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17 mars 1833 - Numéro 11
 

 




 
 
     

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Le Temps et les Ouvriers de Lyon.

Le Courrier de Lyon, désespérant de se faire lire, et voulant néanmoins signaler à l’animadversion publique, et principalement à celle du gouvernement, les ouvriers ses concitoyens, a imaginé un moyen qui manque rarement son effet, quoiqu’il ne puisse faire honneur à l’imaginative de ceux qui l’emploient aujourd’hui : il a fait adresser en forme de lettre, par un de ses rédacteurs, au journal le Temps, la seconde édition d’une diatribe insérée par lui dans son N° du 27 janvier dernier. Dupe de cette manœuvre, le Temps a accueilli dans son N° du 1er mars la lettre de son correspondant lyonnais et lui a donné place dans ses colonnes. Le but du Courrier s’est trouvé atteint. Il est à regretter que le Temps ait prêté aussi légèrement confiance à la lettre de M. A. C. (tel est le nom du signataire) ; mais comme on ne calomnie pas impunément une population tout entière, la vérité saura se faire jour. Déjà le Précurseur, qui ne laisse échapper aucune occasion d’être utile à la classe ouvrière, a répondu aux attaques contenues dans la feuille parisienne ; il l’a fait avec le talent et la supériorité de sa dialectique accoutumée, nous l’en remercions, et le Courrier n’aura pas à s’applaudir d’avoir trouvé en chemin un adversaire aussi robuste.

La périodicité trop restreinte de notre journal ne nous permet que difficilement une polémique longue et soutenue, et satisfaits du généreux appui que nous avons trouvé dans notre confrère, nous aurions donc laissé sans réponse les accusations lancées contre les ouvriers de [1.2]Lyon et l’ Echo de la Fabrique, mais les divers journaux de département, nos correspondans, tels que le Courrier de l’Ain, l’Indépendant des Deux-Sèvres, l’Impartial de Besançon1, etc., ayant reproduit cette attaque, nous sommes obligés d’y répondre. Nous le ferons de la manière la plus succincte possible. Ne pouvant reproduire cet article qui est très-long, nous allons en donner le sens.

« De toutes les villes de France Lyon est celle dont l’horizon est le plus chargé de nuages. L’insurrection victorieuse de novembre a rendu les ouvriers exigeans et leur a appris à se coaliser. La question de l’industrie lyonnaise est un problème sans solution. Le salaire de l’ouvrier est souvent insuffisant. L’état de la fabrique ne permet pas de l’augmenter ; la concurrence étrangère, celle intérieure que se font les fabricans possesseurs de petits capitaux, ont amené depuis dix ans la baisse d’un tiers ou même de moitié des salaires. En travaillant 16 heures par jour, il est des ouvriers qui ne peuvent pas gagner 20 sous dans certains articles. La question politique est venue compliquer celle industrielle. Les journaux de Lyon poussent à la république, leurs rédacteurs sont des hommes sans aveu. Les hommes du juste-milieu sont égoïstes, amis de leur repos, médiocrement pourvus de courage. Le maître ouvrier lyonnais fréquente les théâtres, les cafés, il est bien mis ; au lieu d’un taudis dans une rue infectée, comme avaient ses pères, il habite une maison vaste, bien aérée, etc. »

On voit le résultat de cette quintessence de la lettre du correspondant lyonnnais ! c’est qu’en groupant toutes les objections, on les montre dans leur nudité, dans leur incohérence et dans leur but ; la réfutation en devient plus facile.

Nous répondrons en peu de mots. Les ouvriers ne sont ni plus ni moins exigeans qu’avant les événemens de novembre. Ils veulent aujourd’hui ce qu’ils voulaient alors, vivre en travaillant. Si cela n’est pas juste qu’on nous le dise sérieusement et sans phrases. Novembre n’a pas appris aux ouvriers les bienfaits de l’association ; ils les connaissaient auparavant, chaque jour ils les apprécient davantage ; qu’on nous dise encore positivement si le droit d’association n’est pas un droit naturel. La société n’a pas d’autre base. On avoue, et cet aveu est précieux, que le salaire est insuffisant pour vivre, on ne [2.1]prouve pas qu’en gagnant moins, les négocians ne pussent l’augmenter ; et en ce cas là même, que faut-il faire ? Vivre est la première loi ; si le salaire est insuffisant, il faut, ou l’augmenter, ou diminuer les charges qui pèsent sur le peuple. C’est le cercle de Popilius, impossible d’en sortir. Et en ce sens nous serons de l’avis du correspondant lyonnais, le problème est insoluble ; mais est-on bien certain que ce problème n’a pas de solution en établissant d’autres termes de solution. Nous croyons, nous, que M. Anselme Petetin, dans les réponses qu’il a faites au Temps, a indiqué le remède, mais il n’a pu le faire qu’en abordant la question gouvernementale, et en préconisant les doctrines républicaines. La question politique vient donc compliquer la question industrielle ; c’est vrai, et nous croyons que c’est avec raison, à moins qu’on ne prétende que le gouvernement peut rester totalement étranger à la société qu’il gouverne. Comme ce terrain est glissant, et que notre spécialité nous interdit la faculté d’y entrer, nous ne pousserons pas plus loin cette thèse. Les rédacteurs des journaux lyonnais sont des hommes sans aveu, dit M. A. C., c’est-à-dire que M. A. C. qui a de l’argent, les regarde du haut de sa grandeur. A lui permis. Qu’est-ce que cela prouve, et qu’est-ce qu’un homme sans aveu qui peut cependant influencer des masses ? Car s’il était sans influence, sa parole ne serait qu’un vain son. Il faut être conséquent, mais ce n’est là qu’une preuve de plus de l’urbanité du Courrier de Lyon et de ceux qui partagent ses principes. Le maître ouvrier fréquente les théâtres, les cafés, et sa dépense augmente. On prend ici la partie pour le tout, quelques exceptions ne font pas la règle. Il habite des maisons plus commodes, plus aérées, etc… Qu’y a-t-il d’étonnant et d’injuste ? Les ouvriers ne sont-ils pas des hommes et doivent-ils rester totalement étrangers aux commodités de la vie au milieu du luxe effréné qui les entoure ? C’est une variante de la diatribe du Journal des Débats. Quant à la couardise reprochée aux hommes du juste-milieu, nous n’avons pas mission de défendre ces messieurs. Cependant, en fait de courage, ils peuvent citer les actionnaires de certain journal, et encore M. J....

 

Obsèques du citoyen Comini.

Quatre mille citoyens de toutes classes ont suivi à sa dernière demeure l’ouvrier en soie COMINI.

Aux hommes aveugles ou de mauvaise foi qui nient le progrès que chaque jour fait l’émancipation prolétaire, ce convoi funèbre, où les rivalités de nations, les préjugés de distinctions sociales n’ont eu aucun accès, est un enseignement précieux : sera-t-il perdu ?

