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27 janvier 1833 - Numéro 4
 
 

 



 
 
    
 CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

(présidé par m. goujon.)

Audience du 24 janvier 1833.i

La salle était comble ; cette immense affluence de spectateurs était attirée par le désir d’entendre la cause du sieur Daviet contre les sieurs Gentelet frères, relative à l’enlaçage des cartons, l’une des questions les plus vitales de la fabrique lyonnaiseii dont nous allons rendre compte.

Lorsqu’un négociant écrit sur le livre du chef d’atelier ces mots : tous frais compris, peut-il se dispenser de rembourser le laçage des cartons ? – R. – Non. Le laçage des cartons est toujours à la charge du négociant dont ils sont la propriété.

À l’appel de la cause M. Daviet explique son affaire de la manière suivante : il a monté un métier pour la maison Gentelet ; on a voulu lui imposer l’obligation de lacer à ses frais le dessin, il a refusé, et sur son refus on lui a promis le remboursement. Cependant la maison Gentelet, voyant une question de principe importante à résoudre, s’est ravisée, et a fait dire au chef d’atelier Daviet que s’il ne voulait pas supporter les frais, il fallait qu’il rapportât la pièce. Daviet a répondu qu’il avait monté le métier, fait lacer les cartons, et qu’il ne pouvait rendre la pièce que contre le paiement de ses frais de montage et laçage. C’est en cet état que la cause paraissait devant le conseil. Il faut observer que le livre du chef d’atelier portait tous frais compris ; le sieur Daviet en avait demandé la suppression lorsqu’on lui promit de lui faire le remboursement, mais on lui avait répondu qu’il pouvait s’en rapporter.

M. Firmin Genteletiii se présente et prétend qu’il ne doit pas payer les frais de laçage ayant écrit sur le livre du chef d’atelier tous frais compris.

Le conseil, « attendu que les frais de laçage sont à la charge du négociant, condamne les sieurs Gentelet frères à les payer au sieur Daviet »

[5.2]Ce jugement est accueilli par un murmure général de satisfaction ; M. Gentelet s’adresse au président et lui demande si le conseil ne respecterait pas la convention écrite sur le livre du chef d’atelier et portant que le laçage des cartons serait à ses frais. – A nouveau fait nouveau conseil, répond M. Goujon ; cette réponse qui exaspère les auditeurs en leur laissant apercevoir qu’il n’y a rien de stable, et que la décision qui vient d’être rendue peut être remplacée par une autre plus tard faute d’une jurisprudence fixe ; cette réponse, ne satisfaisant pas non plus M. Gentelet, il interpelle deux fois de suite et avec une insistance ridicule le président ; mais la patience étant à bout, un houra s’élève contre lui : nous ne saurions l’approuver quoiqu’il ne différât en rîen de ceux qui ont lieu quelquefois dans les autres tribunaux.

Le président, au lieu d’imposer silence à cet homme, et d’user envers lui de son pouvoir discrétionnaire (ce qu’il aurait pu faire à plus juste titre que dans l’affaire Tiphaine dont on se souvient), cédant apparemment à une irritation malséante dans un fonctionnaire, lève brusquement la séance sans aucun avertissement. Nous croyons même qu’il a eu la velléité d’envoyer chercher la garde pour faire sortir de force les auditeurs, ce qui eût pu produire plus d’un accident fâcheux.

Par les sages et paisibles exhortations de l’huissier, la salle a enfin été évacuée au milieu d’un grand tumulte ; des cris ont long-temps poursuivi M. Gentelet qui a été accompagné chez lui par son adversaire lui-même, le sieur Davietiv ! afin de le garantir de toute rixe.

Nous pensons que ce bruit aurait été promptement apaisé, si au lieu de lever la séance, M. Goujon, plus maître de lui, eut fait taire M. Gentelet en usant contre lui des moyens coercitifsv en son pouvoir, et ordonné à l’huissier d’appeler une autre cause. Mais il n’a pas eu même l’idée de prononcer le renvoi d’office à une autre audience. Au nombre des causes qui devaient être appelées ce soir, il en est une qui regarde un citoyen de Mâcon, lequel avait fait le voyage exprès.

Nous croyons aussi qu’il serait enfin temps au conseil d’adopter une jurisprudence fixe, qui ne permît à aucun négociant sans encourir une peine grave de s’y soustraire.

M. Daviet, dans cette circonstance, a bien mérité de ses confrères par sa fermeté à soutenir son droit et le leur ; mais, nous le répétons, l’établissement d’une jurisprudence fixe peut seule prévenir ces conflits déplorables.

Le Courrier de LyonCourrier de Lyon, que nous désignerons dorénavant, et pour cause, sous le nom de journal-Goujon, a profité de cette occasion pour distiller un peu du fiel qui l’anime contre les ouvriers, auxquels il ne peut pardonner leur victoire de novembre, ni leur générosité après la victoire. Nous ne pouvons aujourd’hui lui répondre, mais ce qui est différé n’est pas perdu.

Notes ( CONSEIL DES PRUD’HOMMES.)

 

 

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