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31 mars 1833 - Numéro 13
 

 




 
 
     

Les personnes dont l’abonnement est expiré, sont priées de passer au bureau pour le renouveler.1

 Dissertation du National

sur la situation des ouvriers de lyon et sur la question des associations.

Vous souvient-il de cet homme auquel un coup d’épée reçu en duel fit crever un abcès et sauva la vie. Eh bien ! telle est la position des ouvriers lyonnais en ce moment. Ils doivent se féliciter des diatribes du correspondant du Courrier de Lyon, accueillies on ne sait comment dans les colonnes d’un journal estimé, le Temps, qui a oublié sans doute ce jour-là qu’il portait sur son frontispice le titre de journal du progrès. Ils doivent s’en féliciter de ces diatribes honteuses, car ils leur devront l’appui de tous les organes patriotes de la presse, l’attention publique, et peut-être, ainsi que nous l’avons fait pressentir dans notre dernier numéro, cette grave question du prolétariat trouvera-t-elle la solution que depuis long-temps elle réclame. Il faut que le pouvoir s’en occupe à moins de s’abdiquer lui-même, et alors il n’aurait plus lieu de s’étonner si d’autres que lui s’occupant de la résoudre, par suite cette question était résolue dans un sens qui lui serait hostile, il ne pourrait plus se plaindre. La presse est moins malveillante qu’on ne croit, elle avertit toujours avant de frapper.

Nous avons fait connaître à nos lecteurs deux articles remarquables, l’un extrait du Précurseur (Voyez l’Echo, n° 9) ; l’autre du Messager des Chambres (Voy. [1.2]n° 12). Nous en empruntons un aujourd’hui au National. L’opinion de ce journal ne saurait être indifférente. Elle se recommande d’elle-même par le nom de son auteur, l’illustre Armand Carrel.

« La seconde ville du royaume, Lyon, est en proie à une grande agitation. Au milieu de cette prospérité si vantée, au sein de l’abondance et de la paix, l’ouvrier lyonnais vient protester contre les assertions du pouvoir ; il travaille, mais son labeur, quelque pénible qu’il soit, ne peut suffire à ses premiers, à ses plus pressans besoins ; il souffre, non point d’une oisiveté forcée, mais de l’avilissement du prix de la main-d’œuvre. Les événemens de novembre 1831 ont mis en lumière cette triste vérité que le taux des salaires n’est plus en rapport avec celui des subsistances.

Il ne faut pas se le dissimuler, c’est la grande cause des prolétaires qui se plaide à Lyoni. En 1831, c’était par des cris de guerre et de mortii ; en 1833, c’est par la discussion, c’est par des associations. En 1831, les ouvriers n’avaient qu’un pressentiment vague de leur force et de leur droit ; en 1833, ils en ont la conscience entière ; ils sont calmes. De leur devise de novembre ils n’ont heureusement conservé que la première partie : ils veulent vivre en travaillant. Dans une époque où tant de gens vivent très-joyeusement sans rien faire, c’est se montrer peu exigeans.

En 1831, lorsque ces mêmes ouvriers occupaient l’Hôtel-de-Ville de Lyon, le pouvoir faisait répéter par ses journaux « que sa bienveillance était principalement acquise aux classes les plus nombreuses et les plus pauvres, classes si dignes d’intérêt, si patientes, si résignées, sauf une déplorable exception. » (France Nouvelle du 28 novembre 1831) ; il annonçait que « de profondes recherches seraient faites pour trouver les causes purement sociales qui pouvaient avoir préparé un état de choses aussi déplorable. » (Moniteur du 29 novembre 1831.) Puis il ajoutait : « C’est aux législateurs à approfondir ces observations et à y conformer leurs œuvres. Pour cela, il faut du temps, il faut des études, il faut des sacrifices ; mais surtout il faut du calme. » Le temps et le calme n’ont point manqué ; quant aux sacrifices, c’est une autre affaire ; on ne s’y résout que le plus tard possible ; on oublie que c’est dans ces quatre mots : Il est trop tard, que le général Lafayette a résumé le dénoûment de la révolution de juillet.

[2.1]Le temps, disons-nous, n’a point manqué ; qu’a-t-on fait depuis 1831 ? Rien. Nous nous trompons : on a triplé la garnison de Lyon, pensant sans doute que c’était avec des baïonnettes que l’on devait prouver qu’effectivement « la bienveillance du gouvernement était principalement acquise aux classes laborieuses, si dignes dintérêt, si patientes, si résignées. »

Les pouvoirs soi-disant représentatifs ne sont point restés en arrière en fait d’incurie ; une loi de douanes, qui devait apporter des modifications au commerce des soies, s’est promenée pendant deux sessions à la chambre des députés, et n’a pas seulement obtenu l’honneur d’une discussion ; le tarif sur les bestiaux, dont on réclamait l’abaissement, sera maintenu ; toutes les dépenses sont respectées, tous les impôts sont conservés…

Les ouvriers ont vaincu en novembre ; ils sont fiers de leur victoire : il faut en effacer le souvenir. On attend sans doute avec impatience l’occasion de leur donner une revanche ; Dieu veuille qu’on ne la fasse pas naître ! il est des hommes qui ne connaissent d’autre remède aux ébranlemens politiques que le canon, que les mitraillades ; c’est un 13 vendémiaire, c’est un 5 et 6 juin qu’il faut à Lyon, puis tout rentrera dans l’ordre ; c’est-là ce qu’on appelle faire de la force ! Quatre cent mille hommes sont sous les armes, quatre cents millions figurent au budget de la guerre…

Nous laissons à d’autres le soin d’apprécier si la question qui s’agite aujourd’hui à Lyon est purement politique ou purement industrielle ; à nos yeux ces deux mots se confondent, car la politique positive ne saurait être autre chose que le réglement des intérêts généraux de la société : or, comme l’industrie comprend le travail agricole, manufacturier et commercial, nous ne connaissons rien de plus général, ni de plus digne d’intérêt dans une société qui, comme la nôtre, n’est point organisée pour la conquête, c’est-à-dire pour le pillage en grand, pour la dévastation et le carnage légal. A ceux qui prétendraient, comme quelques-uns le font, qu’il n’y a rien de politique dans les débats de Lyon, nous leur demanderions de nous indiquer ce qui, dans leur politique, est d’un si haut intérêt, d’une si haute portée.

