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30 juin 1833 - Numéro 26
 

 




 
 
     

RÉFLEXIONS

sur le mémoire de j.-b. nesme, ouvrier en soie,
contre
viallet, négociant, et guérin-philippon, ancien président du conseil des prud’hommes.

MM. Viallet et Guérin-Philippon ont dédaigné de répondre au mémoire de M. Jean-Baptiste Nesme, inséré dans l’Echo de la Fabrique le 2 de ce mois (Voy. n° 22, pag. 179). Sont-ils donc si haut placés que l’attaque du sieur Nesme n’ait pu les atteindre ? Oh ! non. Quel homme en France peut se dire de taille à être dispensé de répondre à la plainte d’un concitoyen, et dès-lors il nous sera permis de croire que s’ils se sont tus, c’est qu’ils n’avaient rien à dire pour leur justification. Si l’on pouvait, contre une attaque publique, se renfermer dans une prétendue dignité, argumenter de ce qu’en langage aristocrate on appelle position socialei, le silence serait une arme défensive trop commode : heureusement on sait que penser de toutes ces belles choses.

Depuis long-temps ces simples réflexions étaient prêtes, [1.2]mais nous hésitions à les produire. Descendre à des personnalités, dans un article grave, jamais notre devoir de journaliste ne nous avait paru plus pesant. Nous aurions voulu pouvoir nous taire et laisser de côté une tâche pénible. Cette faiblesse ne nous est pas permise, il nous faut répondre avec plus d’énergie à la confiance de nos commettans. Nesme est notre client, nous lui devons le patronage qu’il a invoqué, hâtons-nous de satisfaire à son attente.

Pour procéder avec ordre, nous devons faire une distinction entre les sieurs Viallet et Guérin-Philippon. Le premier n’est qu’un simple individu ; le second fut magistrat. Il y a bien loin, on le sent, d’un particulier agissant dans la sphère de son individualité, au fonctionnaire délégué dans l’intérêt de la société pour l’exercice d’une portion quelconque du pouvoir.

Nous concevons le silence de M. Viallet ; d’abord il est étranger à l’acte arbitraire commis sur la personne de Nesme ; ensuite il se réfugie sous l’égide de la chose jugée en sa faveur. Négociant, il a voulu gagner, même aux dépens de l’ouvrier qu’il employait : si ce n’est pas très loyal, c’est au moins fort logique… pour ceux qui veulent arriver à la fortune per fas et nefas. Mais ce que nous avons peine à concevoir, c’est le silence de M. Guérin-Philippon. Homme public, a-t-il oublié qu’il doit compte à la société de sa vie tout entière ? Homme public, ignore-t-il qu’il est essentiellement justiciable de l’opinion publique ? Est-ce que par hasard, content du suffrage d’un certain monde, il se soucierait peu d’autres suffrages, et serait-il prêt à dire, comme le ministre d’Argout au député J.-B. Teste1, devenu l’avocat du trésor : Passons-nous de popularité ? (Historique.)

Nous ne reconnaîtrions plus là M. Guérin-Philippon ; car à une époque où il espérait conserver le fauteuil de la présidence, il avait soif de popularité ; dans tous les cas, c’est par rapport à lui une sottise, et une injure en ce qui concerne le sieur Nesme et l’Echo : l’un va rarement sans l’autre. Ne disons mot de la sottise, elle est facile à apercevoir. Quant à l’injure, est-ce à Nesme ou à nous qu’elle s’adresse ? Si c’est à nous, nous en rions de bien bon cœur, car nous nous soucions assez peu de M. Guérin pour qu’il puisse en faire autant de nous. Nous avons pour nos adversaires précisément la même estime qu’ils ont pour nous. Pourquoi donc vous [2.1]plaignez-vous, nous dira-t-on ? Notre réponse est facile.

Ce n’est que dans l’intérêt des principes que nous avons fait les réflexions qui précèdent ; il n’est pas bon, par une fausse pruderie, de passer sous silence les injures faites à la presse ; il convient, il est vrai, d’avoir plus de pitié que de colère contre ceux qui se les permettent, parce que ces injures témoignent un esprit étroit, mais il faut les signaler.

Si cette injure s’adresse à Nesme, c’est peut-être encore plus fort. Elle prouve le mépris des hommes d’argent contre les prolétaires ; l’oubli de la constitution qui proclame tout d’abord et comme principe fondamental : l’égalité des citoyens ; elle prouve tout ce qu’il y a d’abjection et de despotisme dans le cœur de ceux que l’histoire flétrit sous le nom d’aristocrates. C’est assez nous occuper d’un hors-d’œuvre. Passons à la discussion même de cette affaire.

Par leur silence, disons-nous, MM. Viallet et Guérin-Philippon ont accepté les reproches de J.-B. Nesme.

Un mot d’abord de ceux relatifs à M. Viallet. Ce négociant donne une disposition au chef d’atelier Nesme ; il lui fait espérer un travail suivi ; il est trompé dans ses espérances : Nesme doit-il en souffrir ? Evidemment non. Il ne l’avait pas associé a ses bénéfices : il y a donc de l’égoïsme à spéculer ainsi sur le labeur d’un ouvrier.

Nous pourrions flétrir cet égoïsme d’un nom plus exact. M. Viallet nous comprendra. A bon entendeur demi-mot.

Que les hommes soient injustes et égoïstes, nous ne pouvons, en thèse générale, le nier, ce sont des vices inhérens à la nature humaine ; la civilisation actuelle, fondée sur une base fausse et incomplète, n’a fait que les étendre au lieu de les restreindre. La religion et la philosophie se sont trouvées impuissantes pour les extirper. Acceptons donc la nature humaine telle qu’elle fut créée, les hommes tels que la société les façonne. Mais lorsque ces vices désertant les replis intérieurs du cœur humain se produisent au grand jour, ce n’est plus à la religion et à la philosophie qu’il faut en appeler pour leur répression, mais à la loi. La loi ! que ce mot est beau ! que la pensée qu’il exprime est grande ! La loi, les anciens lui donnèrent une balance et lui mirent un bandeau sur les yeux afin de montrer aux hommes qu’inaccessible à tous les genres de séduction, elle pesait également les droits de chacun. Respect à la loi ! mais si le soin de faire observer la loi est confié à des mains impures, à des ministres indignes ! ô malheur ! trois fois malheur ! L’abomination est dans le temple, et le juge prévaricateur reçoit un stigmate d’opprobre ineffaçable. Chacun est en droit de lui dire ces paroles du démocrate galiléen : Vos qui estis sul terrae, etc.

Peu d’hommes ne sont pas égoïstes, beaucoup sont injustes. L’injustice et l’égoïsme doivent trouver leur châtiment dans la loi. Ces principes admis, nous en ferons l’application à l’affaire qui nous occupe. Compalissans aux faiblesses humaines, nous excuserons l’égoïsme et l’injustice du négociant Viallet ; mais nous serons- implacables pour le magistrat qui aura été injuste.

Ces tristes réflexions s’appliquent-elles à M. Guérin-Philippon. Nous ne cherchons que la vérité, plus heureux de trouver un innocent qu’un coupable. Nos paroles pourront bien être amères : nous ne sommes pas assez lâches pour cacher notre pensée sous une expression timide et décolorée.

