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7 avril 1833 - Numéro 14
 
 

 



 
 
    

Les ouvriers tailleurs de pierre1

accusés de coalition.

Les ouvriers tailleurs de pierre ont fait, il y a près d?un mois, des conventions avec les maîtres tailleurs de pierre : un tarif a été librement arrêté entr?eux tous. Quelque temps après un sieur Rivière, signataire des conventions, n?a plus voulu s?y soumettre ; ses ouvriers ont quitté son chantier et ont cherché ailleurs un travail mieux rétribué. Rivière a porté plainte, et les sieurs Châtelet, Morateur et Breysse ont été arrêtés comme coupables de coalition et coupables en outre d?avoir fait cesser le travail dans le chantier de Rivière. Ces trois pères de famille ont paru devant le tribunal correctionnel après huit jours de détention. Le tribunal les a acquittés et n?a pas même cru devoir entendre leur défenseur, Me Chanay. Ils pensaient être mis en liberté, mais le procureur du roi a interjeté appel, et des hommes qui sont nécessaires à leur famille, sont ainsi détenus préventivement parce que tel est le bon plaisir de M. Chegaray. Il a, nous le savons, usé de son droit, mais le vice de nos lois ne devrait-il pas être amendé par la sagesse de nos magistrats. Quel danger y a-t-il pour la société dans la mise en liberté d?hommes qui, s?ils étaient coupables, n?auraient à craindre qu?une condamnation à quelques jours de prison. Pourquoi cette punition préventive, sans utilité pour la société, sans compensation pour les malheureux qui y sont soumis.

Allons plus loin : les ouvriers tailleurs de pierre ne [1.2]sont ni plus ni moins coupables que les ouvriers en soie, que les ouvriers tullistes. Les circonstances sont identiques. D?où vient qu?on emploie une manière de procéder différente ? Les ouvriers en soie, les ouvriers tullistes n?ont pas été soumis à une arrestation préventive ; les premiers n?ont pas même été poursuivis. La justice cependant ne doit pas avoir deux poids et deux mesures. Voudrait-on laisser croire que les ouvriers en soie n?ont dû leur liberté qu?à la crainte que leur nombre inspirait, et non à la justice de leur cause, à la sympathie du pouvoir pour la classe prolétaire ? De deux choses l?une, ou M. Varenard ne fit pas son devoir en octobre 1831, ou M. Chegaray fait plus que le sien en mars 1833 ; et lorsqu?il s?agit de pénalité, faire plus que son devoir a quelque chose qui répugne, quelque chose qu?on pourrait qualifier d?un nom différent.

Comme nous l?avions prévu, cette question grave des coalitions, esquivée lors de l?affaire des ouvriers tullistes, se reproduit aujourd?hui à propos d?une autre classe de travailleurs ; il faudra bien qu?elle subisse la publicité de l?audience et de la presse ; Me Chanay, dans sa plaidoierie pour le républicain Monier, nous a prouvé qu?il était à la hauteur de toute question ; il ne faillira pas en cette occasion, nous le croyons du moins, aux espérances qu?il a fait concevoir aux amis de la liberté.

Les ouvriers tailleurs de pierre trouveront dans l?Echo de la Fabrique un appui naturel à leur cause ; car nous nous empressons de leur l?offrir ; car nous ne voulons pas qu?on oublie que l?Echo de la Fabrique, quoique journal d?une industrie spéciale, est aussi celui de la classe laborieuse tout entière ; il est la tribune du prolétariat. Toutes les industries sont solidaires pour la répression des abus, des privilèges, pour l?adoption de ce principe sacré qui fait la base du droit des hommes salariés : Vivre en travaillant.

L?article 415 du code pénal, qui proscrit les coalitions d?ouvriers, n?est plus en harmonie avec nos m?urs, puisque ces m?urs viennent de proclamer l?émancipation physique et morale des prolétaires, cet article doit donc disparaître du code de nos lois.

Nous reviendrons sur ce sujet important. Puissent ces quelques réflexions être utiles ou apporter au moins quelque soulagement aux maux qu?éprouvent nos frères les tailleurs de pierre qui sont sous les verroux.

Notes (Les ouvriers tailleurs de pierre accusés de...)
1 Les soyeux à travers leur organe se déclarent ici solidaires d?un tout autre corps de métier. L?épisode est significatif et marque une étape nouvelle ; les vieux réflexes corporatifs sont de moins en moins mobilisés dans la lutte et l?idée d?association commune à tous les travailleurs se développe. Un élément renforce la thèse d?une étape cruciale : peu de temps après les tailleurs, associés, vont remercier les canuts dans les pages de L?Écho de la Fabrique pour leur avoir apporté leur soutien. Ils souligneront : « De tant de faisceaux séparés ne formons qu?un seul faisceau ; les travailleurs ne peuvent améliorer leur sort que par une association toute fraternelle » (numéro du 21 avril 1833). Mais le lien continue ici à s?éprouver, à se renforcer : la commission de surveillance de L?Écho de la Fabrique retourne, un peu plus tard encore, les remerciements aux tailleurs insistant encore sur l?idée que « les travailleurs ne peuvent améliorer leur sort que par une association toute fraternelle » (numéro du 12 mai 1833).

 

 

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