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14 juillet 1833 - Numéro 28 |
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De la nouvelle Organisation
du conseil des prud’hommes.1 Les promesses de Novembre ont été rejoindre celles de Juillet. Une ordonnance que nous donnons ci-après vient de changer l’organisation du conseil des prud’hommes et modifier celle du 15 janvier 1832. Voyons d’abord quels sont les motifs de cette ordonnance, nous en apprécierons en même temps les motifs secrets, nous en ferons voir les conséquences désastreuses pour la classe ouvrière ; nous essaierons d’en démontrer l’illégalité, et, sans vouloir nous ériger en précepteurs, nous rechercherons quelle a été la conduite des prud’hommes en cette occurence, quels devoirs leur restent à remplir. Nous proclamerons avec franchise ce résultat de notre investigation. Loin de nous la pensée d’irriter des esprits déjà trop prévenus, d’agiter de nouveau des brandons de discorde et de remuer la cendre où couve un feu mal éteint ; loin de nous encore la pensée de faire un crime au pouvoir de cette ordonnance liberticide ; il a pu (nous le croyons) être trompé par de faux rapports, séduit par des théories habilement présentées, circonvenu par des sollicitations puissantes ; mais le pouvoir, dont l’intérêt, en définitif, n’est pas de mécontenter les masses, surtout dans des questions étrangères à la politique, deviendra coupable si, l’erreur signalée, [1.2]le danger proclamé, il persiste dans la voie de réaction où il vient d’entrer ! Il peut dire aujourd’hui qu’il y a été entraîné à son insu. Demain cette excuse lui manquera. Nous sommes ici l’organe de huit mille chefs d’atelier et d’un nombre plus grand encore d’ouvriers qui se rattachent à eux et qui voient se fermer la voie pacifique de progrès dans laquelle ils espéraient que le gouvernement, qui y était entré par l’ordonnance du 15 janvier 1832, persisterait. Si, rebuté par les obstacles qu’oppose à sa bonne volonté l’aristocratie de la classe négociante, le gouvernement rétrograde, quelle amélioration sera dorénavant possible ? N’est-ce pas trop tôt donner raison à l’opinion républicaine qui enseigne à la classe prolétaire que son émancipation est écrite dans un autre code que dans celui des doctrines monarchiques. Pour nous, en notre particulier, nous applaudirions à ce résultat, parce que telle est notre conviction, mais nous ne devons pas moins, parlant au nom d’une population nombreuse, et dont quelques-uns peuvent être dissidens de nous, avertir le pouvoir de son égarement et des suites probables qu’il aura. S’il était permis de comparer les petites choses aux grandes, nous dirions avec vérité que l’ordonnance du 21 juin que nous allons discuter, a été pour la classe ouvrière de Lyon ce que furent pour la France les ordonnances de juillet, c’est-à-dire un véritable coup-d’état, et pour en montrer davantage la similitude, le même secret, la même promptitude d’exécution ont présidé à l’un comme à l’autre. A la nouvelle de cette ordonnance, de son application immédiate, la classe ouvrière s’est émue profondément, et comme une masse telle ne peut s’émouvoir sans que ce sentiment réagisse à l’instant sur la presse, cette dernière s’en est occupée toute affaire cessante ; nous avions à peine jeté le cri d’alarme que le Journal du Commerce et le Précurseur se sont hâtés d’accourir à notre secours. Qu’ils en reçoivent ici nos remercîmens sincères. Nous entrons en matière. Quels sont les motifs de l’ordonnance du 21 juin 1833 ? Pourquoi l’organisation du conseil des prud’hommes est-elle changée ? Telle est la première question que nous devons examiner. Disons auparavant un mot de l’organisation du conseil [2.1]des prud’hommes telle qu’elle existait avant la dernière ordonnance : Un décret du 18 mars 1806, qui a force de loi, a institué à Lyon le conseil des prud’hommes. Il le composa de 9 membres, dont 5 négocians et 4 chefs d’atelier ; il ordonna qu’un bureau de conciliation composé d’un négociant et d’un chef d’atelier se tiendrait chaque jour ; et qu’un bureau général, composé de 5 membres au moins, donnerait une audience par semaine pour le jugement des causes qui n’auraient pu être conciliées. Un autre décret du 11 juin 1809, permit d’augmenter le nombre des prud’hommes, mais à la condition que les négocians auraient toujours un membre de plus que les chefs d’atelier. Par ce décret il fut dit que les prud’hommes seraient nommés dans une assemblée générale convoquée à cet effet huit jours à l’avance, et dans laquelle seraient admis tous ceux désignés dans la loi du 18 