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3 mars 1833 - Numéro 9
 

 




 
 
     

 

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Le Courrier de Lyon et la fabrique d’étoffes de soie.

Quos vult perdere Jupiter insanit.

Poser des principes vrais, en déduire des conséquences fausses, assaisonner le tout d’un esprit d’aigreur, qui cherche en vain à se cacher sous une feinte modération, raisonner les hommes et les choses du moment avec les idées d’un autre âge, ne voir en définitif qu’une question de force et de police correctionnelle, là où gît une question gouvernementale, voir enfin à travers le prisme d’opinions monarchiques surannées, la conduite de ses adversaires, tel est le résumé du long article que le Courrier de Lyon a publié dans son numéro du 24 févrierdernier, sous ce titre : De la fabrique des étoffes de soie et des ouvriers.

Le Courrier est inhabile à traiter cette question, car il n’a en lui aucun des élémens nécessaires pour la résoudre. C’est une émeute, disait Louis XVI, en parlant des premiers troubles de 1789 ; – non c’est une révolution, lui répondit La Rochefoucault. Le Courrier, comme le dernier Capet, ne voit aussi qu’une sédition [01.2]là où apparaît une révolution sociale ; il ne voit que des marchands et des ouvriers, où nous voyons, nous, les prolétaires impatiens de l’arrivée du jour de leur émancipation ; aussi dit-il avec regret :

« Avant la révolution de 1789 et même plus tard, les ouvriers en soie formaient, dans l’immense famille des artisans, une famille particulière dont les caractères ne sont point encore oubliés. Ils avaient un accent, une physionomie et une allure à eux. On remarquait une singularité, souvent piquante, dans la trivialité de leur langage, elle consistait dans le sens qu’ils donnaient à certains mots, détournés par eux de la manière la plus bizarre de leur acception ordinaire. Leur constitution physique avait des traits spéciaux ; on eût reconnu à son aspect un ouvrier en soie parmi vingt autres artisans. Il habitait alors des rues étroites, mal percées, mal aérées, vivait de peu, et s’il avait peu d’ordre et peu d’intelligence des moyens d’améliorer sa condition, du moins souffrait-il relativement beaucoup moins de la différence qui existait parfois entre son salaire et sa dépense.

Peu à peu, et nous l’en félicitons, ses habitudes physiques sont devenues moins saillantes et moins caractéristiques. Depuis la révolution, tout ce qui distinguait et désignait si bien les professions a disparu par degrés, et les ouvriers en soie, plus rapidement peut-être encore que les autres classes d’artisans, se sont avec avantage fondus dans la population générale. Ils ont été dès-lors mieux logés, mieux nourris, mieux vêtus, et il leur a fallu davantage. Le goût de plaisirs coûteux s’est développé chez beaucoup d’entr’eux ; beaucoup ont recherché des occasions de dépenses inconnues à leurs pères ; un grand nombre ont fréquenté les théâtres secondaires, et un certain luxe s’est introduit dans la demeure des principaux chefs d’atelier. Cependant tous les objets de première nécessité enchérissaient autour d’eux : loyers, octrois, droits d’entrées, prix de la viande et du vin, tout augmentait dans une proportion rapide. Sous l’influence de ces causes diverses, la disproportion entre le gain de l’ouvrier et sa dépense, a été toujours croissant. »

Faisant abstraction de l’intention, le Courrier est dans le vrai. Il n’ose pas blâmer les ouvriers de leur changement d’état, pourquoi le rappelle-t-il donc ? tout a enchéri autour d’eux, loyer, etc., pourquoi ne voudrait-il pas que le salaire suivît la même progression ? pourquoi ? Nous sommes ramenés toujours à cette question vitale du prolétariat. Un exemple va nous faire comprendre : Le soldat n’a pas vu augmenter sa paye, au milieu de l’enchérissement général et du luxe qui l’entoure, c’est qu’il est le prolétaire de l’armée, et l’on voudrait que comme lui, l’ouvrier qui est le prolétaire de la cité, vécût au milieu du luxe sans le désirer, accablé de privations et de travail, au milieu des heureux de la propriété et du commerce.

Beaucoup de fabriques, dit encore le Courrier, se sont élevées chez l’étranger. Leurs ouvriers ont moins de dépense [02.1]à supporter ; ils sont nourris, logés, vêtus à moindres frais, aussi peuvent-ils se contenter d’un petit salaire. Rien de plus vrai, mais la question change de face, elle devient politique, c’est celle d’un gouvernement à bon marché, tel que juillet le promit, que M. Cormenin le discuta, tel enfin qu’on nous a dit naguère qu’il ne pouvait exister qu’avec la république. Nous ne savons pas jusqu’à quel point nous pourrons aborder cette question irritante, le Courrier de Lyon serait peu généreux de nous amener sur ce terrain, comme dans un piège, lui qui sait les intentions secrètes de l’autorité. Nous en avons assez dit cependant, pour faire voir que nos doctrines sont raisonnées, sont le fruit d’une conviction sincère, et que ce n’est pas par caprice, que les ouvriers ont adopté en général les opinions de la Tribune et du Précurseur, et se sont ralliés au citoyen Garnier-Pagès plutôt qu’à M. Fulchiron.

On le voit, la question industrielle s’est compliquée de la question politique, et à des dissidences d’intérêt, sont venues se joindre les haines de partis. C’est aussi en ce sens, et peut-être n’avons-nous pas été compris, que nous avons dit au Courrier de Lyon, dans un de nos numéros, que ses paroles n’étaient jamais que de l’huile jetée sur un brasier ardent.

Le Courrier est encore juste lorsqu’il avoue que la concurrence indigène n’a pas moins nui que la concurrence étrangère. Nous sommes convaincus que cette concurrence a nui davantage à la fabrique lyonnaise que celle de l’étranger. Beaucoup de fabricans, ajoute le Courrier, qui ne pouvaient attendre, ont vendu au rabais ; quelques-uns peut-être ont fait supporter à l’ouvrier la réduction de leurs bénéfices. Le mot peut-être est seul de trop.

Est-il sincère le Courrier dans son vœu ? Il désire l’amélioration prompte de la condition de la classe ouvrière, et comment l’entend-il ? Quel remède indique-t-il ? aucun. Il pose bien un principe vrai en disant : Le rapport du prix du salaire avec les dépenses de l’ouvrier détermine le bien-être ou le malaise des classes laborieuses. Il n’a rien d’absolu et varie suivant les localités… C’était ici le lieu de discuter et d’établir la suffisance du salaire des ouvriers lyonnais. Oh ! le Courrier n’en dit pas un mot, mais une diatribe nouvelle sur le défaut d’ordre de la classe ouvrière, sur sa prétendue détresse ; ce n’est pas là répondre.

Examiner l’influence des événemens de novembre, en conclure que les ouvriers veulent transformer la question industrielle en question de force, ce n’est pas là non plus faire une réponse satisfaisante. Mais tel n’était pas le but du Courrier ; effrayer, s’il était possible, ses adversaires, leur faire des menaces c’était bien mieux son affaire. Nous ne pouvons lui faire une guerre plus loyale que de citer textuellement ses paroles.

« Toutes les mesures d’ordre public appartiennent à l’administration, c’est à elle qu’a été commis le soin de maintenir la tranquillité publique, et de faire respecter les lois. Les articles 415 et 416 du code pénal prohibent les coalitions d’ouvriers, qu’elle les fasse exécuter. L’autorité ne fléchira point et persistera dans ce système de répression.

Le gouvernement a dû accumuler les moyens de défense contre l’insurrection à tel point qu’aucune chance de succès ne demeurât aux hommes qui peuvent rêver encore la révolte, et il l’a fait. Des troupes nombreuses veillent au maintien de la paix publique ; le génie a hérissé nos faubourgs de travaux de fortifications ; les régimens qui composaient la garnison ont été changés, et des mutations fréquentes la renouvelleront désormais ; plusieurs régimens sont échelonnés à une très petite distance de nos murs. Ce luxe de moyens militaires est sage ; il rend impossible toute tentative d’insurrection. »

La menace est claire et précise, elle ne nous étonne [02.2]plus de la part du journal ministériel ; nous avons eu tort, dans le temps, de nous en préoccuper si vivement ; un fruit empoisonné ne peut donner que la mort. Nous avons dit au Courrier, voulez-vous une revanche ? – Il répond par des bravades.

Mais enfin il fallait une conclusion au Courrier ; et, après avoir menacé la population des rigueurs salutaires du pouvoir, il fallait s’adresser aux négocians, jouant alors une comédie ridicule, il leur demande la permission de leur dire la vérité et d’être franc avec eux. On va croire qu’il a quelque reproche à leur faire sur leur égoïsme, sur la concurrence qu’ils se font entr’eux.

Oh ! du tout. Il leur reproche, devinez quoi ? de ne pas être réunis entr’eux, de n’avoir aucun point central dans lequel leurs intérêts généraux seraient représentés et discutés. Il demande enfin la fondation d’un cercle de commerce.

C’est là l’impartialité du Courrier. Ab uno disce omnes. Aux ouvriers, l’art. 415. S’ils se réunissent ; aux négocians, l’invitation, et peut-être l’offre d’une salle gratuite s’ils veulent bien se réunir ; en d’autres termes, la coalition des ouvriers punie, celle des négocians encouragée.

Nous serons plus justes ; que l’art. 415 soit rayé du code de nos lois comme il l’est de nos mœurs, que les ouvriers se réunissent entr’eux, permis aux marchands de le faire, mais égalité pour tous. Ce n’est pas là le système du Courrier. L’aristocratie de la richesse est son but ; l’oppression de la classe prolétaire, son moyen.

Nous finissons en faisant observer que les termes de la question sont d’autant plus mal posés que, dans le système du Courrier, la fabrique consiste dans ces quelques centaines d’individus qui vendent les étoffes que fabriquent les ouvriers. Cette erreur enracinée doit disparaître ; qu’est-ce que ce marchand improprement appelé du nom de fabricant. Ce n’est autre chose qu’un courtier de marchandises. Nous avons énoncé ailleurs cette proposition ; l’espace nous manque aujourd’hui, pour la prouver, mais nous y reviendrons.

Beaucoup de choses nous resteraient à dire, nous préférons donner à nos lecteurs communication de la réponse que le Rédacteur du Précurseur vient de faire à l’article du Courrier qui nous occupe ; M. Petetin a traité avec la supériorité qui le distingue cette question immense aujourd’hui des coalitions que la presse a soulevée, et dont l’adoption et le rejet fera les destinées de la patrie.

 

Sur les Associations d’Ouvriers,

Par M. Anselme Petetin, rédacteur en chef du Précurseur.

