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17 février 1833 - Numéro 7
 

 




 
 
     

 Abus des supplémens de salaire

portés sur les livres comme bonification.

Un chef d’atelier monte son métier pour une maison de commerce qui lui annonce un ouvrage courant ; cette maison a marqué sur son livre un prix à peu près raisonnable pour cette sorte d’ouvrage ; mais lorsqu’il reçoit les matières, le chef d’atelier s’aperçoit qu’elles sont ourdies pour une disposition différente, et que s’il consentait à fabriquer au prix marqué, il serait en perte, il réclame alors auprès du négociant ; ce dernier cherche d’abord à l’amuser sous différens prétextes spécieux, et enfin l’éconduit. Victime d’une manœuvre que nous serons très honnêtes en ne la qualifiant que d’adroite, le maître est obligé, au risque de passer pour inhabile et tracassier, de faire appeler le marchand devant le conseil des prud’hommes. La cause s’explique, et vérification faite, on reconnaît le droit de l’ouvrier à un salaire supérieur (nous connaissons un chef d’atelier auquel MM. Pellin et Bertrand ont été condamnés à payer 1 f. 50 c. l’aune qu’ils avaient eu l’incroyable idée de marquer 90 c.) L’affaire se trouve terminée entre le négociant et le chef d’atelier, mais qu’arrive-t-il ? au lieu d’écrire sur le livre de ce dernier, que par décision des prud’hommes ou convention, le prix de la façon reconnu trop minime est porté de tel à tel prix, rien n’est changé, et l’on inscrit cet excédent à titre de bonification.

Il en résulte un grave abus, c’est que les autres chefs d’atelier, n’étant pas avertis du prix réel, peuvent être induits en erreur ; d’un autre côté, le chef d’atelier, [1.2]s’il était de mauvaise foi, pourrait priver son compagnon de la part qui lui revient. C’est donc compromettre l’intérêt de ces deux individus ; pourquoi ?… pour donner une satisfaction puérile à l’amour-propre d’un négociant prévaricateur.

Expliquons-nous : Ce chef d’atelier qui réclame une augmentation de prix, n’entend pas recevoir une gratification telle qu’on l’accorde à un serviteur dont on est satisfait, il demande le prix juste et légitime de son travail et non l’aumône. Une loi dont nous n’avons pas à discuter ici le mérite, permet de réclamer contre le taux d’un intérêt usuraire, et d’imputer sur le capital les sommes perçues de cette manière. A-t-on jamais en pareil cas alloué cet intérêt usuraire restitué, à titre de bonification ? eh non, sans doute ; on l’a regardé comme une restitution. C’est aussi de la même manière, et comme restitution, qu’il faut envisager la condamnation qu’un négociant subit lorsque le conseil le condamne à donner à son ouvrier un prix supérieur à celui qu’il avait primitivement et arbitrairement établi. Bonification, suppose un don quelconque, un acte de générosité ; mais avant que de faire un don, avant d’être généreux, il faut payer ses dettes, et dût l’amour-propre de ces messieurs en souffrir, aucun chef d’atelier ne doit consentir à recevoir comme gratification ce qui lui est dû comme salaire.

Nous ne pensons pas avoir besoin de nous étendre davantage sur cette matière, et nous espérons que cet abus tout nouveau sera promptement réprimé. Nous espérons qu’on ne lui donnera pas le temps de s’enraciner, et de grandir comme ses prédécesseurs. Les négocians, eux-mêmes, sentiront facilement qu’ils auraient mauvaise grâce à vouloir le soutenir, et les prud’hommes-ouvriers, conservateurs des intérêts et des droits de la fabrique, ne le souffriront pas. Il ne suffit pas que le chef d’atelier reçoive ce qui lui est dû, il faut encore qu’il le reçoive d’une manière légale et honorable. A côté la question d’argent, se trouve toujours celle de moralité, qu’on ne saurait également trop prendre en considération.

 Sur la prescription d’un mois.

Il y a environ trois mois que dans un arbitrage M. Reverchon, prud’homme négociant, l’un des arbitres, [2.1]criait à tue-tête et à plusieurs reprises à M. Sondard : Vous ne devez rien, il y a plus de quatorze mois. M. Sondard répliqua : N’importe, il y aurait dix ans, si je dois je veux payer.

Dans un arbitrage récent, M. Cotteret, de la maison Revel et Cotteret, a également refusé d’exciper de l’odieux bénéfice de la prescription.

(Communiqué.)

Nous nous plaisons à rendre hommage à ces deux négocians. La même impartialité sera toujours la base de notre conduite. Nous persistons à croire que ces messieurs ne sont pas les seuls honnêtes de leur classe, et que dès lors rien n’est si facile que de trouver neuf prud’hommes négocians, et éviter la prochaine désorganisation du conseil.

 RÉCLAMATIONSi.

M. Chardonnait nous adresse une lettre par laquelle il se plaint des manières fallacieuses employées envers lui par Messieurs Sandier et Tholozan, lesquels, pour l’engager à leur monter un métier, lui donnèrent une disposition de robes, dite courant, et lui marquèrent le prix à 90 c. Lorsqu’il reçut la pièce et la trame, l’une se composait de deux rouleaux, et la trame quadrillait par trois et un las. Cette différence de travail a été estimée valoir 1 fr. 50 c. par les membres experts du conseil des prud’hommes. Le sieur Chardonnait croit donc de son devoir d’instruire ses confrères et de les avertir de ne point se fier aux prix écrits sur les livres de cette maison ; puisqu’avant la décision du conseil, elle lui avait offert une augmentation de 25 c. par aune au-dessus du prix marqué sur son livre, dans le but évident de pouvoir induire en erreur les ouvriers qui pourraient de nouveau fabriquer cet article, en ne le leur payant, comme un prix d’usage, que le prix de 1 fr. au lieu de celui de 1 fr. 50 c. estimé. Il se plaint encore de la manière dont MM. Sandier et Tholozan ont exécuté le jugement du conseil. Ils n’ont voulu porter que comme bonification le supplément de prix qu’ils ont été condamnés à payer.

M. Daverede nous écrit pour nous observer que nous avons eu tort, dans notre note insérée au bas de la lettre de MM. Crozier et Poton (Voy. l’Echo, n° 5) de féliciter ces négocians de leur résolution de payer le laçage des cartons lorsque tous leurs confrères en feront autant. Ce chef d’atelier nous observe qu’il n’y aura pas alors un grand mérite à le faire.

M. Manarat se plaint que MM. Pellin et Bertrand l’ont menacé de mettre à bas tous ses métiers les uns après les autres, 1° parce qu’il a exigé les tirelles et le laçage des cartons qui lui sont dus ; 2° parce qu’il les a fait appeler au conseil des prud’hommes. Ces mêmes négocians ne veulent porter sur son livre ce qu’ils ont été condamnés à lui payer qu’à titre de bonifications.