Le malaise des prolétaires lyonnais tient à plusieurs causes : les unes sont locales, les autres générales ; on fait grand bruit de l’impossibilité où se trouvent les fabricans de soieries de hausser les salaires de leurs ouvriers. « Une concurrence étrangère, de jour en jour plus formidable, le trop grand nombre des fabricans, et surtout des fabriques à petits capitaux, ont progressivement, depuis dix années, fait baisser d’un tiers et même de moitié le prix des salaires. Il est des articles qui ne permettent pas à l’ouvrier compagnon de gagner vingt sous en travaillant seize heures par jour. Cependant, si le salaire est augmenté, l’étoffe deviendra plus chère, et l’étranger la trouvera autre part à meilleur marché…iii » Nous pensons qu’il est prudent de n’accueillir qu’avec une grande réserve de semblables argumens ; dans de certaines limites ils sont vrais : quant aux étoffes unies, dans ce genre de fabrication, la concurrence des ateliers de Suisse, d’Allemagne et d’Angleterre peut forcer le fabricant français à réduire ses frais de production ; mais nous ne saurions les admettre lorsqu’il s’agit des étoffes de goût, de celles où le dessin et la variété des couleurs forment une partie essentielle de la valeur ; dans cette partie importante de la production lyonnaise, l’abaissement des prix provient presque uniquement de la concurrence acharnée que se font entre eux les fabricans, grands ou petits. Ce [2.2]n’est pas seulement à Lyon que cette lutte existe : là où il y a deux négocians, deux manufacturiers, deux marchands, l’un cherche incessamment à ruiner l’autre. Ils offrent à l’envi leurs produits au rabais, et le contrecoup de cette guerre désastreuse retombe de tout son poids sur le malheureux ouvrier qui, n’ayant aucun moyen de résister aux exigences des maîtres, voit chaque jour réduire ses moyens d’existence et ceux de ses enfans.

Les ouvriers ont senti leur isolement. Abandonnés par la sollicitude du gouvernement, ils se sont rapprochés les uns des autres, et aujourd’hui ils cherchent dans l’association une force de résistance suffisante pour stipuler des conditions plus favorables. Vivre est le premier besoin ; ils s’arrangent en conséquence. Certes, nous ne nions point les inconvéniens qui peuvent résulter de ces réunions d’hommes que la souffrance irrite. Mais peut-on leur donner une autre satisfaction ? Qui écoute leurs plaintes ? qui se charge de redresser leurs griefs ? où donc est l’autorité tutélaire qui veille sur eux ?

Le pouvoir répond le code pénal à la main : l’art. 415 défend aux ouvriers de se coaliser ; donc il faut dissoudre toutes associations. C’est fort bien, dissolvez tout ce que vous voudrez ; mais ensuite que ferez-vous ? car il ne faut pas perdre de vue que la dissolution des associations ne fera pas hausser le salaire.

Nous savons fort bien que l’on a un argument tout prêt à nous opposer, « Les associations ne fournissent pas de pain à ceux qui en manquent. » Eh ! mon Dieu, nous savons de reste que les associations, tout aussi bien que les constitutions et les articles du code pénal, n’ont jamais fourni de pain à qui que ce soit ; mais est-ce une raison pour qu’on se prive d’associations, de chartes et de codes ? Toutes les formes conventionnelles sur lesquelles notre ordre social repose, ne sont que des moyens à l’aide desquels les besoins généraux se constatent et obtiennent satisfaction ; le but, c’est l’amélioration du sort de tous ; lorsque la forme ancienne est mauvaise, on la met de côté et on en prend une nouvelle ; depuis la convocation des états-généraux nous ne faisons point autre chose tous les cinq ou dix ans ; et selon toute apparence nous n’avons pas fini de changer ; car le statu quo actuel est trop peu agréable pour qu’on veuille le conserver.

A côté des ouvriers qui cherchent à s’organiser, les fabricans ne restent point passifs, et on ne saurait les blâmer ; ils se rapprochent, ils se consultent ; l’association pour eux aussi est un besoin. Le Courrier de Lyon, qui avait trouvé les associations d’ouvriers contraires à la liberté du commerce, trouve très-naturelles celles des maîtres ; il en attend de bons résultats.

Quant à l’argument banal de la liberté du commerce, nous désirerions que ceux qui l’emploient à tout propos en connussent la valeur. On invoque cette liberté lorsque l’introduction d’une nouvelle machine a privé de pain des milliers de familles, on prouve, l’histoire à la main, aux malheureux qui crient misère, que les perfectionnemens industriels ont fini à la longue par accroître l’aisance des masses ; on invoque encore cette liberté, lorsque les faibles veulent se réunir pour n’être point écrasés par les puissans ; mais on se hâte de la répudier lorsqu’elle blesse les chefs d’industrie. Du reste, ces derniers qu’ont-ils besoin d’associations patentes, avouées ? n’ont-ils point les bourses, les salons, les spectacles, les cercles, pour se réunir et s’entendre ? Mais, bien mieux encore ; s’agit-il de liberté du commerce [3.1]lorsqu’on discute les lois de douanes ? Oh ! que non. Les privilégiés sont à leur poste alors ; la liberté, à leurs yeux, est un vain mot qu’on jette à la tête du peuple pour l’éblouir et mieux river ses chaînes ; nos charlatans politiques sont en cela très-experts.

On conçoit que nous n’avons pas intention de discuter ici une question de légalité. Que la loi s’oppose ou ne s’oppose pas aux associations, peu nous importe ; en principe, l’association est un droit des plus naturels ; tout ce qui tend à le limiter est inique et ne peut durer. Nous dirons plus : dans les circonstances actuelles, le libre exercice de ce droit est la sauve-garde de l’ordre social ; c’est la seule voie régulière ouverte aux travailleurs, ouvriers et fabricansiv ; pour arriver pacifiquement à s’entendre, à stipuler leurs intérêts ; c’est la soupape de sûreté à l’aide de laquelle on pourra prévenir les collisions que la contrainte et l’oppression feraient inévitablement renaître. Du reste, si les associations sont inquiétantes à Lyon, ce n’est point en les dissolvant qu’on aura rétabli l’ordre qu’elles auraient pu troubler, car on n’aura point fait disparaître la cause du mal. Nous le répétons, les ouvriers lyonnais s’agitent, non point parce qu’ils veulent s’associer ; ils s’agitent, ils veulent s’associer parce qu’ils souffrent, parce que leur salaire est insuffisant. C’est toujours là qu’il faut en revenir.

Nous ne nous dissimulons point la difficulté que présente la solution de ce grand problème, qu’un jeune professeur d’histoire à la faculté des lettres posait naguère en ces termes : « Améliorer le sort des classes inférieures sans briser les machines et sans attenter à la propriété ». Nous pensons qu’on ne doit ni attenter à la propriété, ni briser les machines ; car cela ne ferait que déplacer la difficulté sans la résoudre ; mais nous avouons aussi que la manière dont, selon les prévisions de ce professeur, la Providence se chargera de cette solution, nous paraît trop lente et trop incertaine.

En présence de ce fait, que, depuis dix ans, à Lyon, les salaires ont baissé d’un tiers et même de moitié ; lorsqu’on voit que la fabrication de certaines étoffes ne produit à l’ouvrier compagnon que vingt sous par jour pour seize heures de travail, on ne peut rester impassible ; on doit chercher des remèdes, et des remèdes prompts.

Ces remèdes, chacun les cherche, chacun indique les siens ; l’administration seule reste impassible. Le Précurseur de Lyon, ce journal hors de lignev, a dans cette circonstance, dignement rempli, comme toujours, sa mission ; il a su allier la fermeté à la prudence. Les conseils qu’il s’est efforcé de donner au pouvoir, s’ils étaient écoutés, pourraient calmer les souffrances, l’irritation du moment. Mais on n’y songe seulement pas.