Pierre Comini, né à Milan (Italie), en l’année 1776, a servi dans les rangs de l’armée française à cette époque magique, la République, dont la France garde avec orgueil le souvenir. Après avoir ainsi payé sa dette à sa patrie adoptive, il se fixa à Lyon, et pendant vingt ans sa conduite irréprochable et patriote lui obtint l’estime, la bienveillance de ses concitoyens. Une marque éclatante de la considération que, simple travailleur, il avait su acquérir, résulte de sa nomination à la vice-présidence du banquet offert au mois de septembre dernier à Garnier-Pagès. Une distinction si flatteuse, sur près de deux mille citoyens qui prirent part à cette fête patriotique, est par elle-même la plus belle oraison funèbre que nous puissions faire du défunt. Il allait être appelé aux fonctions de prud’homme en remplacement [2.2]de M. Sordet, démissionnaire, lorsqu’une mort subite est venu l’arracher aux illusions de la vie. Comini est décédé à la Croix-Rousse le 8 de ce mois à 57 ans. Ses obsèques ont eu lieu le dimanche suivant.

Des discours ont été prononcés sur sa tombe par les citoyens Cravotte, Bernard, Bofferding, chefs d’atelier, Blanc, huissier, l’un de ses anciens compagnons d’armes, Baune, instituteur, et Kauffmann, homme de lettres. Ils sont insérés dans la Glaneuse (12 mars, n° 159) ; nous regrettons sincèrement de ne pouvoir les offrir aux lecteurs, car nous désirons d’appeler leur attention sur cette direction nouvelle des idées, qui ne permet plus que le cercueil du prolétaire honorable descende furtivement dans l’asile commun à tous les hommes. La tombe de Comini a retenti de trop généreux accens pour que les témoins de cette scène imposante et lugubre l’oublient jamais.

Nous ne pouvons résister à l’envie de citer quelques passages du discours de M. Baune.

« Le deuil de cette journée est mêlé de grandeur et de consolations : l’ami que nous pleurons fut simple pendant sa vie. Il reçoit à sa mort la récompense de ses vertus civiques et privées, et il n’en est pas moins recommandable pour les avoir exercées sur un modeste théâtre. Les hautes pensées du trépas sont rendues plus solennelles par la présence de cette foule affligée qui se meut vivante dans la cité des morts, pour entendre l’éloge naïf d’un travailleur plébéien. Cette leçon ne sera point perdue, chacun de nous, quelle que soit sa position sociale, conservera la mémoire des obsèques de Pierre Comini, et en déplorant la mort inattendue qui l’a frappé comme le boulet tiré au hasard frappe le brave avant le combat, chacun profitera des utiles enseignemens que vos hommages révèlent à tous les citoyens ; cette fois le cortège de la mort n’est pas composé par l’intérêt, la flatterie ou la crainte ; une douleur factice et la puérile étiquette n’ont amené ni somptueux équipage, ni pleureurs à gages ; dans nos regrets, tout est vrai, tout est grand…

L’étranger qui aura accompagné le convoi, attiré par votre concours immense, dira peut-être : Celui dont ils pleurent la perte comptait dans les rangs de l’armée, de la magistrature, de la haute industrie ? Non, lui répondrons-nous, il fut autrefois simple soldat républicain et versa son sang pour la patrie qu’il avait adoptée ; depuis, devenu Lyonnais par choix et par affection, il fut travailleur, il partagea le fruit de ses sueurs avec ses frères qui souffraient ; citoyen, il comprit la liberté, il l’aima avec enthousiasme, il eût tout fait pour elle : voila ses droits à notre respect, à notre sympathie. C’est au peuple qu’il appartient de prouver que les marbres somptueux, les épitaphes mensongères le cèdent en dignité à la croix de bois de Pierre Comini humble et vertueux. »

 Extrait du Précurseur.

(mars 1833, n° 1927.)

Nous empruntons à M. Anselme Petetin, l’article suivant, auquel nous regrettons d’avoir été obligés de faire quelques coupures nécessitées par le cadre de notre journal.

A la suite d’une lettre qu’il s’est fait adresser par un compère, relativement au remplacement des prud’hommes qui ont donné leur démission, le Courrier de Lyon invite de nouveau les fabricans à se coaliser dans la question du salairei. A la vérité, il ajoute à cette invitation cette remarque d’un jésuitisme un peu trop lourd, que la coalition des chefs de fabrique pour la diminution du salaire est prohibée par le code pénal, et que les fabricans ne doivent point contrevenir à la loi, mais s’entendre sur leurs intérêts communs vis-à-vis des ouvriers, [3.1]mais se réunir dans un cercle pour entretenir des relations continues, mais former un corps compact pour résister aux prétentions d’un autre corps, celui des ouvriers.

Quant à nous, qui ne voulons pas pour les ouvriers, dont nous nous honorons d’être les défenseurs, une autre règle d’équité que pour les fabricans ; quant à nous, qui demandons pour les uns et pour les autres la protection d’une justice égale, nous avons déjà dit que nous désirions voir s’établir entre les fabricans cette communauté d’intérêts et de vues que nous réclamons pour les ouvriers ; nous avons approuvé l’idée d’un cercle pour cette classe d’industriels qui certainement vaut mieux dans la majorité de ses membres que les individus dont le Courrier est l’organe. Nous avons également applaudi à l’idée d’un journal nouveau destiné à combattre ce que quelques fabricans appellent les exagérations des ouvriers représentés par l’Echo de la Fabriqueii. On ne nous verra jamais reculer devant l’exercice des droits naturels d’association et de libre discussion, et nous nous sentons trop forts de la bonté de notre cause pour refuser à nos adversaires le développement de ce qu’il peut y avoir de spécieux, nous disons plus, de légitime dans la leur. Nous l’avouerons même bien franchement, quelque convaincus que nous soyions de la profonde et rigoureuse équité des prétentions des ouvriers, nous admettons qu’il peut se glisser quelque exagération dans les conséquences que nous et les ouvriers donnons à un principe incontestable. Ainsi, il est bon que le public entende toutes les raisons de part et d’autre, et qu’il ait sous les yeux toutes les pièces du procès.

Que les fabricans se coalisent pour maintenir le bas prix du travail, nous ne le trouverons pas mauvais ; – qu’ils publient un journal pour signaler au public les méfaits des ouvriers ; nous l’approuvons fort. – Mais alors qu’on permette aussi aux ouvriers de s’entendre, comme dit le Courrier, sur leurs intérêts communs ; qu’on permette à l’Echo de la Fabrique de signaler à l’opinion les méfaits des négocians, et qu’on ne le traîne pas pour cela en police correctionnelle ; car la balance ne serait plus égale, et il serait trop évident qu’on veut appeler dans le débat l’intervention de la force matérielle.

Nous devons, à ce propos, faire une observation qui, sans doute, a déjà frappé les esprits impartiaux.

