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25 décembre 1831 - Numéro 9
 
 

 



 
 
    

Depuis nos fatales journées1, sur lesquelles long-temps encore nous verserons des larmes sincères, depuis ces journées désastreuses nous appelons à grands cris la réconciliation entre l'ouvrier et le commerçant. Nous avons annoncé, dans notre dernier Numéro, qu'elle s'opérait lentement, à la vérité, et qu'elle ne pouvait être aussi prompte et aussi unanime que tout bon citoyen le désirerait ; mais nous sommes forcés de le dire, à notre grande douleur, peut-il en être autrement, quand tous les jours notre ville retentit des plaintes de vexations, de maltraitemens ;... quand, animés par le courage du désespoir, les malheureux qui avaient sacrifié à leur ressentiment pour sauver de la dévastation les propriétés et de la mort leurs provocateurs, sont tous les jours en butte à la même misère, que dis-je ? en proie au même désespoir ?

On a vu, pour calmer une première effervescence, pour satisfaire à peine les besoins de quelques jours, faire des distributions de pain, de viande, donner un peu de charbon, tout cela distribué, il est vrai, avec le discernement du plus ou moins de misères ; mais est-ce là une amélioration du sort de la classe ouvrière ? Une fois la consommation faite, et il n'a pas fallu long-temps, cette classe infortunée n'aura-t-elle prolongé que de quelques instans une frêle et pénible existence ? Les mêmes dons se renouvelleront-ils tous les jours ? nous ne le pensons pas ; et les généreux philantropes qui ont bien voulu contribuer, au premier signal, à apaiser la faim ambulante dans notre cité, seront-ils toujours à même de faire les mêmes sacrifices ? Ne diront-ils pas plutôt à MM. les négocians :

« Pour le bien public, dans l'intérêt de l'humanité, en un mot, pour soulager nos frères malheureux, nous nous sommes de suite imposé le rigoureux devoir d'empêcher le mal en faisant le bien ; mais vous, égoïstes, sangsues de vos concitoyens, de vos ouvriers ; qui n'avez pas répugné, après les avoir réduits tous à l'extrême détresse, tous, pères, mères, enfans ; qui n'avez pas, dis-je, rougi, croyant décimer le nombre de vos accusateurs, de les provoquer à un combat que le désespoir seul leur a fait accepter ; que ne faites-vous, de votre coté, un sacrifice à l'amour-propre ! que ne rachetez-vous, par un acte de désintéressement, la réconciliation, l'estime et bien plus la reconnaissance de ceux que vous forcez encore à mourir de faim : de ceux qui, dans cet état, ne peuvent [2.2]et ne doivent réclamer qu'à vous ! Ce n'est pas une aumône qu'ils sollicitent, c'est de l'ouvrage et le salaire raisonnable de cet ouvrage ; ils veulent vivre, non pas en oisifs, pour qui les dons du passant ou des maisons de charité sont le plus souvent un aliment à la fainéantise ; ils veulent vivre, mais vivre en travaillant. »

La rougeur, personne ne l'ignore, monte au front du vrai Français, s'il lui arrive d'être forcé, non pas d'avouer, il mourrait plutôt, mais de faire connaître, seulement indirectement, un besoin même de plusieurs jours ; et si, d'après quelques demi-mots, toujours assez significatifs pour le philantrope zélé, pour un ami peut-être, une offre lui est faite, il ne l'acceptera que quand il aura obtenu la certitude que ce n'est que par amitié et non par aumône qu'on lui fait telle ou telle proposition. Voilà le caractère et le c?ur français, voilà le caractère et le c?ur des ouvriers de Lyon !

Réfléchissez-y donc, MM. les négocians, et que cette dureté, cette inflexibilité de comptoir, filles de l'égoïsme et de la cupidité, viennent enfin se briser une fois, et pour la première, contre la franchise et la bonne foi de la misère outragée, de la faim irritée !!!

Notes (Depuis nos fatales journées , sur lesquelles...)
1 L?auteur de ce texte est Joachim Falconnet d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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