Les premiers moyens qui s’offrent à tous les yeux, c’est, ainsi que nous l’avons souvent indiqué, de déplacer l’impôt des portes et fenêtres, de supprimer les impôts indirects et les octrois ; d’abaisser les tarifs de douanes sur les céréales, sur les bestiaux, sur les laines, sur les fers, et en général sur toutes les matières premières. En un mot, on doit s’efforcer de réduire le prix des subsistances et des objets de première nécessité, lorsqu’on ne peut obtenir une hausse dans les salaires.

Mais, nous ne nous faisons point illusion : cela n’est point suffisant, il faut songer à développer, à généraliser l’esprit d’association. Si la nécessité a fait comprendre aujourd’hui aux fabricansvi lyonnais qu’ils doivent s’unir et s’entendre pour résister aux exigences des ouvriers, il faut qu’ils comprennent aussi que la guerre qui les porte à se ruiner réciproquement par la concurrence [3.2]au rabais, est immorale et ne tourne en définitive qu’au profit des consommateurs oisifs ; que cette lutte compromet incessamment l’avenir de leur industrie et l’existence des travailleurs, ouvriers ou bourgeois ; il faut qu’ils sentent que, pour s’attacher les ouvriers, ils doivent les faire participer à leurs bénéfices après leur avoir assuré un minimum de salaire… Quand le pouvoir redoute les associations, c’est qu’il n’en comprend point le principe. Les associations ne peuvent être des instrumens de dissolution sociale ; c’est, nous le répétons, la contrainte, c’est l’oppression qui les fait dégénérer : bien dirigées, bien entendues, elles peuvent, elles doivent former au contraire la base d’une bonne organisation du travail.

(Le National, 19 mars 1833.)


i Enfin voici les événemens de Lyon considérés sous leur point de vue véritable. Enfin nous sommes compris, et l’Echo en inscrivant fièrement sur ses colonnes Emancipation physique et morale de la classe prolétaire, ne prêche plus dans le désert. De nobles sympathies lui répondent. Il reçoit le prix de ses efforts.
ii  Le National se trompe. En 1831 les ouvriers repoussèrent la force par la force, mais ils ne songeaient nullement à être les agresseurs ; pourquoi dans une querelle industrielle fit-on intervenir des baïonnettes ? Il ne fallait que la baguette du constable.
iii Voir la lettre adressée au Temps, et publiée le 1er mars. Voy. le Courrier de Lyon du 27 janvier précédent.
iv C’est-à-dire négocians.
v Nous sommes charmés, ne serait-ce que pour l’honneur de notre ville, de voir le Précurseur apprécié par le National qui marche en tête de la presse parisienne.
vi C’est-à-dire négocians.

 

SOUSCRIPTION MENSUELLE

En faveur des victimes de novembre 1831.

La commission se réunira demain de six à sept heures du soir, au bureau de l’Echo, à l’effet de recevoir les feuilles de cotisation, et en donner décharge aux commissaires. Ces derniers sont instamment priés de rapporter lesdites feuilles. MM. les souscripteurs sont également priés d’effectuer le versement du trimestre échu, soit entre les mains des commissaires, soit au bureau entre celles de M. Labory.

Par ordre de la Commission :

Le Secrétaire, Marius Chastaing.

 

Abus des renvois en conciliation.

L’assemblée nationale, en important en France la belle institution des juges de paix, donna à ces nouveaux magistrats, dans leurs fonctions civiles une double attribution, celle de concilier et celle de juger. L’empire, en créant les prud’hommes, eut soin de comprendre la conciliation au nombre des droits de ces juges industriels. Concilier leurs justiciables plus encore que les juger, telle est l’honorable mission des juges de paix et des prud’hommes. Les juges supérieurs leur ont plus d’une fois envié cette belle prérogative. Mais quelque belle qu’elle soit, cette prérogative a un terme, et la conciliation doit être le fruit de la persuasion, non celui de la contrainte. Elle doit s’arrêter là où commencerait [4.1]le déni de justice ; car on abuse des meilleures choses, et la conciliation, pour être constamment bonne, ne doit jamais sortir de ses limites. Le conseil des prud’hommes tient deux audiences par semaine consacrées à la conciliation, fidèles à notre mission de pacifier en éclairant, nous ne nous en occupons point. Nous craindrions d’apporter une passion, une doctrine quelconque dans cette épreuve tutélaire, nous réservons nos investigations pour l’audience solennelle du jeudi ; car alors il ne s’agit plus de conciliation, elle a été refusée, il s’agit de justice, et si la conciliation est un bien, la justice est un droit. Nous avons mission de connaître et de faire connaître comment ce droit est exercé ; à cette audience se présentent des causes qui ont besoin d’explications plus ou moins longues ou que le conseil pense ne pouvoir pas résister à une nouvelle tentative de conciliation. Le conseil renvoie donc ces causes devant quelques-uns de ses membres. Nous avons applaudi nous-mêmes à cette méthode, quoiqu’elle ne fût peut-être pas très légale. Mais l’éloge était à peine sorti de notre bouche que force a été à nous de nous rétracter, et nous avons compris notre erreur. Il ne faut jamais transiger avec le droit, et la forme est tutélaire ; c’est avec grand sens que les praticiens ont dit : La forme emporte le fond. Si l’on laisse la moindre issue ouverte, l’abus entre comme ami de la maison, et bientôt il commande en maître. Nous aurions persisté dans nos éloges si les prud’hommes devant lesquels une cause avait été renvoyée, après avoir tenté vainement une seconde épreuve de conciliation toujours désirable, après l’avoir fait en employant les moyens naturels résultant de leurs lumières, de leur influence, n’avaient jamais employé une espèce de violence morale pour la faire accepter ; si, après avoir porté ce coup-d’œil investigateur de l’homme expert sur les comptes respectifs des parties, ils avaient fait leur rapport au conseil, et que le conseil enfin, après avoir entendu les parties dans leurs moyens de défense, eût prononcé sa décision en recueillant les avis de tous ses membres. Mais tel n’est pas l’usage. Nous devons nous élever contre.

Le renvoi des causes en conciliation, grâce à la manière dont on le prodigue, au mystère dont on entoure la discussion, aux formes qui y président, au mutisme des rapporteurs, à la manière expéditive dont le conseil sanctionne ces rapports occultes ; ce renvoi, disons-nous, n’est plus que le huis-clos de l’ancien conseil ; l’audience publique n’est plus qu’un mensonge.

Le huis-clos est antipathique à nos mœurs, à la liberté, aux droits des ouvriers ; nous ne souffrirons pas qu’il soit rétabli sous un nom ou sous un autre, sous un prétexte, quel qu’il soit. Nous lui demandons compte en ce moment des affaires Naud contre Bender ; Nesme contre Viallet ; Imbert contre Mantelier-Neyron ; il ne les a pas conciliées, il les a étouffées.

