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31 mars 1833 - Numéro 13
 
 

 



 
 
    
 

Abus des renvois en conciliation.

L’assemblée nationale, en important en France la belle institution des juges de paix, donna à ces nouveaux magistrats, dans leurs fonctions civiles une double attribution, celle de concilier et celle de juger. L’empire, en créant les prud’hommes, eut soin de comprendre la conciliation au nombre des droits de ces juges industriels. Concilier leurs justiciables plus encore que les juger, telle est l’honorable mission des juges de paix et des prud’hommes. Les juges supérieurs leur ont plus d’une fois envié cette belle prérogative. Mais quelque belle qu’elle soit, cette prérogative a un terme, et la conciliation doit être le fruit de la persuasion, non celui de la contrainte. Elle doit s’arrêter là où commencerait [4.1]le déni de justice ; car on abuse des meilleures choses, et la conciliation, pour être constamment bonne, ne doit jamais sortir de ses limites. Le conseil des prud’hommes tient deux audiences par semaine consacrées à la conciliation, fidèles à notre mission de pacifier en éclairant, nous ne nous en occupons point. Nous craindrions d’apporter une passion, une doctrine quelconque dans cette épreuve tutélaire, nous réservons nos investigations pour l’audience solennelle du jeudi ; car alors il ne s’agit plus de conciliation, elle a été refusée, il s’agit de justice, et si la conciliation est un bien, la justice est un droit. Nous avons mission de connaître et de faire connaître comment ce droit est exercé ; à cette audience se présentent des causes qui ont besoin d’explications plus ou moins longues ou que le conseil pense ne pouvoir pas résister à une nouvelle tentative de conciliation. Le conseil renvoie donc ces causes devant quelques-uns de ses membres. Nous avons applaudi nous-mêmes à cette méthode, quoiqu’elle ne fût peut-être pas très légale. Mais l’éloge était à peine sorti de notre bouche que force a été à nous de nous rétracter, et nous avons compris notre erreur. Il ne faut jamais transiger avec le droit, et la forme est tutélaire ; c’est avec grand sens que les praticiens ont dit : La forme emporte le fond. Si l’on laisse la moindre issue ouverte, l’abus entre comme ami de la maison, et bientôt il commande en maître. Nous aurions persisté dans nos éloges si les prud’hommes devant lesquels une cause avait été renvoyée, après avoir tenté vainement une seconde épreuve de conciliation toujours désirable, après l’avoir fait en employant les moyens naturels résultant de leurs lumières, de leur influence, n’avaient jamais employé une espèce de violence morale pour la faire accepter ; si, après avoir porté ce coup-d’œil investigateur de l’homme expert sur les comptes respectifs des parties, ils avaient fait leur rapport au conseil, et que le conseil enfin, après avoir entendu les parties dans leurs moyens de défense, eût prononcé sa décision en recueillant les avis de tous ses membres. Mais tel n’est pas l’usage. Nous devons nous élever contre.

Le renvoi des causes en conciliation, grâce à la manière dont on le prodigue, au mystère dont on entoure la discussion, aux formes qui y président, au mutisme des rapporteurs, à la manière expéditive dont le conseil sanctionne ces rapports occultes ; ce renvoi, disons-nous, n’est plus que le huis-clos de l’ancien conseil ; l’audience publique n’est plus qu’un mensonge.

Le huis-clos est antipathique à nos mœurs, à la liberté, aux droits des ouvriers ; nous ne souffrirons pas qu’il soit rétabli sous un nom ou sous un autre, sous un prétexte, quel qu’il soit. Nous lui demandons compte en ce moment des affaires Naud contre Bender ; Nesme contre Viallet ; Imbert contre Mantelier-Neyron ; il ne les a pas conciliées, il les a étouffées.

Il est certaines causes qui ne doivent pas être soustraites au jour bienfaisant de la publicité. L’audience publique est pour certains débats un châtiment, une peine sévère. Cette crainte salutaire, on en convient, réprime elle seule plus de méfaits peut-être que la justice des hommes n’en punit. Qu’importe donc, après tout, ce que nous n’avons garde de mettre en doute, que les prud’hommes fassent leur devoir dans ces audiences à huis-clos, nous demandons le soleil de la publicité. Dans une récente conciliation, M. Gamot, prud’homme-négociant, auquel nous nous empressons de rendre justice, a répondu à M. Goybet qu’il valait mieux que la fabrique quittât Lyon que si les ouvriers ne pouvaient pas [4.2]vivre en travaillant, parole remarquable et digne d’éloges ; mais combien cette parole aurait produit un effet plus salutaire prononcée en audience publique, et combien celui auquel elle s’adressait, en aurait subi plus de honte.

En résumé, il est nécessaire de ne pas multiplier sans raison les renvois en conciliation et de prononcer en public les rapports des causes qui n’auront pas été conciliées, en admettant auparavant les parties à plaider leurs moyens respectifs ; autrement nous dénoncerons comme flagrant le rétablissement du tyrannique huis-clos.

 

 

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