mai 1806. A l’effet de remplacer les prud’hommes qui viendraient à mourir, deux suppléans devaient être nommés, pris l’un parmi les négocians, l’autre parmi les chefs d’atelier, contre-maîtres teinturiers ou ouvriers patentés. Il fut encore statué (ceci est important à noter) que le bureau général ne pourrait prendre de délibération que dans une séance où les deux tiers au moins de ses membres seraient présens. Le conseil des prud’hommes chemina ainsi pendant long-temps. Protégé par l’infâme huis-clos, l’arbitraire vint y occuper le fauteuil de la présidence, il proscrivit avec audace et impunité l’imprescriptible droit de la libre défensei. Qu’arriva-t-il de cet ordre de choses ? Ce qu’il arrive toujours au despotisme qui règne sans contrôle mais ne règne jamais long-temps. Des trésors de haine s’amassèrent en silence… Ils firent explosion… Une justice rigoureuse eût prévenu la fâcheuse collision de novembre. Pour avoir ménagé quelques intérêts, quelques amours-propres individuels, les intérêts généraux de la société ont été compromis… Le sang a coulé !… De nouvelles injustices ne pourront-elles pas, dans un temps donné, produire le même résultat ? et le pouvoir n’y songe pas. Qu’on ne nous accuse pas de rembrunir un tableau déjà si sombre ; l’ordonnance du 21 juin, nous le prouverons, fruit de honteuses sollicitations, d’un machiavélisme odieux, n’est que le prélude des réactions qui se préparent ; car on n’entre pas dans la voie de l’injustice pour s’arrêter. Il est un méphistophélès qui pousse les hommes politiques à leur perte comme les chrétiens à leur damnation. Une insurrection avait eu lieu… Il fallait donner satisfaction à ce peuple ouvrier que la faim et l’injustice avaient révolté et qui avait su ne pas abuser de la victoire. Des promesses furent faites, bien simples ceux qui y crurent ; ils ont du moins gagné, dans ce manque de foi, une leçon de prudence. Une seule amélioration, [2.2]mais elle était capitale, eut lieu : c’est de l’ordonnance du 15 janvier 1832 que nous voulons parler. Le nombre des prud’hommes de la section de fabrique a été augmenté, et la base de l’élection élargie ; cette ordonnance fut reçue avec plaisir, car le peuple est facile à contenter : pourvu qu’il n’aperçoive dans ceux qui sont chargés de le conduire aucune arrière-pensée, pourvu qu’il entrevoie dans un avenir prochain un progrès quelconque, une amélioration à son sort, il prend patience. Cette ordonnance était loin cependant de satisfaire aux vœux populaires et à la justice. D’abord le nombre des électeurs était augmenté, mais tous ceux qui avaient droit de l’être n’avaient pas été admis. Tous les citoyens soumis à la juridiction du conseil des prud’hommesii doivent, par une conséquence naturelle, participer à la nomination des prud’hommes ; et cela est si vrai, que la cour de cassation a cassé les sentences d’un conseil qui avait jugé des différens relatifs à des industries qui n’y étaient pas représentées. Ensuite, parmi les ouvriers appelés à l’élection des prud’hommes lyonnais, pourquoi cette exclusion de ceux qui ne possèdent pas quatre métiers ? Pourquoi cette aristocratie nouvelle ? Pourquoi cette violation gratuite de la charte dans un de ses articles les plus importans : Les citoyens français sont égaux devant la loi. Cette ordonnance était encore incomplète en ce que donnant raison aux ouvriers de la fabrique d’étoffes de soie, elle restreignait à eux seuls le bienfait d’une élection plus démocratique, et le refusait aux autres industries. Il était rationnel, comme nous l’avons dit plus haut, d’appeler tous les justiciables du conseil des prud’hommes à la nomination des membres de ce conseil, mais si l’on n’osait avancer ainsi d’un pas ferme dans le chemin de la justice et de la liberté, l’on devait au moins appeler à une élection semblable tous les ouvriers des industries privilégiées, comme on le faisait pour celle de la fabrique de soie. Il est résulté de la marche abusive du gouvernement, une incohérence qui est dégénérée en scission complète, et l’on a été tenté de dire que l’autorité avait suivi en cela le principe de Machiavel : divide ut impera, divise afin de régner. Une amélioration fondée également sur la justice et le bon sens, devait encore trouver place dans cette ordonnance. Il fallait ordonner que la section de fabrique d’étoffes de soie jugerait seule les questions relatives à cette fabrique, et ainsi des autres : on n’aurait pas vu l’anomalie d’un chapelier discutant gravement et votant sans rire les questions de tirelle, de déchet, d’enlaçage de cartons, etc., dont il entendait parler