[2.1]Nous chercherons l’injustice, puissions-nous ne pas la rencontrer.

L’appréciation de la conduite de M. Guérin-Philippon dans la cause Nesme contre Viallet, sera le sujet d’un prochain article.


i C’est la raison qu’ont donnée MM. Clément Reyre et Jouve pour refuser satisfaction aux commissaires du banquet Odilon-Barrot et aux patriotes de la Glaneuse. C’est sans doute la même raison qui enchaîne la langue de MM. Viallet et Guérin-Philippon Risum teneans.

PRIX COURANS DES FAÇONS.

Les prix que nous avons cotés dans nos deux derniers numéros ont été l’objet de diverses réclamations de la part des chefs d’atelier. Quelques-uns prétendent avoir des prix plus élevés ; cela est, en général, vrai ; nous convenons qu’une augmentation a eu lieu et paraît devoir continuer. En conséquence, nous invitons nos lecteurs à vouloir bien prendre la peine de passer au bureau toutes les fois qu’ils auront des rectifications à faire insérer. Nous nous empresserons de les satisfaire.

CHAMBRE DU COMMERCE DE LYON.

Le jeudi, 27 juin courant, les électeurs de la chambre du commerce se sont réunis à la salle de la Bourse sous la présidence de M. le préfet. Sur 80 électeurs, il ne s’est présenté que 45 votans. L’illégale et sacrilège formule du serment de fidélité au roi, n’a pas été exigée. Ont été élus membres MM. Riboud, Rémond, Brossette et Goujon, négocians en soierie, Richand, marchand de soie, et Berne, marchand chapelier.

Le 3e trimestre de la cour d’assises du Rhône s’ouvrira demain lundi. La cour est composée de MM. Verne de Bachelard, président ; Gautier de Coutance et Denamps, conseillers.

COUR DE BESANÇON.

Chambre des appels de police correctionnelle.

Audience du 11 juin 1833.

affaire des gardes nationaux de chalons-sur-saône.

Après la dissolution de la garde nationale de Châlons, plusieurs gardes nationaux refusèrent d’exécuter l’arrêté du maire de cette ville, en ce qu’il ordonnait le désarmement. Ils soutinrent que cet arrêté, pris en dehors des attributions de ce magistrat, n’était pas obligatoire, et déclarèrent ne vouloir rendre leurs armes qu’à qui par justice serait ordonné.

Vingt-quatre citoyens, par suite de ce refus, furent traduits devant le tribunal de police correctionnelle de Châlons, qui, par jugement du 1er février dernier, considérant qu’on ne pouvait apercevoir dans la conduite des prévenus le délit qui leur était imputé, le détournement frauduleux des armes qui leur avaient été confiées, les renvoya purement et simplement de l’intention intentée contre eux par le ministère public.

Sur l’appel de M. le procureur du roi, la cour de Dijon rendit un arrêt interlocutoire par lequel elle ordonna que les prévenus justifieraient de l’existence entre leurs mains, des armes qui leur avaient été confiées, et du bon état de ces armes, préjugeant ainsi, qu’ils n’étaient tenus que de les représenter.

Cet arrêt fut décerné à la cour suprême qui, voyant dans cette disposition une violation de l’art. 408 du code pénal, cassa, et pour être statué sur l’appel, renvoya, devant la cour royale de Besançon.

[3.1]Me Miran1, rédacteur en chef du Patriote Franc-Comtois, a présenté la défense des gardes nationaux.

Après quinze minutes de délibération, la cour a rendu un arrêt, à l’unanimité (à ce qu’on assure), par lequel les prévenus sont renvoyés purement et simplement de l’action intentée contre eux.

Ainsi il est jugé que le pouvoir exécutif a bien le droit de dissoudre une garde nationale, mais non de lui retirer ses armes.

UNE PRÉVENTION,

Mystification en trois petits actes et en prose,

PAR CLAUDIUS BOU....

L’on mesure tout le monde à son aune. (Proverbe.)

ACTE PREMIER.
(La scène se passe dans le modeste appartement de Jumelle, à la Croix-Rousse, le 9 juin 1833.)

SCÈNE PREMIÈRE.

bouton (en entrant.)
Bonjour, confrère, comment ça va-t-il ?

jumelle.
Bien, mon ami, très-bien !

bouton.
Le plaisir de vous voir est pour beaucoup dans cette visite, mais, par la même occasion, je voudrais vous demander si vous ne connaîtriez pas quelque fabricant qui monte de gros satin.

jumelle.
Vous ne pouvez pas mieux tomber, M. Marque-Bien sort d’ici en me disant que si je connaissais quelques bons enfans, qui aient une belle main-d’œuvre, de les lui envoyer.

bouton.
Bah ! ça me va joliment : donnez-moi l’adresse de ce M. Marque-Bien.

jumelle.
Marque-Bien n’est que le premier commis, le chef se nomme Dix-Cent-Mille, voila son adresse (en lui remettant une carte) ; allez-y de ma part, et je suis certain que vous aurez une pièce ; ça ne va pas mal, et par ma considération l’on vous disposera.

bouton.
Je vous remercie ; à quatre heures j’irai voir ces messieurs, bonsoir, mon ami, au revoir.

DEUXIÈME ACTE.
(La scène se passe dans la cage de M. Dix-Cent-Mille.)

SCÈNE PREMIÈRE.
Bouton entre, et de ce que l’on sert une ouvrière fort aimable, il s’assied sur un banc de sapin, et après un quart d’heure environ, M. Pèse-Bien à Bouton :
Que souhaitez-vous ?

bouton.

Je viens voir, de la part de M. Jumelle, si vous avez quelque chose à disposer.

pèse-bien.

Je ne sais pas : (il appelle) M. Marque-Bien !

[3.2]SCÈNE II.

marque-bien.
Qu’est-ce ?

bouton
(à part contemplant l’ensemble du magasin).
Baraque !

pèse-bien.

C’est… l’on vient de la part de M. Jumelle

marque-bien.
Oui. (Après quelques questions insignifiantes il dit à Bouton) : Nous ne montons pas dans ce moment, mais c’est égal, on passera chez vous ; avez-vous un remisse ?

bouton
Non.

marque-bien.
L’on ira chez vous lundi.

bouton.
Je vous salue (Il va sur la place des Terreaux respirer l’air plus pur que celui de la cage noire de M. Dix-Cent-Mille).