Il est certaines causes qui ne doivent pas être soustraites au jour bienfaisant de la publicité. L’audience publique est pour certains débats un châtiment, une peine sévère. Cette crainte salutaire, on en convient, réprime elle seule plus de méfaits peut-être que la justice des hommes n’en punit. Qu’importe donc, après tout, ce que nous n’avons garde de mettre en doute, que les prud’hommes fassent leur devoir dans ces audiences à huis-clos, nous demandons le soleil de la publicité. Dans une récente conciliation, M. Gamot, prud’homme-négociant, auquel nous nous empressons de rendre justice, a répondu à M. Goybet qu’il valait mieux que la fabrique quittât Lyon que si les ouvriers ne pouvaient pas [4.2]vivre en travaillant, parole remarquable et digne d’éloges ; mais combien cette parole aurait produit un effet plus salutaire prononcée en audience publique, et combien celui auquel elle s’adressait, en aurait subi plus de honte.

En résumé, il est nécessaire de ne pas multiplier sans raison les renvois en conciliation et de prononcer en public les rapports des causes qui n’auront pas été conciliées, en admettant auparavant les parties à plaider leurs moyens respectifs ; autrement nous dénoncerons comme flagrant le rétablissement du tyrannique huis-clos.

 

LEÇON GRAMMATICALE.

monsieur Voron, le nommé Cohen et le citoyen Prost i.

Que vous êtes sots vous autres qui croyez que 1789 et 1830 ont aboli les distinctions sociales dont la vanité des hommes est si avide, détrompez-vous, elles n’ont fait que changer de nom, elles existent aujourd’hui tout aussi vivaces que dans les temps féodaux les plus reculés.

Au lieu de nobles, de prêtres et de roturiers, il y a des messieurs, des nommés et des citoyens. Le mot nommé a pour synonyme ceux d’individu, de certain, de quidam (en langage de parquet) de un homme, le sieur. Le mot citoyen se traduit aussi par des synonymes tels que patriote, républicain, prolétaire, voir même bousingot ; depuis quelque temps ce dernier mot est pris en bonne part. Quant au mot de Monsieur, oh ! celui-là il n’a pas de synonymes, il est indélébile, mais il peut être absorbé par l’article le suivi d’un nom de dignité quelconque. Ainsi posons un exemple, c’est la meilleure manière d’expliquer la règle. Supposé que nous ayons à parler de celui qui exerce à Lyon les fonctions du ministère public, il s’appelle Chegaray ; eh bien ! il faut dire : Monsieur Chegaray, ou bien le procureur du roi Chegaray, il n’y a pas de milieu, mais on ne pourrait sans injure dire : le nommé, le patriote, le citoyen, le sieur, un certain, etc. Chegaray. Avis aux rédacteurs de la Glaneuse ; ces farceurs de bousingots.

Il y a encore un cas dans lequel le mot Monsieur peut être supprimé, c’est lorsqu’on parle d’un homme illustre, mort ou vivant. Cette règle est connue, nous ne la rappelons que pour mémoire. On peut même l’étendre et l’adopter en parlant d’un personnage qui a seulement quelque célébrité, ainsi l’on peut dire : Odilon-Barrot, Garnier-Pagès, etc., mais il faut dire : [5.1]Monsieur Jars, Monsieur Fulchiron, etc. On peut dire : Anselme Petetin, Armand Carrel, etc, mais on doit dire : Monsieur d’Angeville, Monsieur de Latournelle, etc. En général on ne peut supprimer l’appellation Monsieur que là où elle pourrait sans inconvénient ni antinomie, être remplacée par celle de citoyen.

Nous allons encore fournir un exemple de l’application de cette règle. Un de ces jours derniers, trois personnes étaient dans la cour de l’Hôtel-de-Ville de Lyon, un fonctionnaire public appelé Voron, un voyageur indigent appelé Cohen, et un antiquaire appelé Prost. Eh bien ! c’est le cas d’appliquer la règle ci-dessus. Le premier doit s’appeler Monsieur Voron, le second le nommé Cohen, le troisième le citoyen Prost. Cela est facile à comprendre ; pourrait-on dire : le citoyen Voron ? non, il s’en fâcherait tout comme si l’on disait : le nommé Voron, et dès-lors il faut bien dire : Monsieur Voron ; c’est clair cela. Une querelle s’engage entre les deux premiers ; le nommé Cohen est, dit-on, malhonnête envers monsieur Voron, et dès-lors, conformément aux us et coutumes des temps féodaux, le Monsieur emploie avec justice contre le nommé, pour le faire taire, les moyens coërcitifs que les nobles employaient jadis contre les roturiers, serfs et vilains (mots tout-à-fait synonymes). Le citoyen Prost intervient, il prend fait et cause pour le nommé et il va dénoncer à un magistrat supérieur les moyens coërcitifs employés par son subordonné. Mais le magistrat supérieur ne voit là aucun grief et nous sommes de son avis. Les nommés ne doivent parler que chapeau bas et sans répliquer aux messieurs, à moins toutefois que les citoyens ne s’en mêlent activement, auquel cas la partie pourrait bien ne plus être égale pour les messieurs, à moins encore qu’il ne prenne fantaisie aux nommés de repousser les moyens coërcitifs des messieurs, par d’autres semblables. Honneur à Monsieur Voron, grâce à lui une question importante va s’agiter, celle de savoir :

Si les moyens coërcitifs sont permis aux messieurs contre les nommés.


i Il y a quelques jours un voyageur indigent se présenta au bureau des passeports. Il réclamait au chef de ce bureau, M. Voron, des secours pour continuer sa route. Il éprouva un refus que nous voulons croire être légal, ce qui ne prouverait pas qu’il fût juste ; peut-être fut-il alors malhonnête et importun, mais c’est bien la misère qui a le droit d’être malhonnête et importune si ce droit existe ; la malhonnêteté et l’importunité sont d’ailleurs en général des vices d’éducation, et sous ce rapport encore la misère est excusable. M. Voron s’emporta et s’oublia jusqu’à frapper ce malheureux. M. Prost, qui passait, épousa la querelle de cet homme indigent ; il paraît même qu’il alla se plaindre au commissaire central de police de la conduite de ce chef de bureau, et qu’il n’obtint pas de réponse satisfaisante ; cet honorable citoyen a livré à la publicité, par une lettre insérée au Précurseur (22 mars, n° 1939), la conduite de M. Voron. Ce dernier y a répondu par une lettre assez étrange, également insérée dans le Précurseur (23 mars, n°1940), et qui commence par ces mots : Le nommé Cohen, etc. On y trouve l’aveu de l’emploi d’un moyen coërcitif pour le faire taire, etc., et les expressions de un homme, le sieur, en parlant de M. Prost.

 

Au Rédacteur.

Lyon, 19 mars 1833.

Monsieur,

Une contradiction semble s’être glissée dans votre avant-dernier numéro. Vous dites au sujet de l’association commerciale d’échanges « les hommes qui ont peu ; classe la plus nombreuse au milieu de notre civilisation, et peut-être même a cause d’elle. » D’où il suivrait que si la classe pauvre est nombreuse à cause de la civilisation, la civilisation est un mal, et l’instruction qui conduit naturellement à la civilisation est aussi un mal.

