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26 mai 1833 - Numéro 21
 
 

 



 
 
    
 INDUSTRIE LYONNAISE.

fabrique d’étoffes de soie.

Depuis bientôt trois ans que notre industrie languit, nous la voyons enfin reprendre son essor, tout semble nous annoncer du travail. Déjà quelques articles, tels que les schals, ont repris de l’activité, et une légère augmentation de salaire a eu lieu pour cette fabrication ; maintenant l’Amérique vient de faire des demandes en étoffes de tous genres, qui paraissent devoir occuper nos ateliers pendant quelques temps. Paris, ce centre de consommation, semble vouloir aussi cette année surpasser en commandes les précédentes. Quelques fabricans qui ont dans leur voyage de la capitale devancé leurs confrères, ont fait connaître cette heureuse tendance des acheteurs. D’un autre côté, si, comme nous avons lieu de l’espérer, une alliance commerciale se conclut entre la France et l’Angleterre, une longue suite de travail viendra relever de l’abattement et de la misère nos nombreux ouvriers, ces familles qui, depuis si longtemps, n’ont vécu que de privations ; ces hommes dont l’irritation attestait les souffrances physiques et morales, ont besoin, aujourd’hui que leurs ateliers seront recherchés, d’être traités avec cette douceur, cette aménité dont certains fabricans n’auraient jamais dû se départir. Nous le disons franchement à ces messieurs, le temps est venu de ne plus traiter avec hauteur et dédain ceux dont le travail est pour eux une source continuelle de fortune ; ce n’est que par la douceur et un salaire suffisant, que l’ouvrier, exténué de privations, ranimant son courage abattu, pourra activer un travail toujours forcé dans les momens de grande activité ; ce n’est qu’en rendant plus heureux ces hommes généreux qui, après la victoire, protégèrent les comptoirs et les magasins [2.2]de ceux qui furent leurs agresseurs, que cette funeste division qui existe entre deux classes d’hommes, qui ne peuvent se passer l’une de l’autre, s’évanouira, que les haines produites par l’égoïsme et la misère s’éteindront.

Une augmentation du prix des façons paraît forcée, déjà nos meilleures maisons s’y attendent et agissent en conséquence ; plusieurs ont déjà augmenté de quelques centimes. Ainsi, pour prévenir la concurrence fâcheuse, que peuvent faire à leurs confrères les petits négocians qui ne spéculent que sur le bas prix de la main-d’œuvre, nous publierons incessamment les prix courans des étoffes de tous genres. Nous remplacerons par là la Mercuriale que le conseil des prud’hommes a laissé tomber en désuétude. Nous éclairerons à la fois les négocians et les ouvriers sur les prix véritables. Par cette publicité chacun sera instruit sur ses véritables intérêts, et nous préviendrons cette monstrueuse différence que l’on voit exister dans les prix de façon d’une même étoffe, différence que l’on a vu varier jusqu’à 50 c. par aune, quoique la fabrication fût exactement la même.

Ce n’est que dans une augmentation générale des prix de main-d’œuvre, que nous concevons la prospérité de la fabrique lyonnaise d’une manière naturelle. Dans presque toutes les villes manufacturières les salaires sont élevés ; il doit en être de même dans la nôtre. Dans le moment où l’augmentation des soies élève le prix des étoffes de 50 c. à 1 fr. par aune et même plus, pourrait-on refuser à l’ouvrier une augmentation de 10 à 25 c. ?

Cette augmentation générale de salaire que nous désirons, parce que nous la croyons juste, indispensable et dans l’intérêt non-seulement des ouvriers et des négocians, mais encore dans celui de toute la population, ne saurait même nuire à aucun négociant individuellement ; qu’on ne s’alarme pas de la concurrence étrangère dont on fait tant bruit ; elle a si peu de réalité que nous n’avons jamais aperçu que la concurrence locale, pour cause efficiente de la misère des ouvriers. Si donc l’augmentation du prix de la main-d’œuvre, est de 5 c. par fr. sur le prix de la valeur de l’étoffe ; cela ne porte une étoffe du prix de 5 fr. qu’à celui de 5 fr. 25 c., ce qui n’empêchera certainement pas de vendre, et comme il s’exporte à l’étranger pour environ cent millions de soieries, ce serait quelques millions qui entreraient de plus en France, et seraient déboursés par les consommateurs étrangers. Un salaire plus élevé, réparti entre les travailleurs de toutes les branches, ferait ainsi renaître une aisance dont notre ville a le plus grand besoin.

Cette aisance, par la consommation qu’elle produirait, se communiquerait à toute la France ; c’est un fait si peu contestable que l’aisance de la population d’une grande ville fait l’aisance des autres, et que c’est ainsi que le bonheur d’une nation se forme des bonheurs individuels ; que nous ne concevons pas qu’un gouvernement, quel qu’il soit, ne tende pas vers ce but par tous les moyens.

F.......t1.

Notes ( INDUSTRIE LYONNAISE.)
1 L’auteur de cet article est très probablement Falconnet. L’année 1833 amorce pour la Fabrique la sortie de cinq dures années de crise économique, accentuée par les événements politiques de Juillet 1830.

 

 

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