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19 mai 1833 - Numéro 20
 
 

 



 
 
    
UN DISCIPLE DE CHARLES FOURRIER

a ses concitoyens.

[4.1]Pour comprendre la nécessité de transformer le travail en plaisir, il a fallu d?abord analyser les passions humaines et voir s?il était possible de trouver un cercle dans lequel elles pussent se développer, se mouvoir et s?harmoniser dans un but social et universel. C?est cette analyse qui a conduit l?inventeur à reconnaître que l?homme était doué de douze passions principales, et que ces passions, étant l??uvre de Dieu, ne pouvaient qu?être bonnes et heureuses dans leur essor naturel, libre et spontané. ? Or, elles se divisent en cinq passions ou besoins des sens : Le goût, la vue, l?ouie, l?odorat et le tact ; quatre passions animiques : Amitié, ambition, amour et amour de la famille ; enfin, trois passions mécanisantes faussées dans leur emploi en civilisation et considérées par elle comme vices de l?organisation humaines. Ces trois passions nommées par Fourrier alternante ou papillonne, fougue réfléchie ou cabaliste, fougue aveugle ou composite, sont : L?alternante : Un besoin de variété et de changement. Ce besoin se manifeste plus ou moins vivement chez les hommes, par un penchant à passer d?un travail à l?autre, ou d?un plaisir à un autre plaisir, et tous ceux qui se sont quelque peu livrés à l?étude de notre pauvre humanité, seront d?accord avec nous sur ce point ; qu?il eût été bien plus sage sans doute, d?en chercher l?emploi que de la comprimer pour la tourner contre l?homme lui-même.

La fougue réfléchie : Un besoin de rivalités et d?intrigues inhérent à tous, mais ardemment exercé au sein des corporations, dans le commerce, dans l?industrie et surtout chez les ambitieux et salariés de toute espèce ; cette passion, qui est liée au c?ur de l?homme comme la vie est inhérente au corps, est pourtant très pernicieuse, soit à l?intérêt individuel, soit à l?intérêt collectif.

La fougue aveugle : Un sentiment d?exaltation qui résulte du frottement de plusieurs plaisirs ou souffrances réunis, faisant agir l?homme avant la réflexion et sans le concours de la raison : nulle crainte que l?existence de cette passion nous soit contestée, car chacun peut en soi ou autour de soi en mesurer les tristes effets.

Eh bien ! ces trois passions méconnues et diffamées par la civilisation, traitées par la médecine philosophique et morale, comme vices de la nature, seront pourtant très heureusement employées dans la théorie sociétaire personnifiée, où elles sont appelées même à remplir la fonction la plus importante.

Le travail étant, comme nous l?avons dit, le fait naturel de tous les hommes : comme il est le seul moyen d?arriver au bien être matériel de tous par un accroissement spontané et rapide de la richesse générale, garanti par une équitable répartition en travail, capital et talent, seule voie de concorde, de paix et d?harmonie, il est aussi la pierre fondamentale du nouvel édifice sociétaire, et nous devons examiner maintenant quels sont les moyens de l?appliquer heureusement à l?exigence de la nature et des passions de l?homme.

Distribué en subdivisions tant minimes que possible, passionnant l?homme par les bienfaits et bénéfices immenses qui jailliront du régime sociétaire ; exercé en séances courtes, avec liberté entière de prendre dans un travail quelconque la parcelle de son choix et fournissant à chacun, par la division parcellaire des travaux, une foule de moyens faciles d?éclosion de vocations et d?aptitude multipliée à des industries différentes, le travail [4.2]produira instantanément l?attraction et satisfera pleinement le besoin de varier, de passer d?un travail d?esprit à un travail de corps, en même temps qu?il répondra au v?u de la nature qui s?oppose à ce que l?homme soit sans cesse affecté à une seule et même fonction : abus déplorable dont nous croyons avoir assez marqué les tristes résultats en civilisation, pour qu?il nous soit permis aujourd?hui de nous abstenir de nouvelles réflexions sur ce sujet.