M. Vachet nous écrit aussi pour se plaindre de la conduite de M. Aubert, commis de la maison David et [2.2]Danguin, à laquelle il rend toute justice. Il expose que sans la justice de MM. les prud’hommes il aurait été victime du défaut d’ordre ou de l’infidélité de ce commis ; il aurait été obligé de sacrifier ses façons pour payer un solde de 1055 grammes, lequel ne résulte que d’une certaine quantité de trame prise chez lui par le sieur Aubert, et que ce dernier désavouait, et d’autres erreurs dont il aurait l’habitude.


i Dans ces diverses réclamations nous ne sommes que l’organe des chefs d’ateliers qui s’adressent à nous, et dont nous sommes obligés d’adoucir plus d’une fois le langage et la forme de leurs lettres. Nous invitons ceux qu’elles concernent à les démentir immédiatement, nous insérerons leurs explications, et nous les prions de nous les faire parvenir de bonne heure pour qu’elles puissent être insérées dans le N° suivant.

 CATALOGUE

Des maisons de commerce qui sont en contravention avec les décisions du conseil des prud’hommes.

Nous inscrivons sous le N° 2, M. bender pour avoir mis à bas, samedi dernier, le métier de M. Matrod, parce que ce chef d’atelier réclamait le laçage des cartons, lequel est à la charge des négocians.

N° 3. MM. pellin et bertrand qui ont écrit sur le livre de M. Barnoux, qu’il ferait lacer à ses frais les dessins, et qu’il ne lui serait point accordé de tirelles. Ces deux maisons sont en contravention flagrante avec la jurisprudence du conseil.

 MM. Felissent frères et leurs Ouvriers.

Lundi dernier un grand nombre de métiers pour gilets de MM. Felissent frères ont été simultanément arrêtés. La cause était le refus des ouvriers de travailler à un prix inférieur à celui payé par d’autres maisons, et que cette maison elle-même avait précédemment payé un mois environ auparavant. Instruits de cette cause, MM. Felissent frères ont reconnu leur tort et rétabli le prix ; il s’agissait d’une différence de 25 c. La suspension de travail n’a duré que peu de jours, et les métiers ont repris leur activité le mercredi suivant.

Tout aurait dû être terminé : mais alors à quoi bon un commissaire central de police s’il n’a rien à faire. M. Prat a donc fait appeler cinq chefs d’atelier, MM. Labory, Berchoux, Vincent, Valentini et Machizot, et leur a fait une semonce dont ils n’avaient que faire, et dont le seul résultat sera de le priver à l’avenir de la comparution volontaire des ouvriers ou chefs d’atelier. Il s’est même oublié jusqu’à dire que s’il avait fait son devoir il les aurait fait arrêter. C’est par trop plaisant… Une petite observation trouve ici sa place. Quel a été le délateur de ces cinq chefs d’atelier ? nous présumons le savoir ; mais nous nous abstiendrons d’en dire davantage.

 NOTE

fournie par les chefs d’atelier fabricans de peluches pour chapeaux.

De nombreux chefs d’atelier désirant ne plus voir mettre chaque jour leur main d’œuvre au rabais, réclament que le prix des façons des peluches pour chapeaux soit rétabli tel qu’il était il y a deux mois, c’est-à-dire que les peluches réduites à 18 fers au pouce, soient payées 2 f. 75 c. l’aune, et celles réduites à 14 fers au pouce, 2 f. 50 c.

Ils ont cru devoir faire une démarche auprès de leurs marchands ; MM. Gaillard, Goybet, etc., se sont empressés d’accéder à la juste demande de leurs ouvriers ; [3.1]les soussignés leur rendent ce témoignage. Quant à messieurs Pitiot et Gariot, ils s’y sont obstinément refusés, malgré les sages observations de leur confrère M. Goybet.

Ainsi le même article se trouvera payé 25 c. de moins dans un magasin que dans un autre ; et dès-lors, comment parer à une concurrence ruineuse ? Et d’un autre côté, comment concevoir qu’il soit juste que la maison Pitiot et Gariot ne puisse être contrainte de payer le même prix que la maison Gaillard, par exemple ?

Nous signalons cet abus au public et à l’autorité. Nous en poursuivrons le redressement chacun en ce qui nous concerne, par tous les moyens en notre pouvoir. Simples ouvriers, nous sommes cependant trop justes pour souffrir que MM. Gaillard, Goybet, etc., soient victimes de leur condescendance au vœu des maîtres qu’ils emploient, et que MM. Pitiot, Gariot et consors, puissent, en payant moins les façons, s’enrichir à leur préjudice. L’égoïsme doit être puni par où il pêche.

Lyon, le 15 février 1833.

Flachat, Joannin, Tranchand, Verrier, Durand, Bounard, Guilliermé, Chardonnait, Lanteiron, Moucherel, Ducry, et Farget.

 AU RÉDACTEUR.

Lyon, le 11 février 1833.

Monsieur,

Je lis dans votre compte-rendu de l’audience des prud’hommes du 7 février dernier : « Lorsqu’un négociant fait attendre au chef d’atelier la pièce qu’il a été condamné à lui remettre par un jugement du conseil, etc., etc. »

Il me semble que le conseil, en rendant un pareil jugement, a dépassé ses attributions et commis un acte arbitraire.

Dans mon opinion, je lui contesterais le droit, comme à tout autre tribunal, de pouvoir en aucun cas condamner un fabricant à donner à un chef d’atelier une pièce, soit courte, soit longue, n’importe. En effet, il est une infinité de circonstances que le fabricant pourrait alléguer, de bonne ou de mauvaise foi, pour se soustraire à cette obligation qu’on voudrait lui imposer ; pendant que le conseil a entre les mains un pouvoir suffisant pour condamner un fabricant à indemniser un chef d’atelier de tout le tort qu’il a pu lui faire, soit pour ses frais de montage de métier, soit pour le temps qu’il lui a fait perdre.

Je conçois très-bien que le fabricant qui a été condamné à une indemnité plus ou moins forte envers l’ouvrier, sous la promesse qu’il lui donnerait une pièce plus ou moins longue, soit condamné à une nouvelle indemnité s’il a manqué à sa parole de quelque manière que ce soit. A nouveau tort, nouvelle réparation. – Mais je concevrai difficilement que, par arrêt d’un tribunal quelconque, un fabricant de soieries, pas plus que tout autre manufacturier, puisse être contraint à donner de l’ouvrage à un ouvrier ; sauf, je m’explique bien, réglement de dommages et intérêts.

Mon opinion, M. le rédacteur, peut être erronée, et dans ce cas, je compte sur quelques observations de votre part pour m’éclairer ; jusque-là j’ai cru devoir réclamer contre un jugement que je regarde comme arbitraire.

Vous demandez avec instance une jurisprudence fixe pour la fabrique de Lyon ; j’applaudis à votre zèle ; mais si elle n’a pas pour base le droit public ; il ne pourrait en résulter que confusion et désordre.