TROISIÈME ACTE.
(La scène se passe dans la trop modeste chambre de Bouton.)

jumelle.
B
onjour, mon ami, vous n’avez point eu de visite de chez M. Dix-Cent-Mille (à part), je sais bien que non.

bouton.
Mais non, depuis hier je n’y comptais plus, et j’ai fait noter ma pièce dans mon magasin… A ça que paie-t-il ses gros satins.

jumelle.
Vingt-deux sous.

bouton.
Vingt-deux sous ! Quelle horreur ! Et vous les faites à ce prix-là ? Si vous me l’eussiez dit, vous m’auriez évité la peine d’aller chez M. Dix-Cent-Mille, et à M. Marque-Bien celle d’écrire mon adresse.

jumelle.
Je sais bien que ce n’est pas le prix, mais c’est une bonne maison.

bouton.
Ça ne m’étonne pas, vingt-cinq centimes de moins par aune que partout ailleurs ; ils ont bien fait de ne pas venir. J’aime mieux ma guenille : au moins si je ne gagne guère j’ai moins de regret.

jumelle.
Voyez-vous, mon ami… Ils auraient bien été chez vous… mais… je n’ose vous le dire…

bouton.
Achevez.

jumelle.
M. Marque-Bien m’a dit en confidence qu’il était possible que vous fussiez un bon enfant et un bon ouvrier… mais que vous ne leur avez pas convenu, parce que… votre figure marque mal (notez que Bouton porte la barbe à jeune France…).

bouton.
L’insolent !…

(Fin du 3e et dernier acte.)

CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

(présidé par m. riboud.)

Audience du 27 juin 1833.

[4.1]D. Lorsque le demandeur ne comparaît pas lui-même sur l’invitation qu’il a remise à sa partie adverse, peut-il ensuite la faire citer.

– R. Non ; les frais de cette citation sont à sa charge ; il a à s’imputer d’avoir fait défaut sur sa propre demande.

Ainsi jugé entre Giraudon et Forest. La cause sur le fond a été renvoyée au lendemain.

D. Une apprentie peut-elle, après huit mois qu’elle a été nourrie chez son maître, sur la moralité duquel les renseignemens sont satisfaisans, demander à sortir sans payer d’indemnité, sous le prétexte qu’il n’y a que des garçons dans l’atelier ? – R. Non.

L’apprentie du sieur Crozier a été condamnée à rentrer chez lui malgré son allégation que l’atelier n’était composé que de jeunes gens. Et attendu le défaut de conventions écrites, le conseil a arbitré à 100 fr. l’indemnité à payer dans le cas où elle persisterait à ne pas rentrer chez son maître.

D. Le fabricant qui a accepté du négociant une pièce sans s’assurer s’il pourrait être suffisamment couvert de ses frais de montage, et qui même a laissé ignorer à ce négociant qu’il était obligé de monter exprès son métier, est-il recevable à réclamer ensuite ces frais de montage ? – R. Non ; il devait prévenir le négociant qu’il était obligé de monter son métier.

Ainsi jugé entre Lianffre, chef d’atelier, et Corderier-Lemire, négocians.

D. Lorsqu’un dessin n’est pas prêt pour le jour indiqué par le négociant, le chef d’atelier est-il fondé à demander une indemnité ? – R. Oui.

Genet, négociant, avait promis pour le 24 juin, à Coq, chef d’atelier, un dessin pour deux métiers montés exprès. Le conseil l’a condamné à payer à Coq 3 fr. par jour pour chaque métier, à compter du 24 juin jusqu’à ce que le dessin soit fourni.

La cause la plus importante par ses résultats qui ait été produite à cette audience, est celle de Bouvery contre Delesse. Nous nous garderons bien de la résumer en une question pour servir à fixer la jurisprudence du conseil ; car, en conscience, nous ne pourrions poser la question que de cette manière : « Le conseil des prud’hommes a-t-il le droit de se contredire ? » et nous serions obligés de mettre à côté une réponse affirmative, ironie que nous ne pouvons nous permettre. Voici les faits ; les lecteurs en jugeront. Que la fabrique soit attentive !

Le 11 juillet 1832, Bouvery fit marquer sur son livre une pièce fournie par Delesse, mais il n’eut le dessin que le 3 août suivant. Dans leur réglement de compte opéré ces jours derniers, Delesse porta le laçage des cartons à la charge de Bouvery ; ce dernier, dans l’intérêt des principes, se refusa à l’abandon de la somme de 20 fr. 20 c., montant de ces frais de laçage, et fit citer Delesse. Le conseil a débouté Bouvery de sa demande en se fondant sur ce que le laçage des cartons n’avait été mis à la charge des négocians que dans son audience du 19 juillet 1832 (Voy. l’Echo, 1832, n° 22). – Le conseil a eu deux fois tort, en fait et en droit. En fait, puisque c’est le 19 juillet 1832 qu’il a condamné les négocians à payer le laçage des cartons, la cause était toute jugée en faveur de Bouvery, la pièce dont s’agit n’a commencé à être fabriquée qu’après le 3 août, postérieurement à cette décision. En droit : nous prions le conseil de nous dire sur quoi il s’est fondé, le 19 juillet 1832, pour mettre le laçage à la charge des négocians. De deux choses l’une : ce laçage est dû par les négocians [4.2]ou par les chefs d’atelier. S’il est dû par les négocians, il l’était avant juillet comme aujourd’hui. Le jugement du 19 juillet n’a pas pu créer un droit, mais seulement le reconnaître. Sil est dû par les chefs d’atelier, pourquoi l’avoir mis à la charge des négocians ; et alors il n’est pas plus dû aujourd’hui aux chefs d’atelier qu’il ne l’était avant juillet 1832, car, nous le répétons, un jugement ne fait que reconnaître un droit et ne le crée pas. Point d’équivoque.

Le conseil des prud’hommes actuel est né des événemens de novembre, issus eux-mêmes des journées pacifiques d’octobre. C’est parce que la classe ouvrière s’est crue opprimée dans son salaire, qu’elle a fait entendre ses doléances en octobre 1831, qu’elle a demandé non-seulement un tarif mais la publicité des séances, la libre défense et le choix direct de ses prud’hommes, il y a solidarité entre les hommes d’ octobre et ceux de novembre, c’est un fait qui doit rester hors de doute. Les blessés de novembre ne sont-ils pas sous le patronage des prud’hommes ? ces derniers les renient-ils ? non, ils font cause commune ; de nombreuses souscriptions l’attestent. Comment donc expliquer la conduite des prud’hommes chefs-d’atelier qui ont donné les mains à un pareil jugement ; à un jugement qui corrompt et détruit les seuls fruits utiles d’une époque désastreuse. Ce n’est pas à Bouvery qu’il importait de gagner son procès, mais aux chefs-d’atelier tous assemblés. Tout est remis en question par cette décision.

Bouvery réclamait aussi les déchets, ils lui ont été alloués, mais seulement sur les quatre dernières pièces ce qui n’est pas tout-à-fait exempt de critique.

Littérature.

l’europe littéraire.

Fin (V. l’Echo, n° 85, p. 205.)1

Voyages. – Nouveau Voyage au Japon, extrait du journal inédit de M. van Overmeer Fisscher, par M. Klaproth, 3 articles.

Nota. Les articles signés de M. Klaproth, ce savant d’une célébrité européenne, sont écrits pour l’Europe littéraire, et ne paraissent que dans cette feuille.

Variétés. – La Femme libre ou de l’Emancipation des femmes, par Charles Nodier. – Deux Lettres de change, par M. Alphonse Karr. – Lucrèce Borgia ; deux mots sur la lettre de M. Alexandre Duval. – Le Calembourg et l’Epigramme, par M. Capot de Feuillide. – Rêveries psychologiques de la monomanie réflective, par Ch. Nodier – Le Tyrol et le Nord de l’Italie, par M. Mercey. – Une visite à Walter-Scott, par M. le baron d’Haussez. – L’Homme et la Fourmi, apologue primitif par Charles Nodier. – Soirées de l’Europe littéraire, M. Hector Berlioz, M. Eugène de Pradel. – Piranèse, par Charles Nodier, etc.

