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3 février 1833 - Numéro 5 |
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AU COURRIER DE LYON.
Fœnum habet in cornu. Nous demandons, en vérité, pardon à nos lecteurs de les entretenir encore du Courrier de Lyon ; nous y sommes contraints par une série d’attaques qu’il a dirigées contre l’Echo de la Fabrique dans ses Nos des 25, 26 et 27 janvier dernier. Forts de notre conscience, de l’appui que nos doctrines trouvent dans la classe ouvrière avec laquelle nous sympathisons dans un contact journalier, nous aurions peut-être dû mépriser des injures parties d’aussi bas. Qui voudrait de l’estime du Courrier ? mais on aurait pu interpréter notre silence d’une manière différente, cette crainte a prévalu. l’echo a obtenu des suffrages dont ses rédacteurs ont droit d’être fiers. Nous ne mentionnerons que ceux du Précurseur, parce qu’ils ont reçu le baptême de la publicité, et certes, sous tous les rapports, il y a loin de M. Anselme Petetin, son rédacteur en chef, à M. Jouve. Les convenances nous interdisent tout éloge du premier, mais rien ne nous empêche de faire connaître celui qui s’est constitué notre adversaire. M. Jouve, s’il faut en croire la Glaneuse, dont l’assertion n’a pas été démentie, a commencé sa carrière d’homme public par écrire des articles virulens dans la Sentinelle, journal qui, ayant eu le tort d’être trop tôt républicain, n’a obtenu qu’une existence éphémère ; ensuite il a loué ses services au parti aristocrate qui, après les journées de novembre, a fondé le Courrier de Lyon, en haine de la liberté politique comme de la liberté civile. Bien faible digue opposée à l’émancipation des prolétaires. Si [1.2]cela est vrai, que M. Jouve se contente de gagner son salaire comme fait un manœuvre, et d’une manière bien moins honorablei, mais qu’il ne prétende pas régenter des hommes de conviction comme nous qui avons cherché dans la presse, ce qui est bien permis, une tribune pour nos opinions, et non le bénéfice de quelques écus en retour de la vente de notre conscience. Si cela est, il y a entre M. Jouve et nous, toute la différence d’un valet à des citoyens. Que sont dans la balance de l’opinion publique les jugemens du Courrier ? Lui-même que représente-t-il en France ? Nous ne lui rappellerons pas ses titres à la réprobation universelle. Cette digression nous mènerait trop loin, et d’ailleurs pour le combattre et le suivre pas à pas, il faudrait marcher dans la fange. Nous ne citerons donc que quelques-unes des circonstances qui nous reviennent à la mémoire, et dans lesquelles le Courrier s’est couvert de honte. On se souvient qu’il a eu l’audace de dire que les événemens de novembre n’avaient pas bien fini, et cela parce que la tête de MM. Granier, Michel-Ange Perrier, et quelques autres républicains fut dérobée à la hache du bourreau, et lorsqu’on lui demanda raison de ce vœu sanguinaire, il refusa et souffrit toutes les avanies qu’on voulut lui faire subirii. On se souvient encore de cette plate injure contre les convives du banquet Odilon-Barrot, par suite de laquelle un sang généreux fut sur le point de couler. Le Courrier n’a jamais su rien respecter. Il a bafoué l’industrie en général, les ouvriers de Lyon en particulier, en les traitant d’inhabiles et tracassiers. Le malheur de quelques patriotes n’a excité en lui qu’un rire infâme et satanique. Sous une feinte modération on l’a vu toujours attiser les haines, r’ouvrir des blessures sanglantes ; il a osé, dans maints articles, menacer la population prolétaire lyonnaise d’une garnison plus nombreuse et plus dévouée qu’en novembre, et il s’étonne du mépris qu’il recueille, de l’animadversion générale sous le poids de laquelle il succombe. [2.1]Le Courrier attaque nos doctrines et blâme notre rédaction. Il croit nous avoir stigmatisés du nom de basse presse, mais il n’a pas réfléchi que son injure tombait à faux, puisque quelques lignes plus haut il nous donne pour auxiliaires les feuilles qui prêchent l’établissement de la république, c’est-à-dire le Précurseur, la Glaneuse et le Journal du Commerce. Si nous étions vraiment d’une littérature ignoble, comment aurions-nous de tels auxiliaires, et comment nous auraient-ils admis dans leur sein ; ce n’est donc qu’une question de principes, et le Courrier sait bien que nous ne pouvons dans cette feuille, étrangère à la politique, ouvrir une discussion sur le mérite de nos doctrines. Tout ce que nous pouvons lui répondre, c’est que nos doctrines, bonnes ou mauvaises, sont à nous, personne ne nous les a imposées ; nous n’avons jamais changé. On ne nous qualifiera nulle part de transfuges ; les rédacteurs du Courrier pourraient-ils en dire autant ? Quant à notre rédaction, ce n’est pas au Courrier de Lyon que nous voulons la soumettre, et plutôt que d’encourir ses éloges nous briserions notre plume. C’est trop long-temps nous occuper de choses étrangères aux intérêts qui nous sont confiés ; c’est donner trop d’importance aux attaques du Courrier ; nous lui renvoyons, pour en finir, ses injures ; ses rédacteurs, eux aussi, n’ont pas le pouvoir de nous offenser. Ils ne comprennent rien à l’indépendance de l’homme de lettres, à la mission sacrée que le journaliste doit remplir aujourd’hui ; nous ne pouvons donc que les plaindre de faire à prix d’argent et comme métier, ce que les rédacteurs de l’Echo ne font que dans un but honorable et qu’ils ne craignent pas d’avouer, l’émancipation physique et morale de la classe prolétaire. Maintenant, un mot des causes qui ont amené le dévergondage du Courrier. C’est à propos de l’élection des prud’hommes, du refus de serment des chefs d’atelier, des observations faites par nous sur la nomination des prud’hommes négocians ; et enfin de la scène scandaleuse dont M. Firmin Gentelet a été le provocateur dans la séance du 24 janvier dernier, que le Courrier a cru devoir nous attaquer. L’unanimité des journaux sur la question importante du serment (question que nous n’avons traité que sous son point de vue moral et religieux, et que le Précurseur a traité sous le rapport politique), est suffisante pour nous absoudre du reproche de l’avoir soulevée et fait résoudre en faveur du principe de la souveraineté populaire qui nous régit ; le Courrier lui-même, malgré son servilisme, n’a pas osé en contester l’illégalité ; seulement, et de ce ton dont on dénonce, il a blâmé le préfet d’avoir par sa conduite subi les éloges du Précurseur et les nôtres ; car il importe, dit-il, que dans une ville comme Lyon, et avec des hommes tels que nous, non-seulement l’autorité n’ait point peur, mais encore qu’elle ne paraisse pas en avoir eu l’air. C’est une variante de la maxime absolutiste que le pouvoir ne doit jamais avouer ses torts. Nous avons fait des observations sur les prud’hommes négocians ; nous y persistons, et si elles sont causes de leur démission, tant mieux ! Plus justes que les rédacteurs du Courrier envers les négocians, loin de dire : le conseil des prud’hommes est impossible, nous disons