La question actuelle est une discussion entre deux intérêts qui n’ont ni l’un ni l’autre le droit de s’opprimer mutuellement. Quant à la question de principes, elle n’admet pas de transaction : est-il vrai ou non que le travail soit un titre social égal à l’argent ou à la propriété ? – Telle est la thèse générale et philosophique. Le temps et la raison publique la trancheront pour ou contre nous ; mais la force brutale n’a rien à y faire et ne la fera point avancer d’un pas.

Quant à la question d’intérêt pécuniaire, la nécessité d’un rapprochement entre les deux classes, ouvriers et fabricans, pour lutter contre la concurrence étrangère, les améliorations administratives que nous avons indiquées, d’autres causes encore qui nous sont inconnues et que nous ne pouvons pas prévoir, amèneront une transaction où, de part et d’autre, on cédera quelque chose dans la vue du bien général. – Mais la force matérielle est encore ici complètement impuissante à rien faire de raisonnable et de juste.

[3.2]C’est ainsi que nous l’entendons ; c’est ainsi que l’entendent les ouvriers qui ont vingt fois protesté de leur aversion pour toute violence, et qui, par l’association même qu’ils ont formée, association essentiellement pacifique, ont bien prouvé qu’ils répugnent à l’emploi des moyens brutaux de victoire.

Comment se fait-il donc que les négocians laissent un journal qui se donne pour leur organe, faire des menaces aussi indécentes que ridicules ? énumérer les régimens qui sont prêts à soutenir leur querelle, décrire minutieusement les fortifications d’où l’on pourra canonner la ville ? Comment ne protestent-ils pas à leur tour contre cette intervention de la force dans une discussion que tout le monde doit désirer de voir se terminer pacifiquement ?

Comment le gouvernement, qui devrait ne s’occuper de ce qui se passe que dans des vues de conciliation, permet-il qu’on lui fasse ainsi prendre parti pour l’un des deux intérêts qui sont en présence ? Comment souffre-t-il que l’on compromette sa force et sa protection qui devraient être impartiales, au service d’une cause que rien n’a démontré jusqu’ici être celle du bon droit ?

Ces questions sont sérieuses. – Qu’on y songe bien : il n’y a de légal dans le débat qui s’agite qu’un article du code contre lequel les fabricans s’insurgent (comme le prouvent les incitations du Courrier), aussi bien que les chefs d’atelier, parce qu’il n’est pas plus applicable aux uns qu’aux autres.

C’est donc une discussion établie sur un pied d’égalité jusqu’ici entre deux intérêts rivaux : malheur à celui des deux qui recourra le premier à la force brutale ! Malgré les fanfaronnades du journal des oisifs, la question posée de cette façon serait peut-être encore plus claire que dans les termes où nous nous efforçons de la maintenir. – Il y a des partis auxquels nulle leçon ne profite : les ouvriers n’ont pas perdu le fruit de celle de novembre, bien que leur rôle n’y ait eu rien de honteux sous aucun rapport : ils y ont gagné une profonde aversion pour les débats de la force, bien qu’ils ne s’y soient pas montrés les plus faibles ; – ils y ont pris un attachement plus vif et plus profond à l’ordre et à la raison persuasive, bien qu’ils y aient donné un sublime exemple d’ordre et de raison.

Sera-ce donc le parti qui devait être le plus pénétré de la haute moralité renfermée dans cette catastrophe, qui foulerait aux pieds de si sanglans souvenirs, et avec une légèreté aveugle et passionnée en appellerait à cet argument qui ne prouve rien, la force ; à cet auxiliaire qui perd toujours ceux qui l’invoquent, la violence ?

Ce n’est pas au Courrier de Lyon que nous soumettons ces réflexions ; c’est à ceux des négocians qui, quoique imbus, comme cela est naturel, des intérêts spéciaux de leur industrie, ont cependant au fond de l’âme des sentimens populaires et l’amour de l’ordre et de la paix.


i Nous avons parodié, en faveur des chefs d’atelier le conseil donné aux négocians par le Courrier de Lyon, voy. l’Echo, n° 10, pag. 78.
ii Nous attendons avec impatience le journal des hommes du privilège.

 AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Dans votre numéro du 10 mars, à la suite de votre ingénieuse application d’un article emprunté au Courrier de Lyon, vous avez, dans une note y relative, fait comprendre l’importance que l’on doit attacher à la signification d’un mot ; mais, quelque explicite que soit votre raisonnement, je le crois trop succinct pour suffire à faire comprendre d’une manière concluante ce qu’on doit entendre par le mot fabricant ; considérant [4.1]ce mot sous le rapport de la spécialité, vous dites que le négociant, que l’on qualifie de fabricant, ne fabrique rien, et qu’on ne peut appeler de ce nom que celui qui fabrique. Vous avez parfaitement raison ; permettez-moi d’ajouter à votre opinion quelques développemens

Pour envisager la juste appréciation du mot fabricant, il faut poser la question en dehors de toute spécialité, soit locale, soit individuelle. Ainsi, pour prouver si cette dénomination de fabricant est exacte dans l’application qu’on en fait, j’établirai, m’appuyant sur les principes de la syntaxe grammaticale et de la syntaxe logique, quelques observations qui en seront la conséquence.

D’abord, quel que soit un mot de la langue française, sa signification ne peut être envisagée que sous deux rapports, sous celui d’un sens littéral, et sous celui d’un sens générique. Or, qu’est le mot fabricant sous le premier rapport ? un participe actif, exprimant une action ayant un régime, en cela il n’a point de rapport avec les personnes, ne signifiant qu’une action purement passive, ou bien un adjectif verbal ; en ce cas il ne serait relatif à aucune profession particulière. Sous ce rapport, comme vous l’avez dit, l’appellation des négocians par ce nom est on ne peut plus inexacte.

On ne peut donc l’envisager que sous sa signification générique, et cela dans une acception tacite, accidentelle ou de convention, et alors ce mot dont l’origine (en ce sens) ne remonte pas à une cinquantaine d’années, n’a jamais été employé dans aucun écrit relatif au commerce, pour désigner un négociant qui fait fabriquer, et la dénomination d’usage était marchand d’étoffes, etc., ou si l’individu possédait des fabriques, on disait marchand et maître en fabriques, etc.

C. B...... ; Prof. de gram.

 

SOUSCRIPTION MENSUELLE

En faveur des victimes de novembre 1831.

L’appel fait aux hommes philantropes en faveur de ces infortunés, a été généralement entendu. Déjà plus de cent souscripteurs sont inscrits sur le registre tenu à cet effet. Nous invitons MM. les commissaires et détenteurs de feuilles de souscription à les compléter et rapporter le plus tôt possible au bureau de l’Echo (où il en sera donné décharge), à l’effet d’accélérer les travaux de la commission, qui ne peuvent avoir lieu qu’après l’inscription sur le registre matricule de tous les souscripteurs. Nous invitons également ces derniers à verser, soit entre les mains des commissaires, soit au bureau du journal, le montant des cotisations échues, c’est-à-dire vingt-cinq centimes par mois, depuis et compris le 1er janvier dernier, jusque et compris le 1er de ce mois.