Recevez, etc.
C.....
Marchand-Fabricant.

Note du rédacteur. – Nous accueillons avec plaisir la lettre de M. C..... et nous en ferons de même à l’égard de toutes celles qui ayant comme elle un but utile, nous seront adressées par qui que ce soit. Nous partageons entièrement l’avis de ce négociant. Le conseil des prud’hommes, pas plus qu’un autre tribunal, n’a le droit de forcer un manufacturier quelconque à donner de l’ouvrage à un ouvrier s’il ne lui en a pas promis, et dans [3.2]le dernier cas, il ne peut que le condamner à des dommages-intérêts à défaut par lui d’exécuter sa promesse. Il y avait dans l’espèce un contrat formé entre le marchand et le chef d’atelier. Ce dernier, en montant son métier sur l’ordre du premier, avait dû compter sur la promesse de recevoir de l’ouvrage. C’est sur la foi de cette promesse qu’il avait monté son métier, et non pour obtenir le remboursement de ses frais de montage. Une discussion s’élevant ensuite sur le prix, le négociant fut condamné à donner la pièce promise, et pour laquelle le métier était monté, au prix fixé, et à raison du retard, condamné à une indemnité, il consentit à exécuter le jugement. Dès lors l’ouvrier dut encore de plus fort compter sur l’ouvrage promis. Une obligation était donc contractée en sa faveur par le négociant ; or, comme toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts, c’est avec justice que le conseil a augmenté ceux précédemment alloués à raison du nouveau préjudice causé. Certes, il n’entre dans la pensée de personne, 1° de vouloir astreindre les négocians en général à donner de l’ouvrage à tels ou tels ouvriers ; on ne doit rien à celui à qui on n’a rien promis, c’est évident ; 2° de contester aux négocians le droit de ne pas livrer les pièces promises en remboursant les frais de montage et des dommages-intérêts proportionnés pour leur refus d’exécuter leurs conventions, ainsi que cela a lieu pour toutes les obligations de quelle nature qu’elles soient.

Nous sommes donc d’accord avec M. C..... ; en thèse générale seulement ; il a fait erreur en lisant la question que nous avions posée, et en la prenant dans un sens absolu qu’elle n’a pas. La jurisprudence que nous sollicitons doit être et sera nécessairement basée sur le droit public.

 MISERES PROLETAIRES.

Vox clamans in deserto.

Un colonel et un prolétaire.i – Durand, commissionnaire, reçoit une lettre pour la porter au bureau d’un journal. C’est son métier à cet homme, c’est en exerçant cette profession utile et de confiance qu’il gagne sa vie, celle de sa famille ; il y aurait cruauté bien grande de le priver arbitrairement de ses moyens d’existence. Eh bien ! on l’a fait, et comme si cela ne suffisait pas, on l’a mis en prison sans égard pour la liberté individuelle, sans s’enquérir de l’importance de la commission dont il était chargé : on l’a arrêté d’abord, et ensuite oublié suivant l’usage. Que de choses à dire sur cet abus de pouvoir, sur ce luxe d’arbitraire. Et l’officier supérieur qui a commis cet acte liberticide n’est pas même réprimandé. Mais laissons parler ce prolétaire, son langage naïf est plus éloquent que nos paroles. C’est devant la cour d’assises de la Seine que, appelé en témoignage, Durand s’exprime ainsi :

« Me v’la à Paris, tout juste près d’une barricade et une fameuse. Je vas pour passer, bien ; qui vive ? – Eh bien ! qui vive ? que je dis, c’est moi. – Qu’est-ce que tu portes ? – Vous le voyez bien. – Arrive un colonel, celui de la 3e légion ; j’ôte ma casquette et je dis : Mon colonel… – Donnez-moi ce paquet, qu’il dit. Ah ! ah ! une lettre à la Tribune ; ce sont des Amis du Peuple ; qu’on me consigne cet homme-là, je garde le paquet. – Bien que je dis, et moi ? [4.1]– Et vous ? soldats, qu’on me consigne cet homme-là… Bon, me v’la au violon… Après cinq ou six heures je demande à reparler au colonel. Mon colonel, que je dis en ôtant ma casquette. – Cet homme-là m’ennuie, qu’il redit ; au violon, et on m’a oublié vingt-deux jours en prison. »

C’est au sein de la capitale du monde civilisé que de pareilles infamies ont lieu chaque jour. Ce colonel ne méritait-il pas d’être cassé à la tête de sa légion ?

Artaud ou l’enfant du prolétaire, vagabond et voleurii. – Il n’avait que quatorze ans lorsqu’il quitta Angoulême où il était né de parens pauvres auxquels il fut bientôt à charge. Il se rendit à Paris où une parente prolétaire comme lui, le recueillit ; mais le fléau qui dévasta la capitale, enleva cette protectrice au jeune orphelin. Artaud fut donc laissé seul et sans guide, sans secours sur le pavé de l’immense ville. Sans travail, il fut bientôt sans pain, sans vêtemens, et sans asile pendant l’hiver rigoureux. Le besoin lui fit sentir son cruel aiguillon ; il fut éclaboussé en passant par le tilbury de l’homme riche, il fut rudoyé par le premier auquel il tendit la main pour demander l’aumône… Dès lors que faire ?…– Il vola quelques bûches de bois… la police vigilante l’arrêta aussitôt. Nous ne savons pas si ce fut le même jour qu’elle laissa échapper Kesner qui a volé cinq millions… Le malheureux fut mis en prison et remercia le destin, car il eut un abri et du pain… Un jour des hommes graves, ne connaissant que de nom ce qu’on appelle privations et misère, s’assemblèrent… le jeune voleur fut amené devant eux… Ils le regardèrent avec insouciance et dédain ; on lut le texte de la loi ; et c’est bien vrai, le code pénal avait prévu ce cas ; il est encore vrai que la faim a été oubliée dans la nomenclature des circonstances atténuantes. Artaud allait donc en subir la rigueur et toute son existence à venir d’homme était flétrie… Promis à la prison, le bagne l’attendait plus tard ; car la société est si bien organisée que l’erreur d’un moment est presque irréparable… – Heureusement la providence ce jour-là fut humaine ; un avocat, Me Delaborde, que son nom soit béni ! trouva plus simple et plus rationnel de réclamer l’enfant, de lui donner un logement et du pain que de lui prêter son ministère d’avocat. Le tribunal et les spectateurs ont applaudi à cet acte de générosité ! Nous y joignons, autant qu’il est en nous, l’expression de nos sentimens de gratitude ; mais la société est-elle absoute ?