Contes ou nouvelles. – Le Prix de la vie, historiette tirée des Mémoires d’un gentilhomme de Bretagne, par Eugène Scribe. – Le Masque de plâtre, 1601-1614, par P. Lacroix (bibliophile Jacob). – La Lampe de Saint-Just, par Frédéric Soulié. – La Nuit génoise, par lord Wigmore. – Mademoiselle La Fayolle, tradition des Antilles, par M. Louis de Maynard. – Le Portrait, esquisse anglaise, par Shéridan Knowles, auteur de Virginius. – Fragment du journal d’un inconnu, les Montagnes de la Ronda, par Eugène Sue. – La maréchale d’Haucourt, par la vicomtesse de Chamilly (Loève-Weimars) – La mort de Lérida, histoire du temps d’Anne d’Autriche, par André Delrieu. – Ginevra, nouvelle florentine, d’après une ballade d’un chanteur forain de Rome, par Carl Spindler. – Le Planteur de Paramaribo, par Théodore Lacordaire. – L’Ange Gardien, chronique de l’Opéra, 1767, par P. Lacroix (bibliophile Jacob). – Le Sycomore, traduit du russe, d’Antoine Pogorelski. – Mademoiselle de La Faille, par Frédéric Soulié. – L’écharpe, par Huber Saladin. – Une Femme heureuse, par Eugène Sue. – Journal d’un enthousiaste, par M. Hector Berlioz. – Le Négromant, 1461, par M. Ernest Fouinet.– Le Pont Notre-Dame, 1449, par P. Lacroix (bibliophile Jacob) – Une Relâche à Matanzas, par Eugène Chapus, etc.

[5.1]L’Europe littéraire donne maintenant à ses abonnés, le choix entre son in-folio primitif et une magnifique édition in-8° plus commode pour les départemens dont elle enrichira les bibliothèques du plus beau livre qui ait été imprimé. Dans son numéro du 9 juin courant (n° 48), l’Europe littéraire a publié un long article de M. de Balzac, intitulé : Histoire de Napoléon, contée dans une grange par un vieux soldat. L’auteur a tiré d’un pareil sujet un parti tout-à-fait neuf et spirituel.

LYON VU DE FOURVIÈRES.

Prospectus de l’Editeuri1.

On a beaucoup exagéré, selon nous, l’empire usurpé sur les esprits par les préoccupations politiques. Certes, rien d’aussi sérieux que la situation présente. Depuis l’établissement du christianisme, jamais les hommes n’avaient été témoins d’un si vaste enfantement. Nous assistons à une Genèse nouvelle. Il est impossible qu’un spectacle pareil n’excite pas au plus haut degré l’attention universelle : ce que nous contestons, c’est que cette attention soit exclusive. Il n’est pas vrai que l’art soit un anachronisme dans notre siècle ; il n’est pas vrai que la littérature se meure et que Juillet lui ait porté le dernier coup. Loin de là, jamais elle n’a été plus active que depuis la révolution. Jamais époque n’a été plus féconde en publications esthétiques de tout genre que les trois années qui viennent de s’écouler. Et ce mouvement n’est pas resté concentré à Paris ; il s’est propagé sur tous les points de la France et dans des provinces autour desquelles s’élevait jusqu’alors une espèce de muraille de la Chine, qui y arrêtait les idées et en empêchait la circulation.

C’est à Lyon surtout que s’applique cette remarque. Qu’on se souvienne de l’état de cette ville, il y a quelques années, alors qu’elle avait peine à soutenir les quelques feuilles périodiques qui représentaient ses opinions. L’esprit mercantile y régnait sans rival. Sa vie entière était concentrée dans le cercle étroit de ses habitudes commerciales. Aujourd’hui, un changement sensible s’est opéré. Les goûts littéraires s’y sont peu à peu répandus, et à tel point que la fondation du Papillon, journal qui leur est exclusivement consacré, est devenue nécessaire, et qu’une fois créé, il a joui d’une prospérité sans cesse croissante. Lyon est actuellement, pour la province, une espèce de capitale littéraire. Il renferme dans son sein des publicistes, des écrivains, des poètes du premier mérite.

C’est à eux que nous venons faire un appel. Nous tiendrons à honneur que notre ville natale n’ait rien à envier à Paris, et nous avons rêvé pour elle un livre, dans le genre de celui des Cent-et-un, mais plus spécial encore s’il était possible, un livre qui, en décrivant ses mœurs, ses monumens, en rappelant ses souvenirs et son histoire, serait, pour ainsi dire, la physiologie de cette belle cité.

Cette publication, à laquelle de hauts talens ont déjà promis de coopérer, aurait l’avantage de faire connaître à la capitale cette littérature de province pour laquelle elle a trop de dédain, et de lui apprendre que Lyon, qu’elle voit augmenter chaque jour en importance politique, accroît aussi de plus en plus son importance littéraire. Pouvons-nous espérer d’être secondés dans une entreprise où notre unique mobile est l’amour de l’art, la première passion de notre vie.

(Voy. les Annonces.)


i M. Léon Boitel. Son nom est un sûr garant du succès de cette entreprise.

Variétés.

Succession de Thierry1. – Cette, succession, ouverte en 1776, à Venise, n’est pas encore liquidée. De nombreux ayant-droit se présentent chaque jour. Voici le détail de la consistance de cette succession, extrait d’un état déposé avec le testament et les autres pièces, chez Me Trubert, notaire à Paris.

Trois maisons près du palais du doge, 1,800,000 fr. ; deux maisons en l’île de Corfou, 800,000 fr. ; une maison de campagne sur le canal Moussador, 200,000 fr. ; un sac de quatre pieds de long et autant de large plein d’or massif en lingots, estimé 31,000,000 ; quatre-vingt [5.2]mille ducats en argent, à 3 fr. l’un, 400,000 fr. ; cinquante-un mille louis d’or sur l’Hôtel-de-Ville de Paris, productifs d’intérêts, 1,200,000 fr. ; six barils d’or, estimés 1,900,000 fr. ; six carrosses et calèches dans l’île de Corfou, 9,000 fr. ; deux cassettes de vases d’argent, pesant 200 livres chaque, 40,000 fr. ; six cassettes de chandeliers d’argent pesant chacune 300 liv., 190,000 f. ; deux petits sacs de pierres précieuses, 3,000,000 fr. ; deux bâtimens neufs chargés de pierres précieuses qui arrivèrent après la mort de Jean Thierry, 6,000,000 fr. ; dix-sept lits montés de diverses couleurs, étoffes et autres meubles, 41 miroirs et glaces petits et grands, cent fauteuils ornés d’or et d’argent, et autres meubles, 400,000 fr. ; huit cent mille écus à la croix, valant 9,079,000 fr., intérêts à trois pour cent par an, mémoire, total, 56,018,000 fr.

