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5 mai 1833 - Numéro 18
 
 

 



 
 
    
AU RÉDACTEUR.

Nous insérons sans commentaire, parce que la sagacité de nos lecteurs y suppléera, la lettre suivante :

Lyon, 17 avril 1833.

Monsieur,

L’Echo de la Fabrique étant une tribune ouverte à tous les ouvriers, et ayant été créé pour signaler les abus afin de les réprimer, je vous prie, dans l’intérêt de la classe que vous avez mission de défendre, de donner publicité à la présente.

Dans les premiers jours de février il me fut offert par MM. Mons et Moras un article courant lamé fond satin, convenu verbalement au prix de 2 fr. l’aune. Je les prévins que j’étais obligé de monter le métier, c’est-à-dire empottage, colletage, etc., etc. Je reçus la pièce le 16 février ; quand je rendis l’échantillon, je reconnus que le dessin ne me serait pas continué attendu qu’il ne se contresanplait pas ; effectivement on me le fit rendre pour le corriger ; l’ouvrier qui fabriquait cet article ne voulut pas attendre davantage ; il me quitta après avoir contracté une petite dette. Je reçus le dessin quelques jours après, mais étant dépourvu d’ouvrier, force me fut d’attendre. Il m’en survint un le 4 mars. Jugez de mon étonnement quand je m’aperçus que ce même dessin, qui avait été enlevé de chez moi pour le mettre en état de travailler, ne me permettait pas de faire journée avec, attendu que l’ouvrier était assujéti à casser sa trame à toutes les fleurs à la navette de fond pour favoriser le liage des cordons ; de plus, il n’y avait point de cordelines lisses. Je fus contrains de le faire ou perdre l’ouvrier ; je perdis encore beaucoup de temps ; enfin, la première coupe de 7 aunes 1/2 fut rendue le 25 mars ; la seconde de 29 aunes le 12 avril. MM. Mons et Moras ne voulurent pas consentir à ce que je finisse la pièce ; je les engageais à me continuer mon métier ; prière inutile ! Les 36 aunes 1/2 furent marquées 1 fr. 75, au lieu de 2 fr., sans doute pour m’indemniser des 25 fr. que j’avais dépensés. Indigné d’une conduite aussi peu loyale, je leur réclamais et les 2 fr. promis et mes frais de moulage. Inutile. Ils ne me comprenaient pas, ou du moins ils feignaient ne pas me comprendre. La façon des 36 aunes 1|2 se monte à 63 fr. 85 c., en prélevant la moitié pour l’ouvrier, il me restait juste 31 fr. 95 c. ; ce qui n’est pas même le montant de mes déboursés. Que faire dans une position aussi critique ? user de la dernière ressource, la justice ! les traduire à la barre du conseil. Malade depuis très long-temps, je ne pus assister aux débats. Un ami se chargea de ma défense, et certes il me défendit avec autant de zèle que s’il eût été salarié. Ah ! j’oubliais de vous dire que le jour même une heure avant de comparaître par-devant MM. les prud’hommes, ces messieurs envoyèrent leur commis pour me dire de rendre mes comptes et qu’ils me donneraient les 2 fr. promis, je répondis qu’il y avait toujours moyen de traiter quand on avait le cœur droit ; mon ami, chargé de me représenter, se transporta au magasin. Invariables dans leurs décisions, ils ne voulurent pas entrer dans le paiement de mes frais, alors ils se rendirent au tribunal. Le conseil accepta mon défenseur et prononça de la manière suivante : 19 fr. pour indemnité de montage ; plus, 21 fr. pour le temps perdu. Je vous assure, M. le rédacteur, que les 40 fr. qui m’ont été alloués pour toute indemnité ne me compensent pas, comme on pourrait le croire de prime à bord, [4.1]si vous faites attention à la date du jour que j’ai reçu et au jour que j’ai rendu, vous pourrez facilement reconnaître que mon métier m’a rendu 75 centimes par jour à peu près, dites-moi franchement si l’on peut appeler cela vivre en travaillant.

Encore un mot, rien que la vérité. MM. Mons et Moras ont sollicité plusieurs fois mon ouvrier à me quitter, et même lui ont fait des promesses ; je désirerais savoir de quel nom on pourrait qualifier une telle action ?

Agréez, etc.

N. J. Cristophe.

 

 

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