pour la première fois. Quoi qu’il en soit, et malgré ses nombreuses imperfections que nous venons de signaler, l’ordonnance du 15 janvier 1832 était un progrès ; elle fut acceptée avec reconnaissance par la classe ouvrière. Les élections eurent lieu en conformité ; les choix furent honorables ; le nouveau conseil commença ses fonctions. Il eut le tort très-grave de ne pas exiger une jurisprudence fixe, de ne pas solliciter l’intervention législative pour rendre stables les changemens apportés par l’ordonnance à laquelle il devait son existence. Nous avons été sur ce point en dissidence avec lui ; nous nous arrêtâmes dans une polémique qui devenait violente, de crainte de donner l’éveil à des passions mauvaises. Ce fut de notre part non pas faiblesse, mais sacrifice au bien de la paix. Qu’on nous en ait su gré ou non, là [3.1]n’est pas la question. Mais nous étions bien éloignés de prévoir que les prud’hommes chefs d’atelier, coupables à nos yeux seulement d’un peu trop de modération, seraient sitôt punis par où ils avaient péché ; il était facile cependant de comprendre que, n’ayant pas su se faire respecter et craindre, on cesserait de les ménager. Mais on se serait étrangement mépris si l’on avait pu croire que la communion entre les prud’hommes chefs d’atelier et leurs commettans était rompue à tout jamais comme on a voulu l’insinuer en certain lieu ; entre gens qui s’estiment le rapprochement est bientôt fait, et les ouvriers de Lyon sont unis de cœur et d’âme avec leurs prud’hommes le jour où ces derniers sont attaqués. Revenons à notre sujet : huit prud’hommes chefs d’atelier, forts d’un mandat populaire, vinrent donc soutenir au conseil les droits méconnus de leur classe jusque-là opprimée ; ils opposèrent une force de cohésion que leurs antagonistes n’avaient pas, parce que quelques-uns (nous devons leur rendre justice), sentaient la vérité des plaintes des ouvriers. Et c’est ainsi que des questions importantes furent résolues en faveur des prolétaires. Il fallait que les négocians se déterminassent à avoir raison et à discuter. Sous l’ancien conseil ce n’était pas nécessaire. M. Goujon n’était ni moins despote, ni plus disposé en faveur des ouvriers que son prédécesseur, M. Guerin-Philippon ; mais il avait contre lui des contradicteurs légitimes et tenaces, il avait devant lui un auditoire nombreux et la voix incessante de la presse. L’Écho de la Fabrique, nous le disons, parce que c’est vrai, et qu’il nous faut dans un intérêt général faire abstraction d’une modestie menteuse, remplaçait le prud’homme que la loi aristocrate de 1806 avait accordé aux négocians de plus qu’aux chefs d’atelier. Cet ordre de choses déplut aux négocians. Ne pouvant plus être les maîtres exclusifs du conseil, ils désertèrent leurs sièges. De leur mauvaise volonté est née la prétendue impossibilité d’avoir un conseil de prud’hommes à Lyon. Voyant que des démissions calculées ne les amenaient pas assez promptement à leur but, ils ont intrigué pour changer l’organisation du conseil et ressaisir un pouvoir usurpé qu’on leur avait enlevé, dans un moment où le ministère avait cru devoir s’occuper des intérêts de la classe laborieuse. L’ordonnance du 21 juin 1833 a donc vu le jour. Nous arrivons maintenant au point de discussion le plus important et que nous avons énoncé ci-dessus, celui d’examiner ses motifs apparens et secrets. (La suite à un prochain numéro.)
i Malgré nos justes plaintes, nous n’avons pu obtenir encore la liberté de la défense, nous faisons même en ce moment, auprès du nouveau président du conseil, une tentative dernière sur le résultat de laquelle, quel qu’il soit, nous appellerons le jour de la publicité ; bientôt le huis-clos sera rétabli. Par le changement d’heure des séances ; la publicité a été restreinte autant qu’il a été possible. Dans l’intérêt de la fabrique nous appelons l’attention publique, celle en particulier de M. le préfet, qui, représentant du gouvernement, est sans intérêt dans ces discussions, et nous a paru maintes fois animé d’intentions bonnes en faveur de la classe ouvrière. Si, par son influence, la libre défense était admise, si la publicité des audiences était convenablement protégée, si enfin l’ordonnance du 21 juin était rapportée, non-seulement il aurait mérité la reconnaissance de l’immense majorité des citoyens confiés à son administration, mais, ce qui est encore plus digne de toucher un noble cœur, il aurait rendu service à son pays. ii Voyez-en la nomenclature, n° 61, 23 septembre 1832, p. 2. Note au bas de l’article Du défaut de concours de tous les justiciables.