qu’il est impossible que parmi eux on ne trouve pas neuf citoyens dignes de la fonction de prud’homme. Ce serait une erreur bien grande de nous croire les ennemis d’une classe quelconque ; n’avons-nous pas rendu justice à M. Estienne. [2.2]Pourquoi a-t-il donné sa démission ? C’est que ses collègues l’ont abreuvé de dégoût en lui reprochant de soutenir les intérêts des ouvriers plutôt que ceux des marchands. Si ses huit collègues lui avaient ressemblé, le conseil des prud’hommes ne serait pas aujourd’hui dans l’état de dislocation où il se trouve. Si c’est là faire des personnalités, au dire du Courrier, nous ne savons comment faire pour nous en abstenir ; nous ne pensons devoir respecter que la vie privée : nous l’avons toujours fait. Que le Courrier essaye de prouver le contraire. La vie publique d’un négociant est dans son comptoir ; nous avons le droit de la dévoiler, et rien ne nous détournera de l’exercice de ce droit qui est en même temps notre devoir. Tant pis pour ceux que cela incommode, nous mépriserons leurs clameurs. Qu’ils se comparent ensuite, si bon leur semble, à Phocion et à Aristide, nous en rirons. Ces vertueux républicains doivent déplorer l’abus que le Courrier fait de leurs noms. Un mot en passant sur le mandat impératif que nous avons conseillé aux chefs d’atelier électeurs de donner à leurs prud’hommes. Nous concevons que le Courrier, qui est étranger à tout sentiment noble et libéral, puisse le blâmer ; mais qu’a-t-il dit pour appuyer son blâme ? Rien, absolument rien. Nous n’avons pas demandé que ce mandat impératif s’appliquât à tout ce que les prud’hommes sont appelés à faire dans l’exercice de leurs fonctions, mais seulement à deux choses importantes : la libre défense et l’établissement d’une jurisprudence fixe. Le Courrier demande ce qu’il adviendrait dans le cas de refus des négocians de nommer des prud’hommes. Comme pour supprimer le conseil des prud’hommes il faudrait une loi, les chefs d’atelier, jusqu’à ce qu’elle fut rendue, seraient obligés de juger tous seuls ; les négocians y regarderont sans doute à deux fois, et après, en supposant que la décision des contestations de fabrique fût rendue aux juges de paix, de deux choses l’une : ou ces magistrats ne jugeraient que sur le rapport d’experts choisis par les parties (ce qu’il est rationnel de croire, et n’entraînerait ni plus ni moins de frais et de perte de temps que les conciliations actuelles), où ils jugeraient eux-mêmes ; mais alors il nous est permis de dire que les contestations ne seraient pas plus mal jugées, car il est probable que sur une question de laçage, tirelle, déchet, etc., un juge de paix en sait autant qu’un prud’homme chapelier, bonnetier, etc. Nous éprouvons de la peine à rappeler l’attention publique sur l’audience du 24 janvier dernier, et sur M. Firmin Gentelet, le Courrier aurait dû, par pudeur, se taire là-dessus. Avant tout nous rétablissons la vérité des faits que, suivant son usage, le journal du juste-milieu a tronqué. Ce n’est pas, ainsi qu’il l’annonce à tort, contre le conseil que les ouvriers se sont émus et ont fait entendre des cris ; il est ridicule de dire que les ouvriers se sont élevés contre un jugement rendu en leur faveur ; mais ils ont crié contre l’impudeur d’un négociant persistant par trois fois à demander au président, avec une fatuité rare, s’il serait libre de faire des conventions contraires au droit des ouvriers, et à la jurisprudence du conseil. Ils se sont élevés contre la partialité du président, contre son ordre insolite et non motivé d’évacuer la salle. Ils se sont souvenus que dans d’autres occasions bien moins graves le président avait invoqué son pouvoir discrétionnaire et en avait usé sans recourir à la peine brutale de la levée de l’audience. Ils se sont souvenus que pour beaucoup moins, le sieur Tiphaine fut rappelé à l’ordre et le sieur Nesme incarcéré ; l’un n’était qu’un simple légiste et l’autre un chef d’atelier. La rigueur qu’on avait [3.1]déployée contr’eux devenait une injustice en la comparant à la mansuétude employée à l’égard de M. Gentelet. Ce dernier, sans être muleté d’aucune peine, s’est retiré paisiblement et a traversé en donnant le bras à un ouvrier, le sieur Daviet, sa partie adverse, la foule qui l’injuriait, il est vrai, mais était incapable de se porter à des sévices contre lui. Les ouvriers ne sont pas des assassins. Les vainqueurs de novembre n’ont pas besoin de prouver leur modération. Il nous tarde d’en finir ; nous n’avons plus qu’un mot à dire au Courrier sur son article du 26 janvier. Il prétend avoir reçu un mémoire dans lequel un négociant propose, 1° l’établissement d’un code définitif pour servir de règle aux décisions des prud’hommes ; 2° la création d’une feuille hebdomadaire, uniquement consacrée aux intérêts de l’industrie, et rendant un compte fidèle des séances du conseil des prud’hommes. Le Courrier, soit ignorance, soit mauvaise foi, affecte de confondre un code définitif des prud’hommes avec le tarif, et en d’autres mots, pour nous servir de ses propres expressions, le salaire avec les charges de la fabrication. Il n’en est rien, un code ne ferait que régler ces dernières, savoir : les montage, laçage des cartons, déchets, tirelles, etc. Le prix de la main-d’œuvre serait toujours soumis aux chances de hausse ou de baisse. A l’égard de la création d’un journal rival de l’Echo de la Fabrique, le Courrier a la candeur d’avouer qu’il serait inutile, attendu que les ouvriers ne le liraient pas, par la raison qu’ils le croiraient hostile, parce que, tenant la balance entre les ouvriers et les négocians, il ne présenterait d’autre appât que celui de la vérité toute nue ; comme il ne faut pas que cette idée soit perdue, le Courrier s’offre à remplir cette tâche, et nous nous empressons d’en faire part à nos lecteurs. C’est agir avec désintéressement comme on le voit ; mais nous n’avons pas grand mérite à cela, il est douteux que les ouvriers consentent à lire le Courrier même gratis ; quant à le payer… oh ! allons donc ! Nous avons perdu à cette polémique fastidieuse un temps précieux et un espace que nous aurions pu mieux remplir. Dorénavant nous prévenons le Courrier de ne chercher notre réponse qu’à la dernière page, à l’article Coups de Navette ; car, en vérité, il abuserait de sa position ; nous n’avons qu’un jour pour lui répondre, et lui, fort de sa périodicité, de ses longues colonnes, il pourrait, par la fréquence de ses attaques, nous distraire de travaux plus sérieux. Nous le prions, lorsqu’il n’aura rien de mieux à faire, au lieu de s’occuper de nous et des ouvriers, de continuer à remplir ses colonnes d’emprunts faits à Figaro, ou bien encore de quelques-uns de ces contes politiques, destinés, suivant lui, aux gobe-mouches et aux oisifs de café. Dans l’intérêt de la paix publique nous le prions de s’occuper le moins possible de notre industrie, car s’il est de bonne foi (ce dont nous doutons fort), il joue de malheur, et ses paroles ne sont jamais que de l’huile jetée sur un brasier ardent.