On verra par ce que nous écrit notre correspondant de Paris, l’effet qu’ont produit sur l’opinion les terreurs vraies ou simulées de l’autorité relativement aux associations dont nous avons dit un mot l’autre jour. L’article menaçant publié hier sur ce sujet par le journal ministériel de Lyon, est de nature à accroître encore les craintes qu’inspire à Paris l’état de notre population. Nous devons donc répondre à cet article pour rassurer les esprits : nos confrères de Paris, qui n’ont aucun intérêt à calomnier le parti républicain et les classes laborieuses, jugeront sans doute convenable de transmettre à leurs lecteurs, qu’ont pu tromper les renseignemens semi-officiels dont ils se sont fait les échos, le témoignage que nous sommes en mesure de porter sur la situation de Lyon.

[03.1]Mais d’abord il faut éclaircir la question sur laquelle roule toute cette affaire.

L’association des chefs d’atelier, qu’on a transformée en coalition d’ouvriers, n’est pas une chose nouvelle : elle fut fondée il y a plus de trois ans, et ne s’est étendue que peu à peu et à mesure que l’abaissement successif des salaires dans toutes les branches de notre industrie en a fait mieux sentir la nécessité. Elle ne comptait guère dans le principe que cinquante à soixante membres ; aujourd’hui, elle réunit la grande majorité des chefs d’atelier, c’est-à-dire, de mille à douze cents associés.

On veut à toute force établir une similitude entre cette association et celles qui provoquèrent les événemens de novembre ; cette assimilation est une erreur ou un mensonge.

L’organisation des ouvriers, au moment de la catastrophe de 1831, était toute militaire ; elle avait pour origine la légion des volontaires du Rhône, formée au printemps de 1831, pour seconder le mouvement des réfugiés italiens sur la Savoie. On sait comment le gouvernement, après avoir laissé les réfugiés dissiper toutes leurs ressources en préparatifs de campagne, après avoir poussé bon nombre d’habitans de la Savoie à se compromettre en faveur d’une entreprise dont le succès n’était pas douteux, après avoir toléré et même encouragé secrètement cette tentative, en arrêta brusquement l’exécution au moment même où les réfugiés et les volontaires du Rhône allaient franchir la frontière. On sait que le préfet de Lyon, M. Paulze d’Yvoy, qui avait été invité à fermer les yeux sur l’organisation des volontaires, reçut tout à coup par le télégraphe l’ordre de s’opposer par la force à l’invasion de la Savoiei, et de désarmer la légion. – M. Paulze d’Yvoy exécuta ces ordres ; mais les cadres des volontaires du Rhône n’en furent pas moins conservés, et les ouvriers continuèrent les relations hiérarchiques que cette affaire avait établies entr’eux et les officiers de tous grades qui avaient dû les commander.

Tels furent les élémens militaires du combat de novembre, combat qui ne s’engagea pourtant qu’accidentellement, et sans préméditation de part et d’autre, le jour où fut tiré le premier coup de fusil.

Nous n’entrons dans tous ces détails connus de la plupart de nos lecteurs, que pour faire comprendre hors de Lyon la différence essentielle qui existe entre les circonstances qui dominaient notre situation au mois de novembre 1831, et celles où nous nous trouvons aujourd’hui.

L’association des chefs d’atelier n’a rien de militaire : c’est une classification établie pour surveiller l’exécution d’un contrat mutuel formé entre tous les associés. L’engagement que prennent les contractans n’est point de combattre à telle ou telle réquisition, dans tel ou tel cas, mais, de refuser le travail à telle ou telle condition.

Il est évident qu’il n’y a rien dans cette convention qui sorte du droit naturel qu’a tout homme de ne livrer son travail qu’au prix qu’il lui plaît d’accepter. Nous examinerons tout à l’heure le point de droit écrit sur lequel on prétend appuyer l’interdiction de l’association. Maintenant nous demandons seulement qu’on reconnaisse la légitimité incontestable de ce refus du travailleur.

En effet, on trouve tout simple que les entrepreneurs [03.2]capitalistes s’entendent entre eux, c’est-à-dire se coalisent pour maintenir à un certain taux, soit le prix de la marchandise, soit le salaire du travail : le Courrier de Lyon, même, croit que cette coalition des fabricans n’est pas assez forte et assez compacte ; à travers mille circonlocutions hypocrites, il engage les négocians à resserrer encore les relations qui unissent leurs communs intérêts contre les intérêts des ouvriers ; il les invite à fonder une sorte de cercle qui rendra la coalition permanente et générale, et puis l’on s’indigne que les chefs d’atelier cherchent aussi à généraliser leurs intérêts ; on s’étonne que les travailleurs, qui n’ont pas, eux, du temps à perdre aux causeries d’un cercle, arrêtent un tarif de salaire et se divisent en sections pour en assurer la facile exécution !

La bourgeoisie n’a aucun titre pour monopoliser ainsi les avantages de l’association : les travailleurs ont, comme elle, le droit d’en réclamer les bénéfices.

Mais l’organe de la bourgeoisie se garde bien d’entrer en discussion sur la question d’équité et de droit naturel ; sa thèse serait sous ce rapport d’une évidente et odieuse absurdité. Il se borne à invoquer la loi écrite : l’article 415 du code pénal, dit-il, prohibe les coalitions d’ouvriers ; il faut que cet article soit exécuté.

Nous ferons remarquer d’abord combien il est puéril de faire intervenir dans une question telle que celle-ci un article de loi, qui certes n’a pas été conçu dans la prévision du cas qui nous occupe.

Quoi ! l’industrie d’une ville de deux cent mille ames, l’existence même de la seconde capitale du pays est compromise dans cette question, et vous allez la trancher par cinq lignes du code ! Cinq lignes écrites dans d’autres temps, en vue d’autres circonstances ! Et si cet article, appliqué aveuglément dans sa brutalité littérale, prononçait la mort de votre industrie et de la cité, trouveriez-vous dans votre dévoûment à la légalité une excuse à ce forfait politique ?

Si la loi existait réellement avec le sens qu’on lui donne, il faudrait non l’exécuter, mais la refaire. C’est la folie de tous les partis stationnaires et de tous les intérêts dominans d’immobiliser la loi, de la pétrifier pour ainsi dire, de la rendre inflexible à tous les mouvemens sociaux ; c’est leur idée fixe de pétrir la société, plutôt que de modifier des textes faits pour d’autres époques et pour d’autres besoins.

Mais la nature des choses n’est pas si facile à manier ; elle ne se laisse pas ainsi dompter par des mots, elle ne recule pas devant un griffonnage ; et quand même les baïonnettes seraient mises au service de ces textes morts, il faut que les droits nouveaux grandissent en étouffant les priviléges vieillis ; il faut que ce germe éternel d’équité qui, depuis les premiers jours de l’histoire, se développe péniblement à travers les siècles, renversant un à un les obstacles que lui opposent la force brutale et les castes privilégiées, pousse partout ses racines, et partout reste maître du sol.

Eh bien ! c’est dans l’industrie aujourd’hui qu’un nouveau droit demande à prendre place. Il saura, quoiqu’on fasse, s’y établir vainqueur !

La question qui s’élève ici, et qui a été déjà discutée avec de si sanglans argumens, n’est pas une question lyonnaise : c’est une question universelle ; c’est le premier axiôme de la politique nouvelle qui surgit, et vient réclamer son inscription dans la législation des peuples. Félicitons-nous de ce qu’elle a choisi pour son berceau une ville dont la moralité populaire est proverbiale en Europe depuis des siècles, et sans y mêler des passions qui corrompent tout ce qu’elles touchent, préparons-nous [04.1]à la traiter avec gravité, avec fermeté, avec modération.

Cette émancipation des travailleurs, dont on a tant parlé depuis quelques années, la voici qui s’approche ; l’association des chefs d’atelier en est le prélude. Jusqu’ici le travail, véritable serf de la propriété, n’avait aucun droit social ; livré à la merci de tous les priviléges, il ne se reconnaissait aucune puissance ; il se pliait à toutes les volontés oisives. Aujourd’hui il prétend traiter d’égal à égal avec la propriété : plus tard sans doute il régnera seul et dominera tout ; maintenant ce qu’il demande c’est d’être reconnu et légitimé comme un droit et comme une force.

Si la société actuelle n’est pas dirigée par des têtes que les passions rendent insensées, elle admettra pacifiquement ce droit nouveau dans ses codes, sans le pousser par une résistance absurde à y faire invasion par la force.

Le travail est une marchandise, la plus réelle, la plus sacrée de toutes ; celui qui la possède doit ne la livrer que quand il lui plaît et comme il lui plaît. Les détenteurs de capitaux ayant mille moyens de se coaliser (sans parler de la valeur conventionnelle des monnaies qui est déjà une coalition), il est juste que les travailleurs puissent aussi s’entendre et se coaliser pour maintenir leur propriété à une valeur au-dessous de laquelle la vie est impossible pour eux.

C’est donc une loi de salaires qu’il faut faire ; c’est une barrière qu’il faut imposer à la cupidité des capitalistes, afin que le droit de vivre en travaillant devienne aussi sacré aux yeux du riche, que le droit de la propriété doit l’être pour le pauvre.

Comment se fera cette loi organique du travail dans l’état actuel de la représentation politique, lorsque les privilégiés seuls font les lois, et que les intérêts du travail n’ont pas un défenseur ! C’est là une question effrayante pour quiconque désire avant tout le progrès pacifique ; c’est le point de vue où il faut se placer, pour juger combien sont misérables les idées qu’on répand depuis quelque temps ; ces axiomes d’après lesquels la prospérité matérielle du pays est regardée comme indépendante de la marche purement politique du gouvernement ; – l’extension des droits électoraux comme indifférente pour l’amélioration du sort des classes populaires ; et les institutions républicaines comme un mot vide de sens et une thèse creuse d’idéologie révolutionnaire.

Nous disons, nous, (et placés où nous sommes, notre opinion peut emprunter quelque valeur aux faits qui nous entourent), nous disons que la réforme industrielle n’arrivera pas sans la réforme politique ; nous disons que les classes laborieuses ne verront leur sort s’améliorer et l’agitation qui les tourmente se calmer, que quand des intelligences sorties de leurs rangs prendront place dans la représentation nationale ; nous disons que les canuts de Lyon ne peuvent pas se confier à un pouvoir auprès de qui leurs droits et leurs besoins ne sont défendus que par un millionnaire spirituel comme M. Fulchiron, un helléniste tel que M. Dugas-Montbel, un vaudevilliste millionnaire tel que M. Jars.

