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18 décembre 1831 - Numéro 8
 
 

 



 
 
    
NOUVELLES DIVERSES.

M. le président du conseil des ministres vient d'accorder à M. le colonel de la garde nationale de Nantes une somme de 6,000 fr. pour la société industrielle de cette [7.2]ville. Cette somme servira, conformément aux statuts de la société, à faire instruire et à mettre en apprentissage des enfans d'ouvriers pris parmi ceux dont les facultés ne pourraient, dans les circonstances actuelles, faire les dépenses nécessaires pour cet objet.
(Le Breton.1)

- Le ministre du commerce et des travaux publics vient, par une ordonnance collective du 3 de ce mois, de faire mettre à la disposition des préfets des départemens ci-après désignés, les allocations de secours pour pertes de cette année, résultant des incendies, de la grêle, des inondations et des épizooties, dont le détail suit :

Allier (secours supplémentaires), 12,000 fr.
Creuse, idem, 2,100 fr.
Marne, id., 15,000 fr.
Haute-Marne, id., 1,000 fr.
Basses-Pyrénées, id., 600 fr.
Bas-Rhin (nouveaux secours), 4,500 fr.
Rhône, id., 2,500 fr.
Haute-Saône, id., 1,000 fr.
Seine-et-Marne, id., 900 fr.
Total : 39,600 fr.

- Une ordonnance du Roi, rendue le 5 décembre courant, sur le rapport de M. le ministre du commerce et des travaux publics, autorise la compagnie du canal de Givors à exécuter les travaux nécessaires pour le prolongement de ce canal, de la ville de Rive-de-Gier jusqu'au lieu dit la Grande-Croix (Loire).

- Le Courrier du Bas-Rhin2 dit, à propos des troubles de Lyon :

« Heureusement nous n'avons point chez nous de pareils événemens à craindre. Les ouvriers de nos manufactures d'Alsace ne sont point, comme la plupart de ceux de Lyon, en-dehors des maisons pour lesquelles ils travaillent. Les nôtres sont presque tous attachés dès longues années aux fabricans qui les emploient. Ils sont réunis dans des ateliers où ils forment comme autant de familles, dont les intérêts sont liés à ceux de leurs chefs.

Aussi, quand le commerce languit, quand ils voient les fabricans faire chaque jour de nouveaux sacrifices dans l'espoir d'un meilleur avenir, nos ouvriers leur tiennent compte de cette générosité, et attendent patiemment avec eux que la prospérité renaissante du commerce leur permette d'améliorer leur sort. »

- On s'occupe en ce moment, à Paris, de l'établissement de nouveaux chemins de fer. Des compagnies en projettent de Paris à Lyon, et de Strasbourg à Paris. On assure même qu'un ingénieur anglais, sir Henry Pernell, se propose de soumissionner un chemin de fer de Paris à Calais ; une communication semblable s'établirait de Londres à Douvres, et 16 ou 17 heures suffiraient alors pour faire le voyage de Paris à Londres.

- Les ouvriers de Bar-le-Duc ont adressé une pétition au préfet pour obtenir augmentation dans la main-d'?uvre et uniformité de prix de la part de tous les fabricans ; en un mot, l'établissement d'un tarif à l?instar des ouvriers de Lyon.
(Journal de la Meuse.3)

- Il est à remarquer que l'Angleterre, ce pays si riche, si producteur, si puissant par l'immensité de ses productions commerciales, et qui ne sort pas comme nous d'une convulsion politique, éprouve comme nous un profond besoin de paix extérieure, et voit comme nous  sa population  ouvrière exposée au malheur de l'indigence par la diminution des travaux de toute nature.

[8.1]Chose à remarquer pour nos hommes politiques ! Le roi d'Angleterre trouve un moyen de répression pour les troubles de Bristol,4 dans la proposition au parlement d'un meilleur système municipal ! Cela donne à penser pour nous, qui ne trouvons d'autre moyen qu'une répression matérielle, toutes les fois que la société est agitée par un besoin général et impérieux. En Angleterre, on fait peu de phrases et beaucoup d'affaires.