ORDONNANCE
qui modifie l’organisation du conseil des prud’hommes de lyon. Neuilly, 21 juin 1833i. Louis-Philippe, etc. Sur le rapport de notre ministre secrétaire d’état au département du commerce et des travaux publics ; Vu la loi du 18 mars 1806, les décrets des 3 juillet 1806, 11 juin 1809, 20 février 1810, 8 novembre 1810, et l’ordonnance du 15 janvier 1832 ; [3.2]Considérant que le décret sur l’organisation des conseils des prud’hommes, exige la présence des 2/3 au moins des membres pour la validité de leurs délibérations. Que depuis l’augmentation du nombre des prud’hommes de la fabrique des étoffes de soie de Lyon, établie par l’ordonnance du 15 janvier 1832, on a reconnu de grandes difficultés pour réunir les deux tiers des membres prescrits, ce qui nuit à la prompte expédition des affaires ; Que, pour remédier à cet inconvénient, il est convenable de diviser les prud’hommes attachés à la fabrique des étoffes de soie en membres titulaires et en membres suppléans, ce qui, d’une part, diminuera le nombre nécessaire pour la validité des délibérations, et pourvoira d’autre part au remplacement des juges empêchés. Notre conseil d’état entendu, Nous avons ordonné : Art. 1er. A dater de la publication de la présente ordonnance, les 17 prud’hommes attachés à la fabrique des étoffes de soie par notre ordonnance du 15 janvier 1832, sont divisés en titulaires et suppléans ; les premiers, au nombre de 9 dont 5 pris parmi les fabricans et 4 parmi les chefs d’atelier ; les seconds, au nombre de 8, dont 4 parmi les fabricans et 4 parmi les chefs d’atelier ; Les autres fabriques conserveront leur composition actuelle. En conséquence, le nombre des prud’hommes titulaires composant le conseil de la ville de Lyon, est fixé à 17. Art. 2. En cas d’absence ou d’empêchement d’un prud’homme titulaire, un suppléant de la même fabrique et de la même classe, sera toujours appelé à siéger, quel que soit le nombre des membres présens. Les suppléans fabricans seront appelés suivant l’ordre de leur nomination. Le sort déterminera l’ordre d’appel pour les 4 suppléans chefs d’atelier de la fabrique des étoffes de soie. Les suppléans ainsi appelés seront seuls admis à siéger ; en aucun cas le conseil des prud’hommes ne pourra juger s’il n’est au moins composé de 12 membres. Art. 3. Les prud’hommes de la fabrique des étoffes de soie, actuellement en fonction, tireront au sort pour désigner ceux d’entr’eux qui resteront membres titulaires du conseil et ceux qui seront membres suppléans. Chaque année, et jusqu’au renouvellement complet du conseil, le tirage au sort prescrit pour désigner les membres sortans sera fait parmi les membres titulaires et les suppléans, de manière à ce qu’il sorte un membre titulaire et un suppléant, soit parmi les fabricans, soit parmi les chefs d’atelier. Art. 4. Dans les élections successives des chefs d’atelier, la section électorale qui aura fourni au conseil un membre titulaire, le remplacera au terme de ses fonctions, par l’élection d’un suppléant, et réciproquement la section qui aura élu un suppléant, donnera un titulaire à l’élection suivante. Art. 5. Notre ministre secrétaire d’état du commerce et des travaux publics, est chargé de l’exécution de la présente ordonnance qui sera insérée au Bulletin des Lois. Donné au palais des Tuileries, le 21 juin 1833. LOUIS-PHILIPPE. Par le roi : Signé A. Thiers. Pour ampliation : Ed. Blanc.
i Nous pourrions bien faire une chicane de forme à cette ordonnance qui, datée de Neuilly, se trouve signée aux Tuileries. N’est-ce qu’une erreur de rédaction ? C’est possible ; mais, en ce cas, nous avons bien le droit de dire que c’est mettre trop de légèreté dans des affaires aussi graves.
EXTRAIT DU PRÉCURSEUR.
