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14 juillet 1833 - Numéro 28
 
 

 



 
 
    
TROUBLES D?ANZIN. ? FAILLITE DU CREUZOT.

Nous empruntons à la Tribunei l?article suivant, sur les troubles d?Anzin et la cessation des travaux des forges du Creuzot, par suite de la faillite des propriétaires1 :

Les événemens qui se pressent tous les jours devant nos yeux accusent hautement le gouvernement qui persiste dans sa voie stationnaire. Il ne veut que marquer le pas, quand tout ce qui l?entoure est lancé au pas de course ; quand tous les besoins crient à ses oreilles, il se les bouche et s?endort dans son indifférence habituelle. S?éveille-t-il parfois, c?est pour envoyer la force brute apaiser les souffrances de ceux qui se plaignent ; merveilleuse protection, admirable prévoyance ! Vous succombez sous le poids d?un travail meurtrier et le seul moyen de montrer votre peine est d?en suspendre momentanément la rigueur pour appeler quelque soulagement ; vite, on vous envoie des baïonnettes pour vous refouler dans vos souterrains, ou l?on vous jette en prison. Un établissement où 2,000 ouvriers sont occupés, menace-t-il de fermer ses ateliers par suite d?embarras financiers, la paternelle prévision d?un gouvernement qui se prétend élu par le peuple, expédie des troupes pour apaiser les troubles qui doivent nécessairement survenir ; les travaux seront suspendus, les ouvriers rentreront dans [4.2]leurs familles sans pouvoir leur donner le pain qu?elles attendent de leur travail, la faim excitera des cris et pour les étouffer on vous oppose des baïonnettes. Quelques courageux défenseurs des droits que tout homme possède de réclamer du travail, seront percés de coups, d?autres seront incarcérés, d?autres iront épuiser dans les ressources usurières du Mont-de-Piété jusqu?au dernier haillon qui couvre leur misère, et on leur jettera pour toute consolation ces paroles creuses : « Toutes les autorités forment des v?ux pour l?amélioration de votre sort, la voix de l?humanité ne tardera pas à se faire comprendre, les propriétaires des riches établissemens ne peuvent être vos tyrans ; non, ils ne peuvent l?être, un titre plus digne leur est réservé ; ils ne laisseront pas à d?autres le mérite d?être vos bienfaiteurs. »

Ceci est une allocution fort touchante assurément, mais fort peu concluante ; les propriétaires de riches établissemens ne changeront pas, ils seront ce qu?ils ont toujours été, égoïstes à l?égard des masses, et par exception charitables envers les individus, inflexibles enfin sur ce principe d?exploitation du grand nombre par quelques-unsii. Qu?attendre de cela ? Ce que nous voyons dans le gouvernement, la continuation du passé, des espérances trompeuses pour l?avenir, et l?immuabilité pour le présent.

Les propriétaires de riches établissemens ont au moins pour excuse la position où ils sont placés, et qu?ils ne peuvent changer, soumis qu?ils sont à des engagemens contractés dès long-temps, et dont l?exécution leur fait subir de rudes épreuves, qu?il ne leur est pas toujours donné de surmonter avec bonheur. Mais le mal, le centre de la plaie est dans l?inaction du gouvernement chargé de veiller aux intérêts de tous. Il faut lentement et progressivement déplacer l?industrie concentrée dans quelques mains privilégiées pour en répartir le bienfait entre tous les travailleurs. Lyon a inscrit sur sa bannière des paroles qui ont fructifié, parce qu?elles sont l?expression exacte de la douleur : Vivre en travaillant ou mourir en combattant. Est-ce là l?émeute ? Sont-ce là des factieux ? C?est le peuple qui demande qu?on s?occupe enfin de lui.

Des organisations nouvelles ont été présentées, des théories prises dans la cause du mal lui-même ont été repoussées. Des occasions s?offrent chaque jour de réaliser d?utiles améliorations, on y répond par la force matérielle ; aussi après les troubles de Lyon viennent ceux des mines d?Anzin, les doreurs de Paris, les ouvriers du Creuzot, et à tout cela il n?y a qu?un remède, les charges de cavalerie, la prison. Certes, après les événemens de Lyon, et surtout après les troubles d?Anzin, il était évident qu?il fallait une organisation nouvelle, que chaque ouvrier devait être appelé au partage des fruits du travail, qu?au lieu de replacer l?exploitation entre les mains de quelques riches propriétaires, il fallait saisir l?occasion d?intéresser chaque travailleur au succès des efforts de tous ; on s?est contenté d?en revenir au passé dans l?espoir que la force matérielle comprimerait tout. Mais voila qu?aujourd?hui, et par suite de débats d?argent entre M. Aguado et les [5.1]propriétaires du Creuzot, cet établissement, où deux mille ouvriers trouvaient du travail, va être fermé ; au lieu de profiter de l?expérience du passé et de prévoir les maux qui peuvent résulter d?une aussi effroyable catastrophe, la seule pensée qui vienne à l?esprit des gouvernans est d?envoyer des troupes sur les lieux. (Journal des Débats du 28 juin.) Et nous avons un ministre du commerce ! A quoi sert-il, on le demande ? Deux mille ouvriers sans travail méritent bien qu?on leur sacrifie une soirée d?Opéra, et qu?on leur donne d?autre satisfaction que celle du fer.

Si au lieu d?employer les fonds supplémentaires des crédits alloués à bâtir des bastilles, on songeait à commanditer l?industrie, des populations de travailleurs n?auraient pas à craindre que le résultat d?un procès vienne les priver de leurs moyens d?existence, l?association pourrait, en les réunissant, leur assurer du travail et leur préparer des secours pour leurs vieux jours ; mais non, elles sont malheureuses, elles resteront dans leur position précaire ; si elles crient, on les fera taire à coups de fusil, et l?on inscrira victorieusement dans le journal officiel du lendemain : L?ordre règne au Creuzot !

(La Tribune, 30 juin 1833, n° 181.)

Notes ( TROUBLES D?ANZIN. ? FAILLITE DU CREUZOT.)
1 L?exploitation de la houille au Creusot datait de 1782 et de la création d?une Fonderie royale. En 1826, une compagnie anglaise, Manbly & Wilson, avait racheté les forges et tenté, notamment en plaçant à la tête de l?entreprise des hommes comme Jean-Baptiste Chaptal puis Henri Fournel, d?en améliorer le rendement. Néanmoins la société fit faillite en 1833, laissant sans emploi près de la moitié de la population. Les forges seront finalement rachetées et relancées en 1836 par les frères Eugène et Adolphe Schneider.

 

 

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