Il n’est pas étonnant qu’au récit de tant de richesses tous les Thierry qui fourmillent dans la Champagne, la Lorraine et le pays de Bâle, se soient émus et aient secoué leurs papiers de famille, et il s’est trouvé que jamais femme ne fut plus féconde que la mère de Jean Thierry.

(Gazette des tribunaux.)

LE SALON.

Suite (Voy. l’Echo, n° 25, p. 205.)

A droite de l’abjuration d’Henri IV, la mort du député Féraud1, massacré au sein même de la Convention nationale. Boissy-d’Anglas, président, auquel on vient présenter la tête de Féraud, salue courageusement cette tête sanglante au milieu des vociférations des meurtriers qui demandent à grands cris du pain. Il est bien d’avoir du courage, mais il y a quelque chose encore de plus beau, c’est, quand on a pris sous sa responsabilité l’existence de tout un peuple, de ne jamais attendre qu’il demande brutalement du pain ; car il n’en vient à cette extrémité qu’après avoir long-temps souffert. Je suis fâché que l’auteur de ce tableau n’ait pas choisi un autre sujet pour exercer son talent, car il en a. Pourquoi montrer le peuple autrement qu’il est ? Depuis trois ans on peut encore représenter le peuple en guenilles, mais il n’est plus permis d’en faire un assassin, un misérable brigand dégoûtant de meurtre et affamé de carnage.

Les Héritiers, par exemple, voila un sujet. C’est bien encore le peuple si l’on veut ; mais c’est un autre peuple, soigné, musqué, paré, en habit noir et pantalons collans. Ils sont là comptant des piles d’or, leur visage resplendit de joie ; ils en cherchent partout, de l’or ; le défunt n’est pas encore dans son linceul. Un des héritiers, dans son ardeur de recherches, est grimpé sur je ne sais quoi pour visiter du regard l’intérieur d’une soupente, la lumière qu’il tient éclaire son ignoble figure, et un jeune élève de l’école polytechnique, autre genre d’homme du peuple, se retire désespéré et ses yeux couverts d’un mouchoir : pauvre jeune homme ! Croyez-moi, allez voir les héritiers à l’entrée de la grande galerie, à gauche, un peu au-dessous et un peu plus loin que Cristophe Colomb. Ce dernier est représenté au moment ou la terre d’Amérique s’offre à ses regards ; ses matelots, qui, quelques heures avant, le traitaient de visionnaire et se révoltaient contre lui, sont à ses pieds lui demandant pardon et l’admirant… Et lui, sa belle figure exprime toutes les nobles passions. J’aurais désiré que dans la distribution des tableaux on plaçât près de Colomb une scène tirée d’un roman de Cooper2 : les Maquas ou Mingos, peuplade américaine, ont découvert des Européens cachés dans une caverne, et s’apprêtent à les massacrer. Leurs peaux rouges, leurs figures étranges, leur joie féroce formeraient un singulier contraste avec la noble figure du marin courageux qui brave tous les dangers pour agrandir l’univers de tout un continent. Et puis, au 15e siècle, l’Europe et l’ancien monde conservent à peine quelques vestiges de barbarie, l’esclavage est presque entièrement détruit, l’imprimerie et la boussole sont découvertes, les arts et les sciences fleurissent, et l’ Amérique au 18e siècle renferme encore des populations presque anthropophages : quel sujet de méditations ! Cette église et les militaires qui s’y trouvent, c’est un officier polonais sommé par des Russes de se rendre ; il est sur les marches de l’autel. « Un Polonais, dit-il, ne se rend qu’à Dieu, » et il va tomber percé de coups ; image fidèle de la pauvre Pologne. Le peuple, qui voit ce tableau, s’écrie : Braves Polonais ! et il soupire, puis il s’en va plus loin, là où sont beaucoup de personnes assemblées autour d’un tableau qui ne me paraît [6.1]pas extraordinaire ; mais il représente la capitulation d’Ulm, et Napoléon s’y trouve avec sa redingote et son petit chapeau. Le peuple aime ce qui est grand et il veut voir Napoléon entouré de son état-major, voila pourquoi la foule se presse en cet endroit.

De tous les portraits, le portrait du docteur Clot 3, en costume oriental, est celui que j’ai vu avec le plus de plaisir. Médecin en chef de l’hôpital d’Alexandrie ; la dignité de bey lui a été conférée par le pacha d’Egypte. Quel plaisir on éprouve en songeant que ce pays, naguère encore barbare, marche rapidement à la civilisation. Autrefois les Européens ne pouvaient remplir une fonction chez les musulmans sans embrasser la religion mahométane, et encore les Turcs les méprisaient-ils comme renégats ? Aujourd’hui, un homme peut, en Egypte, prétendre aux emplois, de quelque nation et de quelque religion qu’il soit ; c’est le commencement du règne de la raison et de la tolérance qui doit faire un jour de toutes les nations du globe un seul peuple, une seule famille.

(La suite à un prochain numéro.)

UN DISCIPLE DE CHARLES FOURRIER

a ses concitoyens.

Suite. (Voy. N° 25, pag. 206.)

Maintenant que nous avons jeté quelques rayons de lumière sur les tristes effets, que, pour le plus grand bien de la morale et de la philosophie, la civilisation a aussi obtenus des quatre passions animiques : ambition, amitié, amour, et amour de la famille ; maintenant qu’il est devenu au moins difficile de se faire l’apologiste de ce que nous appelons encore progrès de la raison humaine ! Nous ne pousserons pas plus loin nos réflexions : nous nous contenterons de mettre en regard une esquisse rapide de la carrière que ces passions pourront parcourir dans l’ordre sociétaire. Ainsi :

L’ambition ! qui, comme nous l’avons dit, présente à l’homme un double but à atteindre, fortune ou gloire ! pourra se développer, grandir ou s’alimenter au sein de cette mine féconde et intarissable ; car non content d’abolir à toujours oisiveté et misère, l’ordre sociétaire doit encore ouvrir à tous le chemin des richesses, en assurant à chacun le développement de ses facultés et une juste répartition en bénéfices de capital, travail et talent. Et Dieu merci, nous qui comprenons une autre gloire que celle de culbuter peuples et trônes ! qui voyons bien d’autres lauriers à cueillir que ceux que l’on fauche avec le canon ! Nous trouvons vaste et fertile, ce champ à côté duquel la civilisation a usé quelques milliers d’années en essais toujours fatals à l’humanité !

Oisiveté, vol, assassinat, dégradation, pauvreté, pestes et sanglantes révolutions, tel est son brillant cortège ! et voila le monstre aux mille têtes, que bientôt les hommes frapperont de mort avec l’arme pacifique du travail attrayant ! pivot essentiel du mécanisme sociétaire.

L’amitié ! ce besoin de l’ame que nous promenons partout avec notre languissante vie, ne sera plus pour l’homme un amer poison. – Déjà les idées que nous avons précédemment émises sur le travail à séances courtes et variées, suffiraient pour l’attester : si, rappelant ce que nous en avons dit, nous n’ajoutions encore que, cédant à l’irrésistible volonté de ses passions et au besoin d’activité que lui a départi la nature, l’homme interviendra chaque jour, à chaque instant, et de sa libre spontanéité, dans une foule de travaux d’industrie, d’agriculture et d’arts, riches de cet attrait à triple corps : travail de son choix, composition du groupe et esprit corporatif ou assemblage gradué et compact de tous les groupes affectés à chaque subdivision d’une industrie.