Lyon, le 14 mars 1833.

Le président de la commission, Bouvery ; le trésorier, Labory ; le vice-président, Falconnet ; les membres, Duchamp, Carrier, Souchet ; le secrétaire, Marius Chastaing.

 

La mairie de Lyon vient de faire publier l’avis suivant :

Les personnes qui depuis le 1er janvier 1832 jusqu’à ce jour, n’auraient reçu ni feuille d’avertissement, ni aucun avis relatifs au paiement de leurs contributions mobilière ou des patentes pour 1832, et qui auraient payé des à-comptes provisoires sur cet exercice, devront [4.2]se présenter chez MM. les receveurs de leurs arrondissemens respectifs, pour se faire rembourser les à-comptes versés. Elles sont prévenues que, faute par elles de réclamer lesdits à-comptes dans les délais prescrits par les lois, les sommes qui n’auraient pas été remboursées seront versées dans la caisse du trésor public.

Nota. Il nous semble que la mairie aurait dû indiquer de suite quels étaient ces délais.

 

ÉLECTIONS DES PRUD’HOMMES.

Voici les détails de cette élection que nous n’avons fait qu’indiquer sommairement dans notre dernier numéro.

1er Tour de scrutin. – Nombre des votans, 64. – MM. Bender, 53 voix, Brisson, 35 ; Riboud, 35 ; Clément Reyre, 33 ; Reverchon, 33.

2Tour de scrutin. – Nombre des votans : 26. – MM. Briollet, 19 voix ; Auguste Dépouilly, 14.

prud’homme chef d’atelier.

Croix-Rousse. – 1re section.

Nombre de votans : 128. – M. Milleron (Pierre), 72 voix.

L’autorité s’est abstenue de demander soit aux négocians, soit aux chefs d’atelier, le serment de fidélité qu’elle avait eu précédemment l’incroyable idée d’exiger en contravention au principe de souveraineté du peuple qui régit la France aujourd’hui ; serment contre lequel nous nous sommes justement élevés, ainsi que le Précurseur, lors des dernières élections.

Nous ne dirons rien sur les bruits de cabale, de démissions promises qui circulent ; nous ferons seulement observer que le conseil des prud’hommes n’existe pas (comme l’a dit le Précurseur par erreur), en vertu d’une ordonnance royale, mais en vertu d’un décret impérial de 1806, lequel a force de loi. Dès-lors le conseil des prud’hommes ne peut être supprimé ni suspendu que par une loi rendue par les trois pouvoirs, en la forme accoutumée ; tant pis pour les dissidens, leurs collègues jugeraient sans eux. On pourrait seulement changer le mode de nomination, mais l’oserait-on ? Nous ne le croyons pas.

 

SOUSCRIPTION POUR LES OUVRIERS TULLISTES.

7e liste de souscription.

Plusieurs chefs d’atelier de Vaize, 6 fr. – Idem de la Croix-Rousse, 16 fr. 75 c. – Les compagnons ferrandiniers, 7 fr. 65 c. – M. Vincent, des Brotteaux, 5 fr. – Six ouvriers typographes compositeurs, à leurs frères les tullistes, 2 fr. – Une st-simonienne, 50 c.
Total : 38 fr. 90 c.

8e liste.

Dans l’atelier de M. Moyne : MM. Perrenet, 50 c. – Josserand, 1 fr. – Berthier, 1 fr. – Morin, 1 fr. 50 c. – Un apprenti, 25 c. Mlle Pelissier, 50 c.
Total : 4 fr. 75 c.

Idem de M. Morel : MM. Laurent, 75 c.  Giraudier, 60 c. – Dubost, 50 c. – Perrin, 50 c. – Un anonyme, 1 fr. 50 c.
Total : 3 fr. 85 c.

Idem de M. Bonnebouche : MM. Maniu, 75 c. – Philippe, 50 c. – Paques, 50 c. – Bonnebouche, 3 fr.
Total : 3 fr. 75 c.

Total réuni : 12 fr. 35 c.

 

Nous avons reçu de M. G.. de Paris, une lettre contenant des réflexions que nous nous empresserions de soumettre à nos lecteurs lors même que nous ne les partageons pas totalement, et l’offre d’une somme de 100 fr. à titre de prix sur une question de statistique qui intéresse notre ville. Ce monsieur comprendra sans doute, que s’il ne se fait connaître au moins confidentiellement à nous, nous ne pouvons faire aucun usage soit de sa lettre, soit de son offre philantropique.

 CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

(présidé par m. putinier.)

Audience du 14 mars 1833.

[5.1]Une affaire entre le sieur Turin et les sieurs Pellin et Bertrand, renvoyée contradictoirement à ce jour, est appelée ; ces négocians font défaut.

D. Les laçages de carton faits à une époque antérieure à la décision du conseil qui les a mis à la charge des négocians, peuvent-ils être alloués au chef d’atelier ? – R. Oui.

Le sieur Froment réclame au sieur Tocanier, négociant, une indemnité pour trois montages de métiers, attendu que ces métiers n’ont pas été continués assez long-temps pour le récupérer de ses frais. Il résulte des débats que les deux premiers montages ont été faits à une époque éloignée ; quant au troisième, c’est le sieur Froment qui refuse l’ouvrage. Le sieur Tocanier nie qu’aucune réclamation lui ait été faite, autre que le remboursement du laçage de trois dessins.

« Attendu que les réclamations pour frais de montage de métiers n’ont pas été faites en temps utile ; attendu que le laçage des cartons est dû, le conseil décide que le sieur Tocanier payera au sieur Turin seulement les laçages dont s’agit, quoiqu’ils aient été faits à une époque antérieure à la décision du conseil, qui les met à la charge des marchands-fabricans. »

D. Le conseil peut-il, contrairement aux contraventions des parties qui ont stipulé elles-mêmes la quotité des dommages-intérêts en cas de résiliation desdites conventions, réduire le taux de ces dommages-intérêts, en prononçant, dans l’intérêt des mœurs, la résiliation desdites conventions ? – R. Oui.

L’affaire de la famille Pupier, contre la veuve Martinière, avait été renvoyée de la dernière audience à celle-ci, à la charge à la dame Pupier de présenter la procuration de son mari. A l’appel des parties, le sieur Pupier se présente. La seule demande que lui fait M. le président, est celle-ci : Etes-vous consentant de retirer vos filles de l’atelier de la veuve Martinière ? Sur sa réponse affirmative, le conseil décide que les conventions sont résiliées. Le sieur Pupier payera la somme de 50 f. pour indemnité à la veuve Martinièrei.

