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25 décembre 1831 - Numéro 9
 
 

 



 
 
    
LYON1.

La question sur les événemens de Lyon est toujours agitée par les journaux de Paris et des départemens ; pourtant ce qui paraissait un problème à résoudre, n'est plus aujourd'hui qu'une simple vérité. Chacun sait que les ouvriers ne peuvent pas vivre, et qu'il faut chercher le moyen d'adoucir le sort d'une classe trop nombreuse, pour être dédaignée. Chacun croit trouver le remède infaillible sans s'apercevoir qu'il ne raisonne que d'après son intérêt, et que sa logique peut s'expliquer par ce peu de mots : Je veux que l'ouvrier devienne heureux, mais qu'il ne m'en coûte rien. C'est ainsi que le commerçant éludant toute augmentation de salaire en appelle, dans sa bonté, au gouvernement pour qu'il ôte toutes les charges qui pèsent sur la classe pauvre. C'est ainsi que d'autres parlent d'établir des caisses d'épargnes, comme si l'ouvrier qui ne peut acheter du pain, peut placer de l'argent et le convertir en rentes sur l'état. Beaucoup enfin, et ceux-ci ne sont point propriétaires, disent que les loyers sont trop chers, qu'il faut qu'on les diminue, et que les ouvriers laissent pardevant MM. les négocians tant [1.2]par cent de leur salaire, afin d'avoir une caisse de réserve pour payer les termes. Toujours des sophismes et rien que des sophismes ! et on en revient sans cesse à ôter à l'ouvrier, mais pas un seul de ces philantropes, de ces économistes, ne dit de lui donner davantage.

Mais, de bonne foi, croit-on que l'artisan soit dupe de ces visions ? croit-on qu'il ne calcule pas ce que lui feraient par jour 20 francs qu'on lui ôterait sur son loyer par année, et 10 c. par bouteille de vin sur trois qu'il consommerait par semaine ? Sans doute que cela, joint à une augmentation de salaire, pourrait améliorer son sort ; mais tant que l'ouvrier ne gagnera, à Lyon, que 1 fr. 15 à 1 fr. 25 c. par jour, il ne pourra vivre. Il est vrai que des hommes le regardent comme un être tellement inférieur, qu'on ne doive point s'occuper de lui, et qui croient l'avoir vaincu, terrassé, quand ils ont dit : C'est un prolétaire. L'ouvrier aujourd'hui sent sa dignité et connaît sa force. Qu'on l'appelle peuple ou prolétaire, peu lui importe ; il sait qu'il est nécessaire dans l'organisation sociale, et que par conséquent il doit avoir part aux biens de cette vie.

Que le Journal des Débats ait eu l'impudence de le placer au-dessous des barbares du Caucase et des déserts de la Tartarie, l'ouvrier, le prolétaire méprise ces calomnies2. On croira peut-être que les patrons de cette feuille, qui se sont prosternés devant le soleil de toutes les époques, se passent facilement de ces hommes qu'ils insultent ? pas du tout, ils en ont besoin à chaque instant : ce sont des prolétaires qui leur confectionnent ces lits somptueux où ils passent délicieusement les nuits, que l'artisan, sur un méchant grabat, passe dans les gémissemens, [2.1]et ces tilburys élégans qui leur servent le jour à éclabousser l’artiste qui y a prodigué les richesses de son art…

Ce langage paraîtra ridicule à ces écrivains qui ont épuisé leur rhétorique pour insulter le peuple en style pompeux ; mais nous n’en rabattrons pas un seul mot ; et nous croirons que l'ouvrier est utile, et même très-utile, tant qu'il leur faudra un fileur pour la laine et un tisseur à Sédan pour leur fournir un manteau ; tant qu'il leur faudra un laboureur, un meunier et un boulanger pour que leur table ne soit pas sans pain. Que ces messieurs fassent vœu de n'avoir pour tout vêtement qu'une peau de mouton, et pour toute nourriture que des glands, alors les ouvriers iront se reléguer sur les plateaux du Caucase et dans les déserts de la Tartarie, pour faire place à d'autres hommes qui, devenus prolétaires à leur tour, seront moins barbares que le bon citoyen, le père de famille élevant ses enfans pour l'amour de la patrie, à laquelle il lègue quelquefois des Lannes et des Murat, des Massillon et des Maury.

Notes (LYON.)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Voir le texte de Saint-Marc Girardin, « La révolte de Lyon », Journal des débats, XII, 8, décembre 1831.

 

 

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