i Un manœuvre ne prête que ses facultés physiques ; un manœuvre littéraire prostitue ses facultés morales. ii MM. de Rochefort et de Vougy viennent, dans une lettre insérée dans la Gazette du Lyonnais, de traiter M. Jouve de lâche, pour s’être rendu sans armes sur le terrain après avoir accepté un duel. Comme on voit, le Courrier est bien dans le juste-milieu ; à droite et à gauche on ne veut de lui.
Souscription en faveur des Tullistes. Toutes les industries se doivent un mutuel secours ; l’alliance des prolétaires est commencée ; c’est dans le but de la resserrer de plus en plus que les chefs d’atelier de la fabrique d’étoffes de soie ont ouvert au bureau de l’Echo de la Fabrique, une souscription en faveur de leurs confrères tullistes, à l’effet de leur témoigner leur adhésion à la résolution qu’ils ont prise, et les aider à la soutenir ; ils appellent à eux les industriels de toutes les professions.
APPEL
a tous les hommes philanthropes en faveur Des Ouvriers invalides blessés dans les journées de Novembre 1831. [3.2]C’est avec confiance que nous nous adressons à vous, citoyens de toutes les classes, de toutes les opinions. Dieu nous garde de raviver des sentimens pénibles : loin de là : nous faisons un appel à l’humanité civique comme à la charité chrétienne ; que l’humanité, que la charité seules y répondent. En ce moment des hommes, des concitoyens souffrent et languissent mutilés, incapables de travail. Ils ont reçu, il est vrai, des secours, mais faibles, précaires, rien ne leur garantit l’avenir. La misère a le droit d’être soupçonneuse et impatiente ; maudit soit celui qui la trouve importune ! Nous vous dirons franchement la pensée qui anime les malheureuses victimes de novembre, elles craignent l’oubli qui s’attache aux vieilles infortunes ; nous le craignons aussi pour elles. Cette crainte a quelque chose d’amer pour nous ; combien doit-elle donc leur être insupportable ? Les journées de novembre sont déjà loin de nous, et nous devons nous en applaudir ; mais, puisqu’il en est encore quelques-uns auxquels il est impossible d’en perdre le souvenir, que leurs maux, leur misère rappellent à chaque instant, faisons que ce souvenir devienne de plus en plus moins douloureux. Nous y parviendrons, lorsque par leur misère adoucie, par leurs maux soulagés, ils auront appris à voir dans chaque compatriote un frère compatissant. Alors, mais seulement alors novembre pourra, sans exciter aucune sensation fâcheuse, ramener son funèbre anniversaire. Chefs d’atelier, compagnons, apprentis, vous tous citoyens généreux ! notre voix ne se sera pas fait entendre en vain, nous l’espérons. Vous avez eu des larmes et des offrandes pour les réfugiés de tous les pays. Vous ne pouvez être insensibles au malheur de vos frères, aux victimes d’une dissention civile. Peu de chose suffit pour fonder une caisse de secours annuel pourvu qu’un grand nombre de citoyens se joigne à nous dans cette œuvre pie. Nous ne demandons que la faible cotisation de vingt-cinq centimes par mois. Quel Lyonnais ayant un cœur d’homme la refusera ! Lyon, le 28 janvier 1833. La Commission exécutive : Bouvery, président ; Falconnet, vice-président ; Labory, trésorier ; Duchamp, Souchet, Carrier, membres ; Marius Chastaing, secrétaire.
Caisse de Prêts. [4.1]Dans le n° 62 de l’Echo nous avons posé une question précise relative à cette caisse ; nous avons demandé si, en cas de faillite d’un négociant avant qu’il se fût libéré envers la caisse, des sommes qu’il aurait entre mains, résultant des retenues par lui faites sur les travaux d’un ouvrier débiteur de cette caisse, ledit ouvrier serait libéré ou non. Nous savions bien que d’après les principes du droit commun cette question n’est pas facile à résoudre, mais nous pensions qu’à raison de sa spécialité et de l’état de suspicion dans lequel la caisse de prêts tient le chef d’atelier en le soumettant à une espèce de vasselage vis-à-vis du négociant, et en ne voulant lui prêter que sous le cautionnement en quelque sorte de ce dernier ; nous pensions qu’une interprétation bénigne devait être faite des principes rigoureux du droit, et que par le fait seul d’avoir subi la retenue convenue, cet ouvrier devait être libéré. Il paraît qu’il n’en est rien, car on a négligé de répondre à notre question, ce qu’on n’eût sans doute pas manqué de faire si on avait eu une réponse satisfaisante à nous donner. Nous regardons ce silence comme un aveu de la fausse position où se trouve l’ouvrier emprunteur, puisqu’il ne cesse pas, malgré la retenue qui lui est faite, d’être débiteur principal et direct de la caisse. C’est aux lecteurs à faire les réflexions qu’ils jugeront convenables.
