Retour à l'accueil
30 juin 1833 - Numéro 26
 
 

 



 
 
    
UNE PRÉVENTION,

Mystification en trois petits actes et en prose,

PAR CLAUDIUS BOU....

L’on mesure tout le monde à son aune. (Proverbe.)

ACTE PREMIER.
(La scène se passe dans le modeste appartement de Jumelle, à la Croix-Rousse, le 9 juin 1833.)

SCÈNE PREMIÈRE.

bouton (en entrant.)
Bonjour, confrère, comment ça va-t-il ?

jumelle.
Bien, mon ami, très-bien !

bouton.
Le plaisir de vous voir est pour beaucoup dans cette visite, mais, par la même occasion, je voudrais vous demander si vous ne connaîtriez pas quelque fabricant qui monte de gros satin.

jumelle.
Vous ne pouvez pas mieux tomber, M. Marque-Bien sort d’ici en me disant que si je connaissais quelques bons enfans, qui aient une belle main-d’œuvre, de les lui envoyer.

bouton.
Bah ! ça me va joliment : donnez-moi l’adresse de ce M. Marque-Bien.

jumelle.
Marque-Bien n’est que le premier commis, le chef se nomme Dix-Cent-Mille, voila son adresse (en lui remettant une carte) ; allez-y de ma part, et je suis certain que vous aurez une pièce ; ça ne va pas mal, et par ma considération l’on vous disposera.

bouton.
Je vous remercie ; à quatre heures j’irai voir ces messieurs, bonsoir, mon ami, au revoir.

DEUXIÈME ACTE.
(La scène se passe dans la cage de M. Dix-Cent-Mille.)

SCÈNE PREMIÈRE.
Bouton entre, et de ce que l’on sert une ouvrière fort aimable, il s’assied sur un banc de sapin, et après un quart d’heure environ, M. Pèse-Bien à Bouton :
Que souhaitez-vous ?

bouton.

Je viens voir, de la part de M. Jumelle, si vous avez quelque chose à disposer.

pèse-bien.

Je ne sais pas : (il appelle) M. Marque-Bien !

[3.2]SCÈNE II.

marque-bien.
Qu’est-ce ?

bouton
(à part contemplant l’ensemble du magasin).
Baraque !

pèse-bien.

C’est… l’on vient de la part de M. Jumelle

marque-bien.
Oui. (Après quelques questions insignifiantes il dit à Bouton) : Nous ne montons pas dans ce moment, mais c’est égal, on passera chez vous ; avez-vous un remisse ?

bouton
Non.

marque-bien.
L’on ira chez vous lundi.

bouton.
Je vous salue (Il va sur la place des Terreaux respirer l’air plus pur que celui de la cage noire de M. Dix-Cent-Mille).

TROISIÈME ACTE.
(La scène se passe dans la trop modeste chambre de Bouton.)

jumelle.
B
onjour, mon ami, vous n’avez point eu de visite de chez M. Dix-Cent-Mille (à part), je sais bien que non.

bouton.
Mais non, depuis hier je n’y comptais plus, et j’ai fait noter ma pièce dans mon magasin… A ça que paie-t-il ses gros satins.

jumelle.
Vingt-deux sous.

bouton.
Vingt-deux sous ! Quelle horreur ! Et vous les faites à ce prix-là ? Si vous me l’eussiez dit, vous m’auriez évité la peine d’aller chez M. Dix-Cent-Mille, et à M. Marque-Bien celle d’écrire mon adresse.

jumelle.
Je sais bien que ce n’est pas le prix, mais c’est une bonne maison.

bouton.
Ça ne m’étonne pas, vingt-cinq centimes de moins par aune que partout ailleurs ; ils ont bien fait de ne pas venir. J’aime mieux ma guenille : au moins si je ne gagne guère j’ai moins de regret.

jumelle.
Voyez-vous, mon ami… Ils auraient bien été chez vous… mais… je n’ose vous le dire…

bouton.
Achevez.

jumelle.
M. Marque-Bien m’a dit en confidence qu’il était possible que vous fussiez un bon enfant et un bon ouvrier… mais que vous ne leur avez pas convenu, parce que… votre figure marque mal (notez que Bouton porte la barbe à jeune France…).

bouton.
L’insolent !…

(Fin du 3e et dernier acte.)

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique