, mais aucune loi ou ordonnance ne lui a donné ce titre. Cette commune contient aujourd’hui une population d’environ 9,213 individus. D’après un recensement fait en 1830, elle avait à cette époque trois places, trente-cinq rues, ruelles ou montées, quatorze cents maisons, plus de deux mille métiers d’étoffes de soie, dont une cinquantaine pour les velours. Les quartiers dit St-Clair et Serin dépendent de la Croix-Rousseii. Saint-Clair tire son nom d’une chapelle dédiée à saint Clair. Là où il n’y avait vers 1760 qu’un chemin étroit, quelquefois dangereux, une montagne sablonneuse qui s’éboulait très-fréquemment, existe aujourd’hui une route bien pavée, large, bordée à droite par un quai complanté d’arbres, et à gauche par des maisons qui cachent les sables affreux contre lesquels elles sont adossées. Quelques-unes sont belles, entr’autres celle dite salle Gayet, actuellement divisée en plusieurs parties. A l’extrémité est la Boucle dont le nom vient de ce qu’avant qu’on eût détourné le Rhône pour faire le quai St-Clair, ce fleuve venait battre la base de la colline. Dans cet endroit il y avait un port et une boucle énorme qui servait à fixer les cordages des bateaux, etc. ; plus tard on y construisit une auberge qui prit peur enseigne un grand anneau. La population de St-Clair, en 1829, était de 1760 ames, il y existait environ 2 à 300 métiers d’étoffes de soie. Serin. L’origine de ce nom se perd dans la nuit des temps. Un massif de rochers, connu sous le nom de porte d’Halincourt (ancien gouverneur de Lyon), existait jadis à la place où est la porte de la ville. Au delà de cette porte on lisait contre une muraille cette singulière épitaphe : Ci-gît le fils, ci-gît la mère, Ci-gît la fille avec le père, [7.2]Ci-gît la sœur, ci gît le frère, Ci-gît la femme et le mari, Et ne sont que trois corps ici. Voici l’explication : Un jeune homme sollicitant la servante de la maison à lui accorder un entretien secret, elle en avertit sa maîtresse mère de ce jeune homme, et qui était veuve. Cette dernière lui fit donner rendez-vous la nuit dans sa chambre et se rendit à la place de sa servante sans se faire connaître. De cet infâme inceste, à neuf mois de là, naquit une fille. Le fils, qui avait été faire un voyage de plusieurs années, étant de retour et trouvant jolie cette fille que sa mère disait être orpheline, il l’épousa ; de sorte que de sa fille et de sa sœur il fit sa femme. Ces jeunes gens moururent avant leur mère qui voulut être enterrée auprès d’eux en expiation de ses crimes. Ceci s’est passé vers l’an 1476. La population de Serin est comprise dans celle de la Croix-Rousse dont le chiffre a été donné ci-dessus. Vaize. Ce nom vient de Vésia, Vezola qui veut dire tuyau. L’étroit canal ou ouverture de la Saône qui était autrefois à l’entrée de Vaize, a sans doute produit ce nom, dit M. Cochard. Quoi qu’il en soit, ce faubourg portait primitivement le titre de Bourg de St-Pierre, du nom d’un monastère dont il ne reste plus que l’église devenue paroissiale. Il a été aussi designé sous le nom de Bourg-d’Eau, parce qu’il était fréquemment inondé par la Saône dans le temps, dit Paradin (en racontant l’histoire du roi des ribauds), que l’autorité temporelle de la ville appartenait à l’archevêque et aux chanoines de Lyon ; c’était dans ce bourg qu’ils avaient relégué les femmes publiques, d’où est venu le nom de b…l qu’on a donné aux lieux que ces femmes habitent. La population de Vaize est de 3,500 ames. Dans d’autres articles on donnera une notice sur le Plan-de-Vaize, sur le nom et le cours de la Saône, etc.
i Cette notice est extraite d’un ouvrage inédit de M. Beaulieu, intitulé : Ermitage du Mont-Cindre, ou promenade à St-Cyr, Saint-Rambert, Collonges, l’Ile-Barbe, St-Romain, et aux alentours. ii Ils viennent d’en être distraits et érigés en communes séparées par ordonnance du 26 octobre 1832.