Aussi dès qu’un malaise se manifeste parmi les travailleurs, ceux des bourgeois qui n’ont pas l’âme trop dure parlent de faire l’aumône aux ouvriers, les autres demandent qu’on exécute la loi par le canon et la baïonnette.

Nous avons supposé jusqu’à présent que cette loi est contraire à l’association des chefs d’atelier : il n’en est [04.2]rien cependant, et l’article 415 du code pénal ne pourrait être appliqué ici qu’en faisant violence aux mots et en détournant le sens que le législateur a voulu lui donner : cet article est ainsi conçu ;

« Toute coalition de la part des ouvriers pour faire cesser en même temps de travailler, interdire le travail dans un atelier, empêcher de s’y rendre et d’y rester avant ou après de certaines heures, et en général pour suspendre, empêcher, enchérir les travaux, s’il y a eu tentative ou commencement d’exécution, sera punie d’un emprisonnement d’un mois au moins et de trois mois au plus. Les chefs ou moteurs seront punis d’un emprisonnement de deux à cinq ans. »

L’Echo de la Fabrique a déjà fait remarquer avec raison que le cas prévu dans cet article est celui où les ouvriers employés à une entreprise unique, se coaliseraient pour refuser le travail et forcer ainsi l’entrepreneur à augmenter le salaire sous peine de voir anéantir par une brusque suspension tous les capitaux déjà employés.

Mais l’ouvrier de Lyon, en refusant de travailler, ne compromet aucun capital engagé, sa pièce finie et enlevée du métier, toute relation cesse entre lui et le fabricant ; il ne viole donc aucune promesse tacite, et le marchand peut bien l’accuser de refuser de l’aider à faire des bénéfices, mais non de lui causer des pertes.

Une autre observation bien plus radicale encore c’est que la loi a voulu évidemment protéger l’industriel, l’entrepreneur de travaux. Or, dans la fabrique de Lyon, le véritable industriel, ce n’est pas le fabricant qui n’est qu’un capitaliste ou tout au plus un commissionnaire, un entrepositaire de crédit et de marchandise, un courtier entre le consommateur et le fabricateur ; c’est le chef d’atelier qui monte les métiers, loue les lieux de travail, engage et paye les ouvriers, etc., etc.

Ainsi l’article 415 n’est aucunement applicable à l’association des chefs d’atelier, et nous sommes convaincus que le tribunal de police correctionnelle, auquel l’autorité a déféré un des actes de l’association, décidera dans le sens que nous indiquons ici.

Si notre espoir était trompé, il faudrait poursuivre la cause jusqu’à la dernière des juridictions ; il faudrait s’adresser enfin à la chambre des députés pour demander l’abrogation de la loi existante, si les tribunaux persistaient à lui donner une interprétation que nous croyons fausse. – Notre appui ni celui des autres amis des intérêts populaires ne manqueront pas aux citoyens qui seront chargés de la grande mission de représenter les droits du travail. Peut-être la France, avertie par la publicité, sentira-t-elle quelque émotion en voyant une population nombreuse et souffrante qui a prouvé tristement qu’elle connaît sa force et sait la faire respecter, ne veut demander le triomphe de son droit qu’à la raison, qu’à la justice nationale, et se refuser jusqu’à la fin à l’emploi des moyens violens qui ne guérissent jamais le mal existant et enfantent mille maux nouveaux. Nous voici ramenés à l’article du Courrier de Lyon ; mais ce que nous venons de dire n’y a-t-il pas déjà répondu ?

Le Courrier énumère avec satisfaction le nombre des régimens qui sont à Lyon ou aux environs ; il décrit avec orgueil les fortifications dont on a hérissé les approches de la ville ; remarquons en passant que quand ces travaux ont été commencés on nous assurait que c’était contre l’invasion des Autrichiens par la Savoie qu’on préparait ces moyens de défense, et qu’on s’est fâché très fort, quand nous avons manifesté quelques doutes à cet égard ; le Courrier ajoute qu’on a renouvelé la garnison tout entière, ce qui semble indiquer une pensée qu’on n’ose pas écrire. – De tout cet ensemble de mesures [05.1]il résulte qu’on a la meilleure volonté du monde de faire de la force. Nous ne voulons point examiner jusqu’à quel point cette énumération menaçante peut ressembler à une fanfaronnade ; tout ce que nous devons dire, c’est qu’on serait bien heureux de trouver, comme le crient des indiscrets du parti, l’occasion d’une revanche de novembre.

Cette occasion, les ouvriers ne la fourniront pas : leur association n’est point un complot de guerre civile ; c’est une organisation industrielle qui peut et doit se défendre pacifiquement. Nous croyons pouvoir répondre que telles sont les intentions bien arrêtées des ouvriers. Nous verrons comment on s’y prendra pour les forcer à travailler malgré eux.

C’est assez de la force d’inertie : point de menaces aux fabricans ou à ceux des ouvriers qui ne font pas partie de l’association ; point de destruction de métiers : du calme et de la fermeté : C’est tout ce qu’il faut pour triompher lorsqu’on est fort et qu’on a raison.

Ans. P.

(Extrait du Précurseur du 26 février 1833. n° 1919.)


i Sans adopter les raisonnemens de M. Petetin, et voulant rester étrangers à la question politique, nous avons cru devoir citer textuellement et sans commentaire. (Note du rédacteur.)

 

L’Erratum renouvelé.

OU RESTE DE DROIT A MM. PELLIN ET BERTRAND.

Errare humanum est.

Dans le n° 7 du journal, nous crûmes devoir traiter en thèse générale la question suivante : Abus des supplémens de salaire portés sur les livres comme bonification. A la ligne 17 de cet article, se trouve, entre deux parenthèses, et comme pour servir d’exemple, la phrase suivante : (Nous connaissons un chef d’atelier, auquel MM. Pellin et Bertrand ont été condamnés à payer fr. 50 c. l’aune, qu’ils avaient eu l’incroyable idée de marquer 90 c.). La vérité est que nous avions commis une erreur en attribuant ce fait à MM. Pellin et Bertrand, c’est à MM. Sandier et Tholozan qu’il doit l’être, ainsi que les lecteurs attentifs ont pu facilement s’en convaincre en lisant à la page suivante, au titre des réclamations, celle de M. Chardonnait, où ce fait est amplement détaillé.

Aussitôt que nous nous sommes aperçus de cette erreur, nous fîmes dans le n° suivant, en tête du journal, un errata dans lequel elle fut rectifiée.

MM. Pellin et Bertrand auraient dû en prendre leur parti et s’en consoler ; car enfin, suivant la parole d’un jurisconsulte philosophe (Servan) : Quand une fois la presse a incorporé l’erreur au papier, on verserait en vain des larmes de sang pour l’effacer. Dieu ne peut pas faire qu’un bâton n’ait pas deux bouts ; et, avec la meilleure volonté du monde, nous ne pouvions pas faire qu’une erreur commise n’eût pas existé, qu’un nom n’eût pas été substitué à un autre. Nous ne pouvions que reconnaître l’erreur signalée, et nous l’avions fait avec empressement. Un errata doit suffire pour réparer une erreur de bonne foi.

Aussi, nous nous attendions qu’à l’audience la plainte serait loyalement abandonnée à cet égard ; nous avons donc été cruellement désapointés en voyant l’insistance de MM. Pellin et Bertrand; insistance telle qu’elle a provoqué les murmures de l’auditoire. Le tribunal en a fait justice et nous a renvoyés de la plainte sur ce chef. Il appartenait à M. Delandine dont le père a dit : Et si l’erreur n’est que trop souvent l’apanage de l’homme, il faut bien que l’homme pardonne à l’erreur ; il lui appartenait, disons-nous, de faire taire la mauvaise humeur implacable de MM. Pellin et Bertrand.

[05.2]Pour nous, quoique déliés à cet égard de toute obligation, même morale, nous voulons faire reste de droit à ces messieurs, en renouvelant par le présent erratum, la rectification que nous avons déjà faite. Nous y trouvons, il est vrai, l’avantage de débarasser la cause d’un incident qui serait aujourd’hui, nous l’espérons du moins, plus que futile. Les plaintes de MM. Manarat et Barnoux subsistent ; c’est à celles-là seules qu’il faut que MM. Pellin et Bertrand s’attachent et répondent. Sur ce terrain, le Gérant de l’Echo les attend.

Le Rédacteur en chef,

Marius Chastaing.

De l’enregistrement sur minute des jugemens du conseil des prud’hommes.

Nous avions appelé l’attention publique, dans le n° 4 du journal, sur l’abus résultant du défaut d’enregistrement sur minute des jugemens du conseil des prud’hommes. L’affaire Imbert est venue depuis confirmer nos paroles. Cet ordre de choses était intolérable. Convaincus que nous n’en obtiendrons pas le redressement de la volonté de M. Goujon, nous nous sommes adressés au directeur de l’enregistrement à Lyon ; voici la réponse de ce fonctionnaire.

Lyon, le 24 février, 1833.

Monsieur,

Il y a près d’un mois que plusieurs membres du conseil des prud’hommes, me firent l’honneur de se rendre auprès de moi pour me demander s’il était vrai que les droits d’enregistrement de leurs jugemens fussent aussi considérables qu’on le leur avait assuré ; (je crois qu’ils me parlèrent de 25 fr.)

Il me fut facile de les détromper, car vous savez assurément, monsieur, que les jugemens de leur juridiction qui, comme tous les actes judiciaires sans exception doivent être enregistrés dans les 20 jours de leur date, reçoivent cette formalité gratis toutes les fois que l’objet de la contestation n’excède pas 25 fr.

Et que lorsqu’ils concernent des contestations avant pour objet une somme supérieure à 25 fr. Ils sont seulement passibles des droits réglés pour les actes de la justice de paix, qui excèdent rarement 1 fr.

Qu’enfin l’art. 4 de la loi du 28 avril 1816, avait fixé à 50 centi. le droit à percevoir sur les assignations et tous autres exploits devant les prud’hommes.

Ces renseignemens me parurent d’autant plus satisfaire ces messieurs, qu’ils ne m’avaient point dissimulé que la crainte de constituer leurs justiciables dans de trop grands frais, les avait déterminés jusqu’alors à se borner de prononcer leurs décisions en séance publique, sans en constater l’existence sur la feuille d’audience qui doit être tenue par leur greffier ou secrétaire, comme par ceux de tous les autres tribunaux, d’après les articles 138 du code de procédure civile, 642 et 643 du code de commerce.