- Ce n'est pas nous assurément qui nierons les bien-faits immenses procurés au monde pacifique par la liberté de l'industrie. Nous savons que c'est une période que les travailleurs ont dû traverser pour en finir à jamais avec leurs ennemis irréconciables, la noblesse et le clergé ; nous savons aussi les résultats prodigieux que la concurrence a produits, résultats nécessaires de toute surexcitation de l'individualisme, qui momentanément a toujours enfanté des sortes de prodiges ; ainsi il est incontestable que la richesse publique de tous les peuples a été considérablement et merveilleusement augmentée depuis l?époque du laissez faire, laissez passer. Qu'en conclure ?... Qu'il n'est que plus déplorable de voir, au milieu de cet accroissement irrégulier de la richesse, croître en proportion la misère du plus grand nombre ; de voir les neuf dixièmes de la population mal vêtus, mal nourris, à la porte de ceux que le travail de leurs mains nourrit et habille avec tant de faste. Et qui engendre et maintient cette disproportion déplorable, si ce n'est la concurrence elle-même, cette guerre sourde, cette lutte intestine d'ouvriers à ouvriers, de maîtres à maîtres, d'ateliers à ateliers, d'une branche d'industrie à l'autre, de ville à ville, de nation à nation, et dont en définitive les ouvriers supportent la plus lourde charge, tandis que tant de maîtres eux-mêmes meurent à la peine ?

Oh ! pour tout homme qui n'a pas été entièrement étouffé dans l'atmosphère d?égoïsme qui pèse sur les sociétés actuelles, et qui se sent encore des entrailles d'homme, qu'il doit tarder de voir clore ce cruel spectacle ! Le canon de Lyon est le premier signal d'une grande ?uvre à accomplir, ?uvre immense qui effacera la gloire de toutes celles du passé. Il n'y va de rien moins que de pacifier, d'harmoniser, de relier toutes les industries, tous les travailleurs du globe. En vain les individus et les peuples voudraient s'isoler : l'homme est né pour l'association ; tous les hommes, individus et peuples, sont solidaires entre eux. L'industrie qui n'a connu jusqu'à présent que des pouvoirs hostiles, a nié tout pouvoir et toute direction, et elle s'est égarée. Quel est l'homme puissant qui lui fera accepter les rênes ? Encore une fois, point de violence d'un côté ni de l'autre ; c'est une ?uvre sainte et religieuse à entreprendre, ou, si vous le voulez, c'est une affaire de traités et non de fusils. La diplomatie qui mènera à bien ce démêlé sera la première des diplomaties, le protocole qui fermera cette arène sera le plus glorieux des protocoles.
(Le Globe.5)

- On lit dans le Journal du Commerce de Lyon :

« La presse périodique de notre ville va, nous assure-t-on, s'enrichir de cinq nouvelles publications. Les journaux, dont on annonce l'émission comme fort prochaine, sont : la Vedette du Rhône ; le Frelon, journal littéraire ; le Pacificateur ; le Lyonnais et l'Ermite du Rhône. »

Parmi les feuilles périodiques qui doivent être mises au jour, nous nous étonnons de ne pas voir celle du gascon, la Vérité, on l'attend avec une grande impatience : il parait qu'elle est difficile à trouver.

- [8.2]La paix intérieure et extérieure paraissant assurée, la tranquillité étant parfaitement rétablie, le commerce reprend quelque activité. Déjà le besoin se fait sentir dans divers articles ; des commandes, nous assure-t-on, viennent d'être faites par la Russie et l'Angleterre, dans divers genres. Les teinturiers, les monteurs de métiers, sont occupés, et plusieurs chefs d'ateliers qui ont remonté leurs métiers manquent d'ouvriers, parce que ceux-ci, ne pouvant gagner leur vie en travaillant à des prix si minimes, se sont retirés à la campagne chez leurs parens, ou ont passé à l'étranger. Ainsi une augmentation dans la main-d'?uvre, malgré la ténacité des négocians, paraît assurée par la conséquence inévitable de la force des choses.

- On lit dans le Constitutionnel :

Nous avons parlé d'un legs que le major-général Martin, mort aux Indes, en 1799, possesseur d'une immense fortune acquise par son industrie, avait fait par son testament, pour la fondation, dans la ville de Lyon, sa ville natale, d'une institution, sous le nom d'école de la Martinière, destinée à l'enseignement des sciences et des arts6. Le Bulletin des Lois (n° 125) contient une ordonnance du 29 novembre, dont l'objet est d'assurer l'exécution de cette fondation, au moyen des capitaux et intérêts accumulés du legs qui était de 250 mille roupies sicka.