Nota. Cette affaire, qui a déjà paru à plusieurs audiences, est grave ; la moralité des parties était attaquée. Les filles Pupier avaient été placées en apprentissage chez la veuve Martinière, à Brignais, pour y apprendre la fabrication des velours. Le premier apprentissage est commencé depuis un an, et le second depuis trois mois. Les parties étaient convenues que, dans le cas où l’apprentissage ne serait pas terminé, par le fait des apprenties, le sieur Pupier payerait une indemnité de 400 fr. – Les filles Pupier refusent de terminer leur apprentissage ; elles allèguent que leur réputation est compromise chez la veuve Martinière, le bruit étant répandu dans le village que leur maîtresse est enceinte. Et c’est dans l’intérêt des mœurs, et sans doute après des informations, que le conseil a cru devoir résilier les conventions, et réduire à une somme si minime le défraiement.

D. Le chef d’atelier a-t-il le droit de couper et lever une pièce, sans le consentement du négociant ? – R. Non. Le chef d’atelier ne peut lever une pièce contre le gré du fabricant sans une décision du conseil, sous peine de perdre la façon de l’étoffe fabriquée.

Le sieur Pelet rappelle au conseil que le sieur Poignet [5.2]a été condamné à lui finir une pièce de foulards ; au lieu de la finir, il l’a coupée. Lorsque les membres du conseil nommés pour constater l’état des matières et allouer une augmentation de façon s’il y avait lieu, se sont transportés chez ledit Poignet. La pièce n’existait plus sur son métier.

Il conclut à ce qu’il lui soit alloué une somme de 200 fr. pour dommages et intérêts.

Le sieur Poignet dit avoir coupé la pièce sur le refus du sieur Pelet de lui allouer une augmentation de 10 c. par aune. Mais il donne pour preuve que son intention n’a jamais été de s’approprier la pièce, le dépôt qu’il en a fait au greffe du conseil, et persiste à ne pas la reprendre, attendu l’infériorité des matières. Il déclare travailler en qualité de compagnon.

« Attendu le refus du sieur Poignet de se soumettre à la décision du conseil qui lui ordonnait de terminer la pièce, sauf à lui en faire augmenter le prix de la façon, le conseil décide derechef que la pièce devra être rétablie, et terminée au 10 avril prochain. Au cas d’un second refus, le sieur Poignet devra rendre les matières, régler ses comptes ; et alors il perdra la façon de l’étoffe fabriquée. »


i Le prononcé sans considérans de ce jugement, a étonné tout l’auditoire.

 Variétés.

Diminution progressive du nombre des forçats. – Le nombre des forçats était, au 1er janvier 1821, de 11,181. – Idem 1822, 10,779. Idem 1823, 10,256. – Idem 1824, 9,459. – Idem 1825, 9,211. – Idem 1826, 9,134. – Idem 1827, 9,121. – Idem 1828, 8,988. Idem 1829, 8,670. – Idem 1830, 7,921. – Idem 1831, 7,842. Idem 1832, 7,406.

Fabrique d’étoffes de soie de Nîmes. – Pendant le premier semestre de 1832 cette fabrique a occupé 3,500 métiers à la Jacquard, et 4,500 de haute et basse lisse ; la valeur totale des premières employées a été en soie, 770,000 ; en bourre de soie, 660,000 ; en coton, 1,500,000 ; en laine, 16,000. – Total, 2,946,000 fr. – Pendant le 2e semestre le nombre des métiers s’est accru de trois cents pour ceux à la Jacquard, et de 200 pour les autres. La valeur des matières premières employées a été de 932,000 en soie, 690,000 en bourre de soie, 1,800,000 en coton, et 16,000 en laine. – Total,3,438,000 fr. 15,000 ouvriers ont été occupés pendant ce 2e semestre.

Incendie. – La société d’agriculture de Brunn, en Moravie, a découvert un moyen d’éteindre le feu en y jetant de la paille hachée.

Mécanique. – Un jeune mécanicien allemand, âgé de trente ans, domicilié à Planen (Saxe), prétend avoir découvert une machine se mouvant elle-même de la force de 36 chevaux, laquelle adoptée, produira un mouvement continuel et remplacera l’eau, la vapeur. L’expérience aurait eu lieu sur la fin du mois de janvier, à la filature de M. Bruckener, à Mylau.

Nota. Nous devons faire observer que les savans français ont protesté contre la vérité de cette découverte, prétendant qu’elle est impossible.

 

Association commerciale d’Echanges.1

Nos lecteurs connaissent la base du système de M. Charles Fourrier. Association universelle de tous les hommes par l’attraction du plaisir. On ne peut que lui reprocher d’être trop étendue, suivant le proverbe : « Qui trop embrasse mal étreint. » Mais, quoi qu’il en soit, la société doit de la reconnaissance à ce philosophe, lors même qu’il échouerait. MM. Mazel frères se sont emparés de cette idée féconde pour l’appliquer immédiatement à l’industrie ; convaincus que dans notre siècle agioteur l’intérêt serait un mobile encore plus sûr que le plaisir, ils ont établi par spéculation l’association que M. Fourrier et ses disciples propagent par philantropie [6.1]seulement. Nous nous garderons bien de blâmer une telle spéculation, elle n’a rien que d’honorable. Elle est spécialement utile aux petits industriels, aux prolétaires, que le manque de capitaux empêche d’exploiter d’une manière convenable leur industrie. L’association d’échanges, comme son titre l’indique, répudie l’argent, métal qui, on le sait, n’est pas la richesse, mais seulement le signe représentatif. Elle n’opère que sur des marchandises, et, moyennant une faible prime de 4 p. %, elle met en rapport toutes les classes de producteurs ; elle leur ouvre à chacune un compte courant ; elle leur sert de teneur de livres ; ainsi par exemple, elle fait livrer au bottier de la toile pour la valeur des bottes qu’il a fournies à un boulanger, et ce dernier acquitte en pain au toilier la dette qu’il a contractée, et ainsi de suite. Tous sont successivement crédités et débités, et se libèrent réciproquement au moyen des mandats de paiement que la compagnie délivre aux uns sur les autres, sur le vu de leurs comptes respectifs. Nous engageons nos lecteurs à vérifier par eux-mêmes cette entreprise qui, dirigée avec probité et intelligence, ne peut moins faire que d’augmenter le bien-être des hommes qui ont peu, classe la plus nombreuse au milieu de notre civilisation, et peut-être même à cause d’elle.

MM. Mazel ont fondé sur presque tous les points de la France des succursales de leur maison principale, établie à Paris, rue de la Sourdière, n° 23. La maison de Lyon est sous la direction de MM. Mondon et Ce, ses bureaux sont rue de la Préfecture, n° 5 ; un agent pour la ville de la Guillotière est établi dans cette commune, rue de Chabrol, n° 3.

MM. Mondon et Ce doivent incessamment publier un tableau de leurs adhésionnaires dont le nombre excède aujourd’hui 500. Nous reviendrons sur ce sujet important.