Avant d?examiner si les onze autres passions décrites et analysées par Fourrier seront également satisfaites par l?application de son mécanisme sociétaire, nous appelons l?attention de nos lecteurs sur ceci. ? Chaque industrie exercée, puis représentée dans toutes ses subdivisions par des groupes de travailleurs affectés à chacune d?elle, ces différens groupes réunis représentant à leur tour cette industrie ; dans son ensemble, produiront la série de groupes harmonisés par similitude et contrastes de fonctions, et passionnés pour cette industrie, au développement productif de laquelle chaque membre de cette série aura concouru. ? Que si l?on veut maintenant réfléchir, que l?homme cédant à ses impulsions naturelles, facilité par les séances courtes et variées par l?extrême division des travaux, voudra et pourra dans un jour, une semaine, un mois, un année enfin, intervenir dans six, dix, vingt, trente industries différentes, et plus encore, avantage que ne saurait lui procurer notre régime civilisé, mais bien le régime sociétaire, par l?extrême division des travaux, les courtes séances et l?éclosion des vocations résultante surtout de l?éducation harmonieuse dont nous aurons bientôt à parler ; on saisira déjà l?immense portée de cette découverte et on se demandera, nous en sommes persuadés, pourquoi les monopoleurs de la science et de l?humanité ont mis tant d?acharnement à empêcher que la voix de l?inventeur arrive jusqu?à nous.

Le besoin de rivalités ou d?intrigues sera pleinement satisfait dans la division des travaux par groupes échelonnés, gradués et fonctionnant en opposition avec d?autres groupes, sans danger de lutte et collision ; cette forme de concurrence, loin de ressembler dans ses effets à la concurrence civilisée, qui ne peut favoriser un intérêt qu?en froissant un autre intérêt, sera très heureuse en régime sociétaire où les rivalités se trouveront à la fois alimentées et équilibrées, soit par le plaisir qui entraînera à un travail productif de son choix, soit par l?enchaînement de divers sentimens sympathiques qui résulteront naturellement de l?assemblage d?un groupe composé de femmes, enfans, hommes ou vieillards, auxquels on se sera librement associé.

Le sentiment d?exaltation s?exercera ardemment et avec fruit, chez l?homme que tout entraînera dans le mouvement harmonique d?une phalange et qui sentant qu?il a une part réelle à l?action sociale, ne saurait dès-lors rester morne et impassible, au milieu d?une masse joyeuse, emportée, exaltée par le chant, la musique ou les fanfares bruyantes. ? Mais, nous dira-t-on, la musique, le chant ou les fanfares, viendront donc présider aux travaux industriels ? Pourquoi non, s?il vous plaît. Eh quoi ! la musique, ce levier si puissant de magie qui jette l?homme paisible sur les champs de bataille, et lui fait affronter mille morts pour une chimère ou un caprice ! Le chant ! ce levier non moins puissant, qui laisse des traces si profondes parfois dans la vie des nations ! N?est-ce pas lui qui dans un temps déjà reculé, fit triompher la France de l?Europe coalisée, prête à l?étouffer dans ses serres bordées de canons et de baïonnettes !

Et vous seriez étonnés, que détournant les arts de leur sentier étroit et mesquin nous les fissions marcher à la tête des armées industrielles ; mais de ce que le chant, la musique et les fanfares n?auraient plus à précipiter le soldat sur un champ de bataille, les fanfares, la musique et le chant seraient-ils donc morts ? De ce que la poésie n?aurait plus à chanter les froids cadavres qu?elle compte sur les champs de mort et que dévorent les révolutions, serait-elle donc frappée au c?ur ? Et de ce que la littérature cesserait d?enrichir d?une enveloppe gracieuse et mensongère les turpitudes et les erreurs du monde civilisé, la littérature aurait-elle donc achevé sa carrière ?

Non ! un avenir immense s?entrouvre et se développe à nos yeux ! Que tous se préparent au grand mouvement qui s?avance ; car une nouvelle vie, grande, belle et majestueuse bientôt se saisira et des hommes et des arts, pour leur imprimer une marche brillante de richesse, d?harmonie et de bonheur !

R...... cadet.

 

 

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