(10 juillet 1833, N° 2031.) conseil des prud’hommes. C’est une chose curieuse à étudier que la façon dont l’industrie est traitée par un gouvernement dont le chef a l’avantage de se flatter dans ses discours officiels d’avoir fait renaître la prospérité matérielle du pays. Tandis que la justice civile est entourée de garanties multipliéesi, les intérêts industriels sont livrés à tous les caprices des volontés ministérielles, et aux intrigues de l’aristocratie d’argent. – Lyon, on le sait, avait reconquis, après novembre, une institution qui aurait dû sortir d’une loi et non d’une simple ordonnance. Cette institution c’est le conseil des prud’hommes pour la fabrique de soieries. – Ceux qui ne connaissent pas l’industrie lyonnaise ne peuvent guère se figurer quelle immense importance possède ce conseil pour quarante mille au moins des habitans de notre cité, et combien [4.1]les ouvriers sont attachés à cette unique garantie obtenue contre les vexations auxquelles ils peuvent être en butte. C’était le seul résultat de la catastrophe de novembre, et bien que son origine ministérielle fût incomplète et fausse, bien que le mode d’élection d’où il était sorti, fût injuste et inexact, bien que les intérêts des ouvriers y fussent manifestement sacrifiés à ceux des fabricans, puisque ceux-ci y comptaient neuf représentans et ces autres huit seulement ; les amis de la classe laborieuse voyaient pourtant dans le conseil des prud’hommes le germe d’une institution heureuse que le temps pouvait développer et revêtir peu à peu du caractère d’une représentation large et vraie des intérêts divers de l’industrie. Mais ce n’est point ainsi qu’avaient calculé les gens dont l’avis fait loi à Paris dans nos affaires. Depuis long-temps leur mauvaise humeur s’était manifestée contre le conseil des prud’hommes, et nous avons rapporté les bruits qui avaient couru à cet égard il y a plusieurs mois. Depuis long-temps ils ont résolu d’affaiblir par une suite de mesures, et de détruire enfin une institution qu’on ne devait qu’à la peur inspirée par la victoire de novembre et que les ouvriers ne se seraient pas laissé enlever brusquement. Une ordonnance royale vient de faire un nouveau pas dans cette voie. Elle a réduit le nombre des prud’hommes chefs d’atelier à quatre, en leur adjoignant quatre suppléans pour les cas d’absence, et celui des prud’hommes fabricans à cinq, en leur donnant quatre suppléans. Ainsi la proportion de la représentation des ouvriers dans le conseil est encore affaiblie de toute la différence des deux fractions 8/9 et 4/5, et, le conseil étant au complet de neuf membres, il est clair qu’il ne reste aucune chance et aucune garantie aux ouvriers toutes les fois qu’il s’agira d’intérêts où sera mêlé l’esprit de corps ou de classe. En suivant le système arithmétique de l’ordonnance, on voit que le conseil pourrait enfin être ramené, de réduction en réduction, à deux membres fabricans et un membre chef d’atelier ; ce serait plus frappant, sans doute, mais non pas plus inique. Nous ne cesserons de répéter, quoi qu’en disent les nouveaux avocats des intérêts matériels, que le malaise et l’irritation des classes laborieuses vient de leur exclusion de toute représentation dans la famille politique et industrielle. Si l’on veut s’en assurer, on n’a qu’à étudier l’effet produit par la dernière ordonnance sur les ouvriers de Lyon. Ici l’irritation est plus évidente parce que la représentation est plus directe ; mais prud’hommes ou députés, lois générales ou décisions particulières, n’est-ce pas toujours une représentation, une gérance déléguée d’intérêts qui ont besoin d’être défendus contre des intérêts hostiles ? Anselme Petetin.
i Insuffisantes sans doute, puisque l’élection populaire n’en est pas la base, et que la formation des tribunaux est l’œuvre des passions politiques, mais appuyées cependant sur des règles légales invariables.
TROUBLES D’ANZIN. – FAILLITE DU CREUZOT.
Nous empruntons à la Tribunei l’article suivant, sur les troubles d’Anzin et la cessation des travaux des forges du Creuzot, par suite de la faillite des propriétaires1 : Les événemens qui se pressent tous les jours devant nos yeux accusent hautement le gouvernement qui persiste dans sa voie stationnaire. Il ne veut que marquer le pas, quand tout ce qui l’entoure est lancé au pas de course ; quand tous les besoins crient à ses oreilles, il se les bouche et s’endort dans son indifférence habituelle. S’éveille-t-il parfois, c’est pour envoyer la force brute apaiser les souffrances de ceux qui se plaignent ; merveilleuse protection, admirable prévoyance ! Vous succombez sous le poids d’un travail meurtrier et le seul moyen de montrer votre peine est d’en suspendre momentanément la rigueur pour appeler quelque soulagement ; vite, on vous envoie des baïonnettes pour vous refouler dans vos souterrains, ou l’on vous jette en prison. Un établissement où 2,000 ouvriers sont occupés, menace-t-il de fermer ses ateliers par suite d’embarras financiers, la paternelle prévision d’un gouvernement qui se prétend élu par le peuple, expédie des troupes pour apaiser les troubles qui doivent nécessairement