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30 juin 1833 - Numéro 26
 
 

 



 
 
    
CONSEIL DES PRUD?HOMMES.

(présidé par m. riboud.)

Audience du 27 juin 1833.

[4.1]D. Lorsque le demandeur ne comparaît pas lui-même sur l?invitation qu?il a remise à sa partie adverse, peut-il ensuite la faire citer.

? R. Non ; les frais de cette citation sont à sa charge ; il a à s?imputer d?avoir fait défaut sur sa propre demande.

Ainsi jugé entre Giraudon et Forest. La cause sur le fond a été renvoyée au lendemain.

D. Une apprentie peut-elle, après huit mois qu?elle a été nourrie chez son maître, sur la moralité duquel les renseignemens sont satisfaisans, demander à sortir sans payer d?indemnité, sous le prétexte qu?il n?y a que des garçons dans l?atelier ? ? R. Non.

L?apprentie du sieur Crozier a été condamnée à rentrer chez lui malgré son allégation que l?atelier n?était composé que de jeunes gens. Et attendu le défaut de conventions écrites, le conseil a arbitré à 100 fr. l?indemnité à payer dans le cas où elle persisterait à ne pas rentrer chez son maître.

D. Le fabricant qui a accepté du négociant une pièce sans s?assurer s?il pourrait être suffisamment couvert de ses frais de montage, et qui même a laissé ignorer à ce négociant qu?il était obligé de monter exprès son métier, est-il recevable à réclamer ensuite ces frais de montage ? ? R. Non ; il devait prévenir le négociant qu?il était obligé de monter son métier.

Ainsi jugé entre Lianffre, chef d?atelier, et Corderier-Lemire, négocians.

D. Lorsqu?un dessin n?est pas prêt pour le jour indiqué par le négociant, le chef d?atelier est-il fondé à demander une indemnité ? ? R. Oui.

Genet, négociant, avait promis pour le 24 juin, à Coq, chef d?atelier, un dessin pour deux métiers montés exprès. Le conseil l?a condamné à payer à Coq 3 fr. par jour pour chaque métier, à compter du 24 juin jusqu?à ce que le dessin soit fourni.

La cause la plus importante par ses résultats qui ait été produite à cette audience, est celle de Bouvery contre Delesse. Nous nous garderons bien de la résumer en une question pour servir à fixer la jurisprudence du conseil ; car, en conscience, nous ne pourrions poser la question que de cette manière : « Le conseil des prud?hommes a-t-il le droit de se contredire ? » et nous serions obligés de mettre à côté une réponse affirmative, ironie que nous ne pouvons nous permettre. Voici les faits ; les lecteurs en jugeront. Que la fabrique soit attentive !

Le 11 juillet 1832, Bouvery fit marquer sur son livre une pièce fournie par Delesse, mais il n?eut le dessin que le 3 août suivant. Dans leur réglement de compte opéré ces jours derniers, Delesse porta le laçage des cartons à la charge de Bouvery ; ce dernier, dans l?intérêt des principes, se refusa à l?abandon de la somme de 20 fr. 20 c., montant de ces frais de laçage, et fit citer Delesse. Le conseil a débouté Bouvery de sa demande en se fondant sur ce que le laçage des cartons n?avait été mis à la charge des négocians que dans son audience du 19 juillet 1832 (Voy. l?Echo, 1832, n° 22). ? Le conseil a eu deux fois tort, en fait et en droit. En fait, puisque c?est le 19 juillet 1832 qu?il a condamné les négocians à payer le laçage des cartons, la cause était toute jugée en faveur de Bouvery, la pièce dont s?agit n?a commencé à être fabriquée qu?après le 3 août, postérieurement à cette décision. En droit : nous prions le conseil de nous dire sur quoi il s?est fondé, le 19 juillet 1832, pour mettre le laçage à la charge des négocians. De deux choses l?une : ce laçage est dû par les négocians [4.2]ou par les chefs d?atelier. S?il est dû par les négocians, il l?était avant juillet comme aujourd?hui. Le jugement du 19 juillet n?a pas pu créer un droit, mais seulement le reconnaître. Sil est dû par les chefs d?atelier, pourquoi l?avoir mis à la charge des négocians ; et alors il n?est pas plus dû aujourd?hui aux chefs d?atelier qu?il ne l?était avant juillet 1832, car, nous le répétons, un jugement ne fait que reconnaître un droit et ne le crée pas. Point d?équivoque.

Le conseil des prud?hommes actuel est né des événemens de novembre, issus eux-mêmes des journées pacifiques d?octobre. C?est parce que la classe ouvrière s?est crue opprimée dans son salaire, qu?elle a fait entendre ses doléances en octobre 1831, qu?elle a demandé non-seulement un tarif mais la publicité des séances, la libre défense et le choix direct de ses prud?hommes, il y a solidarité entre les hommes d? octobre et ceux de novembre, c?est un fait qui doit rester hors de doute. Les blessés de novembre ne sont-ils pas sous le patronage des prud?hommes ? ces derniers les renient-ils ? non, ils font cause commune ; de nombreuses souscriptions l?attestent. Comment donc expliquer la conduite des prud?hommes chefs-d?atelier qui ont donné les mains à un pareil jugement ; à un jugement qui corrompt et détruit les seuls fruits utiles d?une époque désastreuse. Ce n?est pas à Bouvery qu?il importait de gagner son procès, mais aux chefs-d?atelier tous assemblés. Tout est remis en question par cette décision.

Bouvery réclamait aussi les déchets, ils lui ont été alloués, mais seulement sur les quatre dernières pièces ce qui n?est pas tout-à-fait exempt de critique.

 

 

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