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31 mars 1833 - Numéro 13
 
 

 



 
 
    
 

LEÇON GRAMMATICALE.

monsieur Voron, le nommé Cohen et le citoyen Prost i.

Que vous êtes sots vous autres qui croyez que 1789 et 1830 ont aboli les distinctions sociales dont la vanité des hommes est si avide, détrompez-vous, elles n?ont fait que changer de nom, elles existent aujourd?hui tout aussi vivaces que dans les temps féodaux les plus reculés.

Au lieu de nobles, de prêtres et de roturiers, il y a des messieurs, des nommés et des citoyens. Le mot nommé a pour synonyme ceux d?individu, de certain, de quidam (en langage de parquet) de un homme, le sieur. Le mot citoyen se traduit aussi par des synonymes tels que patriote, républicain, prolétaire, voir même bousingot ; depuis quelque temps ce dernier mot est pris en bonne part. Quant au mot de Monsieur, oh ! celui-là il n?a pas de synonymes, il est indélébile, mais il peut être absorbé par l?article le suivi d?un nom de dignité quelconque. Ainsi posons un exemple, c?est la meilleure manière d?expliquer la règle. Supposé que nous ayons à parler de celui qui exerce à Lyon les fonctions du ministère public, il s?appelle Chegaray ; eh bien ! il faut dire : Monsieur Chegaray, ou bien le procureur du roi Chegaray, il n?y a pas de milieu, mais on ne pourrait sans injure dire : le nommé, le patriote, le citoyen, le sieur, un certain, etc. Chegaray. Avis aux rédacteurs de la Glaneuse ; ces farceurs de bousingots.

Il y a encore un cas dans lequel le mot Monsieur peut être supprimé, c?est lorsqu?on parle d?un homme illustre, mort ou vivant. Cette règle est connue, nous ne la rappelons que pour mémoire. On peut même l?étendre et l?adopter en parlant d?un personnage qui a seulement quelque célébrité, ainsi l?on peut dire : Odilon-Barrot, Garnier-Pagès, etc., mais il faut dire : [5.1]Monsieur Jars, Monsieur Fulchiron, etc. On peut dire : Anselme Petetin, Armand Carrel, etc, mais on doit dire : Monsieur d?Angeville, Monsieur de Latournelle, etc. En général on ne peut supprimer l?appellation Monsieur que là où elle pourrait sans inconvénient ni antinomie, être remplacée par celle de citoyen.

Nous allons encore fournir un exemple de l?application de cette règle. Un de ces jours derniers, trois personnes étaient dans la cour de l?Hôtel-de-Ville de Lyon, un fonctionnaire public appelé Voron, un voyageur indigent appelé Cohen, et un antiquaire appelé Prost. Eh bien ! c?est le cas d?appliquer la règle ci-dessus. Le premier doit s?appeler Monsieur Voron, le second le nommé Cohen, le troisième le citoyen Prost. Cela est facile à comprendre ; pourrait-on dire : le citoyen Voron ? non, il s?en fâcherait tout comme si l?on disait : le nommé Voron, et dès-lors il faut bien dire : Monsieur Voron ; c?est clair cela. Une querelle s?engage entre les deux premiers ; le nommé Cohen est, dit-on, malhonnête envers monsieur Voron, et dès-lors, conformément aux us et coutumes des temps féodaux, le Monsieur emploie avec justice contre le nommé, pour le faire taire, les moyens coërcitifs que les nobles employaient jadis contre les roturiers, serfs et vilains (mots tout-à-fait synonymes). Le citoyen Prost intervient, il prend fait et cause pour le nommé et il va dénoncer à un magistrat supérieur les moyens coërcitifs employés par son subordonné. Mais le magistrat supérieur ne voit là aucun grief et nous sommes de son avis. Les nommés ne doivent parler que chapeau bas et sans répliquer aux messieurs, à moins toutefois que les citoyens ne s?en mêlent activement, auquel cas la partie pourrait bien ne plus être égale pour les messieurs, à moins encore qu?il ne prenne fantaisie aux nommés de repousser les moyens coërcitifs des messieurs, par d?autres semblables. Honneur à Monsieur Voron, grâce à lui une question importante va s?agiter, celle de savoir :

Si les moyens coërcitifs sont permis aux messieurs contre les nommés.

 

 

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