J’ai dû croire d’après ces explications, que le conseil avait adopté une marche plus conforme aux lois, mais j’ai été fort étonné d’apprendre par la lettre que vous m’avez écrite hier, et les réflexions judicieuses que contient l’article premier de l’Echo de la Fabrique du 27 janvier dernier, dont vous avez eu la complaisance de m’adresser un exemplaire, ce dont je vous prie de recevoir mes remerciemens, que je m’étais trompé.

Je vais en conséquence donner à un employé supérieur des domaines, l’ordre d’aller vérifier sur le champ le greffe du conseil des prud’hommes, et de me faire sur l’état où il l’aura trouvé un rapport que je communiquerai, s’il en est besoin, à M. le procureur du roi.

Recevez, monsieur l’assurance de ma considération distinguée,

Le directeur des domaines, Fraisse.

Nous avons lieu d’espérer la cessation immédiate de l’abus signalé. Nous désirerions que le directeur sollicitât une décision du conseil d’état pour soumettre la partie condamnée seule aux poursuites que pourraient nécessiter le recouvrement du double droit d’enregistrement, lorsque cette formalité n’aura pas été remplie dans les vingts jours.

 SIMPLE HISTOIRE.

[06.1]Au commencement de janvier, le sieur Roch monte un gros de Naples 41 portées simples à 50 pouces, pour les sieurs Bussy et Godenard, gens pieux, attachés à tous les établissemens de bienfaisance. A la fin de sa première pièce, le sieur Roch se trouve en solde de 190 grammes. Pauvre mais honnête, le sieur Roch est tout étonné de se voir en arrière de matières, il commence, selon l’usage, par soupçonner sa dévideuse, mais convaincu de sa fidélité, par la longue expérience qu’il en a faite, il prend le parti de soigner attentivement ceux qu’il suspectait, il ne tarda pas à être convaincu.

Il reçoit une seconde pièce, ensuite 2 290 de trame gros noir. A l’instant même il porte cette trame chez le prud’homme de sa section, qui le pèse et reconnaît que le poids est conforme à celui marqué sur le livre, mais 24 heures après, la soie avait perdu 55 grammes. Le prud’homme veut que le sieur Roch traduise le fripon devant le conseil, mais le sieur Roch veut employer la douceur ; il porte sa soie chez son fabricant, qui lui dit avec arrogance qu’il verra, qu’il examinera, qu’il ait à la laisser et de repasser dans cinq ou six jours, qu’il lui en donnera d’autres, force fut au sieur Roch d’attendre. Enfin il va au magasin quelques jours après et reçoit une pesée de 1 000 grammes, il la porte, comme la précédente, chez le prud’homme qui trouve le poids conforme, et 24 heures après, la soie a perdu 45 grammes. Pour le coup, le sieur Roch, furieux ; se fait faire un certificat qui atteste la véracité du fait, et décidé à agir de rigueur, il porte sa soie à ces honnêtes messieurs ; mais arrivé là, le courage lui manque et il se contente de faire corriger l’erreur, ce qui est fait par ces doux messieurs, avec un ton d’audace et d’insolence qui certes, soit dit en passant, ne convient pas à des ames aussi dévotes et charitables que les leurs. Tous les hommes sont susceptibles de faiblesse. Enfin, samedi 16 du courant, le sieur Roch va encore chercher de trame, on lui en donne 420 grammes, de suite, de la porter chez son prud’homme, qui trouve le poids, mais 44 heures après il n’y était plus, elle avait perdu 25 grammes. Oh ! c’est par trop fort ! le sieur Roch, nanti d’un certificat, court prendre un billet d’invitation et le porte à l’instant aux sieurs Bussy et Godemart ; mais le sieur Roch ignorait que ce jour même, le sieur Godemart épousait une jeune et riche héritière, que, par conséquent, son fidèle compagnon, son associé était de la noce, c’est une chose toute naturelle, et qu’alors ils ne pouvaient répondre à l’invitation ; défaut est prononcé contre eux, contre ces bons messieurs, qui font inviter très poliment le sieur Roch… à la noce ? – non pas… On le fait inviter à passer au magasin, afin de se ranger et terminer tous ces trains-là, ce sont leurs propres expressions.

B......

 

Réclamations.

M. Galliard, négociant, réclame contre la note de MM. Martin et Tranchand, insérée dans notre dernier numéro (v. l’Echo, n° 8, p. 59), il explique qu’il n’a jamais eu l’idée de se rétracter de sa parole, qu’il s’est engagé d’honneur à payer le même prix que ses confrères, et qu’il tiendra scrupuleusement cet engagement, mais que ses commis ont marqué par erreur sur le livre du sieur Martin le prix contre lequel ce dernier a réclamé ; il est étranger à cette erreur, et n’a aucunement l’intention de s’en prévaloir.

Note du Rédacteur. Nous n’attendions pas moins de la loyauté connue de M. Galliard. C’est par des explications franches et amicales qu’on prévient toute collision fâcheuse ; nous sommes les défenseurs des ouvriers, mais non les ennemis systématiques des négocians, et toutes les fois que nous pourrons rendre justice à un de ces derniers, comme dans cette occasion, nous le ferons avec plaisir.

MM. Sandier et Tholozan nous écrivent et déclarent que les assertions contenues contr’eux dans les n°s 7 et 8 du journal relatives à leur différent avec M. Chardonnait, sont fausses, et produisent à l’appui la déclaration suivante :

« Nous, soussignés, membres du conseil des prud’hommes de la ville de Lyon, désignés par ledit conseil, [06.2]pour concilier le différent qui existait entre les sieurs Sandier et Tholozan, fabricans, d’une part ; et le sieur Chardonnait, chef d’atelier, d’autre part.

Certifions que la conciliation suivante, proposée par nous, a été acceptée par les deux parties :

 La pièce qui avait trente aunes, restera portée à façon à un franc l’aune.

2° Il sera alloué au sieur Chardonnait une indemnité de quinze francs.

Nous certifions de plus que nous n’avons point entendu établir une augmentation du prix de la façon, mais bien allouer un défrayement.

Lyon, le 28 février, 1833.

Signé Gamot. Signé Labory.

Note du rédacteur. Au moyen de la déclaration ci-dessus les faits imputés à MM. Sandier et Tholozan (Voy. l’Echo, n° 7, p. 50), perdent toute leur gravité, et M. Chardonnait nous aurait induit en erreur. Cependant nous devons suspendre notre jugement et attendre que ce chef d’atelier réponde au démenti formel que MM. Sandier et Tholozan donnent à sa plainte. Un fait néanmoins reste intact, c’est que M. Chardonnait demandait 1 fr. 50 c. de l’aune et il lui est alloué justement cette somme. MM. Labory et Gamot auraient dû dans leur déclaration expliquer à quel titre ils ont entendu accorder un défrayement, et pourquoi ils se sont refusés à condamner les négocians à l’augmentation de salaire qui était demandée par l’ouvrier, augmentation qui, en un mot, était ou n’était pas dûe, et qu’il serait jésuitique d’avoir accordé en ayant l’air de la refuser. Leur silence laisserait des doutes fâcheux que nous sommes bien aises d’anéantir, car on sait que souvent un certificat s’accorde à l’importunité ou à des considérations particulières. Nous accueillerons avec plaisir dans notre prochain numéro une note explicative. Nous y sommes intéressés moralement, nous ne voulons pas qu’on puisse nous accuser d’avoir publié légèrement une plainte, et si le sieur Chardonnait, ouvrier considéré, avait à ce point abusé de notre bonne-foi, nous serions dans le cas d’être à l’avenir plus sévères à l’égard de ses confrères. Nos colonnes sont ouvertes à tous les griefs des ouvriers, mais bien entendu à condition que ces griefs seront réels. Attendons les explications que nécessite cet imbroglio.

 

Monsieur,

Dans votre dernier numéro vous priez les chefs-d’ateliers de vous rendre compte des décisions rendues devant les prud’hommes arbitres, qui pourraient intéresser leurs confrères. Je viens remplir ce devoir, les circonstances sous l’empire desquelles nous sommes placés, exigent impérieusement que rien ne reste caché. Ce que je vais rapporter est de nature à piquer la curiosité de M. le procureur du roi.

Ayant reçu une disposition d’un mouchoir 6/4 pour les sieurs Bourcier et Chaume, j’avais fait faire divers harnais pour cette largeur, acheté de la soie, et 50 portées de remisse étaient déjà faites, lorsque, demandant ma pièce, on m’apprit que la commission était retirée. L’on m’offrit 5 fr. pour la façon du remisse déjà fait, en me promettant de la meilleure grâce du monde de me donner de l’ouvrage aussitôt qu’il serait possible. Au sortir du magasin, étant allé chez ma lisseuse arrêter le remisse que je lui avais commandé, j’acquis la certitude que l’on avait indignement abusé de ma crédulité, que la commande n’était point retirée, mais seulement que ces messieurs l’avaient placée ailleurs dans l’espoir de la faire fabriquer à 50 c. au dessous du prix convenu entre nous. J’invitai de suite ces messieurs à paraître au conseil. Nous fûmes renvoyés en conciliation pardevant MM. Gamot et Falconnet ; les sieurs Bourcier et Chaume ayant fait défaut, je fus forcé de les faire assigner ; renvoyés de nouveau en conciliation, le sieur Chaume, sachant que j’avais la preuve de son mensonge et de sa supercherie, dont [07.1]j’étais victime, déclara nettement, tant en son nom qu’en celui de son associé, m’avoir refusé de l’ouvrage parce que je ne lui convenais pas, que j’étais un insolent, que je payerais cher de les avoir fait appeler au conseil, que je m’exposais à ne plus trouver de l’ouvrage. Voyant que la dispute s’animait, M. Falconnet indigné d’une pareille menace, nous fit taire, rappela à l’ordre le sieur Chaume, et lui fit sentir toute l’inconvenance d’une pareille conduite et de pareilles menaces faites devant des membres conciliateurs, ainsi que les conséquences funestes qui pourraient résulter, si par représailles les ouvriers venaient à refuser leur travail aux fabricans qui, les premiers auraient refusé du travail à quelques-uns d’entre eux. Condamné à me donner 15 fr. en sus des 5 fr. déjà reçus, le sieur Chaume, ne voulait pas me rembourser le montant de l’assignation : et il fallut tout le raisonnement de M. Gamot pour lui faire entendre que les frais d’assignation sont toujours à la charge de ceux qui font défaut.

Etant connu, et ne craignant point les menaces d’un négociant, pas plus que les épithètes dont le sot Courrier de Lyon a voulu flétrir les ouvriers ; (d’ailleurs c’est la première fois que j’ai paru au conseil), je vous prie de signaler un pareil fait dont je vous garantis la vérité.

Simonet.

