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21 avril 1833 - Numéro 16
 

 




 
 
     

Les personnes dont l?abonnement est expiré, sont priées de passer au bureau pour le renouveler.

Nous publions sans commentaire l?adresse suivante des ouvriers tailleurs de pierre aux ouvriers en soie, car nos paroles seraient trop au-dessous des sentimens que sa lecture fait naître.

Nous remercions, en ce qui nous concerne, les ouvriers tailleurs de pierre du souvenir honorable qu?ils veulent bien nous accorder. Il nous est doux de recevoir au milieu du combat et avant la victoire, le salaire de nos faibles mais consciencieux travaux.

Nous avons encore beaucoup à faire pour être dignes de cette récompense ; nous le ferons. Nous puiserons de nouvelles forces dans ce témoignage de la sympathie de nos concitoyens. Forts de cet appui que nous trouvons dans l?opinion publique, nous continuerons, sans craindre les entraves que les ennemis de la cause sacrée à laquelle nous avons voué notre existence, pourraient nous susciter, nous continuerons à marcher d?un pas ferme vers le but que nous nous sommes proposé : l?émancipation physique et morale de la classe prolétaire. Dieu et la liberté nous soient en aide. God and liberty (Voltaire à Franklin)1.

Aux ouvriers en soie.
Nous nous empressons de vous manifester notre reconnaissance [1.2]pour la généreuse sympathie que vous avez témoignée pour nos frères détenus : le journal qui s?est spécialement consacré à la défense de vos intérêts, s?est hâté de nous offrir son appui ; nous sommes heureux et fiers de cette bienveillance. Le temps n?est plus où nos industries se poursuivaient d?injures et de violences mutuelles ; nous avons enfin reconnu que nos intérêts sont les mêmes, que loin de nous haïr, nous devons nous aider, et qu?un esprit de confraternité doit nous unir tous. De tant de faisceaux séparés ne formons qu?un seul faisceau : les travailleurs ne peuvent améliorer leur sort que par une association toute fraternelle ; puisse votre exemple amener enfin l?oubli de toute funeste rivalité ; puissent toutes les professions se donner la main ! A vous appartiendra l?honneur d?un aussi noble résultat.

Recevez en particulier, M. le rédacteur, l?expression de notre gratitude pour vos généreux et constans efforts en faveur de la cause sainte de l?émancipation des prolétaires.

Pour nos frères, les tailleurs de pierre :

Signés : Savigny, Doyen, Tissier cadet, Tissier aîné, Baron, Berger, Taboulat, Louis Aimard, Gentil, Respaux, Boiron, Cousin, Pain, Mouchard, Bourgeois, Bidault, Berset, Vallèle, Perrin, Sourd père, Sourd fils, Trouvet, Michelon, Guillermin, Pilloud, Escudié, Goujon, Hourlat, Goubre, Perruquet, Imbert, Aspet, Guillaume, Aubriaque, Uze, Carret, Peterre, Drevet, Perrin cadet, Deschamp, Lefroid, Chabout, Venture, Chatte, Faure, Chapotton, Constant, Constantin, Bellevêque, Durand, Barthès, Lizet fils, Marchand, Michelon, Berguirailles, etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc.

LES RICHES ET LES PAUVRES.

Lorsqu?on parle de la misère qui ronge le peuple, de l?état désastreux où se trouve plongée l?immense majorité de la nation, il est des hommes qui vous répondent par ce sourire de pitié qui n?est pas pour l?infortune, mais pour ceux qui la signalent, par cette expression sardonique qui est la plus insolente des négations. Notre [2.1]intention n?est point de prouver à cette espèce d?incrédules, à ces c?urs forts, ce qu?ils ont l?air de révoquer en doute ; d?amener jusque sous leurs yeux le spectacle déchirant de tant de calamités, jusqu?à leurs oreilles le lugubre concert de tant de soupirs, de tant de plaintes, de tant de gémissemens. D?ailleurs, lorsqu?ils nient la misère, ces heureux du monde, n?est-ce pas une incrédulité calculée, pour se dispenser d?une compassion qui deviendrait coûteuse, de regrets qui sont toujours incommodes, peut-être même de remords qui pourraient troubler le sommeil de leur opulente oisiveté ?

Il en est d?autres qui croient à la misère, dont l?ame paraît en être navrée, qui, dans le fond du c?ur, désirent ardemment qu?elle cesse, qui feraient même pour cela quelques sacrifices personnels, mais qui cependant s?épouvantent de l?idée de sa cessation, parce qu?ils ne la conçoivent qu?avec un bouleversement. On ne pourra, disent-ils, donner à ceux qui n?ont pas, qu?en dépouillant ceux qui ont ; pour enrichir les uns, il faut appauvrir les autres ; en un mot, c?est la guerre du prolétariat contre la propriété.

Ces paroles, qui sont devenues la monnaie courante de la peur et de l?égoïsme, et que nous serions embarrassés de qualifier, si les craintes qu?elles renferment n?avaient été provoquées et n?étaient encore justifiées peut-être par les imprudentes déclamations de quelques têtes exaltées, cette préoccupation qui est plus générale qu?on ne pense dans un certain monde, et qui nous explique pourquoi tant de gens hérissent le poil et reculent en aboyant devant toute idée nouvelle, est dans ce moment le plus grand obstacle aux progrès, et sa disparition nous semble la première condition des améliorations sociales.

En effet, du moment que l?on concevra que ce qui est au bénéfice de la majorité souffrante, tourne même à celui de la minorité privilégiée ; que la grande loi providentielle de l?humanité est que la justice profite à tous, sans exception ; de ce moment, la misère ne réclamera plus en vain sa part du bien-être social, parce que la peur égoïste ne sera plus là pour la lui contester ; il n?y aura qu?un seul parti, car on verra qu?il n?y a qu?un seul intérêt ; il y aura sympathie entre toutes les classes de la société, car on s?apercevra qu?il y a solidarité entre elles ; on comprendra que cette guerre du prolétariat contre la propriété n?est qu?un déplorable mal entendu, et nous nous trouverons à la veille de cette rénovation morale et matérielle, que les ames généreuses appellent de tant de v?ux, hâtent de tant d?efforts.

Dans la direction nouvelle qui est imprimée à la politique, c?est donc par-là que toute discussion doit commencer ; là que toute démonstration doit s?établir. Il faut s?attacher à faire comprendre aux industriels, aux propriétaires, à tous les élus de la fortune, qu?en prêchant l?affranchissement du prolétariat, on ne travaille pas contre eux, et qu?ils retireront du soulagement des misères du peuple, des avantages plus réels que celui d?être délivrés du spectacle attristant de la faim qui se traîne à leur porte, de n?avoir plus l?esprit incessamment inquiété par les résultats possibles du désespoir, qui vient hurler sous leurs fenêtres.