Cette pensée serait affligeante ; elle serait peu d’accord avec les principes que vous avez développés jusqu’ici dans cette feuille. Vous avez, avec tous les journaux patriotes, demandé l’instruction pour le peuple, afin qu’il connaisse mieux et ses droits et ses devoirs, et sache mieux profiter des moyens que l’industrie met à sa portée pour augmenter son aisance.

Comme je chéris également et l’instruction et l’aisance, et que d’ailleurs la question est d’un intérêt majeur je vous prie, Monsieur, de vouloir bien m’éclaircir à ce sujet dans un de vos prochains numéros.

J’ai l’honneur, etc.

S. B...., chef d’atelier.

note du rédacteur.

Le chef d’atelier dont nous venons d’insérer la lettre se trompe dans les conséquences qu’il tire de nos paroles. Il leur donne un sens [5.2]qu’elles sont loin d’avoir. Peut-être ne nous sommes-nous pas suffisamment expliqués ; nous allons le faire en peu de mots. Nous avons dit, et nous soutenons vrai, que l’existence de la classe si nombreuse des hommes qui ont peu est le résultat de la civilisation. Avons-nous eu tort de ne pas ajouter actuelle ; cela était facile à comprendre quoique sous-entendu. Nous appelons de tous nos vœux une civilisation plus avancée, car alors disparaîtra la classe des hommes qui n’ont rien, une fusion s’opérera en même temps entre la classe des hommes qui ont tout et celle des hommes qui ont peu, classes actuellement en état permanent d’hostilité. Les lumières et l’industrie auront tout nivelé. – Que cet état de choses, fruit d’une civilisation complète et qu’il est facile aujourd’hui de prévoir, est différent de la civilisation actuelle. Cette dernière a ôté à l’homme les avantages de l’état de nature, et elle lui dénie ceux qui doivent être le but de la société. M. S. B.... doit nous comprendre. Qu’est le prolétaire aujourd’hui ? Rien. Dans l’état de nature son titre d’homme était suffisant. Il a donc perdu dans cette transition de nature à l’état social, et ce n’est que par l’instruction qu’il pourra parvenir à retrouver dans l’état social les bienfaits de l’état naturel, augmentés de tous ceux de l’industrie et de la science. Cette thèse, on le voit, est vaste, nous n’avions pas entrepris de la traiter en parlant de l’association commerciale d’échanges, et nous ne prétendons pas non plus la discuter ici ex-abrupto comme par ricochet. Nous nous arrêtons sauf à y revenir si l’occasion se présentait d’une manière large et complète, mais nous devions une explication à M. S. B.... nous nous sommes empressés de la donner.

 

souscription nationale en faveur
de m. 
laffitte.

Nous venons de recevoir du rédacteur en chef du Précurseur la lettre suivante :

au rédacteur.

Lyon, 28 mars 1833.

Monsieur,

Une souscription a été ouverte parmi les patriotes pour prévenir le scandale d’une vente par expropriation forcée exercée contre un homme qui a pendant trente ans donné des preuves sans nombre de dévoûment aux intérêts des travailleurs et d’amour pour le peuple.

Cet homme a aussi rendu d’immenses services à la royauté : mais la royauté ne s’en souvient plus. – C’est au peuple à prouver qu’il n’est pas coupable de l’ingratitude que les flatteurs de la monarchie nous ont si long-temps reprochée ; c’est aux travailleurs à donner encore cette leçon aux classes oisives, et à démontrer que la délicatesse du cœur se rencontre toujours là où le travail a fondé la moralité.

Ce serait donc, ce me semble, Monsieur, une bonne pensée que d’ouvrir dans l’Echo de la Fabrique une souscription où la modicité des dons n’empêcherait pas de reconnaître un sentiment de gratitude patriotique pour un grand citoyen.

La commission nommée hier dans les bureaux du Précurseur, pour organiser cette souscription et en diriger tous les détails, se compose de MM. Quantin, Teulié, Castellan, Mestre, Jules Seguin, Bouttet jeune, Charles Dépouilly, Chèze, Jules Favre et Malacourt ; vous pourrez vous adresser à l’un de ces messieurs pour régler tout ce qui concerne cette souscription.

Pardonnez-moi, Monsieur, cette sollicitation peut-être indiscrète et recevez, etc.

Anselme Petetin.

Nous nous empressons de satisfaire à la demande de notre confrère. Les convenances seules avaient pu nous empêcher de prendre à cet égard l’initiative. Dès ce jour la souscription est ouverte au bureau de l’Echo. Dans notre prochain numéro nous publierons la première liste des souscripteurs qui répondront à cet appel fait en faveur d’un grand citoyen auquel les patriotes pardonnent l’erreur d’un jour en considération de son beau caractère, des services qu’il a rendus à son pays et à l’industrie.

 

L’Avis Sanitaire de 1833 qui vient de paraître, contient de nouvelles observations des consommateurs du Café de Santé et du Café-Chocolat, qui ajoutent encore [6.1]à la confiance que ces comestibles méritent à juste titre, puisque l’expérience confirme de plus en plus leur utilité. (Voyez les Annonces.)

 CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

(présidé par m. putinier.)

Audience du 28 mars 1833.

D. Un négociant peut-il diminuer à la seconde coupe ou poil de peluche, le prix dont il est convenu avec le chef d’atelier, lorsque ce dernier a accepté la pièce ? – R. Non. Le négociant ne peut changer le prix convenu pour la pièce, qu’autant que les dernières coupes diffèrent entièrement de réduction.

Le sieur Régnier faisait comparaître les sieurs Pitiot et Gariot, et réclamait contre une diminution qui lui avait été faite sur les dernières coupes de la pièce ; il n’avait, disait-il, pris la pièce que pour la fabriquer au même prix et dans les mêmes réductions, mais il convenait que la seconde coupe était moins réduite que la première et la troisième. MM. Pitiot et Gariot déclarent être dans le droit de changer un prix convenu en donnant la pièce, prétendant que c’est le poil et non la toile qui doit régler les prix, de la peluche dont le cours peut varier pendant le temps que se fabrique la pièce, ils ajoutent même que le sieur Régnier était libre de se refuser à fabriquer la troisième coupe.

« Attendu que lorsque le chef d’atelier a accepté la pièce, il a été stipulé un prix auquel il est convenu de la tisser entièrement ; attendu qu’il n’y a eu de changement que dans la réduction de la seconde coupe, mais attendu que la troisième coupe est de la même réduction que la première, le conseil ordonne que la troisième pièce sera portée au même prix que la première, 2 fr. 75 c. La seconde coupe, seulement du consentement de l’ouvrier, sera payée 2 fr. 50 c. Pitiot et Gariot condamnés aux dépens. »

D. Les décisions du conseil précédent ont-elles force de chose jugée, quoique non enregistrées ? – R. Non. Les décisions ou jugemens du conseil ne sont valables qu’autant qu’il y a enregistrementi.