survenir ; les travaux seront suspendus, les ouvriers rentreront dans [4.2]leurs familles sans pouvoir leur donner le pain qu’elles attendent de leur travail, la faim excitera des cris et pour les étouffer on vous oppose des baïonnettes. Quelques courageux défenseurs des droits que tout homme possède de réclamer du travail, seront percés de coups, d’autres seront incarcérés, d’autres iront épuiser dans les ressources usurières du Mont-de-Piété jusqu’au dernier haillon qui couvre leur misère, et on leur jettera pour toute consolation ces paroles creuses : « Toutes les autorités forment des vœux pour l’amélioration de votre sort, la voix de l’humanité ne tardera pas à se faire comprendre, les propriétaires des riches établissemens ne peuvent être vos tyrans ; non, ils ne peuvent l’être, un titre plus digne leur est réservé ; ils ne laisseront pas à d’autres le mérite d’être vos bienfaiteurs. » Ceci est une allocution fort touchante assurément, mais fort peu concluante ; les propriétaires de riches établissemens ne changeront pas, ils seront ce qu’ils ont toujours été, égoïstes à l’égard des masses, et par exception charitables envers les individus, inflexibles enfin sur ce principe d’exploitation du grand nombre par quelques-unsii. Qu’attendre de cela ? Ce que nous voyons dans le gouvernement, la continuation du passé, des espérances trompeuses pour l’avenir, et l’immuabilité pour le présent. Les propriétaires de riches établissemens ont au moins pour excuse la position où ils sont placés, et qu’ils ne peuvent changer, soumis qu’ils sont à des engagemens contractés dès long-temps, et dont l’exécution leur fait subir de rudes épreuves, qu’il ne leur est pas toujours donné de surmonter avec bonheur. Mais le mal, le centre de la plaie est dans l’inaction du gouvernement chargé de veiller aux intérêts de tous. Il faut lentement et progressivement déplacer l’industrie concentrée dans quelques mains privilégiées pour en répartir le bienfait entre tous les travailleurs. Lyon a inscrit sur sa bannière des paroles qui ont fructifié, parce qu’elles sont l’expression exacte de la douleur : Vivre en travaillant ou mourir en combattant. Est-ce là l’émeute ? Sont-ce là des factieux ? C’est le peuple qui demande qu’on s’occupe enfin de lui. Des organisations nouvelles ont été présentées, des théories prises dans la cause du mal lui-même ont été repoussées. Des occasions s’offrent chaque jour de réaliser d’utiles améliorations, on y répond par la force matérielle ; aussi après les troubles de Lyon viennent ceux des mines d’Anzin, les doreurs de Paris, les ouvriers du Creuzot, et à tout cela il n’y a qu’un remède, les charges de cavalerie, la prison. Certes, après les événemens de Lyon, et surtout après les troubles d’Anzin, il était évident qu’il fallait une organisation nouvelle, que chaque ouvrier devait être appelé au partage des fruits du travail, qu’au lieu de replacer l’exploitation entre les mains de quelques riches propriétaires, il fallait saisir l’occasion d’intéresser chaque travailleur au succès des efforts de tous ; on s’est contenté d’en revenir au passé dans l’espoir que la force matérielle comprimerait tout. Mais voila qu’aujourd’hui, et par suite de débats d’argent entre M. Aguado et les [5.1]propriétaires du Creuzot, cet établissement, où deux mille ouvriers trouvaient du travail, va être fermé ; au lieu de profiter de l’expérience du passé et de prévoir les maux qui peuvent résulter d’une aussi effroyable catastrophe, la seule pensée qui vienne à l’esprit des gouvernans est d’envoyer des troupes sur les lieux. (Journal des Débats du 28 juin.) Et nous avons un ministre du commerce ! A quoi sert-il, on le demande ? Deux mille ouvriers sans travail méritent bien qu’on leur sacrifie une soirée d’Opéra, et qu’on leur donne d’autre satisfaction que celle du fer. Si au lieu d’employer les fonds supplémentaires des crédits alloués à bâtir des bastilles, on songeait à commanditer l’industrie, des populations de travailleurs n’auraient pas à craindre que le résultat d’un procès vienne les priver de leurs moyens d’existence, l’association pourrait, en les réunissant, leur assurer du travail et leur préparer des secours pour leurs vieux jours ; mais non, elles sont malheureuses, elles resteront dans leur position précaire ; si elles crient, on les fera taire à coups de fusil, et l’on inscrira victorieusement dans le journal officiel du lendemain : L’ordre règne au Creuzot ! (La Tribune, 30 juin 1833, n° 181.)
i Note du Rédacteur.– Nous ne saurions trop recommander aux ouvriers la lecture de ce journal ; ils y trouveront un guide sûr pour leurs opinions politiques et industrielles. ii Note du rédacteur. – Depuis que cet article de la Tribune a paru, les propriétaires des mines d’ Anzin, menacés de voir tarir la source de leurs bénéfices par l’émigration de leurs ouvriers ; mis en demeure de satisfaire à l’opinion publique par le discours du président du tribunal de Valenciennes, ont consenti à donner aux ouvriers les 20 c. qu’ils réclamaient. Mais ils se sont vengés en destituant M. Mathieu dont la belle conduite a été appréciée dans cette circonstance.
