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24 juin 1833 - Numéro 25
 
 

 



 
 
    

UN DISCIPLE DE CHARLES FOURRIER

a ses concitoyens.

Suite audu 19 mai. (Voy. N° 20, pag. 160.)

Les développemens auxquels nous nous sommes livrés sur les trois passions mécanisantes, alternante, fougue réfléchie et fougue aveugle, ont dû faire comprendre toute leur importance et laisser entrevoir les immenses résultats qu?elles produiront dans l?organisation sociétaire ; poursuivons.

L?ambition ! cette soif qui nous dévore tous, grands et petits, riches ou pauvres ; arme si dangereuse dans notre bourbier civilisé, qu?elle blesse de ses mille aiguillons, tout ! même la main qui la caresse ; présente à l?homme deux buts à atteindre : pour les uns la richesse ! la gloire pour les autres !

Mais c?est que la richesse est un fruit qui tue, dès qu?elle s?élève isolée sur un immense réseau de masures ! et la gloire est un fantôme hideux, qui va toujours puisant la vie dans les souffrances agonisantes de l?humanité ! c?est ainsi que nous l?ont faite et léguée soixante siècles dans l?enfance, comme si nous n?avions reçu cette passion de la nature que pour en faire un si mince profit.

L?amitié ! ce lien si noble et si beau qui devrait enchaîner les hommes d?un pôle à l?autre pôle, n?est qu?un rêve qui bientôt s?enfuit avec nos jeunes années : aussi, à peine avons-nous quitté les bancs de l?école, que déjà nous nous entrechoquons dans le monde. ? Là, viennent se poser entre nous l?intérêt de l?un froissant l?intérêt de l?autre, celui d?une minorité pesant sur la majorité, ou bien encore celui d?une majorité pesant sur la minorité ! alors l?amitié n?est plus qu?une coupe richement ornée que nous saisissons tous et où chacun de nous vient boire amertume et déception, puis, bientôt désabusé, la jette loin de lui.

L?amour ! Nous voudrions bien ne faire qu?indiquer cette passion qui brise et étouffe presque tous les c?urs, car nous avons jeté nos regards sur la société ; nous [6.2]avons long-temps médité, réfléchi ; et si nous étions sans but à atteindre, nous étoufferions notre voix, car en arrachant le bandeau qui couvre la lèpre qui nous dévore nous ne ferions que la rendre plus hideuse encore. ? Ils sont sévères, sans doute, les reproches que nous adressons à la civilisation ; ils le sont surtout pour ces quelques hommes tout bouffis de saine morale et de philosophie, qui ne voient rien de mieux que ce qui est, se font les arbitres du destin, puis, placés entre nous et lui, disent ingénument : vous n?irez pas plus loin !

Pourtant, un pas dans l?avenir et près d?y mettre l?autre, nous voudrions les entraîner avec nous ; car telle est notre mission ! et voila pourquoi nous déroulons en­fin à leurs yeux notre pensée tout entière.

Qu?est-ce donc aujourd?hui que l?amour ? Rien autre qu?une décevante illusion à laquelle, cependant, nous venons tous payer notre tribut ! Rien qu?un sentiment rétréci, dévoyé par cette civilisation qui blesse tout ce qu?elle atteint ; rien enfin qu?un piège redoutable pour la femme et pour l?homme, mais pour la femme surtout ! Etrange aberration de nos pourvoyeurs de codes moraux et philosophiques ; qui, l?élevant dans une perpétuelle défiance de l?homme, la laissent sans défense contre lui : tyrans sans frein, perdant en dignité tout ce qu?ils lui en arrachent ! et qui se sont frayés une large voie à travers la vie, pour ne laisser à la femme qu?ennuis, dégoûts, servitude ! en regard, ridicule, sarcasmes ou déshonneur ! Et point d?armes pour résister aux attaques multipliées qui viennent l?assaillir de toutes parts?

Oh ! c?est pitié vraiment que de fouiller un peu loin dans la vie ! Le courage nous manque pour arracher le dernier lambeau du voile ; mais nous en avons dit assez pour être compris.

L?amour de la famille ! Cette passion, qui bientôt après vient prendre sa place au c?ur de l?homme, n?accuse pas moins sévèrement que nous l?impuissante faiblesse de la civilisation ! car, malgré les limites qui la resserrent et l?isolent, souvent elle s?échappe au dehors pour condamner le mode d?isolement des familles et nous faire entrevoir le v?u de la nature, essentiellement ennemi de cette méthode. ? Aussi, nous ne saurions trop le répéter ; souvent nous cédons au besoin de nous soustraire à l?uniformité monotone du famillisme ! car il est à lui seul impuissant à alimenter tous nos sentimens, toutes nos affections. Et en dépit de nos doctes précepteurs, de nous-mêmes, bien qu?habitués à lutter sans cesse contre nous, ces sentimens et ces affections ont parfois la voix plus forte, plus impérieuse que celle de ce que nous nommons raison, règle sociale.

Certes, on ne récusera pas notre parole, quand nous disons que les relations de famille ne sauraient à elles seules satisfaire tous les besoins du c?ur, de la vie morale enfin : car telle est la vérité !

Peut-être aussi comprendra-t-on, comme nous, que nous ne sommes pas nés les éducateurs de nos enfans, qui, bien souvent, presque toujours, ne sont que les jouets de nos caprices ou de nos boutades de mauvaise humeur, toutes choses que la civilisation nous a départies sans mesure et sans emploi, et qui, viciant chez eux les dispositions de la nature, ne les portent pas toujours, bien s?en faut, à nous considérer comme leurs bons amis ! De même aussi qu?il nous plaît bien rarement à nous, d?être sans cesse tourmentés de l?agitation bruyante de l?enfance et des charges de la famille.

Enfin, s?il manquait encore quelque chose à nos développemens [7.1]sur l?insuffisance des relations de famille ; à nous viendrait encore s?offrir une preuve que nous rencontrons à chaque pas, l?absence d?harmonie ! ? Ce lien rencontre partout des écueils et se brise toujours contre la dissonance des caractères et l?intérêt de chacun, appelant avec nous l?emploi des passions et leur association combinée avec les intérêts de tous.

R...... cadet.

 

 

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