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17 mars 1833 - Numéro 11
 
 

 



 
 
    
 

Obsèques du citoyen Comini.

Quatre mille citoyens de toutes classes ont suivi à sa dernière demeure l?ouvrier en soie COMINI.

Aux hommes aveugles ou de mauvaise foi qui nient le progrès que chaque jour fait l?émancipation prolétaire, ce convoi funèbre, où les rivalités de nations, les préjugés de distinctions sociales n?ont eu aucun accès, est un enseignement précieux : sera-t-il perdu ?

Pierre Comini, né à Milan (Italie), en l?année 1776, a servi dans les rangs de l?armée française à cette époque magique, la République, dont la France garde avec orgueil le souvenir. Après avoir ainsi payé sa dette à sa patrie adoptive, il se fixa à Lyon, et pendant vingt ans sa conduite irréprochable et patriote lui obtint l?estime, la bienveillance de ses concitoyens. Une marque éclatante de la considération que, simple travailleur, il avait su acquérir, résulte de sa nomination à la vice-présidence du banquet offert au mois de septembre dernier à Garnier-Pagès. Une distinction si flatteuse, sur près de deux mille citoyens qui prirent part à cette fête patriotique, est par elle-même la plus belle oraison funèbre que nous puissions faire du défunt. Il allait être appelé aux fonctions de prud?homme en remplacement [2.2]de M. Sordet, démissionnaire, lorsqu?une mort subite est venu l?arracher aux illusions de la vie. Comini est décédé à la Croix-Rousse le 8 de ce mois à 57 ans. Ses obsèques ont eu lieu le dimanche suivant.

Des discours ont été prononcés sur sa tombe par les citoyens Cravotte, Bernard, Bofferding, chefs d?atelier, Blanc, huissier, l?un de ses anciens compagnons d?armes, Baune, instituteur, et Kauffmann, homme de lettres. Ils sont insérés dans la Glaneuse (12 mars, n° 159) ; nous regrettons sincèrement de ne pouvoir les offrir aux lecteurs, car nous désirons d?appeler leur attention sur cette direction nouvelle des idées, qui ne permet plus que le cercueil du prolétaire honorable descende furtivement dans l?asile commun à tous les hommes. La tombe de Comini a retenti de trop généreux accens pour que les témoins de cette scène imposante et lugubre l?oublient jamais.

Nous ne pouvons résister à l?envie de citer quelques passages du discours de M. Baune.

« Le deuil de cette journée est mêlé de grandeur et de consolations : l?ami que nous pleurons fut simple pendant sa vie. Il reçoit à sa mort la récompense de ses vertus civiques et privées, et il n?en est pas moins recommandable pour les avoir exercées sur un modeste théâtre. Les hautes pensées du trépas sont rendues plus solennelles par la présence de cette foule affligée qui se meut vivante dans la cité des morts, pour entendre l?éloge naïf d?un travailleur plébéien. Cette leçon ne sera point perdue, chacun de nous, quelle que soit sa position sociale, conservera la mémoire des obsèques de Pierre Comini, et en déplorant la mort inattendue qui l?a frappé comme le boulet tiré au hasard frappe le brave avant le combat, chacun profitera des utiles enseignemens que vos hommages révèlent à tous les citoyens ; cette fois le cortège de la mort n?est pas composé par l?intérêt, la flatterie ou la crainte ; une douleur factice et la puérile étiquette n?ont amené ni somptueux équipage, ni pleureurs à gages ; dans nos regrets, tout est vrai, tout est grand?

L?étranger qui aura accompagné le convoi, attiré par votre concours immense, dira peut-être : Celui dont ils pleurent la perte comptait dans les rangs de l?armée, de la magistrature, de la haute industrie ? Non, lui répondrons-nous, il fut autrefois simple soldat républicain et versa son sang pour la patrie qu?il avait adoptée ; depuis, devenu Lyonnais par choix et par affection, il fut travailleur, il partagea le fruit de ses sueurs avec ses frères qui souffraient ; citoyen, il comprit la liberté, il l?aima avec enthousiasme, il eût tout fait pour elle : voila ses droits à notre respect, à notre sympathie. C?est au peuple qu?il appartient de prouver que les marbres somptueux, les épitaphes mensongères le cèdent en dignité à la croix de bois de Pierre Comini humble et vertueux. »

 

 

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