Nous appelons l’attention de nos lecteurs sur le jugement prononcé dans l’affaire des mines d’Anzin. Trop souvent nous avons du blâme à répandre sur une magistrature généralement antipathique à la marche progressive des idées. Nous sommes heureux d’avoir aujourd’hui à rendre un hommage mérité et bien senti d’admiration et d’estime au tribunal de Valenciennes et à son honorable président. Justice a été faite ! Une peine minime a été appliquée aux ouvriers en vertu du code ; une peine terrible a été infligée aux égoïstes capitalistes en vertu des lois de l’humanité. Ce n’est pas là un petit résultat du mouvement social. Entre le jour où l’on a écrit l’article qui punit les coalitions d’ouvriers et le jour où l’arrêt de Valenciennes a été rendu il y a tout un abîme. On commence à reconnaître à des signes nombreux que les questions du prolétariat sont entrées dans la politique bien entendue du jour ; on commence à substituer aux luttes des sommités sociales la recherche du bien-être du pauvre et la reconnaissance des droits du faible. Notre siècle aura donc aussi ses résultats non moins grands que ceux des âges passés. Au reste, toute cette affaire des mines d’Anzin, comme les trois jours de Lyon, comme le calme héroïsme de juillet, comme la douloureuse levée de boucliers de juin, donne un démenti bien sanglant et bien positif aux hypocrites qui font apparaître le pillage et le bouleversement des propriétés au fond de toutes les questions qui intéressent le peuple. Pauvres gens qui crient sans cesse, contre les utopies et qui ne savent pas voir les faits qui se passent sous leurs yeux ? Où ont-ils jamais vu des masses réunies par l’ardeur du crime ? Où ont-ils l’exemple des calamités qu’ils prédisent ? Nous avons, nous, à leur opposer la moralité de ce peuple, calomnié sans cesse, et qu’on ne trouve jamais réuni sans avoir pour fanal le sentiment du droit. La faim soulève les ouvriers de Lyon et d’Anzin, et, vainqueurs, ils n’abusent pas de leur victoire ; nul n’est par eux lésé dans ses droits, dans ses propriétés ? Le peuple de Paris en armes reste plusieurs jours sur la place publique et consent à souffrir la faim plutôt que de la satisfaire par le crime ? Au milieu de ces mouvemens violens le nombre des délits privés diminue au lieu d’être augmenté. Et l’on feint de regarder un pareil peuple comme avide de pillage : on étale des frayeurs extravagantes dès qu’on parle de lui donner des droits ? En vérité, on ne peut même pas croire à cette inconcevable terreur ; il est plus facile d’expliquer ces manifestations en reconnaissant dans ceux qui les affichent des sentimens égoïstes et une cruelle hypocrisie. (Patriote de l’Allier.)
Au premier bruit de ce qu’on appelait, Dieu sait pourquoi, l’insurrection des ouvriers d’Anzin, le gouvernement qui est à Paris a peur. Dès que l’ordre public a triomphé de la faim des mineurs, le gouvernement se rassure ; tous les journaux se hâtent de dire en chœur : l’affaire d’ Anzin est terminée ; il n’y avait rien de politique dans tout cela. Ce n’était qu’une querelle d’intérêts privés ; le tort est resté aux pauvres, et tout est rentré dans l’ordre ! Rien de politique ! Imbéciles ! Et qu’y a-t-il de plus politique au monde que cette question de savoir enfin si la majorité du genre humain, c’est-à-dire la masse immense [5.2]des gens de main-d’œuvre, est pour toujours condamnée à s’exténuer de travail et de misère pour enrichir une poignée d’égoïstes ?… Imbéciles ! Et cette grande et forte voix de la majorité prolétaire qui réclame sa part, ne vous émeut point, n’arrive pas même à votre oreille ?… C… (Patriote du Puy-de-DômePatriote du Puy-de-Dôme.)
Souscription
en faveur des ouvriers mineurs d’anzin, condamnés comme coupables de coalition. Ce n’est que par une moralité soutenue, par une philantropie sans bornes, bases essentielles et peut-être uniques de l’association pacifique des hommes que la classe prolétaire peut espérer son émancipation. C’est en invoquant ces sentimens généreux que nous croyons pouvoir faire un appel aux travailleurs de Lyon en faveur de leurs frères d’Anzin. Ni les distances, ni les différences de profession ne doivent être un obstacle à cette fraternité que nous pensons devoir être bientôt le caractère distinctif de notre époque. Ainsi, à la nouvelle de la condamnation de six ouvriers mineurs d’Anzin (Voy. l’Echo, n° 26, p. 220, Nouvelles prolétaires), nous avons eu la pensée d’ouvrir une souscription en leur faveur. Nous espérons que cette pensée ne sera pas stérile. Quel que soit le produit de la souscription que nous proposons, il adoucira d’autant la position de ces hommes malheureux. Par cette offrande, les ouvriers de Lyon témoigneront de leur sympathie pour leurs confrères du Nord. La chaîne qui doit lier les travailleurs en deviendra plus forte ; et, comme il n’est pas inutile ni défendu de prévoir pour soi les maux qu’on veut soulager dans autrui, nous pouvons espérer, le cas arrivant, la même bienveillance que nous aurons montrée. Nous publierons dans le prochain numéro la 1re liste de souscription.