Les sieurs Mantelier et Neyron étaient les seconds créanciers sur les livrets du sieur Imbert, chef d’atelier. Pendant l’absence de ce dernier, et celle du sieur Cadier, premier créancier inscrit sur les mêmes livrets, et qui avait négligé de retirer ses retenues, intervint une décision du conseil, qui plaça les sieurs Mantelier et Neyron au rang de premiers créanciers, mais cette décision, suivant l’usage abusif de cette époque, ne fut pas enregistrée. Mantelier et Neyron, cependant, réclamaient les retenues qu’avaient dû faire à leur profit les sieurs Rebeyre et Favier, qui occupent le sieur Imbert. Ces négocians s’étaient, du consentement du sieur Imbert, refusés à payer la retenue à Mantelier, et de là l’instance devant le conseil.

« Attendu que le jugement dont excipent Mantelier et Neyron, n’est pas enregistré, que dès-lors il n’y a pas [6.2]de jugement ; attendu que Mantelier et Neyron ne contestent pas que Cadier fût réellement le premier créancier, mais seulement prétendent que par sa négligence à retirer ce qui lui est dû, ils doivent passer premiers créanciers à sa place, le conseil déboute les sieurs Mantelier et Neyron, et déclare que les sieurs Favier et Rebeyre devront payer les retenues au sieur Cadier reconnu premier créancier. Mantelier et Neyron condamnés aux dépens. »

D. Lorsqu’il est constant qu’un ouvrier n’a pas confectionné avec l’habileté requise la pièce qui lui était remise à tisser, cet ouvrier peut-il demander au négociant qui refuse de lui continuer de l’ouvrage : une indemnité pour le montage de son métier ? – R. Non.

Le sieur Pavy fils réclame contre une première décision du conseil, qui avait concilié ses différends avec le sieur Trolliet ; par cette décision il devait payer une somme de huit francs pour défraiement à ce dernier, attendu que le métier n’a fait qu’une pièce de 40 aunes, dont la façon se monte à 48 fr. M. Pavy trouve suffisante la somme de quatre francs pour le remettage de la pièce, et prétend ne rien devoir pour le montage. Il déclare ne pouvoir donner une autre pièce, parce que le sieur Trolliet n’a fabriqué qu’environ une aune et demie par jour, au lieu de trois que peut fabriquer un bon ouvrier.

Le sieur Trolliet dit qu’aucune époque ne lui avait été fixée pour terminer la pièce. Il déclare avoir fait 40 fr. de dépenses pour organiser le métier, il termine en disant qu’il s’en rapporte à la première conciliation, qui lui alloue 8 fr. en sus des 4 fr. offerts par le sieur Pavy.

« Attendu la lenteur du métier, les 4 fr. pour le remettage restent alloués au sieur Trolliet pour toute indemnité. »

Note du rédacteur. Il résulte de ce procès, que ceux qui ont prétendu que la maison Pavy n’avait point de difficultés avec ses ouvriers et les payait généreusement, ont calomnié cette maison.


i Il résulte de ce jugement que toutes les décisions des prud’hommes, antérieures à ce jour, non enregistrées, sont nulles de plein droit. Les ouvriers qu’elles lèsent peuvent n’y avoir aucun égard. Le conseil n’a peut-être pas cru aller si loin. Les prud’hommes actuels ne légueront pas à leurs successeurs un semblable embarras. Toutes leurs décisions sont soumises à la formalité de l’enregistrement comme celles des autres tribunaux. L’Echo se félicite d’avoir contribué à ce résultat.

 

Cour d’Assises du Rhône.

25 mars. – M. Berthaud, jeune poète d’un grand talent, accusé du délit d’offense envers la personne du roi, pour la publication de la 4e livraison d’Asmodée, satire politique, intitulée : Au roi, a été acquitté. Il était défendu par Me Michel-Ange Perrier ; il a prononcé pour sa défense un discours en vers que nous regrettons de ne pouvoir insérer dans nos colonnes. (On le trouve chez les libraires au prix de 50 c. Nous engageons les patriotes et les amis des beaux-arts à se le procurer.)

M. Perret, imprimeur, a été déchargé de l’accusation de complicité qui pesait sur lui ; sa défense a été présentée par Me Charassin.

– M. Anselme Petetin, rédacteur en chef du Précurseur, a été condamné à 2 mois de prison et 3,000 fr. d’amende pour une note insérée dans son journal relative à une souscription en faveur de Jeanne, dans laquelle les événemens de Paris des 5 et 6 juin dernier étaient qualifiés de guet-à-pens politique. La brillante plaidoierie de Me Jules Favre faisait espérer un résultat différent.

27.– M. Granier, gérant de la Glaneuse, a été condamné par défaut à 20 mois de prison et 3,500 fr. d’amende.

30.– L’affaire de M. Petetin, accusé de diffamation envers M. Chegaray, a été renvoyée aux prochaines assises.

 

Sur M. Ch. Fourrier et du Phalanstère.

(Suite et fin, voy. n° 12.)

Aujourd’hui, dans le Phalanstère, M. Fourrier ne se borne pas à une critique amère du présent, il essaie de [7.1]jeter les fondemens d’un ordre nouveau. Dans ses spéculations hardies, il pose pour premier principe cette idée gigantesque, mais entachée de paradoxe, que le monde moral doit être la traduction du monde physique. Sans doute il y a unité de plan dans l’univers, et la sagesse de l’ensemble doit se retrouver dans chaque détail ; on sent que lorsque l’humanité sera organisée selon les vues providentielles, le mouvement de la société devra se trouver en harmonie avec le mouvement universel ; mais en poussant les conséquences de ces principes jusque dans leurs derniers retranchemens, il tombe dans l’exorbitant et le ridicule. Il annonce que les divers groupes de l’association humaine devront, dans leurs combinaisons, leurs nombres, dans leurs fonctions relatives, présenter une image des phénomènes généraux de tout ordre (ordre astronomique, physique, physiologique, etc…) : d’où il résulte, à cause de la corrélation des deux ordres, matériel et moral, qu’il suffirait de bien connaître l’organisation sociale définitive, pour avoir la clé de toutes les sciences, pour être en état de déterminer les rapports de tous les faits observés : idée trop systématique pour être vraie.

En regard et comme vérification de ses idées sur l’association humaine, M. Fourrier s’applique dans ses différens ouvrages à montrer, dans les phénomènes généraux des ordres les plus divers, la confirmation par analogie des détails qu’il présente sur cette association. Appuyé sur le principe que je viens d’exposer, il ne craint même pas d’entrer dans l’explication des faits qui tiennent aux valeurs numériques, comme nombre et distances des planètes, attribution et nombre des satellites, distribution des formes géométriques dans le règne minéral, des organes dans les règnes organiques, des courbes gracieuses dans la configuration humaine. Il aborde, en un mot, cette question mystérieuse de la raison des nombres, sur laquelle s’est évertué le génie sublime de Kepler, et que les savans modernes ont complètement abandonnée, depuis que Newton, par la nature et l’influence de ses travaux, a fait passer en principe qu’on doit introduire dans le calcul les résultats de l’observation comme des données, sans se mettre en peine de qui les donne et du pourquoi elles ont été données telles au monde et non pas autres. Mais M. Fourrier n’ayant pas exposé en détail ses règles d’analogie universelle, les résultats auxquels il est conduit n’apparaissent souvent que comme des allégories ingénieuses ; d’autres fois il est tellement en dehors des idées vulgaires, qu’il semble entraîné dans une poésie toute fantastique.