Si nous avions à confesser ici nos sympathies personnelles, nous pourrions dire, qu?à supposer même qu?il en fût autrement, nous n?en réclamerions pas moins ce que nous réclamons à grands cris. Placés entre les intérêts de ces prolétaires que nous avons vus si grands pendant le danger, si moraux après le combat, si généreux [2.2]au milieu de la victoire, et de ces privilégiés, que les mêmes positions nous ont montrés si petits, si rapaces, si haineux, nous faisons l?aveu que nous n?hésiterions pas long-temps ; et nous aimerions mieux, dans tous les cas, demander la justice du chacun son tour, que de n?en point demander du tout.

Mais telle n?est pas notre situation, et nous nous félicitons de l?heureuse impuissance où se trouvent ceux qui ont des entrailles pour le peuple, de ne pouvoir rien faire à son avantage qui ne soit en même temps à l?avantage de la société tout entière.

Encore une fois la justice a cela de grand et d?admirable, qu?elle se rend à tout le monde ; le progrès a cela de providentiel, qu?il finit par tourner au profit de ceux mêmes dont il paraît menacer l?existence.

Que l?on se donne la peine d?examiner ce qui s?est passé à toutes les phases que l?humanité a parcourues. Les Romains se sont enrichis en affranchissant leurs esclaves. Les seigneurs de la féodalité, s?ils vivaient encore, seraient plus riches maintenant, c?est-à-dire, auraient à leur disposition plus de jouissances morales et matérielles, non pas seulement en restant les plus riches de tous, mais encore en descendant vingt degrés de l?échelle sociale. La position de certains petits marchands du dix-neuvième siècle est préférable à celle d?un noble baron du moyen-âge ; une boutique d?à-présent peut valoir mieux, tout bien compté, qu?un fief d?autrefois.

C?est qu?à chaque mouvement progressif de la société, l?on voit s?accroître la somme totale des richesses. Le privilége entravant la production, à mesure que le privilége tombe, la production augmente ; et l?amélioration des basses classes se prend sur ce qui est produit de plus, et non pas sur ce que les anciens privilégiés peuvent consommer de moins. Que dis-je ? il est bien souvent arrivé que le surcroît du bien-être social a été encore bien plus profitable à ceux dont l?ineptie le repousse, qu?à ceux dont le désespoir l?appelle.

Toutefois, il se fait que si l?on ne peut pas comprendre tout cela, que si l?obstination féroce et stupide des hommes du privilège force le progrès, toujours inévitable, à se faire par une révolution, des intérêts sont violemment froissés pour le moment, le pouvoir et la fortune changent brusquement de mains ; puis l?irritation de ceux qu?une injustice intolérable a poussés à la révolte produit ces crimes qui ont ensanglanté tant de pages de l?histoire, et qui fournissent un texte éternel aux déclamations de cette école politique qui, par une dérision étrange, veut en faire peser la responsabilité sur les théories libérales ; comme si les amis du progrès n?étaient pas les véritables ennemis des révolutions, comme si le seul moyen d?éviter les révolutions n?était pas d?ouvrir au progrès une voie large et facile. Mais lorsque les privilégiés font les sourds, il faut bien que le peuple emprunte la bouche d?un canon pour faire parvenir la vérité à leurs oreilles.

Veut-on envisager la question d?un point de vue moins élevé, sous une face différente ? La démonstration sera plus facile encore.

Par le temps qui court, quels sont les hommes en possession exclusive de la fortune ? Les propriétaires et les industriels. En quoi consiste leur richesse ? dans le débit de leurs produits fonciers ou industriels. Plus le débit sera grand et facile, plus leur richesse sera donc considérable. Mais il ne peut être que peu de chose, si l?immense majorité de la nation consomme à peine ce qu?il faut pour ne pas mourir tout-à-fait de faim et de froid ; pour l?augmenter, il faut accroître les moyens de consommation, c?est-à-dire le bien-être du peuple, car [3.1]il n?y a véritablement richesse dans les hautes classes, que lorsque les basses classes sont au moins dans l?aisance.

Nous avons vu tout à l?heure que le privilége entravait la production j nous pouvons dire de même que le défaut de consommation diminue la valeur des produits.

Donnez donc au peuple tous les moyens de produire et tous les moyens de consommer, c?est-à-dire, de l?instruction, de la moralité et du crédit. Donnez-les sans crainte et sans regret, à supposer que ce ne soit pas un sentiment de justice et d?humanité qui vous y pousse ; car vous y gagnerez ce que tout le monde gagne toujours aux progrès, et vous éviterez ce que les hommes de votre classe perdent ordinairement aux révolutions.

F. Farconnet1, avocat à Grenoble.

Avis.

Nous nous empressons, quoique nous n?en soyons pas requis, parce que notre impartialité nous en fait un devoir, de porter à la connaissance de nos lecteurs que M. Brisson a reconnu ses torts envers M. Vibert1, et lui a donné l?ouvrage qu?il lui avait promis, sans exiger de billet de recommandation. Nous espérons que ces mots insultans disparaîtront bientôt. Les rapports entre les négocians et les ouvriers n?en seront que plus faciles et bienveillans, étant constamment honorables.

SOUSCRIPTION NATIONALE EN FAVEUR DE M. LAFFITTE.

Ouverte au bureau de l?Echo.

3e Liste.

MM. César Bertholon, 5 fr. ? Coummer, 1 fr. ? Un républicain, 1 fr. ? Lécuyer, 5 fr.? Guibaud, républicain, 1 fr.? Un canut, au patriote Laffitte, 1 fr. ? M. Vincent, 50 c. ? Louet, républicain, 1 fr. ? Bernard, 1 fr.
Total, 16 fr. 50 c.

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

J?ai lu dans votre dernier numéro le jugement prononcé par le conseil des prud?hommes au profit de M. Lyonnet, chef d?atelier, contre M. Charles, aubergiste. Il en résulte, ainsi que vous l?avez posée, la question de droit suivante : « Un maître peut-il prendre en contravention toute personne occupant son apprenti, même après quinze mois que ce dernier est sorti de son atelier et a exercé depuis plusieurs professions. » Le conseil a résolu cette question affirmativement. Ce jugement n?est pas concevable ; peu de mots vont le prouver, et je les puise dans l?exposé des faits. M. Lyonnet avait un apprenti ; et cet apprenti le quitte et va travailler aux fortifications, de là à diverses entreprises de travaux particuliers, et enfin se présente chez M. Charles, traiteur, comme aide de cuisine. On veut astreindre ce maître d?hôtel à demander le livret de ce jeune homme qui jusque-là n?en a pas eu, et procure d?ailleurs sur son compte des renseignemens satisfaisans. Cela est-il juste ? Evidemment non. Je ne m?appuierai même pas sur cette circonstance, quoiqu?elle soit capitale, que le chef d?atelier a connu les précédentes retraites de son apprenti et n?a fait contre lui aucunes diligences ; je me contenterai de dire que, quelles que soient les prérogatives de la fabrique, elles ne sauraient s?étendre jusqu?à créer un privilége de cette nature en dehors de toutes les prévisions législatives. Qu?un chef d?atelier puisse prendre en contravention son confrère, puisque ce dernier sait qu?un livret doit toujours être en la possession d?un ouvrier, cela peut être admis ; mais est-il raisonnable d?exiger cette même sujétion de la part d?un homme qui, étranger à la fabrique, ne peut pas en connaître les us et coutumes, et ne peut voir dans le jeune homme qui s?offre à lui qu?un individu, un prolétaire demandant du travail pour gagner sa vie. Si le système qui a prévalu au conseil était sanctionné par le tribunal de commerce devant lequel cette cause sera sans doute portée, [3.2]il en résulterait la prohibition de vivre contre tout individu qui aurait eu une fois l?idée d?essayer de l?art de la fabrique. Si ce principe était admis, les chefs d?atelier créanciers de leurs élèves auraient une action contre le fermier qui emploierait ce même élève en qualité de valet ; contre le bourgeois qui le prendrait pour domestique ; contre les employés du gouvernement qui l?occuperaient à des travaux publics, ainsi que cela a journellement lieu ; car la loi doit être égale. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, mais je les abandonne à votre sagacité et à celle de vos lecteurs.