DU DÉCROISSEMENT
dans les produits des mines. « Les trente dernières années ont vu s’opérer les plus grands changemens qu’on ait jamais remarqués dans le rapport et la consommation des métaux précieux. Depuis la découverte de l’Amérique, la plus grande partie de l’or et de l’argent nous venait de cette partie du monde. Suivant M. de Humbold1, dont les calculs et les recherches sont présentés avec tant d’exactitude et de discernement, qu’on peut les adopter de la manière la plus implicite, les métaux précieux qui sont venus d’Amérique ont été comme il suit : De 1492 à 1500 (année commune.) : 250,000 dollars. 1500 à 1545 : 3,000,000 1545 à 1600 : 11,000,000 1600 à 1700 : 16,000,000 1700 à 1750 : 22,000,000 1750 à 1803 : 35,300,000 « L’accroissement extraordinaire qui se fait remarquer dans l’intervalle de 1750 à 1803 eut lieu particulièrement dans le Mexique. Cet accroissement fut dû à un grand nombre de circonstances : M. de Humbold estime le revenu annuel des mines dans le Nouveau-Monde, au commencement de ce siècle, à 435,000 dollars en or et en argent. En évaluant le dollars à 5 francs 30 centimes, on obtiendra [8.1]226,200,000 francs pour la totalité du revenu annuel des mines d’Amérique. M. de Humbold a porté le revenu annuel des mines d’Europe, en Hongrie, en Saxe, etc., et le produit des mines d’Asie, à la somme d’environ 25,000,000. Depuis 1800 jusqu’à 1810, le produit des mines de l’Amérique alla en augmentant. Mais dans l’année 1810 se firent sentir les premières convulsions qui renversèrent la domination espagnole dans cette partie du monde, et qui ont fini par fonder l’indépendance de l’Amérique, et dès lors un décroissement considérable s’est opéré dans le revenu des métaux précieux. La totalité du revenu des mines d’Amérique, y compris le Brésil, pendant les vingt années qui finissent à 1829, peut s’évaluer à la somme de 2,616,419,200 francs, ce qui donne annuellement 100,920,950 fr., somme inférieure même à la moitié du produit des mines au commencement et durant les dix premières années du dix-neuvième siècle. Les mines d’Europe ont aussi éprouvé un décroissement dans leurs produits pendant les vingt dernières années ; mais il y a eu accroissement dans le produit des mines appartenant à la Russie. D’après M. de Humbold, ce gouvernement retire un revenu annuel de 31,250,000 fr. En résultat, la totalité du produit annuel des mines d’Amérique et d’Europe, y compris celles de la Russie, peut s’élever de 130,000,000 à 150,000,000 de francs, somme de 112,000,000 à 115,000,000 inférieure au produit annuel de ces mines au commencement du 19e siècle. » (Estafette du Havre.)
Coups de navette.
Le conseil des prud’h… vient de recruter le professeur d’emphase si connu par son débat avec M. Desmaison. Du temps qu’ils en nommaient sept ils auraient bien dû en nommer neuf. Pharaon vit avec effroi en songe sept vaches maigres qui… Nous avons en réalité sept nouveaux prud’h… qui peuvent faire tout autant de mal. L’édit de 1744 incarné dans la personne de M. Bend.., s’est fait prud’homme. Pourquoi pas ? le Verbe s’est bien fait chair. M. Carr… est prud’homme, gare la mercuriale s’il est chargé de la réviser. Les chefs d’atelier ont refusé de prêter serment. Qu’en dit-on à la cour ? Ma foi je m’en fiche, eux aussi. Le Berger a trouvé un troupeau docile tout prêt à suivre son exemple. La prescription, la morgue et l’emportement (voir l’Echo, Litanies, n° 62) rentrent au conseil ; l’emphase, la chicane et le bas prix les accompagnent ; l’opiniâtreté était restée, et l’irascibilité préside le tout. Devine qui pourra. Le refus de serment des ouvriers de Lyon a été annoncé à Paris par le télégraphe.
L’Europe Littéraire.
journal de la litterature nationale et étrangère.1 La politique est complètement exclue de ce journal, qui paraîtra [8.2]les lundi, mercredi et vendredi de chaque semaine, en grand format in-folio. Les bureaux d’abonnement sont ouverts rue Richer, n° 23. Le prix de l’abonnement est de 64 fr. pour un an, 32 fr. pour 6 mois, 16 fr. pour 3 mois, pour Paris et les départemens ; et pour l’étranger, 80 fr. par an, 40 fr. pour 6 mois, 20 fr. pour 3 mois. L’administration de l’Europe littéraire a l’honneur de prévenir le public que le spécimen du journal, qui devait paraître fin décembre, est retardé jusque vers le milieu du mois de janvier. L’exécution de la vignette, et le soin tout particulier qu’apporte à ce grand travail l’artiste habile à qui il est confié, sont les seules causes de ce retard. Le premier numéro paraîtra sans faute le 1er février 1833. Indépendamment des articles critiques, sur l’histoire, le roman, le théâtre, la peinture, la sculpture, chaque numéro de l’Europe littéraire renfermera une publication originale, conte, roman, proverbe, nouvelle ou fragment poétique, signés des poètes, des historiens, des romanciers et des littérateurs le plus en vogue, en France et à l’étranger. Cette partie consacrée aux ouvrages d’imagination donnera par an à elle seule la valeur de douze volumes in-8°. Le tirage étant fixé sur le nombre des abonnemens, les éditeurs ont prié dans leurs prospectus ceux qui ne voudraient pas éprouver provisoirement une lacune dans leur collection, de s’abonner avant le premier numéro, qui paraîtra sans remise le 1er février. Tous les abonnés inscrits avant le 1er février recevront un exemplaire spécial, tiré sur papier superfin, vélin satiné, fabriqué exprès ; il leur sera adressé gratuitement une couverture portant leur nom pour servir à la reliure du volume annuel ; les desseins de cette couverture seront exécutés par les plus habiles artistes.