L'école fondée portera le nom d'école de la Martinière, et sera établie dans les bâtimens de l'ancien cloître des Augustins de la ville de Lyon. Elle est destinée à l?enseignement gratuit des sciences et des arts, dont la connaissance et le perfectionnement peuvent ajouter à la prospérité des manufactures et des fabriques lyonnaises.

- Le fort de Montessuys est mis en ce moment en un état de défense complet ; de l'artillerie y a été conduite et placée ces jours derniers.

- Le nouveau conseil municipal de la Croix-Rousse a été installé par M. Richan, maire actuel.

- L'ordre est arrivé à Besançon de désarmer la place ; l?on a déjà commencé cette opération.

- On dit que les divers régimens destinés à tenir garnison à Lyon, vont être répartis dans les départemens environnans, et que Bourg recevra celui du 66e de ligne.

Notes (NOUVELLES DIVERSES.)
1 Journal publié à Nantes, à partir de 1829, émanation de la Préfecture.
2 Journal libéral crée à Strasbourg durant l?été 1829.
3 Le Courrier de la Meuse est créé à Liège par Kersten en 1820. Semble après la révolution belge de 1830 devenir le Journal de Bruxelles.
4 Bristol et ses alentours, trois semaines avant l?insurrection lyonnaise, connurent des émeutes violentes au cours desquelles « le prolétariat agricole brûlait les demeures de l?aristocratie » (F. Rude, Le mouvement économique et social, ouv. cit., p. 688.). Certains observateurs anglais n?hésitèrent pas d?ailleurs à rapprocher les deux évènements pour y voir le signe de l?incurie des classes dirigeantes : « L?esprit d?insubordination, de violence et de rapine de la populace de Bristol, les tentatives d?incendie sans cesse renouvelées dans plusieurs paroisses, l?état de misère et de dénuement dans lequel la maladie épidémique (le choléra) a rencontré les masses de Sunderland, et enfin les évènements de Lyon, que nous apprennent-ils autre chose, si ce n?est l?inconcevable folie dans laquelle on persiste, de négliger l?amélioration du sort des classes inférieures de la société » (extrait du Globe and Traveller cité dans F. Rude, Le mouvement économique et social, ouv. cit., p. 688.)
5 Journal littéraire fondé en 1824, devient à partir de l?automne 1828, sous l?impulsion en particulier de Pierre Leroux, un organe d?action politique libéral. Au lendemain de la Révolution de Juillet et jusqu?à avril 1832, dirigé désormais par Michel Chevalier, Le Globe devient le principal organe de l?opinion saint-simonienne.
6 Claude Martin (1735-1800), lyonnais d'origine modeste avait fait fortune en Inde, acceptant, après 1763, le brevet d'enseigne dans leur Compagnie que lui proposaient les anglais. Il sera par la suite directeur de l'arsenal de Lucknow et, en 1795, promu au grade de major-général. A sa mort il légua sa fortune aux enfants de Calcutta, Lucknow et Lyon, demandant que cet argent servent à la création d'écoles qui porteraient son nom.
Au printemps de l'année 1832, L'Echo de la Fabrique va s'intéresser de près au débat ouvert à l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon concernant l'emploi des sommes remises par Claude Martin à la ville de Lyon. Deux positions s'affrontent sur le meilleur moyen d'assurer un enseignement théorique et pratique ouvert au plus grand nombre : l'une favorable à la création d'un internat, l'autre à celle d'un externat. Arlès-Dufour s'exprimant dans L'Echo de la Fabrique du 15 juillet 1832 défendra dans les termes suivants la cause, finalement retenue, de l'externat : « Si la Martinière était pensionnat, le but du major-général Martin serait certainement manqué, car les enfans d'ouvriers en seraient en partie écartés : l'intrigue obtiendrait les bourses. Les fils du portier d'un préfet, d'un maire, d'un académicien, ou bien le fils d'un parent éloigné de ces MM., ou de quelques puissans du jour, auraient toujours l'avantage. L'intrigue ferait tout; et l'homme qui travaille du matin au soir pour gagner sa vie n'a ni le temps, ni la souplesse, ni les allures qu'il faut pour intriguer avec succès » (n°38, 15 juillet 1832, p. 2).

 

 

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