M. C.

 Littérature.
Prométhéides.

La 2e livraison de cette intéressante revue du salon de peinture, dont l’ouverture a eu lieu le 1er de ce mois, à Paris, vient de paraître ; elle a pour titre : Puissance des Arts. Nous pensons faire plaisir à nos lecteurs en extrayant le passage suivant, qui montre dans son auteur du talent et du patriotisme.

L’aigle avait succombé. L’éperon des esclaves
Pouvait à Mont-St-Jean heurter le front des braves !
Bourmont, heureux Judas, complimentait Louis ;
Et d’encre pour sa cause, inondant le pays,
Guizot, Châteaubriand, Don Quichottes grotesques,
Sortaient triomphateurs des bagages ludesques ;
Le Moscovite enfin dominait dans Paris !
Soudain l’effroi public s’augmente de ces cris :
« Slaves ! sapons le Louvre et brûlons ses merveilles,
Il ne faut pas qu’un jour on crie à nos oreilles,
L’Europe a pris son chef, ses armes et son or,
Et par les arts la France est sa maîtresse encore !
A l’œuvre !!! » – Ils préludaient ! L’italique rivage
Fulmina son véto sur cet exploit sauvage.
Rome qui n’ose plus fouler le basilic,
Rome qui des agnus voit baisser le trafic,
Qui doit aux Raphael, aux Guide, aux Michel-Ange,
Le renom qu’elle garde et le pain qu’elle mange,
S’émut, plaida, mentit, fit tant qu’elle enleva,
Tout ce que put lorgner l’emballeur Canova.
Un jour peut-être… Chut ! l’espoir vit de silence,
Ils avaient prétendu vandaliser la France,
Les rois !

[6.2]C’est que les rois par Dieu sont tous aveugles-nés,
Leurs guerriers des crétins aux organes bornés,
Serfs d’esclaves titrés, bétail de race humaine,
Par couple mis à prix à l’encan du domaine,
Que pouvaient-ils chez nous ? Contempler notre essor,
Dans le calme hébété qui les mène à la mort.

 

Bibliothèque Populaire.

Le besoin qui s’est manifesté avec le plus de force dans les masses depuis la révolution de juillet, après celui du bien-être matériel, est le besoin d’instruction.

Pour le satisfaire, d’honorables efforts ont été faits, tantôt par la publication de certains ouvrages, tantôt par un enseignement oral, qui permettait au professeur de transmettre à la fois à de nombreux auditeurs, presque tous ouvriers, les connaissances qu’il avait acquises par de longs travaux, et qui leur étaient devenues indispensables. Ces efforts n’ont pas toujours été secondés par l’autorité ; trop souvent même elle en a arrêté le développement. Ainsi Paris avait vu se former dans son sein une association pour l’éducation gratuite du peuple ; des cours publics avaient été ouverts dans la plupart des quartiers, et pour les hommes et pour les femmes ; l’autorité profita des événemens de juin pour interdire la continuation de ces cours ; et cependant depuis peu les courageux citoyens, fondateurs de cette association, se sont réunis de nouveau, et, forts des promesses de la révolution de 1830, qui a annoncé la liberté de l’enseignement, ils ont rouvert leurs écoles, et de nouveau la foule s’y est précipitée.

Puissent-ils ne pas rencontrer d’autres obstacles.

D’un autre côté, des hommes sages et éclairés, animés du désir de faire participer les villes des départemens et les derniers hameaux aux avantages qui jusqu’ici semblent trop exclusivement réservés à la capitale, se sont réunis pour composer, faire imprimer et vendre à peu de frais une véritable encyclopédie élémentaire, une Bibliothèque populaire, c’est-à-dire, ils ont mis l’instruction à la portée de toutes les classes et de toutes les intelligences.

Tous les mois ils publient, à raison de vingt-cinq centimes le volume, un certain nombre de traités qui, dans un style simple, clair et précis, donnent aux esprits les plus vulgaires des notions aussi complètes qu’on peut le désirer sur les différens arts, sur les sciences, sur les lettres, sur toutes les branches des connaissances humaines. Citer les noms des auteurs, c’est faire l’éloge de l’entreprise et donner la plus forte garantie qu’on puisse désirer. MM. Arago, J.-B. de Béranger, S. Bérard, Bory de St-Vincent, Darcet, Gase, Geoffroy St-Hilaire, Victor Hugo, Ph. Laurent, Pirolle, de Rony, Sainte-Beuve, se sont empressés d’offrir certains ouvrages1 ; enfin, parmi les collaborateurs ; on remarque M. Bergeron (accusé aujourd’hui de l’attentat du 19 novembre) et deux professeurs du collège de Lyoni, dont le zèle et les opinions patriotiques ont été si mal récompensés. Enfin M. Ajasson de Grandsagne, connu par son savoir et par sa sympathie pour les masses, a été chargé de la direction.

Nous ne croyons pouvoir mieux faire, pour faire sentir l’utilité d’une telle collection, que de reproduire quelques passages du prospectus.

Nous le ferons dans un prochain numéro.


i M. Savagner, l’un d’eux, est connu de nos lecteurs par son cours gratuit rue de la Tourette, que l’autorité l’a contraint de suspendre.

 

Sur M. Ch. Fourrier et du Phalanstèrei1.

[7.1]Pour qui sait lire l’avenir dans le présent, il est clair que nous touchons à l’avènement de deux puissances nouvelles, l’industrie et la science, qui, reléguées par nos pères dans le silence du cabinet et l’obscurité de l’atelier, se sont, de nos jours, manifestées trop grandes et trop gigantesques, pour ne pas jouer désormais dans la politique un rôle prépondérant. L’histoire du dix-neuvième siècle, dans le tiers écoulé, peut se résumer en trois mots : Rechercher les bases d’un ordre social nouveau. Le dix-huitième avait fini par la destruction du passé ; il nous est réservé de fonder l’avenir. A la fièvre qui dévore les peuples pendant ces trente années, on sent qu’une crise s’opère dans l’humanité. Pour calmer ces douleurs, cette agitation, bien des tentatives ont été faites ; réactives et infructueuses quand elles partaient du pouvoir ; elles ont eu une grande valeur, quand elles sont nées spontanément du sein des populations, parce qu’elles étaient alors l’expression plus ou moins complète de leurs besoins ; et elles eussent été couronnées de succès, si le pouvoir ombrageux ou perfide, au lieu de les comprimer, eût aidé à leur développement. Ainsi, grâce aux idées de liberté et de justice que la révolution française avait imprimées dans les esprits, l’empire, au milieu du fracas de la conquête, put enregistrer, avec nos gloires nationales, les pacifiques exploits de l’industrie et de la science ; mais ces élémens d’un monde nouveau restèrent encore dans le chaos, effacés par les brillans prestiges qui entouraient la société guerrière, et nul ne se rencontra qui eût mission et pouvoir de faire surgir l’avenir du passé, d’en dégager les élémens, de les féconder de son inspiration créatrice.