moyen d’obtenir un dessin exact d’une plante. On frotte une feuille de papier avec du sangdragon en poudre comme font les graveurs. On applique sur le papier la partie de la plante dont on veut la figure. On la presse ou on la frotte de manière à ce qu’elle se charge de poudre, on applique alors la feuille de papier sur une autre un peu humectée, et on obtient une impression comme celle que produit la lithographie. (Recueil industriel.)
[140] la réforme industrielle ou le phalanstère, Journal des intérêts généraux de l’industrie et de la propriété. Ce Journal paraît tous les vendredis, 12 pages grand in-4°, prix : 10 fr. pour six mois. – On s’abonne à Paris, rue Joquelet, n° 5 ; chez les libraires et directeurs de la poste. [141] chansons de pierre corréard, 2e numéro, en vente chez tous les libraires. On trouve dans ce recueil deux chansons que nous avons insérées dans l’Echo, Servilius et O mes amis, chantons ! [137] Tranchat, mécanicien, rue du Commerce, n° 18, vient d’obtenir un brevet d’invention et de perfectionnement, pour le procédé qu’il vient d’ajouter à ses cannetières par lequel la cannette s’arrête aussitôt qu’un des bouts casse, ou que la soie d’un roquet est employée ; il reste toujours hors la cannette une longueur de 8 pouces de soie pour nouer. Ces cannetières offrent non-seulement l’économie de la matière et de la main-d’œuvre, mais l’avantage de donner à l’étoffe toute la régularité, la propreté et l’éclat dont elle est susceptible. Le crémage, les trames rebouclées ou tirantes sont impossibles, et les lisières parfaites par l’emploi des cannettes provenant de ces cannetières, qui les font également à quel nombre de bouts que ce soit. Le sieur Tranchat tient aussi magasin de mécaniques à la Jacquard, de mécaniques à devider, de moulinages. Il fait ses cannetières propres à faire autant de cannettes qu’on le désire. On peut les voir en activité chez MM. Morel, rue des Tables-Claudiennes, n° 14, et Martinon, place de la Croix-Rousse, n° 17. [142] changement de domicile. joubert, mécanicien, ci-devant en bas de la côte des Carmélites, maintenant rue Flessel, cul-de-sac en face la rue Tholozan.
Notes ( DU REFUS DE SERMENT DES CHEFS D’ATELIER.)
T.-A. Gasparin (1754-1793), député à l’Assemblée législative en 1791, puis membre de la Convention.
Notes ( MITAINE)
Cette série de « tableaux » signés par Chastaing participent au projet de « l’émancipation morale » des ouvriers. Mais l’apparition de formes d’expression inédites constitue alors surtout un moyen, pour un organe non politique, d’aborder de façon détournée les questions politiques. Référence : J. D. Popkin, Press, Revolution and Social Identity in France, ouv. cit., chapitre III ; également, E. L. Newman, « L’Arme du siècle c’est la plume : The French Worker Poets of the July Monarchy and the Spirit of Revolution and Reform », Journal of Modern History, déc. 1979, vol. 51, p. 1201-1224.
Notes ( LITTÉRATURE.)
A.-F. Villemain (1790-1870), homme politique et critique littéraire, député puis pair de France au tout début de la monarchie de Juillet.
Notes ( NOTICE)
Charles Beaulieu publiera en 1837, Histoire de Lyon depuis les Gaulois jusqu’à nos jours.
Notes ( DU DÉCROISSEMENT)
A. de Humboldt (1769-1859), naturaliste et explorateur allemand.
Notes ( L’Europe Littéraire.)
L’Europe littéraire sera publié à Paris à partir de mars 1833 jusqu’en 1834.
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