Est modus in rébus, sunt certi denique fines ;
Ultra citraque nequit consistere rectum.

A dit Horace. Il faut des bornes à l?exercice du droit le plus légitime, et dans cette affaire le conseil des prud?hommes me semble les avoir outrepassées. Je ne doute pas que si le sieur Charles avait fait présenter sa défense par un légiste (ainsi que le droit lui en est acquis, nonobstant la volonté de M. Goujon, le seul qui s?y oppose), le conseil, éclairé par une discussion approfondie, aurait prononcé différemment.
Agréez, etc.

V....

Note du rédacteur, ? Cette lettre soulève une question grave que nous examinerons dans un prochain numéro.

AVIS.

Nous renvoyons, faute d?espace, à un prochain numéro deux lettres que nous avons reçues relatives à la leçon grammaticale insérée dans le n° 13 de l?Echo, pag. 104.

CONSEIL DES PRUD?HOMMES.

(présidé par m. goujon.)

Audience du 18 avril 1833.

D. Le négociant a-t-il le droit de refuser au chef d?atelier le montant de ses façons, ce dernier refusant de lui rendre les cartons qui ont servi au tissage ? ? R. Oui, le négociant peut se refuser au paiement lorsque les objets fournis pour la confection de l?étoffe ne lui ont pas été rendus.

D. Le maître qui a payé le laçage des cartons avant la décision du conseil qui le met à la charge du négociant a-t-il le droit, dans le cas où ce dernier se refuse au remboursement, de les rendre délacés ? ? R. Non ; l?ouvrier doit rendre les dessins lacés, attendu que l?usage a toujours été de les rendre ainsi.

Berger, chef d?atelier, fait assigner Colin en paiement de la somme de 1,500 fr., montant de ses façons, compris celle provenant de l?étoffe fabriquée depuis sa demande. ? Colin répond n?avoir refusé de l?argent à Berger, que par le refus qu?il a fait de lui rendre les cartons qui devaient servir à un autre ouvrier, dont le métier est resté en suspens par ce fait. Il s?engage à payer à la réception des cartons. ? Berger déclare n?avoir retenu les cartons qu?après avoir essuyé plusieurs refus de paiement, et n?avoir refusé de rendre ces cartons que pour obtenir plus vite ce qui lui était dû ; et demande en outre que la somme de 35 fr., montant d?un laçage de dessin, payée il y a un an, lui soit remboursée, que, dans le cas contraire, il puisse rendre les cartons délacés. Après vérification des livres il a été statué :

« Attendu que le prix du laçage a été convenu à la charge du chef d?atelier ;

« Attendu que l?usage était à l?époque où les cartons ont été remis au chef d?atelier, de les faire lacer et de les rendre lacés ;

« Le conseil décide que les cartons seront rendus lacés ; condamne Colin à solder Berger à la réception des cartons, et aux frais, le conseil déclare en outre que dans le cas où Colin ne paierait pas à Berger la somme qui lui est due, d?abord par le réglement accepté des livres ; le [4.1]présent jugement pourra lui valoir ce que de droiti. »

D. Lorsqu?un élève appartenant à l?hospice de la Charité quitte l?atelier de son maître, ce dernier peut-il avoir recours contre l?hospice pour le paiement de la nourriture fournie à cet enfant ? ? R. Non. L?hospice, d?après ses réglemens, ne doit payer aucune somme pour les enfans âgés de plus de douze ans.

Un élève appartenant à l?hospice s?enfuit de chez le sieur Messy son maître. Ce dernier le réclama à l?employé de cette administration chargé des placemens, lequel, par erreur ou mauvaise volonté, déclara d?abord ne pas l?avoir vu ; plus tard il a avoué l?avoir placé ailleurs. Dans une petite audience, dite de conciliation, le conseil avait décidé qu?une indemnité était due au chef d?atelier ; l?hospice ne s?est pas soumis à cette décision ; et sur son refus de payer, une comparution a eu lieu à l?audience de ce jour. Les parties ont été interrogées, et l?employé de l?hospice a déclaré, avec beaucoup de sang-froid, que cette administration ne devait rien pour les orphelins qui avaient passé l?âge de 12 ans.

« Le conseil, attendu le défaut d?engagement entre l?hospice et le sieur Messy, et les considérations que l?on doit avoir pour l?administration, déboute le chef d?atelier de sa demande. »

Ce jugement nous paraît décider légèrement une question bien grave. Nous l?examinerons dans notre prochain numéro.

Le conseil a renvoyé à huitaine la cause de Giraud contre Dépouilly, et ordonné que Riquet, apprenti de Larzelier, était mis sous la surveillance d?un de ses membres.


i M. Berger, après s?être conformé aux décisions du conseil, n?a pu être payé, il est obligé de recourir aux voies judiciaires pour obtenir son paiement. Rendez, rendez, dit le conseil, ce qui appartient au négociant ; plus, les cordes et la façon du laçage, quoique ce soit la propriété du chef d?atelier ; mais vous, travailleurs, attendez, prenez patience, l?on vous promet de vous payer de suite ; si l?on ne vous paie pas, vous ne pouvez perdre ; voit-on des négocians faillir ?

Variétés.

EFFECTIF DE L?ARMÉE FRANÇAISE.

Le Moniteur publie un rapport du ministre de la guerre, dont nous extrayons les passages suivans :

Les ordonnances rendues en septembre 1831 avaient fixé le complet de l?armée à 452,195 hommes et 96,136 chevaux ; mais ce complet n?a pas été atteint, et à cette époque même l?armée n?était que de 400,371 hommes et 86,951 chevaux.