LE CAFÉ CORTI, CI-DEVANT D’APOLLON,
ou L’auto-da-fé de la Glaneuse. Si l’on élève un temple au juste-milieu, c’est au café Corti qu’il faut aller chercher les desservans du nouveau dieu. Là on y trouvera des hommes d’étoffe sacerdotale. Les habitués de ce café ont en général la morgue, l’intolérance du prêtre ; ils ont aussi et peut-être plus que lui la couardise qui sait faire injure et n’en sait pas rendre raison ; cependant ils étaient réputés libéraux avant que le mot bousingot, qui fait frémiri, eût été inventé. Comment en un vil plomb l’or pur s’est-il changé ? Ah ! dame, les bonapartistes de 1815, les carbonari de 1820 portent aujourd’hui perruque. Ce café était connu sous le vocable d’Apollon, mais le dieu de la lumière, indigné d’un trait récent de barbarie, commis naguère sans respect pour lui, contre une jeune fille qu’il affectionne (ce qui fait supposer généralement qu’il en est le père), a fait défense au propriétaire d’invoquer son nom. Avant de raconter cette histoire tragique, faisons un tour de flaneur dans le café. Il n’est pas élégant suivant nos modernes idées de luxe, mais confortable. Il partage avec Casati la réputation de fournir les meilleurs déjeûners au chocolat. Défense de fumer ; mais alors pourquoi M..... et M..... parlent-ils si haut. Du reste, on joue le piquet, l’écarté, et puis on baille. De tous les journaux que le propriétaire reçoit, c’est [4.2]le Courrier de Lyon qui a les honneurs de la séance. Là il trouve des lecteurs ; que dis-je ? des admirateurs ! Peste qu’il a de l’esprit ce petit avocat Jouve, s’écrie le bruyant et long Mor.... ; mais un vieux papa à la bouche édentée sourit en tapinois, car lui qui lit jusque sous le tiretii, a vu au bas de l’article Figaro, l’innocente affiche qu’on consulte parfois, se trouve côte à côte de l’utile Journal-Gallois et des Débats, qu’autrefois rédigeaient des hommes de talent ; le Constitutionnel qui a suivi l’exemple des Marmont de l’empire, et devenu riche, oublie sa gloire et ne se souvient de ses dangers que pour en éviter de pareils, a conservé des partisans. Le National est vierge de lecteurs. On y reçoit aussi, croirait-on, l’incendiaire Echo de la Fabrique !… Mais on est bien aise de savoir ce qui se passe dans le camp ennemi. L’Echo a de nombreux adversaires, non-seulement à raison de ses principes, mais encore par rapport aux intérêts qu’il met en jeu. Aussi on le prend avec dédain, on le lit avec colère, on le rejette avec fureur, mais on y revient par besoin et pour achever une lecture interrompue par la violence. D’ailleurs, que sait-on ? si on pouvait y trouver matière à réquisitoire ! Un de ces jours passés ; lequel ? peu importe, je ne sais par quel hasard, un porteur malencontreux vint étourdiment déposer sur le comptoir le journal républicain de Lyon par excellence, LA GLANEUSE, feuille maudite s’il en fut jamais, par tout ce qui porte un cœur de… banquier. On souffre bien le Précurseur, parce que, discutant toujours, ne plaisantant jamais, son poison peut être neutralisé, on le pense du moins, par le Courrier de Lyon ; car l’article du raisonnement, c’est le fort du Courrier et de MM. du café Corti. Mais comment répondre à un journal qui combat à la manière des Parthes, et lance ses traits en fuyant. A l’aspect du journal couleur de sang, si vous eussiez vu les mines s’allonger !… Si vous eussiez vu… c’était vraiment pitié ! Je vous en parle savamment, j’étais témoin oculaire. Tel qu’un voyageur arrêté tout-à-coup par la vue d’un lion qui, prêt à s’élancer sur lui, le provoque au combat et semble s’exciter lui-même en battant ses larges flancs, et gratte la terre dont il fait voler autour de lui la poussière, comme pour indiquer à son adversaire que là doit être creusée une tombe ; ainsi une terreur panique comprima tous les sens, crispa tous les visages… Quelle consommation il se fit en ce moment de bavaroises, d’eau sucrée… Il fallait bien que tous ces braves gens se remissent un peu… Enfin ils se calmèrent. Une idée était surgie… Vous souriez… et pourquoi pas une idée au café Corti. Un conseil se tint et le résultat fut qu’on brûlerait la feuille démocrate… le lourd H..... fut celui qui recueillit les avis et prononça la sentence. Un réchaud de feu fut apporté par le garçon diligent. L’emporté R..... saisit la pauvre Glaneuse, et sans remords la livra aux flammes. Le juif Manb… prit les pinces et attisa le feu… Un discours violent fut prononcé par un orateur dont le nom m’échappe, et le protocoliste J.... rédigea l’acte authentique du décès… Le républicain Per.... s’évanouit ; mais qu’allait-il faire [5.1]dans cette galère… Pour la première fois le quasi-baron D.... dérida son front nuageux et se mit à rire. L’amphibie Ma..... sortit in petto. Ainsi, le récit est véritable : la Glaneuse fut brûlée par arrêt du café Corti. L’histoire flétrira sans doute ce jugement rendu par des juges incompétens et en l’absence de toute défense. Depuis, Apollon a défendu au café Corti de porter son nom.
i Voyez le Chansonnier du Mouvement, par Laudera, 2 e édit. Tremblez, citoyens sans défense, Le bousingot s’avance. ii Terme de pratique qui veut dire tout lire, parce que les pièces des dossiers des anciens procureurs étaient réunies par des petites cordes à boyaux, cela se pratique encore dans plusieurs villes. On dit aussi lire jusqu’à la réclame. Le brave et digne homme dont nous parlons confisque à son profit le journal. Peine perdue de lui le demander, à moins que pour l’avoir on ne se passe de dîner.
Lloyd Français. Nous devons signaler au commerce en général, et aux voyageurs en particulier, ce nouvel établissement qui vient d’être ouvert à Paris, à l’imitation du Lloyd anglais. On y trouve, 1° un extrait des journaux étrangers de tout le monde connu ; 2° l’affiche de demi en demi-heure des délibérations des chambres ; 3° toutes les communications faites à la Bourse ; 4° le résumé des correspondances politiques et commerciales de tous les lieux du globe (suivant l’importance, ces correspondances sont apportées par estafettes) ; 5° La cote des fonds français et étrangers ; 6° la liste de tous les navires en charge ; 7° quatre registres pour les nouvelles maritimes ainsi divisés : 1° arrivage de navires ; 2° départ des navires ; 3° événemens divers ; 4° événemens historiques. 8° La collection de toutes les cartes géographiques ; 9° tous les journaux, livres et brochures relatifs au commerce, qui sont publiés en France et à l’étranger. Il faut être présenté pour être admis. Le prix d’admission est de 100 fr. une fois payé, et de 100 fr. par an. Les étrangers sont admis, savoir : pendant la première quinzaine gratis, et ensuite ils sont tenus de payer 15 fr. pour un mois, 25 fr. pour deux mois et 33 fr. pour trois mois. Nota. Lorsque le nombre des sociétaires sera de deux cents, le prix d’admission sera porté à 200 fr. ; il le sera à 300 fr. lorsque les sociétaires seront au nombre de trois cents, et ainsi de suite progressivement jusqu’à 500 fr. ; ce dernier prix ne sera pas excédé. Si le Lloyd français tient ses promesses, il sera d’une grande utilité au commerce français. On pourra le considérer comme un corollaire des chemins de fer et des bateaux à vapeur.
AU RÉDACTEUR.