Succédant à l’activité puissante mais maladive de l’empire, la restauration, qui aurait pu à l’ombre de la paix fonder un ordre de choses durable, occupée de faire triompher les principes de l’ancien régime sans trop comprimer l’essor des besoins du siècle, ne vit rien de mieux que de forger un amalgame où les choses les plus inconciliables auraient forcément leur place. Elle jeta, confondus dans le creuset, les mots de religion de l’état et de liberté des cultes, de légitimité monarchique et de représentation populaire, les oripeaux nobiliaires et l’égalité devant la loi ; elle ne vit dans le commerce qu’un moyen assez commode de grossir le budget au profit d’une aristocratie ruinée, et laissa s’agiter dans leur sphère les corps scientifiques qui ne produisaient que de l’éclat. Mais déjà un pressentiment obscur agite quelques hommes, les avertit que cet édifice n’est qu’une statue aux pieds d’argile, que la société n’a pas de bases, qu’elle attend un renouvellement complet de ses croyances, de sa morale et de sa politique ; qu’il faut une solution nouvelle à tous les problèmes sociaux ; car on vit de routine, on marche sans principes, sans boussole ; et le mouvement social a besoin d’unité, d’un point fixe sur lequel on puisse s’orienter, de quelque chose qui rassemble et rallie les élans d’une activité incertaine et divergente.

(La suite au prochain numéro.)


i Voyez les Annonces.

 M. Bowring.

[7.2]John Bowring, économiste et philantrope ; l’un des plus savans de l’Angleterre, est né le   1792, à Exeter. Ses rapports avec la France ont été nombreux et honorables. En 1822, il fut arrêté à Calais comme prévenu d’avoir voulu favoriser l’évasion des jeunes sergens Bories, Raoul, etc., morts victimes de leur dévoûment à la cause sainte de la liberté, martyrs bien plus regrettables que le roi parjure, dont le 21 janvier 1793 a fait justice. M. Canning, à la prière de Jérémy Bentham, réclama M. Bowring ; son élargissement fut accordé, mais avec défense de remettre le pied sur le territoire français. En 1830, les portes de la France lui ont été rouvertes ; les citoyens de Londres l’avaient choisi pour rédiger et présenter leur adresse de félicitations au peuple héroïque des trois jours. M. Bowring se rendit à Bruxelles, lors de la révolution de ce pays, et accompagna Van de Veyer1 à Londres ; il contribua puissamment au renversement du ministère Wellington. L’admission des produits des manufactures françaises en Angleterre est due principalement à M. Bowring ; il a reçu avec M. Georges Villiers la mission de faire des recherches sur l’importance des relations commerciales entre l’Angleterre et la France, et il s’est acquitté avec zèle, talent et conscience, de cette mission, pour laquelle il est venu à Lyon où il a visité le comptoir du négociant, comme le simple atelier de l’ouvrier. La tribune le réclame et nous ne doutons pas qu’il ne s’y fasse entendre un jour avec toute l’autorité de son nom, et de ses immenses connaissances.

Jérémy Bentham mourant lui a légué le soin de publier ses œuvres. L’auteur et l’éditeur sont dignes l’un de l’autre.

M. Bowring a été reçu docteur à Groningue. Ses travaux littéraires sont multipliés. Toutes les langues de l’Europe lui sont familières, on va en voir la preuve.

Homme de lettres et érudit, il a fait connaître le premier la littérature russe aux savans de l’Europe centrale ; il a écrit sur cette matière deux volumes ; il a publié aussi 2 vol. sur la poésie et un vol. sur les mœurs des Hollandais. Il a également publié un volume sur la littérature de la Pologne ; il a rassemblé et traduit une collection considérable de romances espagnoles. On lui doit encore plusieurs écrits sur la littérature et la poésie de la Hongrie, de la Bohème et de la Servie ; sur la littérature du Danemarck, de la Norwège et de la Suède, et des traductions d’ouvrages islandais.

Economiste, il a publié un ouvrage sous le titre d’observations sur le système des restrictions et prohibitions commerciales (observations on the restrictive and prohibitory commercial system).

Philantrope, il a écrit contre l’espagnol don Juan Bernardo Ogavan2, et dans la langue même de ce dernier, un ouvrage contre la traite infâme des noirs.

M. Bowring n’a pas dédaigné la profession de journaliste. Il a fondé la revue de Westminster (Westminster review), l’un des ouvrages périodiques les plus remarquables. C’est à lui que l’Echo de la Fabrique dont il est l’un des actionnaires doit la faveur qu’aucun autre journal français n’a obtenu, d’être réimprimé et traduit à Londres.

Quoique nous ne croyons pas qu’il faille faire un cas exclusif de l’admission dans les sociétés savantes, nous mentionnerons que le docteur Bowring est membre de [8.1]l’institut hollandais, de la société scandinave et islandaise. La 5e classe de l’institut doit le réclamer, et se l’adjoindre comme membre correspondant, si elle veut se compléter.

M. C.

 ANECDOTE.

Dernièrement dans un arbitrage entre le sieur Arnaud, chef d’atelier, et l’un des prud’hommes qui viennent d’être élus, M. Briollet, négociant. Ce dernier déclara hautement qu’il ne connaissait d’autre cause de la misère des ouvriers que leur inconduite. Le prud’homme-ouvrier devant lequel il tenait ce propos (M. Charnier), le plaça de suite dans une position embarrassante en lui proposant de faire un règlement de compte entre lui et sa partie adverse, le sieur Arnaud, sur lequel on ne porterait que les frais de montage et de tissage sans aucun bénéfice. M. Briollet ne voulut pas accepter…

 Coups de navette.

On s’est plaint que notre dernier numéro n’avait pas de coups de navette, et la nomination des prud’hommes, qu’est-elle donc ?

Les marchands de soie sont traduits en police correctionnelle comme coupables de coalition, attendu que l’augmentation des soies est simultanée et arrête les affaires.

Le gouvernement veut, dit-on, l’ordre et l’harmonie. Aussi les autorités ont été enchantées de voir l’ordre et l’harmonie qui régnaient au convoi du citoyen Comini.

Le journal des négocians n’attend plus que de l’argent, des rédacteurs et des abonnés pour commencer à paraître.

M. C.. R…, l’un des nouveaux prud’hommes, est un homme dont la position sociale ne permet pas, etc... Demandez aux commissaires du banquet Odilon-Barrot.

MM. Br.... et A. Dép..... ont donné à dîner à l’immense majorité qui les a élus, au dire du Courrier-Goujon. Le repas a eu lieu dans un petit salon à une table de 27 couverts.

C’était un fameux terroriste que le représentant du peuple Reverchon.

Aucuns disent que M. Cl. R.… a la même mansuétude que son benin homonyme qui, en 1817, demanda à la cour prévôtale et obtint…

 AVIS DIVERS.