Au 1er janvier 1833, l?armée présentait un effectif de 421,494 hommes et 82,057 chevaux. Le personnel de notre force militaire se distribuait ainsi entre les divers corps :


Etat-major général , 4,058
Employés d?administration , 750
Gendarmerie , 15,982
Infanterie , 279,648
Cavalerie , 52,338
Artillerie , 38,835
Génie , 8,574
Equipages militaires , 4,244
Vétérans de l?armée , 8,995
Total des troupes françaises , 413,424
Légion étrangère , 4,473
Zouaves , 1,055
Chasseurs d?Afrique , 2,334
Corps auxiliaire turc , 210

Total général,
421,494

L?effectif des chevaux qui devait, d?après les ordonnances, être de [4.2]96,136, n?est que de 82,057 ; ce qui justifie ce que les journaux ont dit l?an dernier sur la mortalité insolite qui avait frappé les montures de nos cavaliers. Le ministre convient en effet de cette mortalité.

Il reste sur la classe de 1831, qui a été incorporée à l?armée, 1,105 soldats insoumis, ce qui est un nombre très-faible.

Le matériel disponible de l?artillerie présente en ce moment les ressources suivantes : 122 batteries de campagne et 17 de montagnes de 6 pièces chacune, avec leurs parcs de réserve et un double approvisionnement. Ces équipages comprennent 834 bouches à feu et 7,200 affûts ou voitures. La garde nationale a en outre 625 pièces de canon. Toutes les pièces de l?artillerie de ligne sont du nouveau système.

Progression qu?a suivie l?augmentation du numéraire en France depuis le règne de Louis XIV.


De 1661 à 1683, (Colbert1.) : 600,000,000
De 1708 à 1715, (Desmarets.) : 800,000,000
1734, (de Séchelles.) : 1,600,000,000
1788, (Necker.) : 2,000,000,000
1797, (Ramel.) : 2,200,000,000
1806, (Mollien.) : 2,300,000,000
1828, Chabrol (Rapport au roi.) : 2,713,731,183
1832, Louis (Rapport au roi.) : 3,385,300,854

De la réforme commerciale.

La réforme la plus sérieuse, la plus difficile et la plus inévitable, est assurément la réforme commerciale, c?est celle-là qui marquera tôt ou tard la grande ère de juillet 1830. Elle seule mettra un terme aux souffrances de ces milliers d?hommes que l?on nomme prolétaires. Il faudra qu?on décide plus tôt qu?on ne pense si ces masses de travailleurs seront inféodées au monopole des grands entrepreneurs, comme jadis les serfs étaient attachés à la glèbe des grands propriétaires. Il faudra bien qu?on sache si l?obligation de vivre d?un salaire n?emporte pas comme compensation de cette nécessité la liberté de se procurer, au moyen de ce salaire, les vivres et les vêtemens au meilleur marché possible.

(Courrier Français, n° 49,18 février 1833.)

Littérature.

BROCHURE DE M. JOSEPH BEUF1.

Nos amis nous ont dit beaucoup de bien d?un nouvel opuscule de M. Joseph Beuf, ancien rédacteur de la Sentinelle et du Furet, condamné à cinq ans d?emprisonnement par la cour d?assises du Rhône pour avoir dans un pamphlet mal parlé du gouvernement. Cet opuscule a pour titre : Lettre confidentielle de S. M. Louis-Philippe, roi des Français, à son bien-aimé cousin Nicolas, empereur de toutes les Russies. Il contient 40 pages in-8° et ne se vend que 50 c. ? Mais où se vend-il, ma foi nous n?en savons rien. La Glaneuse a bien dit que c?était chez les principaux libraires. Oh ! bien oui, elle qui traite de farceurs les procureurs du roi, elle est joliment farceuse. Nous ne l?avons vu en montre nulle part ; cependant nous avons la conviction que quand on est connu on le trouve à acheter. Du reste le journal républicain a offert ses bons offices pour le procurer à ceux qui aiment le fruit défendu, à la charge toutefois de n?en parler à personne, et nous sommes convaincus que notre recommandation sera utile à ceux qui s?adresseront à nous.

Un journal destiné à retracer la gloire du grand empereur et de ses compagnons d?armes se publie en ce moment à Paris, où il a déjà réuni un grand nombre de souscripteurs. Il sera sans doute accueilli aussi favorablement [5.1]dans les provinces, et à Lyon surtout qu?habitent tant de braves, glorieux débris de nos immortelles journées. Le nom de NAPOLÉON, qui lui sert de titre, sera toujours un talisman magique pour le peuple. Béranger l?a dit. Nous ajouterons ; il faut que la gloire ait bien d?attrait pour que les républicains oublient aujourd?hui l?injure faite par le général Bonaparte à la liberté. Ce journal est écrit sous la direction de M. Lautour-Mezeray, fondateur du Voleur, par deux hommes de lettres dont le nom nous dispense d?éloges, MM. Frédéric Soulié et S.-Henri Berthoud1. Nous publierons dans un prochain numéro un extrait du prospectus qui nous a été adressé. (Voyez les Annonces.)

Denys, maître d?écolei.

Air : Il faut bientôt quitter l?empire.

Denys, chassé de Syracuse,
A Corinthe se fait pédant.
Ce roi que tout un peuple accuse,
Pauvre et déchu, se console en grondant. (bis.)
Maître d?école au moins il prime ;
Son bon plaisir fait et défait des lois. (bis.)
Il règne encor, car il opprime.
Jamais l?exil n?a corrigé les rois, (bis.)

Sur le dîner de chaque élève,
Le tyran des Syracusains,
Comme impôt, chaque jour prélève
Trois quarts des noix, du miel et des raisins.
Çà, dit-il, qu?on le reconnaisse :
J?ai droit sur tout, je l?ai prouvé cent fois.
Baisez la main : je vous en laisse.
Jamais l?exil n?a corrigé les rois.

Un sournois, dernier de sa classe,
Au bas d?un thème mal tourné,
Met ces mots ; Grand roi, qu?un dieu fasse
Périr tous ceux qui vous ont détrôné !
Vite un prix au sot qui l?adule !
Mon fils, dit-il, tout sceptre est un grand poids.
Sois mon second ; prends la férule.
Jamais l?exil n?a corrigé les rois.

Un autre en secret vient lui dire :
Seigneur, un écolier transcrit
Là-bas, je crois, quelque satire :
C?est contre vous ; car voyez comme il rit.
Ce maître d?humeur répressive,
De l?accusé courant tordre les doigts,
Dit : Je ne veux plus qu?on écrive.
Jamais l?exil n?a corrigé les rois.

Rêvant un jour que l?on conspire ;
Rêvant qu?il court de grands dangers,
Ce fou tremblant pour son empire,
Voit ses marmots narguer deux étrangers.
Chers étrangers, dans ce repaire
Entrez, dit-il, sur eux vengez mes droits ;
Frappez ; pour eux je suis un père.
Jamais l?exil n?a corrigé les rois.

Enfin, pères, mères, grand?mères
De maint enfant trop bien fessé,
L?accablant de plaintes amères,
L?ancien tyran, de Corinthe est chassé.
Mais pour agir encore en maître ;
Maudire encor sa patrie et ses lois,
De pédant, Denys se fait prêtre.
Jamais l?exil n?a corrigé les rois.