Ainsi, suivant lui, la planète que nous habitons aura pour durée 80,000 ans, terme de la vie humanitaire. Elle vit d’une vie qui lui est propre, elle entre à peine dans sa puberté, ce qui est rendu sensible par le fluide prolifique qu’elle exhale dans ses velléités au moyen des aurores boréales qui se multiplient. L’imagination la plus riche et la plus riante peut à peine se former une idée des miraculeuses productions qui couvriront bientôt sa surface, si nous favorisons ce développement par une culture harmonienne. Ces espèces nouvelles vont apparaître à sa surface : les anti-lions, les anti-tigres, les contre-moules détruiront nos animaux malfaisans. L’encroûtement des pôles cessera, et les contrées boréales se couvriront d’orangers et de palmiers. L’amertume de la mer va s’adoucir, et bientôt, à l’aide des volcans, l’homme évaporera ses eaux, dont la retraite offrira un terrain vierge à son activité. Ces vapeurs s’étaleront en un vaste parasol, et comme un anneau autour de l’équateur [7.2]pour garantir la zone torride des feux du soleil. Alors une nouvelle morale plus adaptée aux besoins de l’homme sera promulguée ; l’on ne formera plus de ces unions d’individu à individu, froides, rebutantes, à glacer la vie, à pétrifier l’imagination. Parlez-moi d’un groupe matrimonial de onze hommes et de dix-sept femmes, ou mieux encore de quatre femmes et de sept hommes : celui-ci est le plus harmonique de tous, il est réservé aux artistes. Cependant la copulation de la terre avec Sirius et Aldéboran produira des hommes qui auront d’autres organes, dont les dents repousseront, etc., etc., et alors il s’établira une vaste société intellectuelle entre la terre et les autres planètes. Alors commencera dans les cieux une magnifique et ravissante épopée qui sera chantée par les constellations les plus lointaines.

Oh ! que c’est tomber de bien haut que de parler après cela de notre monde rabougri, de nos poèmes héroïques cycliques, de notre société à l’envers, de notre littérature fantastique ! Misère que tout cela ! Je n’ai que faire de vos richesses orientales, des palais de diamant, des trésors d’Aboulcasem et de la science des génies, lorsque M. Fourrier nous initie à la poésie de l’univers, et tient en réserve des conceptions plus hardies encore. Que Dieu prête l’oreille à M. Fourrier.

 Coups de navette.

Demain les façons seront augmentées dans tous les magasins d’un tiers environ. Les négocians ont enfin compris qu’il fallait que l’ouvrier vécût en travaillant.

Les articles 415 et 291 du code pénal ont été abrogés. La loi sera promulguée demain.

M. Goujon arrive demain à Lyon ; il a consulté les lumières du barreau de Paris, et il n’apportera plus aucune entrave au droit de libre défense.

On prétend que Latour de nelle ne vaut pas grand chose. Vu notre peu de connaissance en matière de spectacle, nous le demanderons à MM. de la Glaneuse et du Précurseur.

M. Et. Gaut.... vient de promettre 25,000 fr. pour la souscription Laffitte. Il a déjà promis 25,000 fr. aux ouvriers, en novembre 1831. Il va se ruiner… en promesses.

Une compagnie d’assurance mutuelle vient de se former à Lyon contre les moyens coërcitifs de MM. Voron et consorts.

AVIS DIVERS.

(168) prométhéides, revue du Salon de 1833, 12 livraisons. Les quatre premières ont déjà paru ; la dernière paraîtra le 25 mai prochain au plus tard. Les souscripteurs recevront à cette époque une table des matières et un titre qui contiendra le nom des deux auteurs de cette revue, qui jusque-là gardent l’anonyme. On souscrit chez Armand-Cristophe, au Cercle Littéraire ; boulevard Bonne-Nouvelle, n° 2. – Prix : 12 fr. pour les douze livraisons, franc de port. – Chaque livraison détachée, 1 fr. 50 c.

(180) Tablettes historiques ou journal des faits politiques, administratifs, scientifiques, commerciaux, industriels, agricoles et littéraires. – Ce journal paraît tous les mois par cahier de 32 à 56 pag., in-12, prix : 50 c. par mois, 6 fr. pour l’année. Les abonnés recevront gratuitement le 1er janvier de chaque année trois exemplaires sur grand papier, en forme de tableau synoptique d’un almanach historique et récapitulatif des événemens de l’année précédente. On s’abonne à Paris, chez M. Dupont, imprimeur, rue Grenelle-St-Honoré, n° 55.

[8.1]Pastilles de Lepère
Contre les Rhumes et les Catharres.

Au moyen de ces pastilles on obtient, en quelques jours, la guérison complète des rhumes les plus opiniâtres, et l’on empêche les catharres de dégénérer en phthisie. Ce remède a procuré et procure chaque jour un si grand nombre de guérisons remarquables par leur promptitude et par leur solidité, qu’en peu de temps il s’est acquis la plus excellente réputation, quoique M. LEPÈRE ne l’ait placé sous le patronage d’aucun nom célèbre.
Prix : Une dose contre le rhume : 2 f. 25 c.
Une dose contre les catharres : 1 f. 75 c.
Une seule dose de 2 f. 25 c. suffit pour guérir un Rhume.
Les pastilles ne se trouvent que chez M. lepère, pharmacien, place Maubert, n. 27, à Paris.
Les dépôts sont chez M. Deschamps, pharmacien, à Lyon ; M. Gauthey, pharmacien, à Lyon ; M. Couturier, pharmacien, à St-Etienne.
Chaque boîte est renfermée dans une enveloppe revêtue du cachet et du paraphe de M. LEPÈRE. (179)

[178] l’avis sanitaire pour 1833, contenant les nouvelles observations des consommateurs du café de santé et du café-chocolat rafraîchissant dit de la Trinité, se trouve en lecture dans tous les cabinets littéraires, et se distribue gratis dans les dépôts.
A Lyon, chez MM. Paillasson frères, négocians, rue Lanterne, n° 1.
Les personnes habitant les localités où il n’y a point de succursales, s’adresseront avec les renseignemens d’usage à la maison générale, rue Beauregard, n° 6, Paris.