 

Au Rédacteur,

Monsieur,

Je crois remplir un devoir, dans ce moment où il est question de MM. Pellin et Bertrand, en vous rendant compte d’une décision rendue par MM. Gamot et Falconnet, prud’hommes délégués. J’assistais dernièrement le sieur Charbonnier (qui, ne sachant pas lire, était contraint d’avoir recours à un tiers pour expliquer sa réclamation. Il était en solde de matières indigènes, parce que ces messieurs ne lui avaient pas alloué un déchet suffisant, et avaient refusé de recevoir le papier sur lequel la matière est filée. Après avoir fait défaut, ils firent appeler le sieur Charbonnier, lui diminuèrent une partie de son solde (la moitié environ du poids des papiers-fuseaux) ; le sieur Charbonnier fut donc obligé de les traduire de nouveau au conseil, afin de se faire rendre une justice entière. Les sieurs Pellin et Bertrand furent condamnés à recevoir tous les fuseaux, et à porter le déchet à raison de 45 gr. par kilogr. Mais nonobstant cela, la faible somme qui revenait au sieur Charbonnier ne fut portée sur son livre que sous le titre de bonification. Comme ces messieurs écrivent seuls sur les livres, ils écrivent ce qu’ils veulent, mais doivent-ils dire qu’ils sont généreux, qu’ils font des bonifications, tandis qu’ils ne payent que ce à quoi ils sont condamnés, et après qu’ils ont été appelés devant le conseil ?

Meurget.

 

SOUSCRIPTION POUR LES OUVRIERS TULLISTES.

6e liste de souscription.

M. Berger, gérant de l’Echo, 1 fr. 50 c. – MM. Charles et Jean Berger, 2 fr. – MM. Nicolas, Arnaud, Perissel, Meunier, Ribot, Poncet, Garcin, ouvriers chez MM. Berger frères, 5 fr. 50 c. – M. Collavon, 1 fr. – MM. Broliquet, 50 c. – Gervais aîné, 1 fr. – Faure, 30 c. – Allier, 75 c. – Gervais cadet, 50 c. – Mathieu ainé, 50 c.– Louis Mathieu, 50 c. – Michou, 50 c. – Bogimot, 50 c. – Naud, 20 c. – Dellière, 50 c. – Signoret, 50 c.

Total : 16 fr. 45 c.

 

ÉLECTIONS DES PRUD’HOMMES.

[07.2]MM. Riboud, Bender, Reverchon, Carrier, Troubat et Brisson, prud’hommes négocians, et M. Sordet, prud’homme, chef d’atelier, ayant donné leur démission, les marchands sont convoqués pour le samedi 9 mars courant, et les chefs d’atelier de la Croix-Rousse (1re section de cette commune), pour le lendemain, dimanche 10 mars, à l’effet d’élire leurs remplaçans. Nous ne pouvons qu’applaudir à la démarche de MM. Troubat, Bender, etc., et engager leurs confrères à leur donner des successeurs dont les noms soient un gage de concorde et de conciliation au lieu d’un signal de guerre. Malgré les assertions du Courrier de Lyon, nous persistons à croire que ces noms peuvent se trouver.

Nous répétons, sans le garantir, un bruit qui circule ; c’est que les négocians se seraient coalisés pour refuser les fonctions de prud’hommes, ou ne les accepter qu’à une condition ridicule, celle de rétablir le huis clos du conseil… Nous verrons si ce bruit odieux a quelque fondement. Jusque-là, nous nous abstiendrons d’en dire davantage.

Nous ignorons le motif qui a pu porter M. Sordet à donner sa démission. Nous souhaitons que son successeur lui ressemble.

La question du serment se trouve vidée ; inutile d’y revenir, l’autorité n’aura sans doute pas l’audace de le demander : négocians et chefs d’atelier ; ces derniers surtout, sont prêts à le refuser.

 CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

(présidé par m. putinier.)

Audience du 28 février 1833.

D. Lorsqu’un négociant a reçu et vendu la pièce que lui a rendu le tisseur, peut-il lui diminuer le prix de sa façon en prétextant qu’elle était mal fabriquée ? – R. Non : la pièce n’étant pas représentée est censée avoir été bien fabriquée.

D. Une indemnité est-elle dûe par le négociant qui fait perdre son temps à un ouvrier en faisant défaut ? – R. Oui : une indemnité est dûe.

Le sieur Marchetti a fait assigner le sieur Roux et lui réclame le prix de 70 c. par aune sur une pièce de gros de Naples uni ; plus un défrayement pour le temps qu’il a perdu, en se rendant successivement à trois audiences. Le sieur Roux déclare avoir vendu la pièce dont s’agit à perte, par suite de sa mauvaise fabrication.

Le conseil prononce ainsi :

« Attendu que le sieur Roux ne peut produire la pièce ; attendu dès lors l’impossibilité d’en reconnaître la mauvaise fabrication, elle est considérée comme bonne et recevable. Le prix de la façon, marqué 45 c. sera porté à 65 c. Condamne le sieur Roux à 5 fr. d’indemnité pour le temps qu’il a fait perdre au sieur Marchetti, par les défauts consécutifs, plus aux frais. »

Lorsqu’un négociant a écrit sur le livre d’un chef d’atelier, bonification, l’augmentation de salaire à laquelle il a été condamné, le chef d’atelier est-il dispensé de donner à son compagnon la moitié de cette augmentation. – R. Non.

Le sieur Joyard avait été condamné à payer à Bozon : 1° 5 c. de plus par aune de rubans ; 2° 10 fr. pour indemnité de montage de métiers. Ces deux sommes ne furent pas marquées ainsi sur le livre du sieur Bozon, mais sous celui, bien plus agréable, de bonifications. De ce fait le sieur Bozon s’est cru autorisé à refuser à son compagnon la moitié de l’augmentation de la façon qui lui revenait, soit 2 centimes et demi par aune. Mais sa prétention fut écartée à l’audience du samedi 23 février [08.1]dernier. Le sieur Bozon faisait donc comparaître de nouveau en cette audience sieur Joyard négociant, et demandait la rectification de l’inscription mise sur son livre. Il réclamait en outre sur une omission de 20 grammes de déchet.

« Attendu que quoique ces deux sommes soient portées sur le livre de Bozon, comme bonification, il est écrit plus bas, que la moitié de la façon est due au compagnon, et que le compagnon ne peut souffrir de l’irrégularité de l’inscription mise sur le livre du maître, inscription qui pourrait être quelquefois le résultat d’un concert frauduleux, attendu l’erreur du déchet :

Le conseil maintient son jugement en premier et dernier ressort, que nonobstant l’inscription irrégulière faite sur le livre, le Bozon, payera à son ouvrier, la moitié de l’augmentation de 5 centimes par aune qui lui a été allouée, condamne Joyard à payer les 20 grammes de déchet omis. »

Note du Rédacteur. Nous croyons que dans ce cas, comme dans ceux de cette nature qui pourraient se présenter, le conseil doit rappeler aux négocians, que lorsqu’ils sont condamnés à payer des défrayemens pour montage de métiers, temps perdu ou une augmentation de façon, ce qui est encore bien différent, ces sommes doivent être portées sous leur titre réel et non comme bonification, car c’est une dette qu’ils acquittent. Cela préviendra des abus qui peuvent devenir graves et des difficultés qui ne manqueront pas de surgir chaque jour.

 Coups de navette.

Un anonyme propose une société anonyme pour faire un journal dont le titre est anonyme, lequel rendra compte à l’instar du Courrier-Jouve, c’est-à-dire, d’une manière anonyme de tout ce qui intéressera la fabrique de Lyon, l’endroit où les actionnaires se réuniront pour signer l’acte de société et déposer les fonds est anonyme.

Il faut vraiment n’avoir pas cent francs dans sa poche, pour ne pas être actionnaire du susdit journal.

M. Goujon sera, nous présumons, gérant du journal anonyme.

M. Goujon a refusé l’Echo de la Fabrique, c’est dommage, mais nous lui l’enverrons gratis.

Est-ce pour ma récompense de lui envoyer un numéro gratis, que M. le procureur du roi veut me faire aller en prison, disait notre gérant, ce n’est pas bien de sa part.

Beaucoup d’ouvriers mardi dernier ne se doutaient pas qu’ils assisteraient à un sermon.

Pyrrhus disait : encore une victoire pareille et je suis perdu. MM. Pel... et B....... et consorts peuvent en dire autant.

MM. Pellin et Bertrand n’ont pas demandé des dommages intérêts, c’est étonnant ; ce sont des parties civiles.

Le Courrier de Lyon aime les ouvriers comme le vigneron aime la treille qu’il fume au printemps, pour la pressurer en automne.

 Avis aux lecteurs.

Dans notre dernier numéro, et dans l’article intitulé : Dialogue entre le commissaire de police de la Croix-Rousse [08.2]et un ouvrier, nous nous sommes servis par plaisanterie, de l’expression monarque croix-roussien. Quelques personnes ayant cru que nous avions entendu parler de M. le maire de la Croix-Rousse, nous déclarons que ces personnes sont dans l’erreur. Nous n’avons eu en vue que M. le commissaire de police de cette commune.

 

Les cinq procès de la Glaneuse seront jugés aux assises prochaines. On assure que M. Garnier-Pagès vient plaider pour ce journal.

Bibliothèque populaire,
a 25 centimes le volume.
La collection sera de cent vingt volumes, 18 volumes sont en vente. Le prix de l’abonnement, payable en souscrivant, est pour Paris de 1 fr. 50 c. pour 3 mois ou 6 volumes, 3 fr. pour 6 mois ou 12 volumes, 6 fr. pour l’année ou 24 volumes, 25 fr. pour la collection et 30 fr. sur papier vélin, et pour les départemens, franc de port, 2 fr. 25 c. pour 3 mois, 4 fr. 50 c. pour 6 mois, 9 fr. pour l’année, 40 fr. pour la collection entière, et 45 fr. sur papier vélin. Cette augmentation considérable est le résultat de la taxe exigée par l’administration des postes.
On s’abonne, par lettres affranchies, au bureau de la Bibliothèque populaire, à Paris, rue et place St-André-des-arts, numéro 30.
On peut aussi s’abonner à Lyon chez M. Falconnet, rue Tholozan, numéro 6., et au bureau de l’Echo de la fabrique.
P. S. Nous publierons incessamment un extrait du prospectus de cette importante publication.

[163] a vendre. Trois métiers, dont l’un de velours, un de courants, et l’autre pour grosse peluche, garnis de tous leurs accessoires, ensemble ou séparément. S’adresser à M. Charvet, rue des Tables-Claudiennes, n° 1 au 1er.