[6.2]Dès-lors, il est facile de comprendre que le lien d’amitié sera promptement établi entre la presque totalité des hommes ; car dès qu’intéressés à l’action sociale, par leur participation intégrale aux richesses, honneurs et fonctions, ils auront reconquis leur dignité et seront ainsi rentrés dans la voie du destin, ils auront aussi bientôt dépouillé l’un sa grossièreté, l’autre sa morgue insolente, et alors s’opérera naturellement la fusion des trois classes, riche, moyenne et pauvre, aujourd’hui si profondément ennemies les unes des autres.

L’amour ! cette passion qu’à tant de titres nous avons nommée décevante illusion, ce sentiment qui exalte l’âme et lui transmet une énergie délirante, source de tant de nobles impulsions, retournant bientôt vers le point d’où il est parti pour entrer dans la voie qui lui fut assignée par Dieu, puisera une nouvelle vie dans l’ordre sociétaire. – Là, justement affranchie du servage honteux dans lequel l’ont brutalement froissée les hommes avec leurs codes de sociabilité morale et philosophique ! délivrée de cette raison morale et philosophique, délivrée de cette prison étroite que nous nommons famille et rendue à la liberté par sa venue au travail et sa participation aux choses humaines, affranchie enfin de cette triple fatalité qui la condamne à un isolement éternel, ou bien l’accouple à la misère, ou encore en fait l’objet d’un marché pompeusement décoré du nom de mariage, la femme dépouillera bientôt cette défiance de l’homme et cette contrainte de soi-même, fruit de l’éducation faussée qu’elle reçoit parmi nous, mais trop bien justifiées d’ailleurs par le déplorable état dans lequel la société est enfin descendue. – Puis, face à face avec l’homme libre des fers qu’il s’était lui-même forgés ; l’entraînant au travail de toute sa magique puissance, et partout rivalisant avec lui, tous deux alors retrouveront dans l’amour, un attrait si long-temps perdu, si long-temps étouffé, et l’homme ne pourra que s’applaudir d’avoir enfin compris qu’un destin plus riant les attendait tous deux.

L’amour de la famille, dégagé à son tour des étroites limites du ménage civilisé vivant dans un complet isolement ; délivré de tous les élémens de désordre, qui bien souvent font d’une famille une arène scandaleuse dans laquelle nous rencontrons à chaque pas le fils luttant contre le père, la fille contre la mère, l’époux contre l’épouse, et au milieu de laquelle, hélas ! viennent encore tomber d’autres brandons de discorde, comme la misère aux prises avec le besoin ou le scandale d’une union mal assortie consommée pour la vie ; ce sentiment se développera sous un double aspect dans l’ordre sociétaire. – Souvent, et chacun de nous a pu le reconnaître, souvent les liens de famille ne sont pas aussi puissans, aussi intimes que ceux qu’établissent parfois la conformité de goûts et la convenance de caractères. – Cette sorte de parenté toute spirituelle, dont l’ordre actuel même nous offre quelques exemples par de rares adoptions, sera très-fréquente en association, sans rien diminuer toutefois de la puissance des liens de famille qui viendront au contraire y puiser une nouvelle force.

Alors seulement, pères et mères pourront en toute sécurité se livrer à cette passion : suivre avec plus d’intérêt encore le développement et les heureux progrès de leurs enfans, qui, délivrés à leur tour de toutes les entraves dont on affuble leur éducation et des corrections toutes paternelles qui en sont le corollaire, mettront toute leur gloire à leur plaire et à les charmer !

Enfin, jouir de la vie sans regret du passé, sans souci du présent et sans amère prévision de l’avenir ! [7.1]Tel doit être le résultat de l’organisation sociétaire : tel n’est point certainement celui qu’ont produit et que produiraient encore avec une progression indéfinie, l’isolement, l’incohérence des familles et l’usage des saines doctrines de la morale et de la philosophie, si nous ne nous hâtions de sortir de cette voie tortueuse toute hérissée d’écueils, pour entrer dans celle qui nous est ouverte par Charles Fourrier.

R…… cadet.

TÉLÉGRAPHES COMMERCIAUX

de jour et de nuit.

Cette entreprise, que nous avons annoncée dans le temps, et qui complète la belle invention de Chape, vient de triompher des obstacles sans nombre qui lui avaient été suscités. Elle a été définitivement constituée le 1er mai dernier sous la raison sociale de A. Ferrier et Compe. M. Ferrier1, inventeur de ce système télégraphique, différent de celui du gouvernement, a obtenu un brevet d’invention pour quinze ans.i

« Appliquer (dit M. Ferrier dans son prospectus) aux relations commerciales et individuelles les communications télégraphiques réservées jusqu’à présent à la politique comme un monopole de fait ; employer ce mode de correspondance perfectionné le jour et la nuit, tel est l’objet de l’entreprise.

« Les développemens toujours croissans de l’industrie exigent dans les communications une plus grande rapidité qui doit elle-même produire une consommation plus active.

« Outre les affaires de commerce, il existe une foule d’événemens publics ou domestiques qui intéressent vivement les familles comme un départ, une arrivée, une naissance, un mariage, une maladie grave, un décès, et mille autres circonstances pour lesquelles les minutes sont quelquefois d’un grand prix. »

Grâce aux progrès que l’homme fait chaque jour dans l’appropriation des lois de la nature pour la dompter et la soumettre, il est permis d’espérer que la découverte des télégraphes ne sera pas inutile à la société, et qu’elle ne restera pas oisive et monopoliste entre les mains du pouvoir, ou d’une société unique. L’imagination se plaît à rêver de longues lignes télégraphiques marchant de jour et de nuit, corollaires obligés des chemins de fer et des bateaux à vapeur et servant à lier dans l’ancien monde les villes de Cadix, Lisbonne, Porto, Barcelone, Bayonne, Bordeaux, Toulon, Marseille, Lyon, Nantes, Orléans, Paris, Rouen, le Havre, Mulhausen, Strasbourg, Lille, Bruxelles, Anvers, Amsterdam, Londres, Liverpool, Birmingham, Manchester, ainsi que les principales cités de l’Italie, de la Grèce régénérée, des peuples allemands, du Danemarck, de la Suède, de la Russie et de la Turquie.

L’on conçoit même, qu’un jour, d’un bout de l’Amérique à l’autre, de Londres à Calcutta, la pensée pourra se transmettre plus rapidement que nous n’allons aujourd’hui de Brest à Paris. Alors l’Europe civilisée pourrait s’épancher à son tour sur les plaines de l’Orient, berceau de nos ancêtres ; alors renaîtraient toutes ces villes fameuses dans l’antiquité, qui servaient d’entrepôt entre les peuples de Grèce, d’Egypte et ceux de l’Inde. Alors le trop plein de nos populations s’échapperait chaque année en essaims civilisateurs. Et ce tableau n’est point chimérique, car il suffirait d’un peu d’intelligence et d’accord entre les chefs des nations pour le réaliser.


i A Paris, boulevard Montmartre, n° 14. (Une ligne de Lyon à Marseille sera incessamment établie.)