Lyon, le 29 janvier 1833. Monsieur, Nous vous prions d’insérer dans votre prochain numéro la réponse ci-jointe que nous nous empressons de faire à la note calomnieuse insérée contre notre sieur Crozier, dans votre journal du 27 courant. Non, il n’est point vrai que notre sieur Crozier ait tenu le propos que lui suppose la rumeur publique, ni aucun autre qui puisse avoir rapport aux fatales journées de novembre. Le but de cette calomnie est sans nul doute de chercher à rompre l’harmonie qui a toujours existé dans notre fabrique avec nos ouvriers. Nous avons l’honneur, etc. F. Potton, Crozier et Ce Note du rédacteur. – Nous insérons cette lettre avec plaisir, car, nous le répétons, notre journal est ouvert à toutes les réclamations sans aucune exception. Nous pensons qu’après une dénégation aussi formelle il ne saurait y avoir de doute sur la fausseté du propos attribué à M. Crozier. Nous devons même dire à son avantage, qu’il nous a déclaré que si tous ses confrères payaient le laçage des cartons, sa maison s’y conformerait de suite. Cela nous donne lieu de persister dans notre opinion, que la première chose à faire par le conseil des prud’hommes est d’établir une jurisprudence fixe, et dès lors bien peu de maisons refuseront de s’y soumettre. Il en sera des droits constitutifs de la fabrique, tels que le laçage, les tirelles, déchet, montages, etc., comme du taux de l’intérêt de l’argent. Aucun négociant n’oserait prêter au-dessus du taux fixé par la loi ; aucun non plus n’osera se soustraire à l’acquittement des charges de fabrication par lui dues. Pour arriver à ce résultat, il faut que le négociant prévaricateur soit parmi ses confrères noté d’infamie, comme le serait celui connu pour se livrer à des prêts usuraires.
AU MÊME.
[5.2]Lyon, 1er février 1833. Monsieur, La Maison Ajac et Ce vous prie de vouloir bien insérer dans votre prochain N° qu’elle vient de créer un nouveau système de métiers pour la fabrication des châles à rosaces, sans aucune pointe ni retours, et qu’elle s’est pourvue d’une demande en brevet d’invention en date du 24 janvier dernier. En conséquence, elle prévient MM. les fabricans, à qui ce nouveau système pourrait être présenté, qu’elle prétend user de tous ses droits contre les imitateurs, à quel titre que ce soit. Elle espère que la présente, rendue publique par la voie des journaux, lui évitera toute espèce de désagrément vis-à-vis de ses confrères. Agréez, etc. Ajac.
Souscription en faveur de M. Descœurs. 2e liste. MM. Pelissier, 50 c. Chapelle, 50 c. Girard, 50 c. Labory, 1 fr. 50 c. Laville fils, 50 c. Donnadieu, 1 fr. Dumas, 1 fr. Prunot, 1 fr. 50 c. Strube, 1 fr. – Total, 8 fr. Nous apprenons avec plaisir à nos lecteurs que ce père de famille se trouve depuis quelques jours dans un état de santé meilleur qui fait espérer sa guérison. Le gérant, berger.
La commission de surveillance de l’Echo de la Fabrique, pour le trimestre commencé le premier du courant, est composé des chefs d’atelier suivans : MM. Duchamp, Bofferding, Moine, Strub, Legras, Matrod et Ferrier.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
(présidé par m. goujon.) Audience du 31 janvier 1833. Jamais la salle n’avait contenu un auditoire aussi nombreux, on s’attendait à quelques grands et solennels jugemens. Tout le monde a été désappointé. MM. les fabricans ont fait défaut, et une douzaine de causes ont été appelées avant qu’un débat contradictoire pût s’établir. Une seule affaire a présenté quelqu’intérêt, celle entre le sieur Voleyre, chef d’atelier, et le sieur Dubelle, négociant. Le conseil passe dans la salle des délibérations pour entendre le rapport de MM. Reverchon et Perret, devant qui elle avait été précédemment renvoyée. A son retour, le sieur Voleyre expose sa demande qui consiste en une augmentation de 5 cent. par mille sur les dernières pièces tissées depuis le mois de mai jusqu’en décembre ; il dit que cette augmentation lui avait été promise verbalement, et qu’il s’en était rapportéi. De plus, il réclame des indemnités pour temps perdu, soit pour avoir monté des pièces qui n’ont pu se fabriquer, soit pour en avoir attendue. Le sieur Dubelle répond qu’il n’a rien promis au-dessus du prix marqué, et que, quant aux défrayemens, il ne compte devoir que deux ou trois journées au plus. Après avoir procédé à la vérification des comptes, et constaté en partie les demandes du chef d’atelier, mais voulant avoir des renseignemens plus exacts, le conseil renvoie de nouveau l’affaire devant les membres arbitres auxquels MM. Favier et Verrat sont adjoints. Le sieur Drivon fait comparaître son élève qu’il a renvoyé et son père ; il réclame à ce dernier une indemnité vu le peu de travail et la négligence réitérée de son [6.1]fils. Sur le rapport de M. Martinon, chargé d’inspecter l’atelier, le conseil condamne le père à payer au sieur Drivon, une somme de 250 fr. Le père se récrie alléguant qu’il a déjà payé 300 fr. M. le président, qui avait oublié d’entendre le père et l’élève dans leur défense, et avait cru pouvoir statuer ex-abrupto, déclare que, vu l’incident, le prononcé du jugement est renvoyé à huitaine. Nous livrons ce fait à la publicité sans commentaire. Un grand nombre d’agens de police, voire même un ou deux commissaires, étaient au nombre des assistans. Nous ne savons si c’était comme amateurs ou pour s’instruire, ou encore pour aider au Courrier de Lyon dans sa rédaction de la jurisprudence du conseil qu’il nous a promise.
i Le prix est marqué 50 c. le mille. Voleyre réclame 55 c. Le cours est de 60 à 65 c.