Nous continuerons de recueillir ainsi les traits les plus saillans de l’histoire du prolétariat que nos précédens articlesiii ont à peine ébauchée. Que nos lecteurs ne se rebutent pas si nous sommes obligés de promener leurs regards dans tous les lieux où le cœur de l’homme sensible éprouve un dégoût naturel. C’est sur les bancs des cours d’assises, de la police correctionnelle, dans les hôpitaux, et partout où l’humanité souffre qu’une page de cette histoire s’esquisse. Historiens fidèles, c’est avec des larmes qu’il faut l’écrire ; car la vie du prolétaire se résout en ces trois mots : Naître, souffrir et mourir. La misère préside à sa naissance, et compagne inséparable, ne l’abandonne qu’à sa mort, sauf de bien rares exceptions.

Marius Ch......g.


i Voy. Gazette des Tribunaux, n° 2328.
ii Idem. n° 2322.
iii Voy. l’Echo, 1832, nos 16, 21 et 53 ; 1833, n° 3.

 

SOUSCRIPTION POUR LES OUVRIERS TULLISTES.

4e liste de souscription.

Les compagnons ferrandiniers, 17 fr. 70 c. – M. Fournier et ses [4.2]ouvriers, 3 fr. 45 c. – M. Vincent, ouvrier en soie, 40 c. – Les ouvriers de M. Striquer, 4 fr. 50 c. – M. Esser, 10 c. – Une dame, 40 c. – Plusieurs chefs d’atelier des Carmélites, 3 fr. 35 c. – Idem de Bourgneuf, 1 fr. 50 c. – Idem du clos Casati, 15 fr. – Pelissier, républicain de la Montagne 50 c. – Les compagnons de la femme (ci-devant saint simoniens) du 7e arrondissement, 1re section, à St-Georges, 2 femmes et 8 hommes, 1 fr. 25 c. – Total : 48 fr. 15 c.

Cette somme a été immédiatement remise à la commission de secours des ouvriers tullistes.

 DU MALAISE DE LA SOCIÉTÉ.

C’est un spectacle bien douloureux que celui du malaise qui tourmente la société actuelle, et nos moralistes après avoir tant vanté la perfection du siècle, sont enfin forcés de changer de langage, et reculent d’effroi devant les résultats de leurs systèmes philanthropiques. En effet, la plaie hideuse du paupérisme s’avive, s’agrandit tous les jours, et ne peut plus rester cachée sous l’hermine de notre fausse mais brillante civilisation ; l’agiotage est maintenant une puissance qui foule aux pieds les gouvernemens eux-mêmes, s’ils ne veulent être complices de ses exactions et de ses rapines ; la concurrence poussée à l’excès, et désastreuse parce qu’elle est improductive, a forcé le commerce à spéculer sur la fraude et à placer la banqueroute au nombre de ses moyens de fortune à venir ; l’agriculture abandonnée par la classe riche, qui seule peut lui donner l’impulsion et lui procurer les ressources nécessaires à son développement, languit sans forces et sans produits, et notre science ne va pas jusqu’à nous assurer du pain ; enfin tous les liens sociaux sont rompus, tout prestige est détruit, et tandis que le peuple malheureux, désabusé, ne voit plus qu’une amère ironie dans les promesses qu’on lui fait, le gouvernement aux abois sur les moyens curatifs ne connaît plus que la force pour mettre fin à ces soulèvemens populaires, qui ne sont autres, après tout, que les convulsions de la faim et du désespoir.

Si maintenant nous examinons notre position sous le rapport purement politique, d’autres maux plus terribles nous attendent ; tels que l’accroissement journalier des impôts, l’augmentation des armées, l’empiétement des gens de chicane, et l’avilissement des hommes exigé comme principal ressort du pouvoir !

Et cependant quels moyens n’avons-nous pas pour sortir de ce cercle de misère et de corruption ? la liberté, la science, la richesse, la philanthropie, nous offrent de toutes parts leur appui et ne demandent qu’à être sagement dirigées. La liberté est conquise ; la presse favorise nos efforts ; la science a de nombreux autels, et son culte couvre chaque jour notre sol de ses prodiges ; nos richesses sont, je l’espère, assez révélées par ces contributions énormes auxquelles l’Europe entière n’aurait pas satisfait il y a quelques siècles, et le dernier fléau qui a désolé la France, nous a au moins appris à compter sur les sentimens généreux de nos concitoyens. D’où vient donc qu’avec tant de chances de succès nous n’obtenons aucuns bons résultats. D’où vient que le progrès des lumières ne profite qu’au petit nombre, et que la misère du peuple va toujours croissant avec le développement de l’industrie ? d’où vient enfin que le malaise général est désormais insupportable ?… Cette question posée avec justice, dictée par la détresse, et qui accuse d’erreur et de barbarie le système le plus vaste, le plus élevé que l’intelligence humaine ait pu créer, celui du monde industriel ; cette question, dis-je, est restée long-temps sans réponse, parce que, pour la [5.1]résoudre, il fallait trouver réunis une intelligence assez forte pour en comprendre l’étendue, un coup-d’œil assez perçant pour en sonder la profondeur, un esprit assez vaste pour en saisir l’ensemble, et un génie créateur assez puissant pour jeter les seules bases solutives que nous puissions agréer, celles d’un édifice social prêt à remplacer celui qui menace de nous ensevelir sous ses ruines. Eh bien ! ce génie créateur est-il venu ? Sans rien décider, écoutons à cet égard ce qu’un des écrivains les plus remarquables du Phalanstère, dit de M. Ch. Fourier, auteur de la Théorie Sociétaire. « Avec une infatigable patience, avec la plus minutieuse sagacité et la plus audacieuse clairvoyance, il a étudié, analysé, classé tous les vices de notre mécanisme social. De l’ardent creuset où sa main puissante l’a broyée, mise en pièce, notre civilisation est sortie en erreur, dont il faut fuir au plus tôt les funestes conséquences ; enfin il est arrivé à faire de la science sociale une science fixe et positive, donnant le calcul exact des destinées de l’humanité !!! »

Certes, cette découverte trouvera d’abord plus de railleurs que de juges et de disciples : mais c’est un obstacle que l’auteur lui-même a prévu. « Lorsque, dit-il, j’apporte l’invention qui va délivrer le genre humain du cahos civilisé, barbare et sauvage, et lui ouvrir tout le domaine de la nature d’où il se croyait à jamais exclu, la multitude ne manquera pas de m’accuser de charlatanisme, et les hommes sages croiront user de modération, en me traitant seulement de visionnaire… Christophe Colomb fut ridiculisé, honni, excommunié pendant sept ans pour avoir annoncé un nouveau monde continental : ne dois-je pas m’attendre aux mêmes disgraces, en annonçant un nouveau monde social ? On ne heurte pas impunément toutes les opinions, et la philosophie qui règne sur le 19e siècle élèvera contre moi plus de préjugés que la superstition n’en éleva au 14e siècle contre Colomb. » La prédiction de M. Ch. Fourier s’est grandement accomplie, et des attaques de tous genres ne lui ont pas manqué. Mais cette lutte active, passionnée, de la part des attaquans, cette lutte de 24 années, n’a fait que révéler la force et le positif du système présenté, et c’est dans les rangs de ceux qui furent ses plus ardens détracteurs que M. Fourier compte aujourd’hui ses partisans les plus zélés.