Qu’a-t-on fait pour les Prolétaires ?

[7.2]On ne peut, à moins d’aveuglement ou de mauvaise foi, se dissimuler combien notre organisation sociale est défectueuse. Depuis le retour au principe monarchique, rien n’a été fait en France, par le pouvoir, pour remédier à un état de choses de plus en plus intolérable ; jamais nos gouvernans n’ont eu le moindre souci de ce qui intéresse directement les masses, de l’application des vrais principes de l’économie publique.

Toutefois, il serait injuste de passer sous silence les louables efforts de quelques philantropes, pour entraîner le pouvoir sur le champ qu’il refuse de défricher. Les principes d’économie politique des rédacteurs du Globe, le système rationnel et si consolant de Fourrier, les enseignemens de la presse périodique abordant les fécondes questions d’ordre social, ce concert de vues et d’idées pour l’amélioration du sort du peuple, tout cela, disons-nous, n’a point été inutile. Mais que peuvent des efforts isolés ? Tout au plus indiquer le mal sans pouvoir y appliquer le remède ; c’est aux hommes assis au timon de l’état de mettre la main à l’œuvre ; c’est à eux surtout, avant l’organisation des grandes associations qu’ils repoussent, de prendre l’initiative dans tout ce qu’il y a de grand et d’universellement utile, parce qu’eux seuls ont entre les mains les moyens de réussir qui manquent aux citoyens paralysés par l’individualisme.

Telle était, spécialement la mission du régime issu des barricades ; combien il lui eût été facile de fermer une plaie qui s’agrandit de plus en plus, de prévenir une crise dont l’éventualité effraie. Ce qu’il avait à faire pour y parvenir ; il le savait, à moins qu’il n’eût un bandeau sur les yeux. Son égoïsme dynastique, non moins que la salutaire expérience qu’il pouvait tirer de l’insurrection lyonnaise, l’avertissaient que la révolution de juillet n’avait pas en vain consacré à tout jamais, le principe de souveraineté nationale, que le premier et le plus important corollaire de ce principe était de s’occuper activement des intérêts moraux et matériels des masses. Le gouvernement ne le fit point.

Les erremens de la restauration furent continués : favoris, courtisans et priviléges reparurent ; bref, il fut reconnu que les Tuileries n’avaient fait que changer de maîtres.

Comment aurait-on eu le temps de penser au peuple : Comment aurait-on songé de tenir la promesse d’un gouvernement à bon marché ? C’eût été un miracle. Aussi, le budget fut comme auparavant, une curée affectée à une poignée de privilégiés ; bien plus, il ne suffit pas à leur appétit glouton, on l’augmenta de plus d’un tiers, et des millions arrachés aux travailleurs se votèrent au pas de charge comme sous la légitimité.

Ainsi donc, loin d’avoir éprouvé aucune amélioration, le sort du peuple est empiré ; une crise commerciale et industrielle est venue encore ajouter cette véritable calamité. Les plaintes des malheureux poussés au désespoir ont été étouffées à coups de fusil et de baïonnette.

Aujourd’hui, ils dévorent en silence le regret d’avoir été frustrés de leur légitime attente ; mais ce calme trompeur ne rassure point l’homme initié aux souffrances des prolétaires et qui jette un coup-d’œil philosophique sur notre état social. Il pourrait bien arriver que ce calme ne fût que le précurseur de la tempête.

(Progressif de l’Aube.)

ANECDOTE.

le prince souffleté et le sous-lieutenant qui va chercher la garde.

Environ vers l’année 1806, il était à Lyon un jeune homme qu’on appelait prince de Carignan, lequel avait grade d’officier supérieur dans un régiment de cavalerie. Nous ne savons pas si c’est celui qui règne maintenant sous le nom de Charles-Albert1.

Son long séjour à Lyon avait pour objet, disait-on, d’attendre l’issue d’un procès qu’il soutenait contre sa mère. Pendant ce temps-là M. le prince se montrait fréquemment dans les cafés et autres lieux publics ; cela étant, il arrriva qu’un soir d’été, en juin 1806, M. le prince de Carignan, lui et son très fidèle sous-lieutenant, lequel ne le quittait jamais et l’accompagnait partout, se prirent en querelle (chez Mme feu Crétet, dame de bonne compagnie, alors rue du Garet, dite des Missionnaires), avec un autre amateur, un marchand de farine, demeurant dans la même rue ; une lutte s’engagea sur la porte d’allée de la maison précitée, entre ces deux officiers et le bourgeois seul, sans aucune espèce d’arme. Au moment où on frappait ce dernier à coups de canne, le sieur F..... indigné d’une telle conduite saisit un des assaillans au collet, c’était par hasard le prince de Carignan, fit main-basse sur ses épaulettes, etc. etc. ; pendant que son courageux ami le sous-lieutenant courait chercher main forte au poste voisin de l’Hôtel-de-Ville. Huit ou dix hommes arrivèrent ayant en tête le valeureux champion de M. le prince et M. Garnier, qui était à cette époque commissaire de police dudit quartier, et que nous croyons être en ce moment à Paris.

Les choses se passèrent ainsi : M. le prince de Carignan garda ses soufflets et ramassa ses épaulettes en présence de plus de 150 personnes rassemblées sur le lieu de la scène, un dimanche d’été sur les 8 h. ou 8 h. et 1/2 du soir.

AVIS DIVERS.

(226) A vendre, divers ustensiles de fabrique, deux métiers, un à régulateur ; mécanique en 400, un corps de 11 ch. Plus, 4,000 maillons garnis, remisses en soie et en fil, rouet à cannettes, un rouleau piqué, planches d’arcade, navettes en cuivre et en bois, peignes, 45 p. 3/4, et beaucoup d’autres, avec 2 peignes pour rubans. Un bureau, un lit d’enfant, une table, un établi avec ses outils. S’adresser à madame veuve Sorlier, rue des Prêtres, n. 24.

(227) On offre de l’ouvrage pour des métiers 5 chemine 1/2 aune, dix chemins en 4/4, et autres pour étoffes riches à gilets. S’adresser au bureau.

(228) A vendre, belle cantre pour velours. S’adresser quai Bourg-Neuf, n. 114, au 3e.

(233) A vendre, une mécanique en 600. S’adresser à M. Bourdier, rue Bonneveau, n. 21, au 4e.

(235) A vendre, une mécanique longue à marches et à 24 guindres. S’adresser chez M. Mauban, place de la Croix-Rousse, n. 22, au 4e.

(236) A vendre, un corps de 12 chemins tout passé, tout emporté et tout rémis. S’adresser à M. Rave, quai Pierre-Scize, n° 73, au 3e.

(222) A vendre, mécaniques à dévider, de 14 guindres. S’adresser rue Petit-Soulier, n. 11.

(225) A vendre, mécaniques à dévider, de 24 guindres. S’adresser place de la Trinité, n. 60, au 2e sur le derrière.

