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24 mars 1833 - Numéro 12
 
 

 



 
 
    

COUR D’ASSISES.

Audience du 16 mars 1833.

Procès de Charles MONIER, accusé de prédications républicaines.

Malgré une pluie battante, la foule a rempli de bonne heure la vaste salle de la cour d’assisesi ; [2.2]après le tirage au sort de MM. les jurés et l’appel des témoins, M. le président, interroge l’accusé ; il répond qu’il est artiste peintre, âgé de 25 ans, et dit : Je suis républicain, je crois la république le meilleur gouvernement possible, c’est ma foi et je cherche à la propager par la parole et par des écrits ; j’avais eu des rapports avec quelques ouvriers, et sur leur demande j’ai consenti à faire des prédications républicaines, mais toujours j’ai demandé que les auditeurs ne fussent jamais plus de vingt ; si j’ai parlé dans une réunion de 160 personnes, c’est que j’ai été victime des manœuvres de la police : je crois que seule elle a convoqué cette réunion nombreuse ; au surplus, je n’y ai pas tenu le langage absurde et ridicule que me prête l’accusation.

Les témoins entendus, M. Vincent de St-Bonnet, premier avocat-général, a pris la parole, et dans un réquisitoire véhément il a présenté Monier comme affilié à toutes les sociétés secrètes, et exerçant, quoique jeune encore, une influence immense sur les ouvriers de notre ville, se proclamant à l’audience même républicain, et portant partout avec ses doctrines le trouble et l’irritation. M. l’avocat-général a surtout fait un crime à Monier d’avoir fait l’éloge de Robespierre, et de là la tirade obligée contre cet illustre conventionnel ; il a fini en annonçant aux jurés qu’ils avaient dans cette session à prononcer sur plusieurs procès politiques, qu’ils devaient être sévères pour le premier, et qu’il ne doutait pas qu’ils ne prononçassent un verdict de condamnation.

Me Chanay, avocat, défenseur de Monier, d’un ton calme mais ferme, s’est exprimé à peu près en ces termes :

« MM. de la cour et MM. les jurés,

« Jusqu’à ce jour j’avais cru l’accusation ridicule ; maintenant que nous sommes arrivés à la fin des débats, je le crois encore malgré l’éloquence et l’énergie que vient de déployer M. l’avocat-général ; aussi, je n’en doute pas, déjà votre conviction est formée, déjà vos consciences ont arrêté le verdict que nous attendons ; si donc je prends la parole, ce n’est pas que je le crois absolument nécessaire, mais l’amitié a ses exigences ; elle m’ordonne de vous faire connaître Monier, cet affilié de toutes les sociétés secrètes, cet homme à si puissante influence. »

Le défenseur fait ici le portrait de Monier et le présente comme consacrant tous ses momens à l’étude et s’occupant surtout de peinture et de poésie dramatique : Monier est déjà connu par des succès au théâtre. Son âme ardente et généreuse avait embrassé avec amour la religion de l’avenir ; Monier fit quelques prédications st-simoniennes, mais y renonça bientôt ; il ne voulut pas se soumettre à la hiérarchie qu’on voulait lui imposer. Les idées républicaines fermentaient dans toutes les têtes, elles avaient conquis droit de cité ; Monier s’y rallia franchement ; sur la demande des ouvriers, il consentit à les prêcher ; plusieurs réunions eurent lieu : Monier disait aux ouvriers les droits et les devoirs des citoyens ; il leur exposait les avantages d’une république et les améliorations que la société pouvait en espérer.

« Dans ces réunions, s’écrie le défenseur, jaillissaient toujours quelques vérités utiles, les ouvriers s’éclairaient, et vous le savez, MM. [3.1]les jurés, les lumières sont les plus fortes barrières à opposer au désordre et à l’anarchie ; quand les idées saines du juste et de l’injuste dominent les esprits, les personnes comme les propriétés sont toujours respectées, toujours la force s’incline devant le droit ; nos douloureuses et tristes journées de novembre nous en ont fourni l’éclatante preuve ; le torrent populaire avait débordé sur notre opulente cité et soudain malgré ses justes griefs, il s’est arrêté respectueux devant le droit sacré de la liberté individuelle et de propriété. »

L’avocat continue l’exposé ces faits, il s’attache à démontrer, à l’aide des dépositions, que Monier ne tenait ses réunions que chez des chefs d’atelier, et que le nombre des auditeurs ne dépassait jamais celui de 20ii. Il savait ce qu’il devait à la loi, il savait ce qu’il avait à redouter de la police.

Si Monier, ajoute l’avocat, est contrevenu le 10 décembre aux prescriptions de l’art. 291 du code pénal, c’est qu’il a été victime des manœuvres occultes de la police. En effet, depuis longtemps elle connaissait les prédications de Monier ; elles l’inquiétaient, mais elles étaient légales, il fallait les tolérer. Que faire donc pour rendre Monier répréhensible ? l’amener à prendre la parole dans une réunion de plus de vingt personnes. Aussitôt les ouvriers de la Croix-Rousse sont prévenus par des inconnus que M. Monier prononcerait un discours le 10 décembre, chez le sieur Serre, traiteur. La réunion était déjà nombreuse que Monier ignorait encore qu’il fût attendu. Il céda aux vives instances que lui firent deux délégués de l’assemblée, et s’y laissa conduire. Il comprit, en voyant 160 auditeurs, qu’il était tombé dans un piège de la police. En homme franc et courageux, Monier ne voulut point reculer devant le danger ; ses croyances politiques étaient déjà connues ; dans une causerie toute simple et sans préparation, il en déduisait des conséquences justes et utiles au pays ; mais ses paroles et ses pensées ont été dénaturées.