Une chose digne de remarque c’est le silence obstiné que les journaux de la capitalei ont gardé sur la nouvelle Théorie sociétaire, et l’empressement avec lequel les écrivains des départemens viennent au contraire la soutenir et la propager.

C’est que la presse départementale, organe encore pur des besoins matériels du pays, s’est enfin émancipée de la tutelle parisienne, c’est qu’elle a senti que lorsqu’il s’agit d’avancer dans le progrès réel, d’obtenir des résultats positifs, le bon sens et l’instinct qui la guident et l’inspirent valent mieux que l’esprit à l’enchère et le charlatanisme du centre.

Nous aussi nous aiderons à propager ce qu’il y a de bon dans la doctrine de M. Fourier, auquel nous offrons avec empressement le tribut de nos éloges, nous croyons cette doctrine très-remarquable, mais nous ne voulons point nous en établir les apôtres exclusifs, et l’imposer à nos lecteurs comme vérité qu’il faut seulement lire et croire. Elle contient sans doute des principes nouveaux et de premier ordre, qui doivent fixer l’attention de [5.2]tous les hommes amis éclairés de leur pays, et promet tant d’immenses résultats ; mais il en est d’autres que nous ne pouvons admettre sans examen, et que nous soumettrons à l’opinion du public en lui donnant l’analyse fidèle du système sociétaire.

F. Longraire.


i Il faut excepter le Messager des chambres.

 CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

(présidé par m. goujon.)

Audience du 14 février 1833.

Aucune cause importante ou qui présente une question neuve n’a été appelée. Aussi ne mentionnerions-nous cette séance que pour mémoire s’il ne s’était passé deux incidens remarquables. L’un : M. Dubel, négociant, a fait ses excuses au conseil et raturé de sa main les mots injurieux qu’il avait écrit sur le livre du sieur Vollaire. Quant à l’autre nous devons mesurer nos paroles ; car nous ne pouvons traduire fidèlement l’indignation qui nous anime, et dont tous les ouvriers ont été transportés. Nous ne serons aujourd’hui qu’historiens exacts.

Avant l’appel des causes, M. Goujon, renforçant sa voix comme pour provoquer l’auditoire, lui adresse ces mots : Je vous préviens qu’il y a dans la salle des agens de police ; ils sont là et feront leur devoir. Nonobstant ces paroles brutales et imméritées, l’audience a été calme et elle allait finir de même lorsque M. Goujon a fait lecture d’une lettre du maire de Lyon à l’égard de certaines coalitions dont on parle, et ensuite de l’article 415 du code pénal qui, contrairement aux principes d’égalité devant la loi, proclamés par l’assemblée nationale, écrits en tête de toutes nos constitutions, inflige aux négocians coalisés des peines moins fortes qu’à leurs ouvriers, ainsi et de la même manière que chez nos aïeux soumis aux lois féodales, le même délit était puni différemment suivant la qualité de l’accusé, noble ou vilain. Alors des coups de sifflet ont retenti ; pour nous, nous les blâmons : notre instrument c’est la presse ; pour nous, nous croyons que les ouvriers auraient dû accueillir celle philippique comme elle le méritait, mais nous concevons sans l’excuser la conduite d’ouvriers froissés. Au demeurant, l’audience était levée, le pouvoir du président avait cessé ; nous ne pensons pas que M. le maire ait pu lui départir le droit d’haranguer le peuple, et en ce cas là même le peuple souverain a bien le droit de témoigner les sentimens que lui fait éprouver un orateur. Il n’en est pas de si haut placé qu’il ne doive lui-même respect au peuple.

Croira-t-on que, furieux (c’est le mot), de ces sifflets, quoiqu’il s’y attendît bien (vu la mercuriale au commencement de l’audience), M. Goujon a prononcé ces paroles :

Agens, faites votre devoir, amenez à la barre ceux qui sifflent. Je vous en rends responsables. Plus prudens que lui, les agens n’ont pas obéi. Ouvriers eux-mêmes la plupart, plus d’une réflexion a dû s’élever en eux.

Nous livrons à la publicité ce nouveau scandale. Que veut M. Goujon ? Pourquoi ces provocations successives ? Qu’il réponde. Organes des ouvriers, nous sommes loin de nous croire au-dessous de lui

 Littérature.

N’ayant pu par des circonstances indépendantes de notre volonté (Voy. ci-après les Avis divers), publier [6.1]une édition complète des œuvres de feu Antoine Vidal, notre ami, ancien gérant de l’Echo, nous insérerons successivement dans ce journal, mais à des époques indéterminées, différens opuscules, la plupart inédits, de cet homme de lettres, mort dans la force de l’âge et du talent.

Nous donnons aujourd’hui une pièce de vers sur l’enseignement mutuel, peu connue que M. Vidal a publiée en 1820.

de

L’ENSEIGNEMENT MUTUELi1.

ET DE SES DÉTRACTEURS.

Voyez ce jeune enfant sur l’ardoise fragile,
Tracer un faible plan qui peut nous être utile ;
Et sa timide main, essayant tous les arts,
Pourra peut-être un jour relever nos remparts.
Il est libre et français ! Son ame est ennoblie ?
Mais que dis-je ? pour vous il n’est point de patrie…
Dans la fange rampans, esclaves d’un peu d’or,
Vous craignez de son cœur le magnanime essor !
Onuphreii ! Perenoniii ! dont la plume grossière,
Des calomniateurs suit l’infâme bannière ;
Sur ces paisibles bords, il n’est qu’un vrai talent :
Qui sait aimer la paix réprimer l’insolent,
Le possède en entier : et lui seul nous éclaire.
Tout jeune lyonnais de Chastaingiv est le frère !!!
Nous sommes des Français, et vous nous outragez !…
Mais vos noms odieux nous ont assez vengés.
[6.2]Libellistes honteux, dans vos écrits frivoles,
Censurés, méprisés sur les bancs des écoles,
Osez-vous attaquer un de ces vieux guerriers,
Qui du Nil et du Tage unirent les lauriers ?…
De ses traits ulcérés l’affreuse calomnie
Vient donc de te frapper, émule du génie !
L’on cherche à t’avilir, lorsqu’un enfant, par toi,
Chérit presqu’en naissant sa patrie et son roi !
Faut-il que de ton sein, ô siècle de lumière,
Des hommes de leur front secouant la poussière,
Nourris dans la bassesse et dans l’obscurité,
Osent flétrir ce fils de notre liberté ?
Bailleulv, qui fut vingt ans chéri de la victoire,
Qui combattit pour nous, qui, pour comble de gloire,
De ces mêmes guerriers, qu’il guida dans les camps,
Instruit pendant la paix les timides enfans !
Onuphre ! Perenon ! votre honte le venge
Mais brisez votre plume, et rentrez dans la fange.
Vivre toujours obscurs, accablés de mépris,
Des mauvais citoyens, voila le digne prix.


i L’enseignement mutuel fut importé à Lyon en 1818, par M. Bailleul, et toléré plutôt que protégé par le pouvoir, fut dès lors en butte aux attaques des hommes du clergé et de leurs souteneurs monarchiques. M. Stanislas Gilibert prononça le 7 septembre de la même année, à l’Académie de Lyon, un Discours sur la théorie physiologique de l’enseignement mutuel. En janvier 1819, feu E. Sainte-Marie publia une séance de l’école d’enseignement mutuel. Ces deux brochures firent sensation et acquirent à la méthode lancastrienne de nombreux partisans. Un nommé Moulin , ex-procureur, s’imagina de publier, sous le nom d’Onuphre, une réfutation de l’opuscule de M. Sainte-Marie, sous le titre prétentieux de l’Enseignement mutuel dévoilé ainsi que ses jongleries et pretintailles révolutionnaires, etc. Ce libelle, aussi ridicule par la forme qu’au fond, inspira un dégoût universel ; les affiches qui l’annonçaient furent arrachées. Le rédacteur actuel de l’Echo écrivit une lettre à l’auteur de l’Enseignement mutuel dévoilé ; Antoine Vidal publia la pièce de vers que nous transcrivons. M. Moulin ne répondit rien, mais le sieur L. M. Perenon entra dans la lice et une brochure en tous points semblable à celle de l’enseignement mutuel dévoilé, vit le jour, elle avait pour titre ; La jeunesse lyonnaise vengée, ou réponse à la lettre de M. Chastaing. Ce dernier ayant publié une Réponse à M. Perenon ou défense de ma lettre à l’auteur de l’Enseignement mutuel dévoilé, M. Perenon répliqua par La vérité aux prises avec la mauvaise foi et la calomnie, ou réfutation des erreurs de M. Chastaing, etc. Cette querelle n’aurait point eu de terme si le défenseur de l’enseignement mutuel n’eût pas jugé au dessous de lui de répondre une seconde fois.
ii M. Moulin , auteur de l’Enseignement mutuel dévoilé, etc. (Voy. la note ci-dessus.)
iii L. M. Perenon, auteur des deux brochures rappelées dans la note ci-dessus et dans lesquelles est affiché un royalisme au delà de toute expression. Pour en juger on n’a qu’à lire les vers (Manière de parler) qui terminent celle : La jeunesse lyonnaise, etc., et qui sont drôlement amenés. Ils contiennent une invocation au fils de la duchesse de Berry, et ces mots en grosses capitales : Vive le roi ! vive Henri ! Depuis, M. Perenon a publié un nombre immense de brochures en prose et en vers, qui se disputent entr’elles la palme…
C’est ce même M. Perenon qui, dans les événemens de novembre 1831, et devant la cour d’assises de Riom, a eu l’idée de vouloir faire cause commune avec les patriotes lyonnais.
iv Puisque l’occasion se présente, le rédacteur de l’Echo dira un mot de ses antécédens politiques. En 1815 il publia une Réponse à Joseph Rey de Grenoble, dans laquelle il ne cacha pas ses sentimens républicains. Sous le rapport littéraire cet opuscule ne mérite aucun souvenir, mais l’âge où l’auteur écrivit (15 ans) sollicite l’indulgence. En 1820 il fut prévenu avec Me Menou, avocat, du délit de la Souscription nationale ; il fit imprimer à cette époque une autre brochure : Appel à l’opinion publique. A cette même époque furent publiées les brochures sur l’enseignement mutuel, et en réponse à M. Perenon. (Voy. la note 1.)
v C’est M. Bailleul, officier de l’ancienne armée, auquel Lyon est redevable de la première école d’enseignement mutuel.

 

Chansons nouvelles et dernières

DE BÉRANGER.i1

Béranger vient de doter la France d’un nouveau recueil de ses Odes sublimes. Le poète populaire n’a pas besoin d’éloges ; son nom est de ceux qui se prononcent tout seuls. Son nom est pur, car il n’a jamais failli. Un de nos collaborateurs a ditii de cet illustre chansonnier :

O Béranger, le peuple te demande
Des chants nouveaux pour tromper sa douleur.
Il se souvient que ta voix noble et grande
Rit du pouvoir et flatte le malheur.

Non tu ne peux, sur les maux de la France,
O Béranger ! plus long-temps fermer l’œil.
Réveille-toi, poète, ton silence,
Aux deuils publics ajoute un nouveau deuil.

Chante, il est temps, chante et taris nos pleurs.

Ces nouveaux chants sont dignes des premiers et de la réputation de leur auteur. Ils sont dédiés à Lucien Bonaparte. Espérons qu’ils ne seront pas les derniers. Nous en donnerons successivement quelques-uns dans la partie littéraire du journal ; nous ne saurions mieux la remplir. Voici l’une de celles qui ont fait le plus de sensation, et qui prouve (ce qu’on savait déjà) que Béranger est acquis au parti républicain, héritier naturel de tous les hommes énergiques du parti napoléoniste.

PRÉDICTION DE NOSTRADAMUS.

Air des Trois-Couleurs.

Nostradamus, qui vit naître Henri-Quatre,
Grand astrologue a prédit dans ses vers
Qu’en l’an deux mil, date qu’on peut débattre,
De la médaille on verrait le revers.
[7.1]Alors, dit-il, Paris dans l’allégresse,
Au pied du Louvre ouïra cette voix :
« Heureux Français, soulagez ma détresse ;
Faites l’aumône au dernier de vos rois. »

Or, cette voix sera celle d’un homme
Pauvre, à scrofule, en haillons, sans souliers,
Qui, né proscrit, vieux, arrivant de Rome,
Fera spectacle aux petits écoliers.
Un sénateur criera : « L’homme à besace !
Les mendians sont bannis par nos lois.
– Hélas ! Monsieur, je suis seul de ma race !
Faites l’aumône au dernier de vos rois.

– Es-tu vraiment de la race royale ?
– Oui, répondra cet homme fier encor ;
J’ai vu dans Rome, alors ville papale,
A mon aïeul, couronne et sceptre d’or.
Il les vendit pour nourrir le courage
De faux agens, d’écrivains maladroits ;
Moi, j’ai pour sceptre un bâton de voyage :
Faites l’aumône au dernier de vos rois.