P. J. de Béranger.
(Extrait de ses nouvelles et dernières chansons.)


i Denys II, dit le Jeune, roi ou tyran de Syracuse (ces deux mots sont synonymes en grec), fut détrôné par Timoléon et Dion, 343 ans avant J.-C. ? Réduit à la dernière misère, il ouvrit une école à Corinthe. Un philologue, M, Hewman, prétend que cette dernière circonstance de la vie de Denys est une fable.

UN DISCIPLE DE CHARLES FOURRIER

a ses concitoyens.

Suite (Voy. l?Echo, n° 14.)

des droits du riche, du travailleur, et des vices de notre organisation sociale.

[5.2]Les droits du riche sont, sans contredit, le libre et entier exercice de toutes les jouissances attachées aux richesses, qu?elles soient pour lui le fruit du talent, du travail ou de l?hérédité familliale, principe que l?on ne saurait attaquer sans violer les lois de la nature, la liberté de l?homme et replonger la société dans un bourbier de sang, dont elle ne sortirait peut-être que pour rouler encore dans un abîme sans fin.

Les droits du travailleur, personne ne le contestera, sont dans le travail. Mais le travail n?étant qu?instantané, la rétribution impuissante à alimenter les besoins du travailleur, impuissante encore à lui procurer les jouissances auxquelles il a droit de prétendre, et aussi à lui ouvrir la voie de la fortune, but primordial auquel tendent tous les hommes mus par l?ambition, passion inhérente à tous, mais qui n?est satisfaite que pour quelques-uns ; il n?est que trop vrai alors, que l?immense majorité des hommes étant spoliée même du premier de ses droits, l?existence ! les riches ne sauraient trouver de garantie que dans l?emploi des moyens coërcitifs, moyens très-dangereux et très-peu pacifiques, comme nous le savons, et qui quelquefois sortent des mains des moraliseurs pour passer dans celles des moralisés.

C?est en vain que nous chercherions dans le bagage scientifique de notre vieux monde civilisé et dans la collection des théories gouvernementales qui se sont successivement arrachées la gestion du globe, un remède à un état de choses aussi disparate, aussi antipathique de l?harmonie qui doit être la base fondamentale de la société ! La morale et la philosophie qui s?étaient imposées la mission grande de diriger, d?éclairer sa marche, après l?avoir saturée de misères et d?erreurs, de décrépitude et d?immoralité, sont enfin forcées de se dépouiller du prestige qui les entourait, d?avouer la faiblesse de leur science et de leurs principes, puis de céder le gouvernail à des mains plus habiles.

Trouverons-nous ce remède dans l?application de quelque théorie gouvernementale ? Mais le temps a fait justice des vieilles prétentions des favoris du droit divin, et le bon sens des hommes est là prêt à repousser toute prétention de qui tenterait de s?intrôniser à leur place ; et bien que nous sachions tout le prix des bienfaits de la liberté de la presse, de la liberté d?opinions, et du droit d?intervenir dans l?action gouvernementale, autour de nous cependant, nous le voyons, tout languit, tout se meurt, et nous devons chercher ce remède ailleurs que dans ces théories, dont la plus avancée même ne nous semble porter en soi qu?une faible garantie contre le mal, au lieu d?une condition directe du bien qui est devenu d?une impérieuse nécessité.

Le trouverons-nous dans un développement plus étendu de notre système industriel et commercial ? Mais nos lois n?ayant réglé ni l?industrie, ni le commerce, ni les rapports des hommes entr?eux, ce développement ne saurait avoir lieu qu?aussitôt, le malaise des travailleurs déjà grand, ne s?accrût encore avec lui ; car ici comme partout nous retrouvons l?exploitation de l?homme par l?homme, et nous comprenons très-peu vraiment les avantages de notre liberté de commerce ; [6.1]liberté sans bornes pour le marchand, mais gorgée de despotisme et d?arbitraire envers le corps social. Or, le corps social, selon nous c?est la majorité, et la majorité travaille et ne vend pas, mais en revanche elle achète tout, nourriture, vêtemens, chauffage, et partant, se trouve à la merci du marchand.

Le commerce, ainsi qu?il se trouve organisé, est donc une des plaies de notre monde civilisé ?1 Oui, sans doute, mais il y aurait injustice grande de l?imputer à crime aux marchands, car, ainsi que tous, ils jouissent ou souffrent des erreurs de cette organisation de duperie et de mensonge, et comme tous ils doivent être pressés de quitter ce sable mouvant sur lequel la société se meut si péniblement pour fouler une terre mieux affermie.? Aussi bien le commerce, si mal entendu par la civilisation, qui n?en a fait qu?une mesquine voie de fortune à la merci du hasard, porte en soi un germe de décadence et de mort ; ce germe c?est la concurrence ! gouffre dévorant dans lequel le négociant est constamment exposé à plonger sa fortune et son avenir : tandis que le commerce, selon nous, devrait n?être pour les hommes qu?un moyen d?échange facile et désintéressé de tous les produits agricoles et industriels nécessaires au bien-être de tous, seule base réelle de liberté, d?égalité et de bonheur.

L?industrie et le commerce représentant dans l?ordre actuel le travail, et le travail étant le fait naturel de tous les hommes, nous avons dû étendre particulièrement notre critique sur cette question si grave et en démontrer au moins le vice principal ; nous allons maintenant y joindre quelques réflexions sur le travail, fonction dégoûtante comme l?ont faite nos législateurs et faiseurs de systèmes, qui, faute de mieux, l?ont encore rendue révoltante en la faisant retomber de tout son poids sur les hommes qu?y force la nécessité.

Dans l?ordre actuel le travail est une fonction dégoûtante, parce qu?elle est continue, monotone et uniforme, parce qu?elle appauvrit l?homme en altérant sa santé et abrégeant sa vie, en comprimant toutes ses facultés et en ne lui laissant aucun moyen de développer son génie, et parce qu?enfin elle ne lui ouvre aucune chance de bonheur, aucune voie de fortune. Elle est révoltante, parce qu?elle est devenue le lot d?une portion d?hommes qui, jetés par ce fait, au ban de la société, se trouvent dépouillés des droits qui leurs sont acquis par nos révolutions ; car elles ont été faites au nom de progrès, de liberté et d?égalité !

La loi nous dit que les hommes sont égaux ! et la morale qu?ils sont frères ! La loi veut encore que tous soient accessibles aux emplois. Mais, nous le demandons, qu?est-ce que l?égalité pour ces vingt-deux millions de Français qui n?ont pour gage de bonheur et de bien-être matériel que le mince revenu de sept à huit sous par jour, et dont le plus grand nombre encore sont à peine la veille assurés du pain du lendemain ? Qu?est-ce donc pour eux que l?accessibilité aux emplois, quand l?ignorance, fille de la misère, leur en refuse à tous l?aptitude et leur en ferme le chemin ? Législateurs, philosophes et moralistes, répondez !

Mais nous n?en finirions pas si nous voulions faire la part de toutes les erreurs de notre civilisation, et nous croyons en avoir dit assez pour que les hommes de bonne foi comprennent avec nous qu?elle est essentiellement vicieuse et qu?il faut se hâter de sortir de ses langes décrépites et gangrenées des abus de toutes ces sciences, tant renommées, qui, au dix-neuvième siècle, n?ont encore su enrichir leurs temples que d?inventions destructives de l?humanité et de systèmes d?oppression continuelle [6.2]des facultés des passions qui naissent, grandissent et meurent avec l?homme.

Il est encore dans le monde, nous le savons, beaucoup d?hommes qui, contens de ce qu?ils appellent une position faite, voient d?un ?il indifférent s?étendre les ravages de ce fléau dévorant (la civilisation) qui traîne après lui guerres, luttes intestines, pestes, misères et dégradation de l?espèce humaine, et qui ne manquent jamais de jeter un houra à la face d?une découverte. Mais il en est d?autres encore qui, bien qu?ils aient aussi une position faite, n?en conçoivent pas moins tous les dangers de l?inaction, et qui ne manquent jamais d?appuyer toute invention utile : celle de Charles Fourrier, gigantesque comme son génie, est une des plus heureuses qu?ait produit notre siècle entre tous, et nous espérons en fournir la preuve dans les développemens successifs que nous donnerons sur sa méthode d?organisation sociétaire des travaux de culture, fabrique, ménage, commerce, éducation et beaux-arts.

R...... cadet.

NOTICE
Sur la Guillotière.

Ce faubourg situé à l?extrémité orientale de Lyon, et au-delà du Rhône, qui le sépare de cette ville, se distingue des autres faubourgs de cette cité sous plusieurs rapports ; placé à la jonction des grandes avenues de l?Italie et des pays méridionaux de la France ; sa position le rend très-populeux, très-passager et très-commerçant ; les routes qui viennent y aboutir entretiennent un mouvement continuel, augmenté encore à raison de sa communication facile avec Lyon, par le pont qui porte le nom de ce faubourg. Ce pont est le plus ancien de notre cité, puisque sa fondation, selon les historiens, remonte, pour celui qui était en bois, au-delà de 1150, et pour celui en pierre qui existe aujourd?hui, à 1244.

L?élargissement de ce pont a été à diverses époques l?objet de la sollicitude de plusieurs philantropes et des magistrats de Lyon. Son étroitesse a été cause de plusieurs événemens tragiques que nous ne rapporterons pas, attendu qu?on peut facilement les connaître par les longs détails qu?en ont donnés tous les auteurs qui ont écrit sur Lyon ; nous ne parlerons pas non plus des fêtes célèbres des derniers siècles, entr?autres celles du cheval fou, des brandons, de St-Denis, dont le récit n?est pas sans intérêt pour ceux qui s?intéressent aux progrès des lumières d?un peuple et pour qui ces événemens sont des leçons que l?histoire a eu soin de recueillir. Cependant nous ne saurions terminer ces observations historiques sans rappeler que c?est dans ce faubourg qu?a pris naissance cet asile célèbre destiné au soulagement des maux et des souffrances réservé à la faible humanité, lequel plus tard s?est transformé en superbe monument sous le nom d?Hôtel-Dieu, qu?un de nos rois, Childebert et Ultrogotei1 sa femme, dotèrent avec une grande munificence, qui leur a valu le titre de fondateurs de cet hospice, ni sans rappeler aussi que c?est dans une chambre du château de la Mothe, aujourd?hui détruit et remplacé par une formidable redoute ou fort, que Henri IV, de populaire mémoire, [7.1]passa la première nuit de ses noces avec Marie de Médicis, le 17 décembre 1600ii.

Selon quelques auteurs, le nom de Guillotière vient de Guy-L?hostière, ab hospice urico, dans l?opinion où l?on était que c?était là que les druides déposaient le guy de chêne, après l?avoir cueilli dans le Dauphiné. D?autres soutiennent que ce nom vient de Grillotière à cause de la multitude d?animaux surnommés grillets qui s?y trouvaient. Mais Paradin, au contraire, soutient que ce faubourg avait été nommé ainsi en 1500, à cause des grelots et sonnettes des mulets de voiture dont il n?est jamais dégarni.

La population de ce faubourg, en 1831, était de 18,294 habitans ; on y comptait près de 470 métiers pour la fabrication d?étoffes de soie. De même que la Croix-Rousse, ce faubourg a été érigé en commune. Il existe maintenant une décision municipale envoyée au ministère pour séparer ses dépendances d?avec celles des Brotteaux.

C. Beaulieu.


i Depuis quelques années leurs statues ont été inaugurées au-devant de la façade du grand-dôme, toutes deux d?un style assez remarquable, surtout celle de la reine, qui est l?ouvrage d?un jeune homme de 19 ans.
ii Note du rédacteur. ? Nous ne voyons pas ce que peut avoir d?important pour l?histoire le détail de ce qu?un roi a pu faire tel ou tel jour de sa vie. Il est temps de nous affranchir de cette manie servile de donner de l?importance à ce qu?un homme qui remplit la fonction de roi fait dans sa vie commune. Henri IV, la première nuit de ses noces ne pouvait pas coucher dans la rue, et dès-lors qu?importe qu?il l?ait passée cette nuit dans tel ou tel château. Nous nous garderons bien d?appeler jamais l?attention publique sur des choses aussi futiles que le lever d?un roi, sa partie de chasse ou d?échec, etc., et semblables sornettes.

LE CANUT.
HISTOIRE CONTEMPORAINE,

(Suite. ? Voy. l?Echo, n° 15.)

En rentrant Jacques annonça à Rose l?altercation qu?il avait eue avec le commis et le fâcheux résultat qu?elle avait amenée. Elle en fut bien abattue ; de son seul travail elle ne pouvait suffire à la dépense journalière de la maison. Le canut distribua à ses enfans le repas du soir avec une tristesse qu?il chercha en vain à dissimuler ; il n?était pas sûr de pouvoir leur en donner autant le lendemain. Au lit sa femme l?entendit pleurer et remarqua qu?il cachait sa tête sous l?oreiller pour ne pas être entendu ; elle chercha à le consoler et finit par lui rendre un peu de tranquillité et de courage. Cependant elle-même ne se livra pas au sommeil ; toute la nuit elle fut occupée à aviser aux moyens de sortir de la crise où ils se trouvaient. « Alors elle pensa que Jacques avait peut-être été un peu trop brusque ; elle ira trouver M. Boursault, le fabricant pour lequel il travaillait ; elle le suppliera de ne pas retirer l?ouvrage à son mari, elle lui parlera de ses enfans, de la détresse où ils vont tomber ; il se laissera attendrir et le pauvre ménage pourra encore subsister. » Le matin, pendant que Jacques était déjà sorti pour trouver de l?occupation, elle fit un peu de toilette et se dirigea vers le magasin.