SUR CETTE QUESTION :
Les notaires sont-ils contraignables par corps pour la restitution des sommes qui leur sont confiées, et qu’ils détournent à leur profit ? C’est ainsi que marche le privilège ; d’abord il s’impose comme garantie aux intérêts privés, et lorsqu’il a reçu du législateur abusé la sanction dont sa cupidité a besoin, il retire et dénie aux intérêts privés la protection qu’il leur avait fallacieusement promis. (L’Echo, n° 54, Question d’ordre public.) Nous avons rendu compte dans le n° 54 de l’Echo d’un arrêt de la cour de Paris qui a déchargé un notaire de toute responsabilité à raison d’un placement par hypothèque opéré par lui d’après son conseil, son examen des pièces, et reconnu ensuite à l’échéance d’une nullité radicale et évidente ; nous en avons conclu qu’il ne fallait confier aucuns fonds aux notaires pour en faire le placement, mais ne se rendre chez eux que pour donner l’authenticité aux actes et prêts convenus hors leur présence. Ces conclusions, prises après un mûr examen et une discussion approfondie, n’ont été contredites par personne. Nous les tiendrons pour vraies jusqu’à ce qu’on essaye de les réfuter. La même cour de Paris vient, par un arrêt récent (17 janvier 1833), de nous fournir de nouveaux motifs de persister dans cette opinion que nous avons émise en conscience. Le général Bonnet1 avait remis à M. Maine de Glatigny, notaire actuellement en déconfiture, une somme importante sur laquelle il restait créancier de 80,110 francs. Il demandait donc en justice le payement de ce solde, et en même temps la contrainte par corps contre ce dépositaire infidèle. La cour a refusé cette voie d’exécution. A-t-elle fait une juste application de la loi ? nous ne le pensons pas ; mais dans le cas contraire, en admettant que cet arrêt soit conforme aux principes du droit, alors nous dirons : aucune garantie n’est donnée au capitaliste ; il peut être impunément volé par son notaire. Ce n’est cependant qu’à raison de son titre, de son privilège, de la position sociale qui en résulte que le notaire obtient une confiance presque illimitée. Le capitaliste accorde au notaire la confiance que probablement il refuserait à l’homme privé, à l’agent d’affaires, et dépouillant son caractère, le notaire voudra chercher dans la profession d’agent d’affaires des bénéfices supérieurs à ses émolumens d’officier public, il voudra chercher dans son individualité comme homme privé, un [6.2]recours contre les fautes qu’il a commises en sa qualité de fonctionnaire. C’est vraiment dérisoire. Nous avons prouvé dans le numéro précité du journal, le ridicule de la prétention des notaires de vouloir qu’on distingue en eux deux personnes, l’une privée donnant des conseils, l’autre publique faisant des actes. Nous avons également établi l’incompatibilité des fonctions du notariat et de l’agence. Ce cumul, préjudiciable à la société, doit cesser d’être permis. Il est même urgent de fixer un délai dans lequel les titulaires seront forcés d’opter. Jusque-là la foi publique sera trompée, et de scandaleuses faillites viendront affliger la morale publique ; mais jusqu’à ce que cette importante amélioration ait lieu, nous persisterons à dire que ne pas reconnaître un dépositaire public dans un notaire, c’est être étranger aux plus simples notions de la vie commune ; libérer ce dépositaire de la contrainte par corps, c’est trop souvent lui donner quittance. Il n’y a pas de milieu : ou bien, affranchissez le notaire de toute responsabilité pécuniaire s’il se trompe même grossièrement ; affranchissez-le de la contrainte par corps si, dépositaire infidèle il trompe son client, nous y consentons ; mais auparavant faites publier à son de trompe et affichez au coin des rues ces mots qui terminaient notre précédent article, et que nous ne nous lasserons pas de répéter. Il ne faut confier aucuns fonds aux notaires pour en faire le placement, mais ne se rendre chez eux que pour donner l’authenticité aux actes de prêt dont on sera convenu hors leur présence. Marius Ch......g
CONSIDÉRATIONS SOCIALES.
Ceux dont la vie frivole s’écoule au sein des petites passions et dans l’admiration des chefs d’œuvre de nos habiles, qui replâtrent à grand’peine l’édifice décrépit qui s’éboule, sourient à nos paroles quand nous parlons de la dissolution de l’ancien monde, et de la transformation de la société. Ils ont la vue trop courte pour atteindre à la portée des grands événemens qui s’accomplissent. Eh bien ! qu’ils bornent leur horizon à la faiblesse de leurs yeux, qu’ils regardent seulement autour d’eux, ils peuvent voir dans un salon l’image en raccourci, le tableau en miniature de ce qui se passe dans le monde politique. Retrouvent-ils dans les réunions, dans les assemblées cette homogénéité, cette harmonie, cet accord qui existaient autrefois ? Faut-il être si grand observateur pour reconnaître tout le décousu, tout le délabrement de ce que nos bourgeois appellent une soirée, de ce qu’ils n’osent même plus nommer une société particulière ? Noblesse sans priviléges, roture ennoblie sans prestiges, militarisme usé ; honneur sans argent, richesse sans honneur, usure dorée, vertu sans crédit, finance sans savoir, misère vaniteuse ; magistrats sans popularité, prêtres sans croyance, pasteur sans troupeau, fonctionnaires sans âme et sans indépendance, pouvoir sans force, gouvernans sans conscience et sans foi politique ; c’est partout un pêle-mêle d’élémens hétérogènes qui se repoussent, un bruit confus de sons discordans à ne pas s’entendre, on ne rit jamais, on ne raisonne plus, on ne parle même pas, on grimace, on minaude, on saute et on joue. Beau plaisir ! belle harmonie ! belle franchise ! belle moralité ! Ouvrez donc les yeux, incrédules que vous êtes ! et [7.1]demandez-vous au moins pourquoi cette sotte comédie ? Pourquoi cette réserve, cette froideur, pourquoi cette défiance continuelle de gens qui, pour rappeler le mot de Piron, se saluent mais ne se parlent pas, s’embrassent et voudraient s’étouffer ? C’est, je vous le répète, l’image parfaite de la grande société qui n’a plus ni croyance morale, ni foi politique, ni religion, dont la révolution de 89 a fait un véritable chaos en sapant la masse énorme du passé, qui s’est déroulé et n’a plus laissé que des décombres. L’empire et la restauration ont tenté de reconstruire l’édifice social sur son antique base ; mais cette base était ébranlée, et l’édification nouvelle n’a pu y trouver aucun aplomb, aucune solidité, aucune condition de durée ; vienne donc un architecte habile qui déblaye le terrain, et qui remplace les fondations vieillies par des constructions neuves, car la vieille société catholique et féodale s’en va, s’en est allée. Toutes les voix éloquentes le crient : « Cette société si vigoureuse en sa jeunesse, qui, à la chute du paganisme, vint s’asseoir, militaire et chrétienne sur les débris du colosse romain pour étendre ses bras puissans sur l’Asie et le Nouveau-Monde, pour porter les bienfaits d’une civilisation nouvelle sur tous les points du globe ; cette société du moyen âge, arrivée à son tour à l’impuissance et à la décrépitude, tombe de toutes parts et n’offre plus que des lambeaux et des ruines dans son organisation religieuse comme dans sa constitution politique. Mais les peuples ne meurent point ; ils transforment, et les nations européennes ne descendent point au néant ; elles s’élèvent à une existence nouvelle, à une organisation plus parfaite, à une vie plus puissante et plus belle. Un autre ordre social surgira bientôt, qui s’appuiera non plus sur des priviléges de castes, de minorité, mais sur la large base des besoins et des intérêts de tous, qui demandent une égale satisfaction en retour d’une égale sympathie : et vous riez, vous qui ne pouvez vous comprendre dans le cercle étroit d’une prétendue intimité, vous riez, quand on nous dit que tout est confusion, que tout est désordre dans un monde immense où gisent entassés, sans ordre, sans liens, les regrets du passé, les inquiétudes du présent, et où fermentent les espérances de l’avenir. Vous appelez désorganisateurs, rêveurs, utopistes, ceux qui veulent se servir de la raison publique comme d’un levier pour asseoir la société. Insensés ! Lorsqu’un changement est devenu nécessaire dans la constitution sociale, les révolutionnaires ne sont point ceux qui cherchent à faciliter, à opérer ce changement, ce sont ceux qui s’obstinent à s’y opposer, qui apportent à une évolution providentielle une résistance aveugle, impie, qui n’arrêtera point le progrès, mais qui le fera chèrement acheter par des larmes et du sang. Voila les vrais perturbateurs, les révolutionnaires. Pour nous, qui sommes venus après les funérailles de l’ancien régime, pour assister au baptême du régime nouveau, peu nous importe que le passé dispute à l’avenir quelques heures de plus d’existence ! le vieil ordre politique et social est mort, mort pour toujours, avec lui doivent disparaître l’esclavage et le paupérisme, la misère et la dégradation : le sol européen, remué en tout sens par la chaleur des révolutions, fécondé par les croyances puissantes des philosophes, des Owen, des Saint-Simon, des Fourrier, n’attend plus qu’un rayon vivifiant, pour fleurir dans l’abondance, au sein d’une civilisation perfectionnée, sous l’égide d’une constitution libre, les peuples affranchis et moralisés : et ce soleil ne tardera pas à paraître. Jullien 1, Ancien élève de l’Ecole normale.