Mon père, âgé, mort en prison pour dettes,
D’un bon métier n’osa point me pourvoir ;
Je tends la main. Riches, partout vous êtes
Bien durs au pauvre, et Dieu me l’a fait voir.
Je foule enfin cette plage féconde
Qui repoussa mes aïeux tant de fois.
Ah ! par pitié pour les grandeurs du monde,
Faites l’aumône au dernier de vos rois. »

Le sénateur dira : « Viens, je t’emmène
Dans mon palais ; vis heureux parmi nous.
Contre les rois nous n’avons plus de haine :
Ce qu’il en reste embrasse nos genoux.
En attendant que le sénat décide
A ses bienfaits si ton sort a des droits,
Moi, qui suis né d’un vieux sang régicide,
Je fais l’aumône au dernier de nos rois. »

Nostradamus ajoute en son vieux style :
La république au prince accordera
Cent louis de rente, et, citoyen utile,
Pour maire, un jour, St-Cloud le choisira.
Sur l’an deux mil on dira dans l’histoire,
Qu’assise au trône et des arts et des lois,
La France en paix, reposant sous sa gloire,
A fait l’aumône au dernier de ses rois.


i 1 vol. in-12, prix, 5 fr.
ii M. Amédée Roussillac, voy. l’Echo,  45.

 

Lectures prolétaires

« La première loi sociale est celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister : toutes les autres sont subordonnées à celle-là ; c’est pour vivre d’abord que l’on a des propriétés ; il n’est plus vrai que la propriété puisse être en opposition avec la subsistance des hommes, aussi sacrée que la vie elle-même. Tout ce qui est nécessaire à la conserver est une propriété commune à la société entière. »
(Robespierre1.)

« La société a pour but la conservation des droits de l’homme et la perfection de son être, et partout la société le dégrade et l’opprime. Jusqu’ici l’art de gouverner n’a été que l’art d’asservir et de dépouiller le grand nombre au profit du petit nombre, et la législation le moyen de réduire ces attentats en système. »
(Idem.)

« Quand la loi a pour principe l’intérêt public, elle a le peuple lui-même pour appui, et sa force est la force de tous les citoyens dont elle est l’ouvrage et la propriété. – La force publique est en contradiction avec la loi générale dans deux cas : ou lorsque la loi n’est pas la volonté générale, ou lorsque les magistrats l’emploient pour violer la loi elle-même. Telle est l’horrible anarchie que les tyrans ont établie de tout temps sous [7.2]les noms de tranquillité, d’ordre public, de législation et de gouvernement. Législateurs, faites des lois justes ; magistrats, faites-les religieusement exécuter, et vous donnerez au monde un spectacle inconnu, celui d’un grand peuple libre et vertueux. »
(Discours sur la constitution.)

« N’oubliez pas que les longues convulsions qui déchirent les Etats, ne sont que les combats de l’égoïsme contre l’intérêt général, et des passions de l’homme puissant contre les besoins et les droits des faibles. »
(Robespierre.)

« Depuis Jésus les griefs de l’aristocratie n’ont pas varié d’un mot. Quand les apôtres prêchèrent au nom de leur maître crucifié la fraternité universelle, les aristocrates de tous les pays bafouèrent le dévouement de Jésus ; sa croix fut une folie aux yeux de leur égoïsme ; scandalum crucis. Le peuple seul partagea cette folie.
Nous voulons un ordre de choses où toutes les passions basses et cruelles soient enchaînées, toutes les passions généreuses et bienfaisantes éveillées par les lois…
Nous voulons, dans notre pays, substituer la morale à l’égoïsme, le mépris du vice au mépris du malheur… »
(Robespierre.)

Quiconque a été choisi pour défendre la patrie doit rester dans son poste, quand une armée entière d’ennemis l’entourerait. Plus le péril augmente et moins il lui est permis de s’éloigner, dût-il être vaincu comme Caton il ne doit pas sortir de la république.
Cerutti2.

Le serment est un asile sacré où l’honnête homme et le fripon enferment ensemble leurs promesses, mais dont le fripon seul garde la clef.
idem.

Celui que la loi met au dessus de tous devient aisément le rival de la loi.
Mirabeau.

Les changemens de ministère sont la soupape de sûreté des gouvernemens représentatifs.
Odillon-Barrot. Défense du Précurseur.

Ne menacez pas le chien qui aboie, jetez-lui un morceau de pain.
Sadi.

Le spectacle du monde ressemble à celui des jeux olympiques, les uns y tiennent boutique et ne songent qu’à leur profit, les autres y payent de leur personne et cherchent la gloire, d’autres se contentent de voir les jeux sans s’exposer.
Pythagore.

Les arts libéraux parlent à l’esprit par l’organe des sens.
Anonyme.

 Coups de navette.

Ce qu’en langage vulgaire on appelle restitution, ces messieurs l’appellent bonification.

Lorsqu’un prolétaire ennuie un colonel de garde nationale, ce dernier l’envoie tout bonnement en prison.

Passe encore, disait un prolétaire, d’aller en prison, mais au moins ne faudrait-il pas y être oublié.

M. Goujon est parti ; bon voyage cher Dumolet.

M. Goujon a été solliciter la croix d’honneur.
Ah ! dis-moi donc frère Jean-Pierre,
Où diable as-tu gagné la croix ?

On ne dit plus têtu comme une mule, mais bien têtu comme Goujon.

On a publié le catalogue des livres mis à l’index ; [8.1]un canut doit incessamment faire imprimer le catalogue des négocians mis à l’index.

Avant que de monter un métier pour tel ou tel, un chef d’atelier fera bien de voir s’il est inscrit au catalogue.

M. J…e vient d’obtenir des armoiries : deux épées en sautoir sur un champ de boue.

Les négocians donnent à leurs ouvriers des chaînes, et les ouvriers se plaignent des trames.

Nous ne sommes plus étonnés que l’auditoire soit si nombreux, il est garni d’agens de police.

Le conseil se compose de 25 titulaires, 6 suppléans et d’un nombre illimité d’agens de police.

Les ouvriers ont arrêté leurs métiers, M. Goujon a donné ordre d’arrêter les ouvriers. Qui arrêtera maintenant les agens qui n’ont pas arrêté.

C’est un savant jurisconsulte que M. Goujon. Il a toujours à la bouche le mot arrêt.

Les agens, n’étant apparemment pas mieux payés que les canuts, n’ont pas voulu travailler.

Si les agens ne sont pas mieux payés que les ouvriers, ils ne travailleront pas.

Quand il ne considère pas, il pose bien ses considérans.

Nous ignorons si les agens de police réclament une augmentation de salaire, mais ils ont suspendu leurs travaux.

M. G..... est atteint d’une grave maladie, l’arrestomanie.

On n’appelle plus M. G..... que l’arrestomane.

S’il avait le pouvoir comme la volonté, que de mandats d’arrêt !

Il y a dans cet homme bilieux l’étoffe d’un despote.

Si petit poisson devenait grand ; ce n’est encore que du fretin.

MONT-DE-PIÉTÉ.

Le public est prévenu qu’il sera procédé le Mardi 26 février courant, et jours suivans, depuis quatre heures après midi jusqu’à huit, dans la salle des ventes du Mont-de-Piété, place Confort, vis-à-vis la galerie de l’Argue, au 1er, à l’adjudication, au plus offrant et dernier enchérisseur, et comptant, de divers objets engagés pendant le mois de janvier de l’année 1832, depuis le N° 1 jusques et compris le N° 7110.