Elle était jolie, Rose ; son teint frais et animé faisait ressortir la douceur de ses yeux bleus ; la simplicité de sa parure, sa tournure sans apprêts et sans roideur, sa grace naturelle et sans afféterie donnaient de suite bonne opinion de sa beauté. Elle avait une de ces physionomies sur lesquelles l??il fatigué aime à s?arrêter après avoir passé en revue dans une brillante promenade toutes ces figures de jeunes filles musquées, minaudières, jouant l?expression et grimaçant la nature ; ainsi en sortant d?une serre chaude où des fleurs étrangères croissent à grand-peine [7.2]et dépourvues de cette végétation brillante, de cet abandon gracieux dont elles se parent sous le ciel de la patrie, on revoit avec plus de plaisir la timide violette et l?humble bluet des champs.

Elle arriva et entra d?un pas timide dans le bureau ; Boursault s?y trouvait à ce moment. En voyant la jeune femme il sourit, fit un signe d?intelligence à son commis qui était habitué à pareille fête et rentra dans son appartement ; on pria Rose de passer dans l?appartement de M. Boursault.

? Que puis-je faire pour vous, ma belle enfant ?

? Monsieur?

? Oh ! n?ayez pas peur, je ne suis pas un tigre?

Et il se mit à rire comme Odry lorsqu?il vient de faire un calembour.

? Monsieur, vous avez refusé de l?ouvrage à Jacques Lebras, mon mari?

? Ah ! vous êtes mariée? L?heureux mortel celui qui possède tant de charmes !?

Il allait continuer une série de galanteries à l?usage des mauvais sujets vis-à-vis les femmes mariées, lorsque Rose l?interrompant et feignant de n?avoir pas entendu :

? Monsieur, je viens vous prier de rendre votre pratique à Jacques ? Car nous n?avons pas d?autre ressource.

? Comment donc, ma charmante, mais cela peut se faire? très-bien, très-bien?

Tout en parlant il l?attirait sur le sopha où il était assis et lui passait la main autour de la taille. Rose qui ne s?attendait pas une pareille réception était à côté de lui, rouge, tremblante, ne sachant que faire, n?osant pas encore le repousser ; car elle songeait, la pauvre mère, à la faim de ses enfans.

? Cependant je mets à cela une petite condition, reprit Boursault.

Elle trembla et s?empressa de lui dire :

? Oh ! Monsieur, j?aurai pour vous la reconnaissance la plus vive?

? Justement, mon ange, c?est de la reconnaissance que je demande?

Il s?approcha d?elle les yeux brillans et lui posa la main sur le cou afin de l?embrasser. Rose perdit tout espoir :

? Laissez-moi, Monsieur? s?écria-t-elle avec un accent de colère et en se débattant vivement.

? Allons, cruelle? ne viens-tu pas de me promettre ??

Il la saisit vigoureusement et chercha à la retenir entre ses bras. Rose lutta avec force, se dégagea adroitement, le repoussa sur le sopha, se précipita vers la porte et entra vite dans le bureau ; Boursault n?osa pas l?y poursuivre au milieu des personnes qui étaient là.

? C?est une des plus rebelles que j?aie rencontrées, dit-il en lui-même en se peignant les favoris devant une glace. ? Jamais on ne m?a résisté ainsi !

Le gros fat ! Il voulait dire que jamais on n?avait résisté à son argent ; car c?est la séduction ordinaire que mettent en avant nos grands seigneurs de nouvelle espèce. Dans l?ancien régime, lorsqu?un Sévigné ou un Richelieu avait remarqué quelque fille au joli minois, avant de parler diamans, petite maison et carosse, il parlait c?ur et passion et tâchait de se faire aimer pour lui-même. Les Marion Delorme et les Ninon1 n?auraient eu que du dédain pour un adorateur dont tout le mérite eût sonné en écus et qui leur eût proposé un contrat de vente au lieu d?un accord d?amour. Maintenant les despotes à coffre-fort se présentent dans le boudoir d?une [8.1]femme la bourse à la main comme ils entrent chez le commissaire-priseur un jour d?adjudication ; ils marchandent la passion et ont une maîtresse comme ils ont un comptoir. Si j?étais peintre et que je voulusse représenter l?amour de ce temps-ci je lui mettrais un sac d?argent en guise de carquois et un billet de banque sur les yeux. Siècle d?agioteurs !

(La suite à un prochain numéro.)

ANECDOTE.

M. F...., de St-Omer, avait déposé sur la cheminée de sa chambre, le soir, en se couchant, une petite épingle de chemise dont la queue est en or, et dont la tête représente une mouche. Le lendemain, M. F...., voulut reprendre son épingle à l?endroit où il l?avait déposée ; mais le bijou avait disparu. La domestique qui servait depuis quelques jours M. F.... fut suspectée ; il la renvoya, persuadé qu?elle seule avait pu enlever l?épingle.

Enfin, tout dernièrement, la s?ur de M. F.... s?occupait à monter des rideaux ; quelle fut sa surprise, de trouver l?épingle de son frère suspendue au plafond dans une toile d?araignée ! La disparition du bijou s?expliqua alors. L?araignée, trompée par la figure de la mouche que présente l?épingle de M. F...., l?avait entraînée dans son nid.

Coups de navette.

MM. Viennet et Lemolt sont les deux puissances du jour. La brossei du second fait fureur ; mais la fureur du premier fait brosse.

Corsaires contre corsaires ne font pas, dit-on, leurs affaires. Tribune contre tribune, laquelle renversera l?autre ?

Un négociant molestait un ouvrier ; celui-ci, sans s?émouvoir, lui répondit par ce vers de Racine, faisant allusion à l?Echo de la Fabrique :

Tel qui rit le jeudi dimanche pleurera.


i La brosse électrique de M. Lemolt, médecin (Voy. l?Echo, n° 12, pag. 99).

MONT-DE-PIÉTÉ.

Il sera procédé, le vendredi 26 avril courant, et jours suivans, depuis quatre heures après midi jusqu?à huit, dans la salle des ventes du Mont-de-Piété, place Confort, vis-à-vis la galerie de l?Argue, au 1er, à l?adjudication, au plus offrant et dernier enchérisseur, de divers objets engagés pendant le mois de mars de l?année 1832, depuis le N° 13592 jusque et compris le N° 20727.

Les lundis et les jeudis, on vendra les bijoux. et l?argenterie, les montres et les dentelles, etc. ;

Les mardis, les draps, percales, indiennes, toiles en pièces et hardes ;

Les mercredis, les matelas, les lits de plume, les places, les livres reliés et en feuilles, les vieux papiers, autres objets et hardes ;

Et les autres jours, le linge, les hardes, etc.

AVIS DIVERS.

(194) A vendre, un métier 5/4, mécanique en 400 avec tous les accessoires. S?adresser au bureau.