[137] Tranchat, mécanicien, rue du Commerce, n° 18, vient d’obtenir un brevet d’invention et de perfectionnement pour le procédé qu’il vient d’ajouter à ses cannetières par lequel la cannette s’arrête aussitôt qu’un des bouts casse, ou que la soie d’un roquet est employée ; il reste toujours hors la cannette une longueur de 8 pouces de soie pour nouer. Ces cannetières offrent non-seulement l’économie de la matière et de la main-d’œuvre, mais l’avantage de donner à l’étoffe toute la régularité, la propreté et l’éclat dont elle est susceptible. Le crémage, les trames rebouclées ou tirantes sont impossibles, et les lisières parfaites par l’emploi des cannettes provenant de ces cannetières, qui les font également à quel nombre de bouts que ce soit.
Le sieur Tranchat tient aussi magasin de mécaniques à la Jacquard, de mécaniques à devider, de moulinages. Il fait ses cannetières propres à faire autant de cannettes qu’on le désire. On peut les voir en activité chez MM. Morel, rue des Tables-Claudiennes, n° 14, et Martinon, place de la Croix-Rousse,  17.

(150) clarification des vins.
La gélatine de Mme Lainé de Paris, brevetée, dont l’emploi est aujourd’hui général pour la clarification complète des vins rouges et blancs, continue de se vendre à Lyon, chez MM. V. Bietrix-Sionnet et Ce, droguistes, rue Neuve, n° 12.

(155) A vendre ensemble ou séparément, un superbe atelier de 5 métiers, articles nouveautés à la Jacquard, et facilités pour le paiement. S’adresser au bureau du journal.

(157) A vendre de suite un atelier de 4 métiers d’unis en activité, une mécanique ronde, avec tous les accessoires et suite du loyer. S’adresser au bureau.

(153) A vendre, deux métiers en 400 tous montés. S’adresser rue Juiverie, n° 8, au 4e sur le derrière, chez la veuve Escalon.

(154) A vendre ; un battant de rubans à double boîte ; avec huit navettes.
S’adresser chez M. Montaz, clos Casati, n° 1.

(152) A vendre, un métier de lancé et suite de l’ouvrage. S’adresser au bureau.

(Voyez le Supplément.)

 SUPPLÉMENT

 PROCÈS DE L’ÉCHO DE LA FABRIQUE.

tribunal de police correctionnelle.

(Audience du 26 février 1833.)

Dès neuf heures du matin, la place St-Jean s’est trouvée envahie par plus de huit cents ouvriers impatiens de connaître le résultat du procès que MM. Pellin et Bertrand, négocians, nous avaient intenté. Ce concours prouve de plus en plus la sympathie des ouvriers pour nos doctrines ; nous en sommes fiers, et nous y puiserons toujours la force morale dont nous avons besoin pour résister aux coups qu’on s’apprête peut-être à nous porter : les ouvriers comprennent leurs intérêts ; nous les en remercions pour eux et pour nous.

Il n’est pas inutile de rappeler à nos lecteurs l’objet de ce procès. Ils se souviennent que notre numéro du 17 février dernier contenait, 1° une note ainsi conçue : M. Manarat se plaint que MM. Pellin et Bertrand l’ont menacé de mettre à bas tous ses métiers les uns après les autres, 1° parce qu’il a exigé les tirelles et les laçages qui lui sont dûs, 2° parce qu’il les a fait appeler au conseil des prud’hommes. Ces mêmes négocians ne veulent porter sur son livre ce qu’ils ont été condamnés à lui payer qu’à titre de bonification ;– 2° une autre note dont voici le texte : Catalogue des maisons de commerce qui sont en contravention avec les décisions du conseil des prud’hommes. N° 3. MM. Pellin et Bertrand qui ont écrit sur le livre de M. Barnoux, qu’il ferait lacer à ses frais les dessins, et qu’il ne lui serait point accordé de tirelles.

La cause se compliquait d’un incident ; dans le même numéro, le Rédacteur en chef de l’Echo avait fait un article intitulé : Abus des supplémens de salaire portés sur les livres comme bonification ; par une préoccupation fâcheuse, il avait, dans une citation, mis le nom de MM. Pellin et Bertrand à la place de celui de MM. Sandier et Tholozani ; mais, averti de cette erreur, la rectification en avait été spontanément faite dans le numéro suivant par un erratum en tête du journal. Il faut encore observer, que dans la note Manarat, le Rédacteur avait mal à propos écrit condamnés au participe passé ; il n’aurait dû l’être qu’au participe futur ; la condamnation n’était pas encore prononcée. Ce fut dans la salle d’audience que MM. Pellin et Bertrand, en consentant à allouer à Manarat ce qui lui était dû, évitèrent le désagrément d’une condamnation certaine ; mais ils ne le voulurent qu’à condition que cela ne figurerait que comme gratification.

A raison de ces articles, MM. Pellin et Bertrand avaient rendu plainte en diffamation contre le gérant de l’Echo, ils s’étaient rendus parties civiles.

A deux heures et demie la cause est appelée ; M. Berger s’assied sur le banc des prévenus ; à côté de lui, prennent place M. Marius Chastaing, rédacteur en chef, M. Falconnet, prud’homme, etc.

[09.2]Le tribunal est composé de MM. Delandine, président, Camyer et Passet, juges. M. Chegaray, procureur du roi, vient lui-même remplir les fonctions du ministère public ; ce qui fait pressentir que le parquet n’attache peut-être pas moins de prix à la condamnation de l’Echo de la Fabrique que les ouvriers à son acquittement.

M. le président cependant s’étonne de l’affluence inaccoutumée des ouvriers, et il interpelle M. Berger sur la question de savoir, si c’est lui qui les a fait inviter à venir encombrer l’auditoire, lui faisant observer que par-là il donnerait à la prévention une gravité nouvelle. Notre gérant répond simplement qu’il n’y a eu de sa part d’autre invitation que la publicité donnée aux débats. Le public s’étonne aussi de l’apparition inusitée de M. le procureur du roi ; ce dernier s’étonne qu’on s’étonne de sa présence ; et, au milieu de ces étonnemens, les débats commencent.

La présence, à côté de nous, de M. Granier, gérant de la Glaneuse, paraît contrarier M. Chegaray. On voit que ces deux messieurs se connaissent et ne s’aiment pas.

Interrogé par le président, M. Berger renouvelle la déclaration que c’est par erreur que dans l’article Abus, etc., les noms de MM. Pellin et Bertrand se trouvent substitués à celui de MM. Sandier et Tholozan ; quant aux deux autres articles, les faits signalés sont exacts ; il convient que le mot condamnés n’est pas le terme propre ; au surplus, il accepte la responsabilité des passages incriminés, et finit en déclarant que le Rédacteur est prêt à donner des explications.

M. Marius Chastaing se lève et se déclare auteur de l’article, mais il se rassied sur l’observation qu’il n’est point en cause ; M. Berger réitère sa déclaration qu’il assume sur lui la responsabilité, et Me Seriziat, avocat de MM. Pellin et Bertrand, interpellé par M. Chastaing, déclare qu’il ne prend ses conclusions que contre le Gérant.

La parole est donnée à l’avocat des plaignans ; il est interrompu, au commencement de sa plaidoirie, par des murmures qui cessent bientôt, sur la menace du procureur du roi, de faire évacuer la salle, s’ils se renouvellent ; Me Seriziat plaide avec son talent accoutumé ; mais il erre constamment dans un cercle vicieux, et l’acharnement avec lequel il dissèque le premier article incriminé, sans avoir égard à l’erratum, est vraiment inconcevable. Il essaie de trouver également dans les autres articles le délit de diffamation.

Me Chanay, défenseur de notre Gérant, prend la parole à-peu-près en ces termes :

Messieurs, le journal l’Echo de la Fabrique compte à peine deux années d’existence, et déjà il a rendu d’incontestables services : combattre les monstrueux abus qui infectent la fabrique lyonnaise, telle est sa mission : jusqu’à ce jour il l’a remplie avec autant de modération que d’énergie : jamais il n’a eu recours à la calomnie, à la diffamation ; et si, pour la première fois, messieurs, il est aujourd’hui traduit à votre barre, c’est par suite d’une erreur qu’il me sera facile de démontrer ; mais avant d’aborder cette démonstration, qu’il me soit permis de protester contre les préventions défavorables qu’on [10.1]paraît vouloir faire résulter du concours immense d’auditeurs qui assiègent cette enceinte, concours que l’on semble attribuer à mon client et présenter comme un acte d’hostilité d’une classe contre une autre. Non ; ce n’est pas M. Berger qui a provoqué cette affluence ; il n’a point fait d’appel aux ouvriers ; s’ils se présentent en si grand nombre, c’est parce qu’ils portent au journal le plus vif intérêt, parce qu’ils sentent bien qu’il est l’organe de leurs griefs et que sa ruine leur serait funeste à tous. Si M. Berger a annoncé dans le journal le procès qu’il avait à soutenir, il a usé d’un droit et il n’a fait que ce qu’ont fait toujours tous les journalistes ; on n’en citera pas un qui, poursuivi devant les tribunaux, n’ait annoncé le jour de l’audience à ses lecteurs. Non, messieurs, ce concours n’est pas un acte d’hostilité ; ce n’est point le commencement de la lutte d’une classe contre une autre, comme on semble le croire, et je ne puis ici m’empêcher de manifester mon étonnement de l’éclat et de l’importance que, sans doute dans cette croyance, on a voulu donner à la cause ; dans mon opinion, ouvriers et négocians sont radicalement égaux, et je ne vois dans ce procès d’autres personnes en cause que des citoyens ; MM. Pellin et Bertrand ont porté une plainte en diffamation ; M. Berger vient y défendre, et c’est de M. Berger seulement que je présente la défenseii.

Après cet exorde, Me Chanay explique que le premier article incriminé, sur lequel son adversaire a spécialement insisté, ne contient les noms de MM. Pellin et Bertrand que par erreur, puisque le fait sur lequel roule l’article incriminé appartient à MM. Sandier et Tholozan, auxquels le troisième article du journal l’impute avec des détails bien précisés : que ce fait a provoqué la rédaction de l’article incriminé, et qu’en l’écrivant, le rédacteur qui, déjà avait lu deux réclamations relatives à MM. Pellin et Bertrand, a retenu ces deux noms, et leur a donné place dans son article ; mais évidemment par une erreur bien indépendante de sa volonté. Car que lui importaient les noms ? il ne connaissait pas plus MM Pellin et Bertrand que MM. Sandier et Tholozan : d’ailleurs il s’est empressé de rectifier l’erreur dans le premier numéro du journal ; cette rectification a donc dû suffire pour la justification de M. Berger, qui du reste devient complète par ses explications à l’audience.