Variétés. 1
[7.2]Agriculture.– Il y a en France 53 millions d’hectares, dont 1,840,000 sont encore en bruyères, landes ou marais. Anvers (Siège de la citadelle d’). – La garnison comptait, le jour de la reddition de cette place, 3,797 sous-officiers ou soldats, 129 officiers compris le général Chassé, et 300 blessés. Argent (mines d’). – Du 1er janvier 1832 au 3 décembre suivant, on a tiré 15,424 marcs d’argent pur des mines de Konisberg. Biographie. – Le conventionnel Dupont, dont nous avons annoncé le décès dans la Revue quindécimale (n° 62 de l’Echo), était né à Faverges en Savoie, le 7 août 1762. Caisses d’épargne et de prévoyance. – Elles ont été fondées en 1804 en Angleterre. On en comptait, tant dans ce pays qu’en Irlande, 477. En 1829 elles avaient en dépôt 360,873,000 f. appartenans à 499,945 déposans. – La première caisse d’épargne établie en France l’a été en 1819 à Paris. On en compte aujourd’hui environ 14 pour toute la France. Au 31 décembre 1831 elles ont été créditées au trésor d’un solde de 5,934,480 fr. Canada (Notice statistique sur le). – La population totale du Canada, de Mont-Réal, de Québek, des Trois-Rivières et de Gaspé, y compris le nouveau canton de Bonaventure, se monte à 494,598 ames. On trouve dans ces divers districts 1,002,198 acres de terres labourables, et 1,944,387 acres de prés et pâturages, d’après une moyenne de trois années, le Canada fournit annuellement 2,391,240 bushels de froment, 2,541,529 bushels d’avoine, 363,117 bushels d’orge, 823,318 bushels de pois, 6,795,310 bushels de pommes de terre, 1,228,067 toises de foin, 145,964 quintaux de beurre et 11,729 quintaux de lin. – On y compte 140,432 chevaux, 143,012 bœufs, 260,015 vaches, 829,122 moutons et 241,835 porcs. – Dans l’année qui vient de s’écouler on y a fabriqué 79,348 aunes de toile, 404,120 aunes de flanelle, 1,080,000 aunes d’étoffes diverses. – Il y a dans la colonie 13,243 métiers de tisserands. – Le mouvement des bateaux sur le canal de la Chuie a été de 2,111 en montant, et 2,005 en descendant, et les droits payés se montent à 6,632 liv. sterl. – On a exporté de la province du Canada, en 1831, 1,321,220 bushels d’orge, 72,191 tonneaux de farine, et 30,387 tonneaux de potasse. – Une compagnie qui dispose d’un capital de 500,000 liv. sterl. a le projet d’établir des voies de communication dans l’intérieur et de faciliter les relations avec l’Angleterre. Commerce maritime.– Il est passé par Elseneur, en 1832, 12,202 bâtimens, savoir : 3,330 anglais, 1,763 prussiens, 835 danois, 1,383 norwégiens, 1,007 suédois, 403 russes, 42 hanovriens, 1,425 hollandais, 231 français, et 189 américains. Confédération germanique. – On compte en tout 35,098,449 habitans.– L’Autriche a une étendue de 3,578 milles carrés et 10,383,604 ames de population. – Le royaume de Prusse a une étendue de 3,348 milles carrés et une population de 9,956,775 habitans. – Les dix corps d’armée de la confédération y compris le corps de réserve de 11,366 hommes, se montent en tout à 303,448 hommes, de diverses armes. L’Autriche en fournit 94,822 hommes et 192 pièces d’artillerie qui forment les 1er, 2e et 3e corps d’armée. Les 4e, 5e et 6e corps d’armée, formant 79,234 hommes et 160 pièces de canon, sont fournis par la Prusse. Eglise catholique française de l’abbé Châtel. – Cette église a fait en 1830 1 baptême et 4 mariages ; en 1831, 107 baptêmes, 114 mariages et 11 enterremens ; en 1832, 223 baptêmes, 255 mariages et 100 enterremens. France (statistique de la).– Il y a en France 31,131,515 habitans répartis ainsi : 22,231,515 agriculteurs ; 4,300,000 artisans ; le surplus compose les classes qui exercent les arts libéraux, s’occupent d’administration, de littérature ou vivent oisives. Incendies. – Les pompiers de Paris ont éteint dans l’enceinte de cette ville : pendant le cours de l’année 1832,153 incendies et [?] feux de cheminée. Impôts indirects – Leur produit a été, en 1830, de 572,243,000 f., et en 1832, de 559,094,000 f. Médecine. – M. Barruel, chef des travaux chimiques à la faculté de médecine de Paris, prétend trouver dans le sang d’un cadavre assez de fer pour frapper une médaille du volume de la pièce de 40 fr. Naissances et décès (statistique comparative des). – Dans une année il naît 23,728,813 individus ; il en meurt 21,212,121. Dans un jour 65,010, et il en meurt 50,128. – Dans une heure 2,708 individus naissent, 2,421 meurent. – -Et dans une minute 45 voient le jour, 40 décèdent. [8.1]En évaluant le nombre total des habitans du globe à 700 millions, le rapport entre les décès et les vivans, est de 1 à 33, et celui entre les naissances de 1 à 29 ½, ce qui prouve une augmentation continuelle de population. Télégraphie universelle de la presse. – M. de Corlieu a fondé, il y a quelque temps sous ce titre, un établissement à Paris, rue de Richelieu, n° 25, au moyen duquel les avantages de la presse seraient étendus à la correspondance entre particuliers. Ainsi la poste qui, dans son temps fut un progrès immense, se trouverait dépassée.
Lectures prolétaires J’aime à voir croître dans les jardins d’autrui des plantes dont j’ai semé les germes. Leibnitz1. Des équivoques : voici deux chemins ; l’un est bon l’autre est mauvais, lequel prendrons-nous ? Sterne2. Si un roi cueille une pomme dans le jardin de ses sujets le lendemain ses favoris couperont l’arbre. Nouschirvan le juste3. On n’est pas bon pour avoir fait une bonne action ; on n’a pas l’esprit juste pour avoir rencontré une idée vraie ; on n’est pas heureux pour avoir eu quelques jouissances très vives ; il n’y a qu’une manière d’être, habituelle, etc. Necker. Rousseau dit qu’un homme sobre est un homme faux ; il aurait dû dire qu’un homme faux est presque toujours sobre. Me guenard. L’homme ne peut être heureux tout seul et cependant l’égoïste cherche à l’être. Bruno4.