Les lundis et les jeudis, on vendra les bijoux, l’argenterie, les montres et les dentelles, etc. ;

Les mardis, les draps, percales, indiennes, toiles en pièces et hardes ;

Les mercredis, les matelas, les lits de plume, les glaces, les livres reliés et en feuilles, les vieux papiers, autres objets, et hardes ;

Et les autres jours, le linge, les hardes, etc.

La commission du banquet patriote qui doit avoir lieu aujourd’hui, nous prie d’annoncer qu’il commencera à une heure précise, chez M. Bachelard, restaurateur, à Vaise, sur la route du Bourbonnais après la place de la Pyramide.

 AVIS.

[8.2]Une édition complète des œuvres de feu Antoine Vidal, décédé gérant de l’Echo, a été proposée par nous dans le N° 49 du journal, n’ayant pas recueilli un nombre suffisant de souscripteurs, nous sommes obligés, malgré nous, de renoncer à cette entreprise. En conséquence, nous invitons les souscripteurs à venir retirer le montant de leur souscription.

Lyon, le 12 février 1833.

Falconnet, Marius Chastaing

AVIS DIVERS.

(158) l’europe littéraire.
Le prospectus spécimen de cet intéressant journal, vient de paraître. Nous en parlerons dans notre prochain numéro.

(146) procès de m. eugène dufaitelle.
Les doctrines républicaines absoutes par le jury Lyonnais.
En vente au bureau de l’Echo de la Fabrique.
Prix : 1 fr.

[138] le père de famille. La 20e livraison de cet intéressant journal vient de paraître. Même variété, même utilité qu’aux précédentes. Nous y reviendrons dans un prochain numéro.
On peut s’abonner à Lyon, au bureau de cette feuille, ou chez M. Falconnet, rue Tholozan, n° 916.
Prix : 4 francs par an.

(130) clarification des vins.
La gélatine de Mme Lainé de Paris, brevetée, dont l’emploi est aujourd’hui général pour la clarification complète des vins rouges et blancs, continue de se vendre à Lyon, chez MM. V. Bietrix-Sionnet et Ce, droguistes, rue Neuve, n° 12.

(156) A vendre, un remisse de peluche de 42 portées, un rouleau piqué, une mécanique de bois pour peluche. S’adresser rue Saint-Georges, n° 124, au 2e, chez M. Benissent.

(155) A vendre, un superbe atelier de 5 métiers, articles nouveautés à la Jacquard, et facilités pour le paiement. S’adresser au bureau du journal.

(157) A vendre de suite un atelier de 4 métiers d’unis en activité, une mécanique ronde, avec tous les accessoires et suite du loyer. S’adresser au bureau.

(153) A vendre, deux métiers en 400 tous montés. S’adresser rue Juiverie, n° 8, au 4e sur le derrière, chez la veuve Escalon.

(154) A vendre ; un batant de rubans à double boîte ; avec huit navettes.
S’adresser chez M. Montaz, clos Casati, n° 1.

(158) A vendre, un métier de courant, travaillant pour gilet, en huit chemins, mécanique de 400 et tout ce qui est nécessaire au métier, à un prix très-modique. S’adresser au bureau.

[137] Tranchat, mécanicien, rue du Commerce, n° 18, vient d’obtenir un brevet d’invention et de perfectionnement, pour le procédé qu’il vient d’ajouter à ses cannetières par lequel la cannette s’arrête aussitôt qu’un des bouts casse, ou que la soie d’un roquet est employée ; il reste toujours hors la cannette une longueur de 8 pouces de soie pour nouer. Ces cannetières offrent non-seulement l’économie de la matière et de la main-d’œuvre, mais l’avantage de donner à l’étoffe toute la régularité, la propreté et l’éclat dont elle est susceptible. Le crémage, les trames rebouclées ou tirantes sont impossibles, et les lisières parfaites par l’emploi des cannettes provenant de ces cannetières, qui les font également à quel nombre de bouts que ce soit.
Le sieur Tranchat tient aussi magasin de mécaniques à la Jacquard, de mécaniques à devider, de moulinages. Il fait ses cannetières propres à faire autant de cannettes qu’on le désire. On peut les voir en activité chez MM. Morel, rue des Tables-Claudiennes, n° 14, et Martinon, place de la Croix-Rousse,  17.

Notes ( Littérature.)
1 Principales pièces de ce débat ; Stanislas Gilibert, Discours sur la théorie physiologique de l’enseignement mutuel, Lyon, Bohaire, 1818 ; Étienne Sainte-Marie, Une séance de l’école d’enseignement mutuel de Lyon, Lyon, J. Targe, 1819. Il est à noter que ces deux hommes étaient médecins. Onuphre-Benoît Moulin, L’Enseignement mutuel dévoilé, ainsi que ses jongleries et pretintailles révolutionnaires ; ou l’art d’affranchir l’éducation de l’enfance de toute influence morale et religieuse, dédié à la jeunesse pensante, Lyon, imprimerie de Boursy, 1820 ; Marius Chastaing, Lettre à l’auteur de « L’Enseignement mutuel dévoilé », Lyon, imprimerie de Mistral, septembre 1820 ; du même, Ma réponse à M. Pérenon, ou défense de ma lettre à l’auteur de « L’Enseignement dévoilé », Lyon, Les marchands de nouveauté, 1820 ; Louis-Marie Pérenon, La Jeunesse lyonnaise vengée, ou réponse à la lettre de M. Chastaing, de Lyon, Lyon, Les marchands de nouveauté, 1820 ; du même, La vérité aux prises avec la mauvaise foi et la calomnie, ou réfutation des erreurs de M. Chastaing, de Lyon, en réponse à son libellé intitulé « Ma défense », Lyon, Les marchands de nouveauté, 1821.

Notes (  Chansons nouvelles et dernières DE...)
1 P.-J. de Béranger (1780-1857), Chansons nouvelles et dernières, Paris, Perrotin, 1833. Depuis la « trahison » de Barthélemy, Béranger était devenu la référence principale, en matière de poésie et de chansons, des journalistes de L’Écho de la Fabrique

Notes (  Lectures prolétaires « La première loi...)
1 Maximilien de Robespierre (1758-1794), homme politique et écrivain français. Il est à noter que cette livraison des « Lectures prolétaires » ainsi que la suivante (avant une longue interruption), va surtout proposer aux lecteurs canuts des extraits d’écrivains révolutionnaires de la tendance la plus démocratique, et partisans des méthodes terroristes, Robespierre et Saint-Just.
2 Joseph-Antoine Cerutti (1738-1792), jésuite rallié au tiers état, ami de Mirabeau, auteur notamment peu avant la Révolution française d’un Mémoire pour le peuple français et principal animateur du journal La Feuille villageoise publié entre 1790 et 1795.

 

 

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