Sur le second article incriminé, l’avocat a exposé que les faits étaient vrais, que seulement MM. Pellin et Bertrand n’avaient pas été condamnés, mais avaient consenti, sur les poursuites de M. Manarat, à lui adjuger l’objet de ses conclusions, c’est-à-dire, les tirelles et le laçage des cartons qui lui étaient dûs : qu’il était vrai en outre, que ces négocians ne voulaient payer qu’à titre de bonification ce qui pour M. Manarat était un droit acquis. Que la publicité donnée à ces débats par l’une des parties entre lesquels ils étaient intervenus ne pouvait être considérée comme une diffamation ; qu’elle n’avait rien de coupable.

L’avocat a justifié le troisième article incriminé, par la lecture du livre de M. Barnoux : il en est résulté que MM. Pellin et Bertrand étaient incontestablement [10.2]en contravention avec la jurisprudence du conseil des prud’hommes, puisque ce conseil met à la charge du négociant le laçage des cartons et les tirelles et que MM. Pellin et Bertrand ne veulent point accorder de tirelles et veulent faire peser sur le fabricant les frais de laçage. Il a ensuite ajouté quelques raisonnemens pour établir qu’on ne rencontrait pas dans les articles incriminés, les caractères de la diffamation prévue et réprimée par la loi de 1819, qu’il y avait en conséquence lieu à renvoyer M. Berger de la plainte.

M. le procureur du roi, qui pour cette cause, était venu remplacer son substitut, a pris la parole, et dans une improvisation brillante, a adopté entièrement le système de MM. Pellin et Bertrand. Organe du ministère public, il a voulu en remplir complètement les fonctions et a requis l’amende et la prison contre notre gérant ; l’auditoire surpris de cette sévérité, n’en comprenait pas d’abord le motif. M. Chegaray a pris soin de l’éclairer, car oubliant la cause et sa spécialité, il s’est livré à une diatribe violente contre les doctrines républicaines que professent les rédacteurs et gérant de l’Echo de la Fabrique, il a fini par une espèce d’homélie aux ouvriers dont nous avons lieu de croire que le résultat sera nul.

Le tribunal passe dans la salle des délibérations : après une délibération d’un quart-d’heure, il prononce un jugement en premier ressort, par lequel il déclare : 1° que si le premier article contient des énonciations injurieuses, elles sont effacées par la rétractation insérée dans le journal, et surtout par les explications fournies à l’audience ; 2° que le deuxième article ne caractérise pas suffisamment le délit ; 3° que le troisième article (L’insertion au catalogue), a pour but et pour résultat de porter atteinte à l’honneur et à la considération des plaignans, et constitue une véritable diffamation. En conséquence, le sieur Berger est condamné à 50 francs d’amende, aux dépens et à l’insertion du jugement dans le journal, laquelle devra être faite dans le mois.

La séance est levée, et l’auditoire évacué lentement, mais sans aucun tumulte.

M. Pellin paraît désapointé de ce résultat, qui est loin de lui être favorable.


i Voyez dans ce numéro, la réclamation de ces messieurs.
ii Il nous sera permis de ne pas être de l’avis de notre défenseur. La cause de l’Echo n’était pas seulement celle de M. Berger contre MM. Pellin et Bertrand, mais celle de la liberté de la presse, qui nous donne le droit de signaler la conduite injuste des hommes qui exploitent la classe des travailleurs ; elle était donc celle de tous les ouvriers, et ceux-ci ne s’y sont pas trompés. Ils savent que l’Echo est leur tribune. Que leur resterait-il si cette tribune était fermée ou restait muette. Nous n’avons pas à garder les mêmes ménagemens qu’un avocat obligé de se concilier la bienveillance de ses collègues dissidens d’opinion, la faveur des juges avec lesquels il se trouve en contact habituel, nous n’avons pas comme lui la crainte des censures de la cour et d’éprouver des peines disciplinaires, car l’avocat, ce type de la liberté moderne, porte encore cependant des chaînes… Il est esclave d’un conseil de discipline. Nous reviendrons donc sur cette affaire, et nous plaiderons à notre manière, et avec l’indépendance du journaliste, ces questions importantes de la diffamation et des coalitions, que Me Charnay a craint d’aborder malgré nos instances.

 Procès des Tullistes.

Police correctionnelle.

Audience du 27 février 1833.

Cinq ouvriers tullistes, les sieurs Bonnardet, Thevenet, Zéker, Biolay, Clemençon et deux marchands de cette même profession, les sieurs Méroés et Brajoux étaient traduits devant ce tribunal sous la prévention de coalition. Les premiers ont été défendus par M. Chanay, avocat, et les seconds, par M. Menoux, aussi avocat.

Les faits de cette cause ont été expliqués dans la note fournie par les tullistes, insérée dans le n° 6 du journal.

Une grande affluence de monde a témoigné de la grandeur de la cause et de la sympathie des ouvriers pour leurs camarades.

Après les interrogatoires d’usage, la parole ayant été donnée aux défenseurs, Me Chanay s’exprime ainsi :

Cette poursuite correctionnelle si simple en apparence renferme dans son sein une question d’un immense intérêt ; il ne s’agit pas seulement de déclarer si quelques ouvriers se sont mis en contravention avec l’article 415 du code pénal, mais bien de décider si des ouvriers peuvent suivant leur libre volonté travailler ou ne pas [11.1]travailler, ou si véritables esclaves ils doivent leurs travaux au premier négociant qui voudra les réclamer et pour le modique salaire qu’il lui plaira leur attribuer. Vous avez à examiner si cet esprit d’association qui domine partout, qui envahit toutes les professions, peut être arrêté dans sa marche si imposante.

A peine M. Chanay a-t-il prononcé ces paroles, qu’il est interrompu par M. le président et M. l’avocat du roi, l’un et l’autre lui observent que cette question ne doit pas être soulevée : Me Chanay qui avait remarqué l’accueil bienveillant et paternel fait aux ouvriers par M. le Président, s’est empressé de se rendre à ces observations, il a renoncé à sa discussion sur le droit d’associationi et dans l’intérêt personnel des prévenus, il a cru devoir se borner à discuter l’applicabilité de l’art. 415 du code pénal à la cause des tullistes, et à développer en peu de mots les circonstances atténuantes.

Me Menoux a présenté la défense de M. Méroés, négociant.

Le tribunal a condamné les cinq ouvriers à 5 jours de prison et les négocians à 3 mois de prison, et tous solidairement aux frais.

M. le Président a ensuite adressé une allocution dont l’intention est sans doute bienveillante, mais qui reposant sur une base fausse ne peut qu’être oiseuse.


i Nous sommes obligés de blâmer la conduite de M. Chanay en cette occasion, quoique nous apprécions les motifs qui l’ont déterminé. A côté de l’intérêt des prévenus se trouvait l’intérêt plus grand de la société. La question des coalitions ou pour mieux dire des associations d’ouvriers est une question neuve. Nous l’avons envisagé sous un point de vue nouveau dans le dernier numéro de l’EchoL, et nous avons vu avec plaisir notre opinion personnelle partagée par M. Anselme Petetin, dont on ne conteste pas le talent comme publiciste, nous aurions désiré que l’avocat des tullistes profitât de cette occasion pour obtenir la sanction légale de nos principes. Il est temps de commencer le combat entre les vieilles doctrines et celles qui surgissent : l’occasion était belle, on a eu tort de ne pas en profiter. Le sort des prévenus ne pouvait en aucun cas être aggravé par une discussion de principes, sage, mais forte ; mesurée, mais indépendante. Espérons qu’en appel cette discussion pourra s’ouvrir.

 De l’inégalité Sociale.

Lorsque, dans l’absence de notre civilisation, la force seule faisait le droit, l’inégalité sociale a dû provenir ou de la conquête qui ne reconnaissait que des maîtres et des sujets, ou du besoin de protection qui forçait le faible à se réfugier sous le bouclier du plus fort. Pour s’en convaincre, il suffit de reporter ses regards à l’époque de la féodalité.

La moralité humaine, en se développant, en s’éclairant, a déplacé le fait de la force, elle l’a détrôné. Avec les besoins nouveaux d’une société rénovée, c’est la fortune toujours qui, dans de telles conditions de civilisation, succède à la force, s’empare du poste que celle-ci laisse inoccupé, et devient à son tour la vraie puissance sociale. De là tous les systèmes qui ont l’argent pour base dans l’organisme politique ; de là particulièrement le monopole électoral.

Le progrès, cet inexorable émondeur des abus et des priviléges, porta, en juillet 1830, un rude coup à l’inégalité sociale. Le principe de l’hérédité n’a plus qu’un dernier et faible retranchement derrière lequel il s’est abrité, mais faible, mais épuisé, mais impuissant à prolonger la lutte dans laquelle il se consume ; et l’élection, descendue de quelques degrés, n’a plus besoin, pour donner des législateurs au pays, que d’un bagage de 200 fr. d’impôts annuels.

Ce résultat est quelque chose sans doute, néanmoins [11.2]nous le considérerions comme insignifiant, s’il devait être le dernier mot, la formule définitive d’une révolution que nos vœux et nos espérances ont imaginée plus féconde.

Il n’en sera pas ainsi : il n’y a pas de halte pour l’humanité. Et, à moins de nier que la terre tourne, il n’est permis à personne de douter que l’avenir nous réserve d’autres bienfaits, d’autres développemens, quoique dise et fasse ce juste-milieu stationnaire qui depuis deux ans, s’évertue à nous vouloir emprisonner dans ses mesquines et piteuses combinaisons. Déjà même nous comprenons que la puissance du savoir peut traiter d’égale à égale avec celle de la richesse ; il n’est pas un homme de sens ou seulement se colorant d’une teinte légère d’opposition, qui ne réclame l’admission des capacités au droit électoral, concurremment avec l’aristocratie du gros sou, ce qui nous rapprocherait de quelques pas encore de la vérité représentative, ce rêve des ames généreuses et libérales qui ne croient pas à la légitimité du pouvoir de la minorité, qui ne veulent pas que la loi condamne à l’ilotisme 29 millions et plus de citoyens sur 30 millions qui ne reconnaissent qu’un intérêt, celui du peuple, et s’indignent de le voir immolé aux prétentions de quelques censitaires.

Le moment est proche où le privilège, n’importe sa forme, élargissant le cercle dans lequel il s’est retranché, sera forcé d’admettre au partage de ses droits l’intelligence et la capacité. Ce sera le premier anneau de cette chaîne sociale qui, partie du peuple, ira plus haut humilier, dans ses étreintes de fer, l’orgueil de nos légitimités agonisantes.