(219) A vendre, un atelier composé de 5 métiers, tous travaillant en 5/4 et 6/4 au quart, suite d’ouvrage, ustensiles et mobilier. S’adresser au bureau du journal.

(221) On demande quelqu’un connaissant la valeur exacte des propriétés urbaines et rurales, auquel le titre de sous-directeur appréciateur de la Compagnie d’assurance mutuelle et générale des créances hypothécaires, sera conféré. S’adresser au rédacteur en chef de l’Echo de la Fabrique, rue du Bœuf, n° 5, au 2e, de dix à onze heures du matin.

(214) A vendre, ustensiles pour faire les fers de velours et ustensiles de graveur sur métaux. S’adresser chez Mme Dufour, Grande-Rue, n° 43, à la Croix-Rousse.

(195) A vendre, une mécanique en 900, régulateurs de première force, rouleau 5/4, planches d’arcades, 5/4, 6/4, et caisse pour cartons ; le tout en très-bon état, ayant peu travaillé. S’adresser au bureau.

(217) A vendre, trois mécaniques à la Jacquard, une à 40 crochets ; une en 600, et l’autre en 900. S’adresser à M. Chaboux, rue du Chapeau-Rouge, n° 4, à la Croix-Rousse.

(216) A vendre, une mécanique à dévider de Bélie, composée de 12 guindres. S’adresser à M. Duilly, rue Bouteille, n° 15, au 4e.

(215) A vendre, un métier travaillant en velours façonnés, mécaniques en 400 et accessoires pour crêpes de Chine en grande largeur. S’adresser à M. Gataz, place de la Croix-Rousse, n° 8, au 2e.

(236) LYON VU DE FOURVIERES.
Cet ouvrage paraîtra de mois en mois, par livraison de deux ou trois feuilles in-8, et formera un fort volume.
La première livraison sera publiée dans le courant de juillet.
Le prix de chaque livraison sera de 1 fr. 25 c. pour les souscripteurs qui la recevront à domicile, et de 1 fr. 75 c. pour les non-souscripteurs.
On souscrit à l’avance, chez l’éditeur, L. Boitel, quai St-Antoine, n. 36. C’est à cette adresse que doivent être envoyés les articles destinés à figurer dans cet ouvrage.
On souscrit aussi chez les libraires Bohaire, Babeuf, Midan, Baron et Chambet.

(231) DANIEL LE LAPIDAIRE.
Contes de l’atelier, par Michel Masson, vol. in-8°, 3e édition.
A Paris, chez Levavasseur, rue de Choiseul, n. 9 ; à Lyon, chez les libraires Bohaire, Babeuf.
Nous rendrons compte de cet ouvrage aussi intéressant par la forme qu’au fond.

(234) PARIS RÉVOLUTIONNAIRE.

Cet ouvrage formera 6 à 8 vol. in-8° de 400 à 500 pages. Il paraîtra une livraison de 100 à 125 pages tous les dix jours, à partir du 1er juillet.
Prix de chaque livraison, 1 fr. 75 c.
Quatre livraisons formeront un volume.
On souscrit à Paris, chez l’éditeur, rue du Faubourg-Montmartre, n. 15, et chez Guillaumin, libraire, rue Neuve-Vivienne.
A Lyon, dans les bureaux des journaux patriotes.
Nota. Nous insérerons dans le prochain numéro le prospectus de cet ouvrage, rédigé par M. Cavaignac, il est aussi remarquable sous le rapport littéraire que sous celui du patriotisme.

(224) LE PÈRE LACHAISE, ou Recueil de dessins au trait et dans leurs justes proportions, de tous les principaux monumens de ce remarquable cimetière. In 4° sur papier Jésus ; dessiné, lithographié et publié par M. Quaglia, ancien peintre de l’impératrice Joséphine, et dont les miniatures ont obtenu la médaille d’or à l’exposition du Louvre (année 1824).
Prix (expédié franco) : 13 Francs.
L’extrême modicité de ce prix est due au désintéressement de l’artiste qui, ne calculant ni son temps, ni ses peines, s’est abstenu d’employer des mains étrangères.
A Paris, chez QUAGLIA, rue du Harlay du Palais. n° 2.
On n’expédiera cet ouvrage que d’après une demande affranchie, et contenant un mandat sur la poste, ou sur une maison de Paris.
Nota. Les personnes qui feront la demande de douze exemplaires à la fois, obtiendront le treizième gratis.

Notes ( RÉFLEXIONS)
1 Jean-Baptiste Teste (1780-1852), député du Gard au début de la monarchie de Juillet.

Notes (COUR DE BESANÇON . Chambre des appels de...)
1 Il s’agit ici très probablement d’Antoine Miran et du journal, Le Patriote de la Côte-d’Or, publié à Dijon depuis 1830.

Notes ( Littérature.)
1 Pour la plupart hommes de lettres, romanciers, poètes, hommes de théâtre, les principaux noms mentionnés ici sont :
– Pour la rubrique Voyages : Johan Frederick van Overmeer Fisscher (1799-1858) ; Julius Klaproth (1783-1835). – Pour la rubrique Variétés : Alexandre Duval (1767-1842) ; Jean-Gabriel Cappot (1800-1863) ; Frédéric Mercey (1805-1860) ; le compositeur et chef d’orchestre Hector Berlioz (1803-1869) ; Eugène de Pradel (1787-1857).

Notes ( LYON VU DE FOURVIÈRES.)
1 Impulsé par Léon Boitel (1806-1855), le recueil Lyon vu de Fourvières : esquisses physiques, morales et historiques, mêlait des textes de jeunes littérateurs locaux à quelques signatures plus prestigieuses, Alexandre Dumas (1802-1870) ou Jules Michelet (1802-1870). Présenté par Anselme Petetin, alors emprisonné, le recueil constituait aussi un manifeste en faveur de la décentralisation, tant littéraire que politique, et annonçait l’entreprise de la Revue du lyonnais.

Notes ( Variétés.)
1 Il s’agit ici de la succession Jean Thierry (1589-1676), riche négociant français.

Notes ( LE SALON.)
1 Jean-Bertrand Féraud (1759-1795), député de la Convention, massacré par la foule lors de l’insurrection du 20 mai 1795, foule exaspérée par misère et disette dues notamment à la hausse continue des prix.
2 James Fenimore Cooper (1789-1851), écrivain américain.
3 Antoine Barthélemy Clot (1795-1868), docteur français, chirurgien-chef de Mehemet Ali, vice-roi d’Égypte, à partir de 1825.

Notes (TÉLÉGRAPHES COMMERCIAUX de jour et de...)
1 Mention ici de la brochure d’Alexandre Ferrier, inventeur du télégraphe optique, Établissement de télégraphes publics de jour et de nuit, publiée à Paris en 1832.

Notes ( ANECDOTE.)
1 L’anecdote permet d’épingler Charles-Albert de Savoie-Carignano (1798-1849), roi de Piémont-Sardaigne depuis 1831, qui, tournant le dos à sa jeunesse libérale, venait de faire réprimer durement le mouvement de la Jeune Italie et poursuivait la politique absolutiste et réactionnaire de son prédécesseur.

 

 

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