Me Chanay pense qu’il est difficile de ne pas reconnaître l’œuvre de la police dans cette occasion.

Quant au langage que l’accusation prête à Monier, Me Chanay démontre qu’il est démenti par tous les témoins, à l’exception des agens de police qui se contredisent souvent et font tenir à l’accusé un discours ridiculeiii. Monier cependant est instruit, l’accusation lui rend cette justice, pourquoi donc aurait-il tenu un langage absurde ? c’est que, ou il n’a pas été compris, ou la vérité n’est point sortie de la bouche de certains témoins.

Après une analyse des faits et des dépositions, Me Chanay arrive à la question de droit. Il pose les principes sur le droit d’association, et montre que l’art. 291 n’est pas applicable à la cause, puisque les réunions n’étaient ni périodiques, ni composées des mêmes individus ; elle avait lieu pour la première fois chez le sieur Serre ; elle était fortuite, et semblable aux fêtes patriotiques données dans notre ville. Cependant a-t-on jamais pensé inquiéter les auteurs des discours prononcés au milieu de ces banquets républicains. A l’appui de ses raisonnemens, l’avocat rappelle la décision du jury parisien dans le procès de la Société des Amis du Peuple. Il y avait là périodicité de réunion dans le même local, exclusion des étrangers, registres, réglemens, discussion sur des matières politiques, et cependant les prévenus ont été déclarés non coupables.

Me Chanay ne craint pas d’aborder avec courage la [3.2]question relative à l’éloge de Robespierre, et il s’exprime ainsi :

« La postérité est venue pour Robespierre ; on le juge avec impartialité ; on ne s’en effraye plus ; il est mieux apprécié. Monier a parlé de son désintéressement, et il a dit vrai. Oui, Robespierre était désintéressé ; il n’habitait pas les salons dorés, il vivait à peu de frais et mourut pauvre ; cependant il avait tenu dans ses mains la fortune de la France ! Robespierre s’occupait du bonheur du peuple, il pensait qu’on ne pouvait le soulager qu’en portant l’économie la plus sévère dans l’administration publique.

« Ces idées, je le sais, sont mesquines, rétrécies pour nos gouvernans ; grossir le plus possible le budget, en prendre la plus forte part, voilà tout leur système. Aussi combien de ministres arrivés pauvres aux affaires se retirent gorgés de millions. Ceux-là, je le sais, lorsqu’on leur parle de Robespierre, ont toujours l’injure à la bouche. Pourquoi ? parce que Robespierre aimait son pays ; eux au contraire n’aiment que le pouvoir. Robespierre ne regardait les fonctions publiques que comme un moyen de rendre plus de services à la patrie ; eux n’y voient que la facilité de prendre aux caisses de l’état. Robespierre est mort pauvre, eux vivent millionnaires. Sont-ce là des déclamations ? Ces vérités historiques impriment-elles au discours de Monier un caractère de criminalité ? Ah ! s’il est quelqu’un de coupable, ce sont ces hommes qui se sont rués sur la France comme sur une proie, et non Monier qui, pour flétrir leur corruption, leur a opposé la grande ombre de Robespierreiv. »

Me Chanay répond ensuite à différentes objections du ministère public et les réfute victorieusement. Après un résumé rapide des moyens, il termine en montrant au jury la brillante carrière d’artiste qui s’ouvrait devant son client, son avenir heureux ou malheureux dépendant de la décision qui allait être rendue. Cette péroraison touchante a vivement ému. C’était la voix d’un artiste et d’un ami fidèle à de tendres souvenirs, demandant la liberté d’un ami, d’un artiste.

Dans cette plaidoirie remarquable, Me Chanay, sans faire aucune concession, a su allier à un langage ferme une sage modération dans une question toute républicaine et d’une politique irritante.

Après trois quarts d’heure de délibération le jury a répondu négativement à toutes les questions qui lui étaient soumises. Dès que l’acquittement de Monier a été prononcé des applaudissemens nombreux, des bravos ont éclaté dans l’auditoirev.

Le sieur Serre, aubergiste, chez lequel s’était tenu la réunion, et co-accusé de Monier a également été acquitté ; il était défendu par Me Bacot, qui s’est borné à quelques observations, attendu que l’accusation contre lui s’est, pour ainsi dire, évanouie devant les débats.

M. Granier, gérant de la Glaneuse, étant malade gravement n’a pu se présenter devant la cour. Il a été condamné par défaut, le vendredi 22, malgré les observations de son avocat (Me  Perrier), et la production d’un certificat délivré par le médecin qui le traite, à 2 ans et 1|2 de prison et 6,000 fr. d’amende.

Lundi 25. – Anselme Petetin, rédacteur en chef du Précurseur, prévenu d’offense au gouvernement pour l’insertion d’une note relative à Jeanne. Il sera défendu par Me Jules Favre.

Idem. – M. Berthaud, auteur d’Asmodée, satire politique ; prévenu d’attaque contre la dignité royale pour la publication de la 6e livraison, intitulée : Au roi. Il sera défendu par Me Michel-Ange Périer ; M. Berthaud prononcera aussi pour sa défense un plaidoyer en vers ! Il y aura foule pour entendre ce jeune patriote.

[4.1]Mercredi 27. – M. Granier, gérant de la Glaneuse, pour les n° 120, 128 et 145 de son journal incriminés.

Samedi 30. – M. Petetin, prévenu de diffamation envers M. Chegaray, procureur du roi, à raison de ses observations sur le procès de M. Monier.

Nous rendrons compte de ces divers procès.

 

 

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