Resterons-nous là ? Non, répondons-nous hardiment. Bien que les capacités, telles qu’on les juge aujourd’hui, telles surtout qu’elles seront admises à prendre leur part des devoirs et des bénéfices sociaux, soient loin de représenter les développemens de l’esprit public, puisqu’elles sont presque toutes le fruit du privilège, cependant elles réussiront à ruiner le monopole de la fortune. Alors, jugeant par analogie, si le monopole de la fortune, forcé par la nature des choses d’admettre les capacités qui lui étaient étrangères, n’a pu les maîtriser, à plus forte raison les capacités seront-elles forcées d’admettre toutes celles qui, fécondées par des institutions largement libérales, surgiront plus nombreuses et plus diverses. Assigner un terme à ce travail ne nous appartient pas ; néanmoins il est permis d’en prévoir la conséquence immédiate, l’égalité politique, source intarissable des améliorations à venir, puisque alors chaque citoyen sera appelé à faire valoir efficacement ses droits et ses intérêts.

Quant à l’inégalité sociale, n’avons-nous pas vu d’abord qu’elle fut le résultat de la domination du fort sur le faible ? Plus tard qu’elle s’appuya sur l’influence de la fortune qui détruisit celle de la force ; enfin, qu’elle finit par se réfugier dans la capacité ? Ce que la civilisation a tant de fois modifié et anéanti, ne peut-il pas l’être encore ?

Transportons-nous, en effet, à l’époque où il suffira d’être citoyen français et de supporter sa part des charges pour jouir des droits politiques, la seule époque morale à notre avis, et qui ne fera plus d’une grande et belle nation le domaine privé, l’exploitation scandaleuse de quelques égoïstes, qu’arrivera-t-il ?

La nation, débarrassée des langes dans lesquelles l’estropiaient de petits hommes intéressés à l’empêcher de croître, parce qu’ils n’auraient pu, de leurs faibles mains, long-temps la conduire avec des lisières ; la nation, disons-nous, douée d’une constitution vigoureuse, [12.1]libre de toute entrave homicide, grandira à vue d’œil, s’enhardira de ses propres essais et se livrera à ses développemens physiques et moraux dirigés par l’instinct de ses besoins et éclairés par le flambeau d’une civilisation avancée. Alors une éducation vraiment nationale : donnée à tous sans exception, de vastes écoles de sciences, arts et métiers, où, suivant sa vocation chacun sera appelé à faire usage de ses facultés ; un système convenable de culture, de travail, d’organisation militaire ; l’abolition de tous les monopoles pour n’entraver aucune industrie, feront que les élémens dont se compose notre beau pays seront, sans exception mis en œuvre et par conséquent à profit. Alors il n’y aura plus de classes d’ilotes, de prolétaires, voués à l’abrutissement de l’esclavage et auxquelles on ravit désastreusement jusqu’aux moyens d’en sortir. On remarquera bien, il est vrai, des aptitudes différentes : d’inégalités de classes, point ! car elles seront sans contredit aussi utiles les unes que les autres, jouiront des mêmes droits, feront partie également essentielle du tout sans qu’aucune soit ce tout ; ce sera un mécanisme parfait dont le mouvement s’arrêterait si l’une de ses pièces venait à faire défaut, ce sera l’égalité sociale !

On dira peut-être qu’on trouve souvent dans un individu plus d’aptitude que dans un autre. Nous ne le nions pas, ce serait méconnaître la perfectibilité ; aussi est-il juste que celui qui produit beaucoup gagne davantage. Il remplit son rôle. Chacun a le sien, et cela ne constitue point l’inégalité sociale qui consiste, non dans le plus ou moins de capacité, de force ou de fortune, mais bien dans le plus ou moins de droits qu’elles vous donnent au préjudice des autres, ce qui n’est juste que dans l’état de pure nature, où chacun est maître absolu de ses volontés, ce qui ne saurait l’être dans l’état de société où chacun est égal devant la loi à laquelle on obéit ; car il serait par trop absurde qu’il fallût être un grand homme ou un Crésus pour être électeur ! Il doit suffire d’être bon citoyen.

(Le Patriote de Juillet1, Toulouse, n° 167, 15 novembre 1832.)

 Variétés.

Alcool. M. Hicks, anglais, a trouvé le moyen de tirer l’alcool du pain en cuisson.

Chirurgie. Ammonicus, chirurgien d’Alexandrie, a le premier pratiqué l’opération de la pierre.

Choléra-morbus. Au 1er septembre 1832, le chiffre du bulletin général des décès à Paris, par le choléra, depuis son invasion. (Voy. l’Echo, n° 51, pag. 7.) s’élevait à 17,978, on en compte dans le mois de septembre 395 ce qui porte le total général des décès, à Paris, causés par l’épidémie, à 18,373.

Commerce maritime. Il est entré à Brest pendant l’année 1832 828 navires montés par 4,519 hommes qui ont apporté 39,247 tonneaux de marchandises. Dans ce nombre de 828, il ne se trouve que 29 bâtimens de commerce étrangers.

Diamans. (poids et valeurs de quelques) Le diamant de l’empereur de Russie pèse 106 carats ; celui du roi des Français 136 ; celui du grand-duc de Toscane 139 ; celui du Grand Mogol 279 ; celui du roi de Perse 495 ; celui du roi de Portugal 1,610. Les joailliers du Portugal estiment ce dernier 5 billions de francs. Celui du roi des Français est estimé douze cents millions, et les joailliers anglais et allemands attribuent aux autres une valeur d’environ 279 millions.

Douane de Marseille. Les recettes pendant le mois de janvier dernier se sont élevées à 2,508,418 fr. 46 c. – On a payé 875,755 fr. 59 c. de prime, à l’exportation.

Gaz hydrogène. Il a été découvert par Tobern Bergmann, suédois, né en 1733, mort en 1784.

[12.2]Idem. M. Hicks, anglais, a inventé une machine qui produit un cercle de gaz, propre à rôtir les viandes et cuire toutes sortes de mets.

Industrie. – Procédé pour prendre l’empreinte des médailles. M. James Cox explique ainsi ce procédé. On met 1 once de colle de poisson pulvérisée dans une demi-pinte d’alcool, contenu dans une fiole qu’on bouche fortement en ayant soin de laisser une entaille qui permette à l’air de se dégager. On expose la fiole pendant 3 ou 4 heures en la remuant fréquemment devant un feu suffisant pour hâter la dissolution. Lorsqu’elle est complète on la passe à travers un linge et on la met dans une fiole bien bouchée, pour faire usage de cette dissolution, on fait liquéfier la gomme en approchant la fiole du feu et on la verse sur la médaille. Lorsqu’elle est sèche, ce qui a lieu en été dans deux jours, on l’enlève avec la pointe d’un canif ; elle se détache parfaitement, et l’on a une copie claire, transparente, exacte des moindres parties de la médaille. Recueil industriel1.

Météorologie. Le 17 juillet 1833, de 5 à 7 heures du matin, il y aura une éclipse partielle de soleil, visible à Paris. – Le 26 octobre de 7 à 11 heures du soir, éclipse totale de lune, également visible à Paris.

Musique. M. Hyppolyte Prévost, de l’Athénée, de Paris vient d’inventer une sténographie musicale, dont il se propose de publier un cours.

Numismatique. 19 pièces de 5 fr. de Léopold, roi des Belges, atteignent la même hauteur que 20 pièces de 5 fr. de France.

Population de la France. Elle était en 1831 de 32,560,934 habitans.

Statistique. En 1831, il est né à Paris 15,116 garçons et 14,414 filles. Sur ce nombre total de 29,530 enfans, 10,378 sont nés hors mariage. Il s’est fait 6,654 mariages et le nombre des morts s’élève à 25,996.

Idem. La ville de Paris a consommé en 1831 : 776,784 hectolitres de vin ; 28,373 d’eau de vie ; 112,359 de bière ; 1,161,136 livres de raisins ; 61,670 bœufs ; 14,389 vaches ; 62,867 veaux ; 288,203 moutons ; 76,741 porcs et sangliers, 996,369 kilog. de fromages secs. Elle a consommé pour 702,180 f. d’huîtres ; 477,610 fr. de poissons d’eau douce ; 3,154,159 f. de marée ; 6,426,648 f. de volaille et gibier ; 9,117,091 fr. de beurre et 3,904,387 fr. d’œufs.

Stratégie, Utilité des chemins de fer pour la défense du territoire2. MM. Lamé et clapeyron viennent de publier un mémoire sur les chemins de fer considérés sous ce point de vue. Ils prouvent qu’une armée de 20,000 fantassins, 5,000 cavaliers et 60 pièces de canon ne pèserait que 4,530 tonneaux, et n’occuperait en longueur que 9,270 mètres. Cent machines locomotives suffiraient pour imprimer à cette armée une vitesse de six lieues à l’heure. Le prix du transport serait environ 4 fr. par tonne et par kilomètre. Ainsi, on transporterait 25,000 hommes à 100 lieues en 24 heures pour 72,480 fr.
Journal des sciences militaires3.

 Je suis Bousingot.

– Toi, Bousingot ! Non ta muse nous raille :
Ça, réponds-nous, t’encanaillerais-tu ?
– Oui, Messeigneurs, puisque cette canaille
Est riche en force, en talens, en vertu :
Si leur partage est gloire, intelligence,
Malgré maint fat, et maint traître, et maint sot,
Les Bousingots sont l’honneur de la France ;
Et je suis fier du nom de Bousingot.

Arbre vivace, et jeune, et plein de sève.
Né sous les feux de l’astre des trois jours,
Impatient le Bousingot s’élève,
Des troncs pourris jonchent ses alentours.
La Liberté sous son léger feuillage
Soustrait sa tête à vos lâches complots.
Quand cette Reine aura bravé l’orage,
Vous direz tous : « Nous sommes Bousingots ».

Amédée Roussillac.

Notes ( De l’inégalité Sociale.)
1 Il s’agit peut-être ici du Journal de Toulouse ou l’Observateur, publié à Toulouse depuis 1793.

Notes ( Variétés.)
1 Désigne sans doute ici le Recueil industriel, manufacturier, agricole et commercial de la salubrité publique et des beaux-arts, qui paraît à Paris depuis 1827.
2 Probablement tiré de M. A. Perdonnet, G. Lamé et E. Clapeyron, Notices sur les chemins de fer, publié à Paris en 1832.
3 Il s’agit ici du Journal des sciences militaires des armées de terre et de mer, publié à Paris depuis 1825.

 

 

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