Retour à l'accueil
11 décembre 1831 - Numéro 7
 
 

 



 
 
    

Nous avons lu sur nos murs, le 7 de ce mois, la proclamation suivante :

Préfecture du rhône.

Le Préfet provisoire du département du Rhône aux habitans de ce département.

Habitans du Rhône !

Le gouvernement veut bien me charger de remplacer provisoirement votre préfet pendant son absence. Mon administration dans deux départemens voisins est le titre que j'invoque pour obtenir votre confiance. Tolérance pour les opinions, sévère répression de tous les actes illégaux, dévoûment sans bornes au gouvernement de notre patrie, au Roi que ses vertus ont placé à notre tête ; tel on m'a connu dans la Loire et dans l'Isère, tel je me montrerai à vos yeux.

Lyonnais !

De déplorables événemens se sont passés parmi vous. Votre industrie, votre commerce, la subsistance de vos ouvriers, les fortunes publiques et particulières, que dis-je, l'existence même de votre ville, tout s'est trouvé compromis, tout a pensé périr dans cette lutte impie entre des concitoyens. Pour vous sauver de tant de maux, pour rétablir l'ordre légal méconnu, le Roi vous a envoyé son propre fils, l'héritier du trône qui vient au milieu de vous pour tendre la main à l'infortune, pour ramener le calme et l'union dans votre ville. Vous avez entendu sa voix ; avec la paix intérieure, se rouvriront pour vous toutes les ressources de la prospérité, tous les moyens de travail.

Vous pouvez envisager maintenant, de sang froid, les dangers que vous avez courus. C'était peu du pillage et de la dévastation de la ville, vous alliez être retranchés du reste de la France ; un mur de séparation allait s'élever entre vous et les départemens voisins ; la famine aurait été le précurseur des maux de la guerre ; et, après des malheurs inouïs, Lyon aurait tristement végété pendant de longues années, avant de pouvoir reprendre son rang dans le monde.

Heureusement la courte durée de vos troubles n'a pas compromis aussi profondément votre avenir. Que la soumission aux lois soit sincère, et tout sera bientôt oublié. Que chacun fasse son devoir ; que chacun contribue au retour de l'ordre : les uns en retournant à leurs ateliers, les autres en s'efforçant par tous les moyens à fournir du travail aux classes laborieuses ; la richesse en secourant l'infortune, la pauvreté en attendant les secours qui ne lui manqueront pas, avec cette résignation dont elle a si souvent donné des preuves ; que chacun songe que l'on n'acquiert des droits au bienfait de la loi, que quand on la respecte, et tous les maux seront réparés, et le gouvernement contribuera lui-même à alléger vos souffrances.

Mais, en même temps, il doit offrir sécurité aux bons citoyens ; il doit leur servir de point de ralliement ; et il ne le peut qu'en leur donnant l’assurance qu'il ne transigera jamais avec le désordre, que toute tentative sera, [5.1]sur-le-champ, sévèrement réprimée, et que ce ne serait pas en vain qu'on essaierait de le détourner des œuvres de bienfaisance auxquelles il veut s'appliquer, pour s'occuper encore à rétablir une tranquillité qui ne doit plus être troublée.

M. le Maréchal ministre de la guerre, avec le coup-d'œil d'un homme d'état, a compris votre situation, et a pris les mesures les plus efficaces pour consolider la paix dans votre ville. Le désarmement général dont le terme s'approche, et qui ne sera pas un vain mot ; l'arrêté qui prescrit le renouvellement des livrets, et dont l'effet sera de délivrer le pays de tous les gens sans aveu, qui, sous le faux nom d'ouvriers, cherchent à ravir aux hommes laborieux le repos sans lequel il n'est point de travail ; la mise en vigueur de tous les réglemens relatifs aux passe-ports, une forte garnison prêtant son appui aux organes de la loi ; les généraux, les magistrats de la cité et du département disposés à ne pas céder aux exigences illégales, tout doit faire renaître la confiance si nécessaire en ce moment, et à bannir ces vaines terreurs, ces fantômes grossis par les imaginations ébranlées encore par les événemens récens, mais qui, vinssent-ils à se réaliser, échoueraient contre notre inébranlable fermeté et la force publique, qui ne cessera pas de nous entourer.

Fait à l'Hôtel de la Préfecture, Lyon, le 7 décembre 1831.

Le Préfet de l'Isère, Préfet provisoire du département
du
Rhône.
GASPARIN1.

M. le préfet provisoire nous dit d'envisager les dangers que nous avons courus... ; que la famine aurait été le précurseur des maux de la guerre, et que Lyon aurait tristement végété pendant de longues années.

Quand M. le préfet provisoire sera nommé préfet définitif, il nous dira sans doute que la famine avait devancé déjà, et, bien plus, provoqué le duel sanglant qui vient d'avoir lieu ; que, depuis plusieurs années, Lyon ne végète pas seulement, mais meurt chaque jour et à chaque instant.

Par le mot famine, nous n'entendons pas la disette de denrées dans la ville, mais la faim, conséquence inévitable de l'impossibilité où est l'ouvrier de se les procurer par le trop minime salaire de son travail.

Les mesures efficaces prises par M. le Maréchal, et dont parle M. le Préfet provisoire, ne tendent à rien moins qu'à l'amélioration de la classe ouvrière. La garnison trop forte dans une ville bien populeuse, absorbe en si grande quantité les denrées de première nécessité pour le malheureux, que ce qui en reste lui est offert et vendu au prix de l'or. Singulière amélioration ! mesure vraiment efficace !

Notes (Nous avons lu sur nos murs, le 7 7 décembre...)
1 Après une courte et brillante carrière militaire sous l’Empire, Adrien-Etienne (comte de) Gasparin (1783-1857) se consacra sous la Restauration à des recherches sur l’agronomie (il publiera ultérieurement un Cours d’agriculture, 3 volumes, 1843-1847). A partir de 1830 il inaugura une carrière administrative et sera préfet de la Loire, de l’Isère puis du Rhône. Plus tard il sera ministre de l’intérieur (1836-1837) puis ministre de l’agriculture (1839).

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique