Au Rédacteur.
Lyon, 18 mars 1833.
Monsieur,
Je crois devoir vous faire part des tribulations que j’éprouve pour me faire rendre justice par le conseil des prud’hommes. Mon affaire est bien simple ; la voici, vous en jugerez. Jeudi dernier, 14 de ce mois, un jugement a été rendu en ma faveur contre M...... Le lendemain j’allai au greffe pour en demander expédition, mais d’abord trop tôt et ensuite trop tard, je ne pus rencontrer personne. Ayant à faire chez moi, je remis à ce matin à y aller, et je pris si bien mes dimensions que j’arrivai à l’heure, je parlai au commis-greffier, duquel au reste je n’ai eu qu’à me louer ; après lui avoir tiré ma révérence et fait part de l’objet de ma visite, il me dit : Ah ! pour votre jugement, il faut que vous alliez chez M. Pochin ; et où donc demeure-t-il, lui répondis-je ? Il demeura, me dit-il, rue des Trois-Maries ; je marronnais un peu, trouvant assez étrange que le greffier ne fût pas dans son greffe, mais enfin je m’acheminai vers cette rue des Trois-Maries, en pestant que M. le greffier n’eût pas pu trouver un domicile plus près de son greffe.
J’arrive d’aussi bonne humeur que si l’on me menait en prison, et justement cette rue y conduit ; essoufflé d’avoir monté trois étages, je demande à parler à M. Pochin. Il n’y est pas, fut la réponse d’une fille domestique, il est à l’audience. Je crus que c’était une plaisanterie, et je me fâchai. Il n’y a pas d’audience, m’écriai-je (j’ai su tout à l’heure que j’avais tort, je croyais que le greffier des prud’hommes n’allait pas à d’autre audience qu’à celle du conseil ; mais M. Pochin cumule : il est en même temps avoué à la cour d’appel, là où se jugent les procès qui ont laissé quelque chose aux plaideurs de première instance). Malgré ma colère, force fut à moi de redescendre les trois étages et d’aller dans un cabaret boire chopine en attendant : car je ne voulais pas retourner chez moi sans avoir rien fait, et j’avais besoin de me réconforter. Enfin, ce récit est déjà long, il faut que je l’abrège. Je retourne pour la seconde fois chez M. Pochin, et je trouve à qui parler. Je lui demande mon jugement ; il me répond qu’il n’a rédigé aucun des jugemens rendus ce jour-là, parce que le nombre des membres du conseil n’était pas complet. Il a eu la complaisance, voyant mon embarras, de me dire de faire citer de nouveau, et que d’ailleurs je n’étais pas le seul dans ce cas.
Je vous livre, monsieur, ces faits, tirez-en toutes les conséquences, dans l’intérêt des ouvriers que vous défendez avec tant de persévérance : mais veuillez ne dire mon nom que si c’était nécessaire. Ayant encore besoin de ces messieurs. je ne veux me brouiller avec personne.
J’ai l’honneur, etc.
L....., chef d’atelier.
Note du rédacteur. – Des plaintes nombreuses nous sont déjà parvenues sur l’inconvénient résultant de la séparation qui existe entre le greffier et le greffe des prud’hommes : mais comme cette question attaque un [4.2]avoué estimable de cette ville, nous nous sommes abstenus d’en faire part à nos lecteurs ; il a fallu la plainte directe de M. L..... pour nous déterminer à rompre le silence, et puisque nous sommes interpellés, nous répondrons : Il nous semble que M. Pochin devrait avoir des heures fixes pour se tenir dans son greffe comme cela a lieu pour tous les autres sans exception. Ce n’est peut-être pas d’ailleurs un médiocre inconvénient que ce déplacement des minutes et leur transport dans une étude d’avoué. Abordant l’autre question, celle du refus par M. Pochin de délivrer au sieur L....., expédition du jugement rendu le 14 de ce mois ; nous ne pouvons le concevoir. Un jugement rendu en audience publique ne peut être soustrait sous aucun prétexte, sous peine de forfaiture. L’intention seule, que nous sommes convaincus être bonne, peut excuser la conduite du greffier des prud’hommes. Si le conseil n’était pas en nombre, il ne devait pas juger. Le greffier devait l’en avertir ; mais on ne peut priver une partie du bénéfice qui est acquis d’un jugement rendu. On ne peut la soumettre à de nouveaux frais de citation qui sont frustratoires, à une nouvelle perte de temps qui est onéreuse. S’il n’est pas fait droit à M. L..... et à ceux qui se trouvent dans ce cas, ou si un pareil abus se renouvelle ; nous ferons taire toute espèce de considération. Jusque-là nous nous abstenons d’en dire davantage