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26 mai 1833 - Numéro 21
 
 

 



 
 
    
 

Question lyonnaise.

La question lyonnaise que traite M. Cauchois-Lemairei1 dans l?article qu?on va lire, extrait du Bon Sensii, est celle de l?industrie tout entière ; elle n?est pas plus anglaise que française ; elle est universelle ; à Londres comme à Paris, à Bristol comme à Lyon, elle doit être résolue de la même manière. Nous avons cru utile de donner sur cette matière importante l?opinion d?un homme aussi consciencieux et patriote que M. Cauchois-Lemaire.

« L?Europe industrielle, la France comme l?Angleterre, est travaillée par une crise profonde. Les émotions populaires, qui viennent de temps à autre agiter la surface, les troubles de Lyon et de Paris, comme ceux de Bristol, ne sont pas, ainsi que quelques hommes affectent de le croire, des faits exceptionnels, des cas maladifs, des accidens de la vie sociale, il y a un sens véritable, un but caché, mais instinctif, au fond de ces révoltes fréquentes et de ces émeutes sourdes ou expansives. C?est ce but, suffisamment indiqué par les misères [1.2]saignantes et palpables des classes inférieures, qu?il faut saisir dans l?intérêt même de la conservation de la société.

Le sort des ouvriers en soie, connus à Lyon sous le nom de canuts, appelle en effet les plus grandes améliorations. Le prix de leur salaire a baissé d?un tiers et même de moitié depuis dix ans, et l?on cite tels articles qui ne permettent pas à l?ouvrier compagnon de gagner plus de vingt sous en travaillant seize heures par jour. De là la cause de la guerre ouverte entre les ouvriers et les fabricans, guerre qui ne peut se terminer que par la hausse des salaires ou par la diminution du prix des denrées. Nous ne parlons pas des mesures violentes qui pourraient devenir nécessaires si les ouvriers passaient du mécontentement à la révolte, mais qui ne feraient, du reste, qu?entraver la solution inévitable de cette grande question.

Il y aurait un beau rôle à jouer dans cette circonstance pour un pouvoir municipal institué dans un but industriel et qui prendrait mission d?harmoniser les intérêts de cette grande famille de travailleurs. Une municipalité paternelle ne pourrait-elle pas appeler à elle les intérêts en souffrance, chercher, en coordonnant les faits sociaux, à resserrer les liens sympathiques qui doivent unir les membres de la même industrie, et réclamer en leur nom les améliorations convenables pour rétablir la balance entre le prix de la main-d??uvre et celui des choses nécessaires à l?existence des classes laborieuses.

Il faudrait commencer par supprimer ou modifier les impôts qui pèsent démesurément sur les classes pauvres.

Tout est imposé, le pain, le sel, le vin, la viande, le loyer, le chauffage et les vêtemens :

Le pain imposé par la législation des céréales faite au profit de la propriété : cette législation ne sera pas révisée cette année ainsi que l?exige la loi de l?année dernière, quoiqu?il paraisse convenable de profiter du bas prix du pain pour en opérer la révision ;

Le sel imposé au-delà de toute mesure au profit du fisc royal ;

Le vin imposé au profit du fisc royal et du fisc municipal et doublé de valeur dans les villes ;

La viande imposée d?une part au profit de la propriété par des droits de douanes exorbitans, et imposée d?autre part au profit du fisc municipal ;

[2.1]Le loyer imposé par le fisc royal : l?impôt des portes et fenêtres, disait M. Humann l?année dernière, présente des inégalités et des inconvéniens ; et comme il n?est au fond qu?une addition à la contribution foncière de la propriété bâtie, il vaudrait mieux l?asseoir comme celle-ci sur le revenu net, ce qui aurait l?avantage de le proportionner avec la valeur de la matière imposable et avec les facultés qu?elle présuppose ; nous ajouterons, quant à la contribution personnelle, que la fixation du prix de la journée qui lui sert de base, étant la même pour tous, elle n?est qu?une véritable capitation ;

Le chauffage imposé au profit des propriétaires de bois, par la législation sur les fers et les houilles ;

Enfin, le vêtement imposé au profit du propriétaire de terre, par la législation sur les laines, et au profit du propriétaire d?usines, par la législation sur les tissus de laine.

Voilà où est le mal. Que les taxes imposées à la consommation soient donc progressivement diminuées jusqu?à leur entière suppression ; que les monopoles, déguisés sous l?apparence de protéger les industries nationales, soient abolis graduellement et de manière à ne pas trop froisser les intérêts particuliers ; en un mot, que, déposant la sécheresse du c?ur, l?endurcissement fiscal et l?amour du privilége, le gouvernement embrasse franchement le principe populaire, et il pourra parvenir à empêcher tous ces élémens d?antagonisme, qui s?agitent dans la classe des travailleurs, de se développer avec énergie, et d?acquérir ainsi assez de force pour inquiéter notre organisation sociale. »

Cauchois-Lemaire.

Notes (  Question lyonnaise. La question lyonnaise que...)
1 Louis-François Auguste Cauchois Lemaire (1789-1861), journaliste, figure de la contestation libérale et bonapartiste sous la Restauration avait refusé, par souci d?indépendance, une pension que lui accordait Louis-Philippe au lendemain de Juillet. Rapidement dans l?opposition, il fonde à Paris en mars 1832 Le Bon Sens. Journal populaire de l?opposition constitutionnelle.

 

 

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