suite (Voy. l’Echo, n° 7, pag. 51).
L’orphelin. – Voici un fait qui prouve combien le crime n’est souvent que le résultat de la misère, et combien l’organisation de la société actuelle a besoin d’être améliorée, et pour la sûreté des riches, et pour le bien-être des malheureux.
A l’audience de la police correctionnelle de Niort, département des Deux-Sèvres, comparaissait un malheureux : Joseph… est le nom que lui donnait l’accusation. [6.2]Il était prévenu d’avoir volé une chemise. – Comment vous appelez-vous, lui demande M. le président ? – Je n’en sais rien, répond Joseph en balbutiant, et en poussant des sanglots. – Où êtes-vous né ? – Je l’ignore.– Quel âge avez-vous ? – Je ne l’ai jamais su. – Avez-vous volé cette chemise ? Son silence et ses larmes faisaient assez comprendre qu’il n’osait en convenir. Aussi a-t-il été condamné à treize mois de prison. Treize mois de prison pour avoir volé une chemise lorsqu’il était sans pain.
Ainsi cet infortuné sort de l’hôpital1, où il avait été jeté sans pitié dès sa naissance, et d’où il est sorti sans ressource pour entrer dans une prison où il va se pervertir. Rentré au sein de la société qui le repoussera, malgré les reproches qu’il est en droit de lui adresser, que fera-t-il, quel moyen aura-t-il pour devenir meilleur ? Apprendra-t-il dans les cachots l’état que dans l’hôpital on n’a pas su lui donner ? Qui lui fournira les instrumens du travail ? Où trouvera-t-il le crédit nécessaire pour attendre le prix de son labeur ? Le voilà donc placé pour toute sa vie entre la misère et l’échafaud ? Que de réflexions ce rapprochement doit faire naître !
Le forçat libéré. – Un fait bien capable de démontrer dans toute sa laideur l’une des plaies les plus vives de la société actuelle, vient de se passer ces jours derniers à Epinal (Vosges). Le nommé Alexis Denizot, forçat libéré, venait de sortir de la prison où il avait été renfermé pour avoir rompu son ban ; et il était renvoyé de nouveau à Mattaincourt, son pays, pour y être replacé sous la surveillance de la police du lieu. Mais cet homme qui se plaignait de n’avoir aucun moyen d’existence et de ne pouvoir dans ce village trouver personne qui voulût l’occuper, revint bientôt à la mairie déclarer qu’il n’était pas sorti de la ville, et qu’au contraire, pour se faire remettre bien vite en prison, afin de vivre, il avait à l’instant commis plusieurs vols chez divers marchands, et pour preuve il montrait une blouse neuve prise chez l’un, un pain volé chez un autre, etc. Ses réponses au juge d’instruction qui l’a interrogé sont bien simples. « J’ai volé, dit-il, mais sans me cacher et simplement pour me faire mettre en prison ; tâchez d’arranger cela, M. le juge, pour que je retourne d’où je viens ; car au moins, dans ce régiment-là, j’avais du pain en travaillant. »
Société ! société ! que tu es cruelle pour tes enfans, et que vous êtes aveugles, hommes riches et durs qui vous êtes chargés de la diriger ! Avons-nous besoin de mêler nos tristes réflexions aux récits simples et vrais que nous venons de présenter à nos lecteurs. Nous ne nous en sentons pas le courage. Nous crierons seulement pitié pour tant de misères que chaque jour révèle, et combien sont ignorées, passent inaperçues ! Le monde ne s’émeut qu’au fracas d’un trône qui s’écroule, d’une grande fortune qui périt. Insensé, il voit avec indifférence l’infortuné obscur qui meurt de faim et de froid, la pauvre mère, qui résume en elles toutes les douleurs de l’indigence. O ! l’aspect des temples qui tombent de vétusté, des palais, des châteaux, des hôtels, royales et financières demeures, qui changent de maître ou couvrent la terre de leurs fastueux débris, est moins sensible à l’homme sage que la vue de la chaumière du prolétaire qui, en disparaissant, laisse celui qui l’habitait en proie à toutes les horreurs de la misère, que la vue surtout d’un seul homme, victime des besoins de la vie, sans pouvoir les soulager, au milieu de ses frères insoucieux. L’hôpital, le bagne, la mansarde, la prison ! Législateurs, méditez là-dessus ! adoucissez, [7.1]guérissez ces plaies de l’ordre social, filles de la civilisationi, et vous aurez enfin bien mérité de la patrie. Hâtez-vous !
Marius Ch......g.