[8.2][196] L?AVIS SANITAIRE pour 1833, contenant les nouvelles observations des consommateurs du café de santé et du café-chocolat rafraîchissant dit de la Trinité, se trouve en lecture dans tous les cabinets littéraires, et se distribue gratis dans les dépôts.
A Lyon, chez MM. Paillasson frères, négocians, rue Lanterne, n° 1.
Les personnes habitant les localités où il n?y a point de succursales, s?adresseront avec les renseignemens d?usage à la maison générale, rue Beauregard, n° 6, à Paris.

(193) A vendre de suite un atelier de 4 métiers, travaillant pour châles satin 6/4, mécaniques en 1,200 et 1,800 ; suite de l?ouvrage et de la location. S?adresser au bureau.

(161) A vendre de suite, 3 métiers dont deux en 5/4 et un en 6/4, avec mécanique en 1,200 et suite de loyer si l?acquéreur le désire. S?adresser au bureau.

(195) A vendre, mécanique en 400, 700, 1,000, régulateurs de première force, rouleau 5/4, planches d?arcades, 5/4, 6/4, et caisse pour cartons ; le tout en très-bon état, ayant peu travaillé. S?adresser au bureau.

(197) A vendre deux grandes mécaniques longues a dévider la soie. S?adresser place de la Croix-Rousse, n° 24, maison Laporte, au portier.

(192) A vendre, trois métiers travaillant, mécanique en 900, et tous les ustensiles nécessaires à l?atelier. S?adresser chez madame veuve Vincent, rue Tables-Claudiennes, n° 14.

(181) A vendre, atelier de 5 métiers en 600 et 900, avec tous les accessoires. S?adresser au bureau du journal ou chez M. Suiffet, rue du Charriot-d?Or, n°11, au 2e, à la Croix-Rousse.

(182) A vendre, 2 métiers de crêpe de Chine, 4|4 et 5|4, et 2 mécaniques en 400 et 600. S?adresser rue Juiverie, n° 16, au ler.

(187) A vendre, une fabrique occupant deux étages, composée de 14 métiers travaillant en diverses largeurs et divers comptes, chaque métier à régulateur, 18 mécaniques à la Jacquard ; plus, tous les accessoires concernant ladite fabrique ; l?on vendra ensemble ou séparément avec suite de bail, et facilité pour les paiemens. S?adresser audit local, hors des portes du clos Bodin, rue Celu, maison du fort St-Clair, au 2e, à la Croix-Rousse.

(159) L?on désire un jeune homme de 14 à 17 ans, pour apprendre un état lucratif.
S?adresser chez M. Molard, boulanger, cours d?Herbouville, n° 2.

(155) A vendre ensemble ou séparément, un superbe atelier de 5 métiers, articles nouveautés à la Jacquard, et facilités pour le paiement. S?adresser au bureau du journal.

(174) A vendre, un métier de courant, en 10 chemins et mécanique en 400. S?adresser à M. Defisse, rue Bouteille, n° 15, au 3e.

(157) A vendre de suite un atelier de 4 métiers d?unis en activité, une mécanique ronde, avec tous les accessoires et suite du loyer. S?adresser au bureau.

(188) L?HOMME ROUGE, satire politique en vers, paraît tous les dimanches par livraisons de 8 pag. in-4°. Le prix de la souscription est de 8 fr. par trimestre, soit 13 livraisons ; 15 fr. pour 26 livraisons ou deux trimestres ; et 30 fr. pour l?année, 52 livraisons. Par la poste, 1 fr. de plus par trimestre. On souscrit à Lyon au bureau de la Glaneuse ; chez M. Babeuf, libraire, et dans les départemens, chez tous les directeurs des postes.

(190) NAPOLÉON,
Journal anecdotique de l?empire, dédié au peuple.
Prix : 6 fr. par an.
Ce journal paraîtra tous les mois par cahiers de deux feuilles in-8°, papier grand-aigle, du plus grand format connu. ? On s?abonne à Paris, rue de Provence, n° 56 ; et à Lyon, dans le cabinet de M. Marius Chastaing, rédacteur en chef de l?Echo de la Fabrique, rue du B?uf, n° 5, au 2e, de 9 à 11 heures du matin.

Notes (Nous publions sans commentaire l?adresse...)
1 Référence ici aux mots de Voltaire, en 1778, lors du séjour diplomatique de Benjamin Franklin à Paris, l?homme d?État américain sollicitant l?aide des français dans la guerre que menaient alors ses compatriotes contre les Anglais.

Notes (LES RICHES ET LES PAUVRES. Lorsqu?on parle...)
1 Frédéric Farconnet (1807-1863), avocat et journaliste républicain, il sera en 1848 maire de Grenoble, représentant de l?Isère à la Constituante et à la Législative.

Notes (Avis. Nous nous empressons, quoique nous...)

Notes ( Variétés.)
1 Ces hommes furent tous intendant, contrôleur général ou ministre des Finances ; il s?agit de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), Nicolas Desmarets (1648-1721), Jean Moreau de Séchelles (1690-1760), Dominique-Vincent Ramel-Nogaret (1769-1829), Nicolas-François Mollien (1758-1850), Christophe Chabrol de Crouzol (1771-1836), Joseph-Dominique Louis (1755-1837).

Notes ( Littérature.)
1 Joseph Beuf avait fondé deux périodiques éphémères en 1832 : La Sentinelle du Rhône et Le Furet de Lyon.

Notes (Un journal destiné à retracer la gloire du...)
1 Charles Lautour-Mezeray avait fondé en 1828 avec Émile de Girardin Le Voleur : gazette des journaux français et étrangers. La publication mentionnée ici est Napoléon (voir numéro précédent) qu?il rédigera avec l?aide d?écrivains comme Frédéric Soulié (1800-1847) ou Samuel-Henri Berthoud (1804-1891).

Notes ( UN DISCIPLE DE CHARLES FOURRIER)
1 La dénonciation du commerce, activité parasite abritée par l?état actuel de « civilisation », est une constante de l??uvre de Charles Fourier : « Les manufacturiers et cultivateurs créent la richesse ; le commerçant ne produit rien, il n'est qu'agent distributeur, que valet des manufactures qui l'entretiennent. » (Ch. Fourier, Manuscrits, t. XI, p. 14-15.) L'analyse est très proche chez d?autres auteurs critiques de la période, Owen par exemple, qui note : « Votre système faux, vil, ignorant et mauvais m'obligeait à apprendre le commerce en achetant bon marché et à revendre cher. » (R. Owen, The life of R. Owen written by himself, in Selected Works, vol. 4, p. 29-30.)

Notes ( NOTICE
Sur la Guillotière.)

1 Childebert Ier (v. 497-558) qui fut roi de Paris, d?Orléans et co-roi de Bourgogne et épousa Ultrogothe (497-561).

Notes ( LE CANUT.
HISTOIRE CONTEMPORAINE,)

1 Marion Delorme (1613-1650) et Ninon de Lenclos (1616-1705), célèbres courtisanes.

 

 

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