Coups de navette.
Le Charles-Quint lyonnais est un véritable spadassin. Demandez à MM. Granier, de Rochefort et Vougy. Par ordonnance de police, les duels sont défendus aux rédacteurs du Courrier de Lyon. Récompense honnête à qui fera sortir MM. Jouve et Montfalcon de leur sang-froid. Un moyen sûr de ne pas se battre ; c’est d’appeler en duel les rédacteurs du Courrier. Ce n’est que dans ses écrits que M. Jouve est partisan de la peine de mort. M. Jouve va publier une seconde édition de son discours en faveur de la peine de mort ; elle sera dédiée au bourreau. Il vivra long-temps ce M. Jouve, s’il continue d’être brave comme ça. Quand on a accepté un duel, il semble qu’il n’y a que ces deux choses à faire : y aller ou ne pas y aller. Eh bien non ! M. Jouve a trouvé un juste-milieu, c’est d’y aller sans armes. Les petits gamins ont bien ri en lisant sur le Courrier : enliassage pour enlaçage. Nous connaissons à présent le sténographe que, depuis quelque temps on voit au conseil des prud’hommes. C’est un rédacteur du Courrier. Mais qui le payera ? Pauvre budget ! Si l’Echo est de la basse presse, le Courrier est bien de la presse basse. Tous les grands hommes ont des surnoms. On dit Alexandre-le-Grand, Scipion l’Africain, etc. ; de quoi se plaignent donc ces Messieurs ? La postérité dira, grâce [8.2]à nous, G....n l’irascible, R....d l’emporté, G…t l’opiniâtre, etc. MM. Rocheford et Vougy disent qu’il y avait des agens de police dans une salle dépendante du bureau du Courrier. Ça les étonne ! Nous pensons que si des agens de police se sont cachés dans une salle à côté du bureau du Courrier, c’était de crainte qu’on crut qu’ils étaient des rédacteurs. Le Courrier de Lyon va remplacer les séances de la chambre des députés par celles du conseil des prud’hommes. Le Courrier-Goujon ne peut suffire aux demandes d’abonnement des ouvriers. On signe en ce moment une pétition dans les bureaux du Courrier pour demander la suppression du mois de novembre. Si le Courrier-Goujon est aussi fort sur l’industrie que le Courrier-Jouve sur la politique nous entendrons de jolies choses. A en croire le Courrier de Lyon, il n’y aurait parmi les négocians aucun prud’homme. M. F. G.....t fait savoir à tous et à un chacun qu’il est prêt à rendre raison à ceux qui voudront venir les uns après les autres. Quel crâne ! Pour rendre raison il faudrait en avoir.
AVIS DIVERS.
(149) habits de bal, consistant en dominos, travestissemens et costumes pour femmes, à vendre en totalité ou en partie. S’adresser à Mme veuve Matisse, place Neuve-des-Carmes, n° 4, au 3e. [53] Les sieurs Deleigue et Bailly, mécaniciens, rue St-Georges, n. 29, à Lyon, préviennent MM. les fabricans, chefs d’ateliers et dévideuses qu’ils viennent d’obtenir un brevet d’invention et de perfectionnement d’un nouveau genre de mécaniques rondes, dites à roue volonté, propres à dévider, trancanner et faire des cannettes à plusieurs bouts, de toutes sortes de soie. Par un nouveau procédé ; elles suppriment rouleaux, cordages et engrenages, et sont supérieures à toutes celles qui ont paru jusqu’à ce jour. Les broches tournant par une seule roue qui tourne horizontalement, font qu’elles tournent toutes régulièrement. [92] Le sieur DAVID, mécanicien, à Lyon, place Croix-Pâquet, prévient MM. les fabricans, chefs d’ateliers et devideuses, qu’il établit ses nouvelles mécaniques économiques, pour lesquelles il est breveté, à une seule roue comme avec plusieurs, avec une seule corde comme sans corde, par le procédé des roues tournant horizontalement, dont le plan circulaire fait mouvoir les broches, l’axe général ou moteur ayant été par lui placé au centre des mécaniques rondes à dévider et à faire les cannettes, moyens qui lui ont fait supprimer sur l’ancienne méthode, engrenage, cordages, poulies, etc., et lui a donné la facilité d’y adapter le cannettage simultané. Toutes mécaniques de ce genre qui ne sortiraient pas de ces ateliers seront confisquées, les contrefacteurs poursuivis. Il adapte ces nouveaux procédés aux anciennes mécaniques, fait des échanges contre les vieilles, et revend ces dernières à un prix modéré. Le nombre d’ouvriers qu’il occupe le met à même de livrer plusieurs mécaniques le jour même qu’on lui en fait la commande. Elles s’établissent à volonté, de forme ronde, longue ou en fer à cheval. Les roquets et cannettes se font de trois formes différentes, si on le désire, bombés, cylindriques et en pain de sucre. On peut régulariser le mouvement des broches, ou leur donner des mouvemens différens pour dévider les matières fortes et faibles. [141] chansons de pierre corréard, 2e numéro, en vente chez tous les libraires. On trouve dans ce recueil deux chansons que nous avons insérées dans l’Echo, Servilius et O mes amis, chantons !
Notes ( SUR CETTE QUESTION :)
Il s’agit peut-être ici du général J.-P. Bonnet (1776-1850).
Notes ( CONSIDÉRATIONS SOCIALES.)
Jullien faisait semble-t-il partie, comme A. Roussillac ou L. Berthaud, de la jeune frange républicaine que l’équipe Berger-Chastaing avait introduite dans la rédaction du journal. Il va publier entre janvier et juin 1833 une série d’articles magnifiant notamment la mise en « association » progressive de « la richesse, la science et l’industrie » (numéro du 12 mai 1833).
Notes ( Variétés.)
Cette compilation de chiffres ne doit pas surprendre ici. Les années 1830-1850 ont été qualifiées, par un commentateur moderne, comme marquant « l’ère de l’enthousiasme statistique ». C’est d’ailleurs en 1833 qu’est créée la Statistique générale de la France (SGF), placée initialement sous l’autorité du ministère du Commerce et que va d’abord diriger Alexandre Moreau de Jonnès (1776-1870).
Notes ( Lectures prolétaires J’aime à voir...)
Gottfried W. Leibniz (1646-1716) philosophe allemand. Laurence Sterne (1713-1818), écrivain anglais d’origine irlandaise. Chosroès Ier (531-579), roi de Perse au VIe siècle. Giordano Bruno (1548-1600), philosophe et théologien italien.
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