MALADIES DE POITRINE.
Le Sirop pectoral de Vélar, approuvé des facultés de médecine comme le plus puissant spécifique dont on puisse faire usage contre les rhumes, catarrhes, asthmes, irritations d’estomac et de poitrine, les crachemens de sang ou émopthisie, transpiration arrêtée, vulgairement appelée chaud et froid, et contre la coqueluche, se vend chez courtois, ancien pharmacien interne des hôpitaux civils et militaires, place des Pénitens-de-la-Croix, à St-Clair, près la Loterie. L’efficacité de ce Sirop est constatée par de nombreuses guérisons mentionnées au prospectus qui accompagne les flacons.
avis relatif au sirop de vélar.
M. Courtois prévient les personnes qui sont dans le cas de faire usage du Sirop de Vélar, qu’il n’a établi des dépôts de ce Sirop chez aucun pharmacien ni autre personne de Lyon. C’est donc un mensonge manifeste que plusieurs pharmaciens prétendent tirer ce Sirop de sa pharmacie, et une pure jonglerie. En conséquence, les personnes qui tiennent à du Sirop de Vélar de la pharmacie Courtois, sont prévenues qu’elles n’en trouveront que chez lui. (176)

(170) A remettre de suite, par cessation de commerce, bien au-dessous du prix et avec facilités pour le paiement, un atelier de sept métiers avec son dévidage et les ustensiles d’un magasin propre à la fabrication des étoffes de soie ; si on le désirait on pourrait continuer à fabriquer pour son compte, ayant déjà une clientèle formée, et on donnera la suite du bail. S’adresser à la Grand’Côte, n° 15, au 2e, chez M. Favrot.

(181) A vendre, atelier de 5 métiers en 600 et 900, avec tous les accessoires. S’adresser au bureau du journal ou chez M. Suiffet, rue du Charriot-d’Or, n° 11, au 2e, à la Croix-Rousse.

(182) A vendre, 2 métiers de crêpe de Chine, 4|4 et 5|4, et 2 mécaniques en 400 et 600. S’adresser rue Juiverie, n° 16, au 1er.

(183) A louer de suite, à Tarare, hors l’octroi, vaste bâtiment propre à une fabrique de 30 à 40 métiers et leurs dépendances, cour et grand jardin. S’adresser au bureau.

[132] A vendre deux métiers de lancés en 5/4 et 6/4, travaillant en chals cairés à corps et à lisse, ayant chacun une mécanique en 600, avec ou sans l’appartement et suite de bail ; chez Mme Bonneton, à la Guillotière, rue Basse, n° 6, au 4e, maison Comballot, près le pont.

(160) A vendre, pour cause de départ, un atelier de 4 métiers complets, dont 2 propres à la fabrication de velours façonnés, et les 2 autres pour courans. Le tout à un prix très-modique. S’adresser au bureau.

[8.2](159) L’on désire un jeune homme de 14 à 17 ans, pour apprendre un état lucratif.
S’adresser chez M. Molard, boulanger, cours d’Herbouville, n° 2.

(166) A vendre un atelier de mouchoirs et rubans, composé de 5 métiers de 400, 600 et 900.
S’adresser au bureau.

(155) A vendre ensemble ou séparément, un superbe atelier de 5 métiers, articles nouveautés à la Jacquard, et facilités pour le paiement. S’adresser au bureau du journal.

(157) A vendre de suite un atelier de 4 métiers d’unis en activité, une mécanique ronde, avec tous les accessoires et suite du loyer. S’adresser au bureau.

(174) A vendre, un métier de courant, en 10 chemins et mécanique en 400. S’adresser à M. Defisse, rue Bouteille, n° 15, au 3e.

(175) A prendre un métier de maître tout complet, en unis, pour le prix de 8 fr. par mois ; on fournira aussi le lit. S’adresser chez M. Guyon, rue Tholozan, n° 6.

[169] Le sieur david, mécanicien, à Lyon, place Croix-Pâquet, breveté pour les nouvelles mécaniques rondes, longues et en fer à cheval, à devider et à faire les cannettes, ensemble ou séparément, prévient qu’il va y adapter un nouveau moyen qu’il a inventé pour arrêter les cannettes à plusieurs bouts quand un des fils casse, moyen qui donne en même temps une égale tension à tous les fils. Il fait observer que ces nouvelles mécaniques à canettes sont des plus avantageuses, pouvant, sur une petite mécanique en forme de fer à cheval, avec un seul rang, faire 10 à 12 cannettes à tant de bouts que l’on désire, 20 et 24 sur deux rangs, et avec la facilité de ne pas tendre beaucoup les bras ; elles se font à la flotte pour coton, fantaisie, tibé, etc.
Il fait des échanges de ces nouvelles mécaniques contre les anciennes qu’il revend à bon marché.

[137] tranchat, mécanicien, rue du Commerce, n° 18, vient d’obtenir un brevet d’invention et de perfectionnement, pour le procédé qu’il vient d’ajouter à ses cannetières par lequel la cannette s’arrête aussitôt qu’un des bouts casse, ou que la soie d’un roquet est employée ; il reste toujours hors la cannette une longueur de 8 pouces de soie pour nouer. Ces cannetières offrent non-seulement l’économie de la matière et de la main-d’œuvre, mais l’avantage de donner à l’étoffe toute la régularité, la propreté et l’éclat dont elle est susceptible. Le crémage, les trames rebouclées ou tirantes sont impossibles, et les lisières parfaites par l’emploi des cannettes provenant de ces cannetières, qui les font également à quel nombre de bouts que ce soit.
Le sieur Tranchat tient aussi magasin de mécaniques à la Jacquard, de mécaniques à devider, de moulinages. Il fait ses cannetières propres à faire autant de cannettes qu’on le désire. On peut les voir en activité chez MM. Morel, rue des Tables-Claudiennes,14, et Martinon, place de la Croix-Rousse, n° 17.

[120] au rabais.
Joinon, chapelier, quai Monsieur, n° 122, prévient le public qu’il tient un assortiment de chapeaux de feutre, feutre pour gilets et autres usages dont il démontrera l’utilité.
Les prix réduits pour les chapeaux, de 20 à 15 fr,
Idem. de 15 à 12 fr.
Idem. de 12 à 9 fr.
On cédera également au rabais les gilets et le feutre en pièce.

(184) A vendre, atelier de 4 métiers de velours façonné à cointre, avec tous leurs accessoires. On cédera aussi l’appartement. S’adresser chez M. Collomb, à la Croix-Rousse, rue Dumenge, n° 1, au 3e.

avis.
Une pièce mousseline, soie écrue, a été perdue vendredi soir, de la place Croix-Pâquet à la place des Terreaux. Les personnes qui l’auront trouvée sont priées de la rapporter au bureau du journal. Il y aura récompense.

(173) Une Compagnie d’assurance mutuelle et générale des créances hypothécaires vient de se former à Paris. M. Marius Chastaing a été nommé son directeur à Lyon. Les personnes qui désireraient se mettre en rapport avec cette société, soit pour placer leurs fonds, soit pour emprunter, sont priées de s’adresser à lui, dans son cabinet, rue du Bœuf, n° 5, au 2e ; où il est visible tous les matins jusqu’à onze heures, et le soir de quatre à six heures.

Notes (Les personnes dont l’abonnement est expiré,...)
1 Exceptionnellement, les notes critiques de ce numéro seront publiées la semaine prochaine.

 

 

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