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17 février 1833 - Numéro 7
 
 

 



 
 
    
 Abus des supplémens de salaire

portés sur les livres comme bonification.

Un chef d’atelier monte son métier pour une maison de commerce qui lui annonce un ouvrage courant ; cette maison a marqué sur son livre un prix à peu près raisonnable pour cette sorte d’ouvrage ; mais lorsqu’il reçoit les matières, le chef d’atelier s’aperçoit qu’elles sont ourdies pour une disposition différente, et que s’il consentait à fabriquer au prix marqué, il serait en perte, il réclame alors auprès du négociant ; ce dernier cherche d’abord à l’amuser sous différens prétextes spécieux, et enfin l’éconduit. Victime d’une manœuvre que nous serons très honnêtes en ne la qualifiant que d’adroite, le maître est obligé, au risque de passer pour inhabile et tracassier, de faire appeler le marchand devant le conseil des prud’hommes. La cause s’explique, et vérification faite, on reconnaît le droit de l’ouvrier à un salaire supérieur (nous connaissons un chef d’atelier auquel MM. Pellin et Bertrand ont été condamnés à payer 1 f. 50 c. l’aune qu’ils avaient eu l’incroyable idée de marquer 90 c.) L’affaire se trouve terminée entre le négociant et le chef d’atelier, mais qu’arrive-t-il ? au lieu d’écrire sur le livre de ce dernier, que par décision des prud’hommes ou convention, le prix de la façon reconnu trop minime est porté de tel à tel prix, rien n’est changé, et l’on inscrit cet excédent à titre de bonification.

Il en résulte un grave abus, c’est que les autres chefs d’atelier, n’étant pas avertis du prix réel, peuvent être induits en erreur ; d’un autre côté, le chef d’atelier, [1.2]s’il était de mauvaise foi, pourrait priver son compagnon de la part qui lui revient. C’est donc compromettre l’intérêt de ces deux individus ; pourquoi ?… pour donner une satisfaction puérile à l’amour-propre d’un négociant prévaricateur.

Expliquons-nous : Ce chef d’atelier qui réclame une augmentation de prix, n’entend pas recevoir une gratification telle qu’on l’accorde à un serviteur dont on est satisfait, il demande le prix juste et légitime de son travail et non l’aumône. Une loi dont nous n’avons pas à discuter ici le mérite, permet de réclamer contre le taux d’un intérêt usuraire, et d’imputer sur le capital les sommes perçues de cette manière. A-t-on jamais en pareil cas alloué cet intérêt usuraire restitué, à titre de bonification ? eh non, sans doute ; on l’a regardé comme une restitution. C’est aussi de la même manière, et comme restitution, qu’il faut envisager la condamnation qu’un négociant subit lorsque le conseil le condamne à donner à son ouvrier un prix supérieur à celui qu’il avait primitivement et arbitrairement établi. Bonification, suppose un don quelconque, un acte de générosité ; mais avant que de faire un don, avant d’être généreux, il faut payer ses dettes, et dût l’amour-propre de ces messieurs en souffrir, aucun chef d’atelier ne doit consentir à recevoir comme gratification ce qui lui est dû comme salaire.

Nous ne pensons pas avoir besoin de nous étendre davantage sur cette matière, et nous espérons que cet abus tout nouveau sera promptement réprimé. Nous espérons qu’on ne lui donnera pas le temps de s’enraciner, et de grandir comme ses prédécesseurs. Les négocians, eux-mêmes, sentiront facilement qu’ils auraient mauvaise grâce à vouloir le soutenir, et les prud’hommes-ouvriers, conservateurs des intérêts et des droits de la fabrique, ne le souffriront pas. Il ne suffit pas que le chef d’atelier reçoive ce qui lui est dû, il faut encore qu’il le reçoive d’une manière légale et honorable. A côté la question d’argent, se trouve toujours celle de moralité, qu’on ne saurait également trop prendre en considération.

 

 

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