Bibliothèque populaire,
a 25 centimes le volume.
La collection sera de cent vingt volumes, 18 volumes sont en vente. Le prix de l’abonnement, payable en souscrivant, est pour Paris de 1 fr. 50 c. pour 3 mois ou 6 volumes, 3 fr. pour 6 mois ou 12 volumes, 6 fr. pour l’année ou 24 volumes, 25 fr. pour la collection et 30 fr. sur papier vélin, et pour les départemens, franc de port, 2 fr. 25 c. pour 3 mois, 4 fr. 50 c. pour 6 mois, 9 fr. pour l’année, 40 fr. pour la collection entière, et 45 fr. sur papier vélin. Cette augmentation considérable [8.2]est le résultat de la taxe exigée par l’administration des postes.
On s’abonne, par lettres affranchies, au bureau de la Bibliothèque populaire, à Paris, rue et place St-André-des-Arts, numéro 30.
On peut aussi s’abonner à Lyon chez M. Falconnet, rue Tholozan, numéro 6., et au bureau de l’Echo de la fabrique.

(168) prométhéides, revue du Salon de 1833, 12 livraisons. Les deux premières ont déjà paru ; la dernière paraîtra le 25 mai prochain au plus tard. Les souscripteurs recevront à cette époque une table des matières et un titre qui contiendra le nom des deux auteurs de cette revue, qui jusque-là gardent l’anonyme. On souscrit chez Armand-Cristophe, au Cercle Littéraire ; boulevard Bonne-Nouvelle, n° 2. – Prix : 12 fr. pour les douze livraisons, franc de port. – Chaque livraison détachée, 1 fr. 50 c.

[140] la réforme industrielle,
ou le phalanstère,
Journal des intérêts généraux de l’industrie et de la propriété.
Ce journal paraît tous les vendredis, 12 pages, grand in-4, prix : 10 fr. pour six mois. – On s’abonne à Paris, rue Joquelet, n° 5 et chez les libraires et directeurs de la poste.
On peut s’adresser chez M. Marius Chastaing, rédacteur en chef de l’Echo de la Fabrique, rue du Bœuf, n° 5, au 2e

NOUVEAU PRÉCIS
DES MALADIES DES ENFANS,
fondé sur la doctrine physiologique,
par M. CLARION J., D. M.
Un volume in-8° de 200 pages, prix : 3 fr. 50 c. A Lyon, chez les principaux libraires, chez M. Perret, imprimeur-éditeur, et chez l’auteur, place de l’herberie, n° 1, au 2me.

(70) Atelier de sept métiers d’unis, mécanique à devider, plus, presse, banque et porte-balance, et tout ce qui concerne à l’usage des magasins et fabrication, à vendre. On cédera le bail.

(171) Un métier de grosse peluche à vendre, et suite de l’ouvrage. S’adresser au bureau.

[120] AU RABAIS.
Joinon, chapelier, quai Monsieur, n° 122, prévient le public qu’il tient un assortiment de chapeaux de feutre, feutre pour gilets et autres usages dont il démontrera l’utilité.
Les prix réduits pour les chapeaux, de 20 à 15 fr,
Idem. de 15 à 12 fr.
Idem. de 12 à 9 fr.
On cédera également au rabais les gilets et le feutre en pièce.

[132] A vendre deux métiers de lancés en 5/4 et 6/4, travaillant en chals cairés à corps et à lisse, ayant chacun une mécanique en 600, avec ou sans l’appartement et suite de bail ; chez Mme Bonneton, à la Guillotière, rue Basse, n° 6, au 4e, maison Comballot, près le pont.

(166) A vendre un atelier de mouchoirs et rubans, composé de 5 métiers de 400, 600 et 900.
S’adresser au bureau.

(165) On désirerait trouver une ouvrière tranquille pour une maison où il n’y a qu’un seul métier. L’ouvrage au choix.
S’adresser quartier des Capucins, rue Coysevox, n° 1, au 2e, chez M. Lobiosse.

(155) A vendre ensemble ou séparément, un superbe atelier de 5 métiers, articles nouveautés à la Jacquard, et facilités pour le paiement. S’adresser au bureau du journal.

(157) A vendre de suite un atelier de 4 métiers d’unis en activité, une mécanique ronde, avec tous les accessoires et suite du loyer. S’adresser au bureau.

(153) A vendre, deux métiers en 400 tous montés. S’adresser rue Juiverie, n° 8, au 4e sur le derrière, chez la veuve Escalon.

[96] Une mécanique en 900 et deux en 400, à vendre. S’adresser au bureau.

Notes (  Le Temps et les Ouvriers de Lyon . Le...)
1 Le Courrier de l’Ain. Journal politique et littéraire, publié à Bourg-en-Bresse depuis 1821.

Notes (  Association commerciale d’Echanges. Nos...)
1 Cette association proposait un système d’échanges sans argent, dont l’inspiration aurait été en partie fouriériste. Les principaux journaux ouvriers lyonnais (L’Écho de la Fabrique et L’Écho des Travailleurs) vont, à l’extrême fin de l’année 1833, se désolidariser entièrement de cette entreprise.

Notes (  Bibliothèque Populaire . Le besoin qui...)
1 Publiée sous la responsabilité de François Arago, François Aubert de Vitry et Alexandre Barbié du Bocage, sa rédaction étant confiée à François-Étienne Ajasson de Gransagne (1802-1845), la Bibliothèque populaire ou l’Instruction mise à la portée de toutes les classes et de toutes les intelligences publia ses principaux titres au début des années 1830. Des principaux auteurs annoncés ici, seuls quelques-uns publièrent finalement un titre dans la collection : ainsi, le naturaliste et géographe Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent (1778-1846) ou le chimiste Jean-Pierre d’Arcet (1777-1844). Louis Bergeron (1811-1890), journaliste républicain accusé peu avant d’avoir tiré sur Louis-Philippe alors que celui-ci traversait le Pont-Royal, allait également signer en 1833 un Campagnes d’Espagne et du Portugal sous l’Empire dans cette Bibliothèque populaire.

Notes (  Sur M.  Ch. Fourrier et du Phalanstère ....)
1 Cet article, le premier d’une série de trois, est rédigé par Marius Chastaing. On apprend d’ailleurs qu’à Lyon, on s’abonnait au Phalanstère directement à son domicile. L’exposition la plus détaillée de la doctrine fouriériste dans L’Écho de la Fabrique sera toutefois le fait de Rivière cadet qui, d’avril à septembre, va signer une série de neuf articles intitulés « Un disciple de Charles Fourier à ses concitoyens ».

Notes ( M. Bowring.)
1 Jean-Sylvain Van de Weyer (1802-1874), homme politique libéral belge.
2 Juan Bernardo O’Gavan (1782-1838), philosophe et homme d’Église cubain, connu pour ses positions en faveur de l’esclavage.

 

 

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