Au Rédacteur. Lyon, 7 juillet 1833. Monsieur, Je viens de lire dans votre numéro d’aujourd’hui un article qui me concerne et où vous dites que M. Delesse, dans le réglement de mon compte avec lui, a rayé sur mon livre la moitié du prix de l’enlaçage au paiement duquel j’ai été condamné par le conseil des prud’hommes dans son audience du 27 juin dernier. Vous avez été induit en erreur, et je m’étonne que vous ayez accueilli une pareille assertion sans vous être assuré de son exactitude ; or, cette assertion n’est pas exacte quant à la forme, quoiqu’elle soit vraie au fond. Diverses répétitions dont M. Delesse aurait pu tirer avantage contre moi et qu’il n’a pas faites, m’ont amplement dédommagé. Et de plus, je suis persuadé que si j’eusse insisté auprès de lui pour obtenir la radiation de cette somme, j’aurais réussi ; car, indépendamment de sa loyauté, à laquelle je me plais à rendre justice, il paraissait lui-même, après l’audience, honteux de la victoire qu’il venait de remporter. Toutefois, mon livre ne portant pas qu’une indemnité spéciale m’ait été accordée pour enlaçage, je vous prie de vouloir bien donner place à ma réclamation dans votre journal, seulement pour rendre hommage à la vérité littérale. Maintenant, Monsieur, permettez-moi de vous remercier de la manière dont vous avez rendu compte de cette affaire ; il était impossible, à mon avis, de mieux faire ressortir l’absurdité du jugement qui me condamne : cependant comme votre discussion s’appuie entièrement sur les principes les plus simples du droit naturel et du droit [6.1]civil, il faut que je vous conte une petite anecdote qui vous engagera sans doute à chercher à l’avenir d’autres bases à votre argumentation. Quelques instans avant l’ouverture de l’audience du 27 juin, je rencontrai au bas de l’escalier M. Gamot, prud’homme négociant. Comme je savais déjà que ma condamnation serait prononcée, je lui demandai sur quel article de la loi on s’appuyait pour me dépouiller ainsi de ma propriété. – Vous vous trompez grossièrement, me répondit-il, si vous croyez que nous prenons la loi pour guide ! le code n’a rien à faire dans le conseil, et nos décisions ne sont dictées que par les inspirations de notre conscience. – Eh bien ! si votre conscience vous dicte des jugemens à l’envers du sens commun, je m’adresserai au juge de paix qui peut-être se fera un devoir de suivre la loi et de reconnaître que les articles 566 et 572 du code civil sont en ma faveur. – Le juge de paix se déclarera incompétent, et vous serez tout de même enfoncé ; là-dessus mon homme enfile l’escalier et va se placer sur sa chaise curule. Ainsi, vous le voyez, Monsieur, il est inutile de s’embarrasser la tête de textes, de citations, de commentaires pour découvrir de quel côté est le droit, cette monnaie n’a pas cours devant le conseil des prud’hommes, ses membres eux-mêmes le disent, la loi n’est rien pour eux, et nous voilà, pauvres canuts, nous sommes déshérités du droit commun et obligés d’abandonner la défense de nos intérêts les plus pressans à la conscience de ces messieurs. Plaignez-nous, M. le rédacteur, et surtout continuez à plaider notre cause, c’est celle de l’opprimé ; et s’il est vrai, comme l’a dit Béranger, que les destins sont changeans, un jour viendra peut-être où l’émancipation des prolétaires vous récompensera dignement de votre dévouement et de vos honorables efforts. Recevez, etc. Bouvery. Note du Rédacteur. – M. Bouvery ne désavoue pas précisément le fait honorable pour M. Delesse que nous avons avancé dans notre dernier article ; seulement il l’explique dans un sens que nous sommes persuadés être vrai puisqu’il l’affirme. Nous n’avons d’ailleurs pas mission d’intervenir dans un débat secret, il nous suffit de constater que M. Delesse a rendu à ce chef d’atelier plus de justice que le conseil des prud’hommes. Nous ne voulons nuire à aucun intérêt privé : nous devons donc nous arrêter. Nos lecteurs ne nous demandent pas, et pour cause, une précision mathématique. – Nous remercions M. Bouvery de sa confidence sur sa conversation avec M. Gamot. Quelque saugrenues que soient les réponses de ce prud’homme négociant, elles ne nous étonnent pas. M. Gamot est coutumier du fait. On se souvient de son impertinente réponse à M. Desmaison (Voy. l’Echo, 1832, n° 37, p. 4), réponse que nous avions peine à croire et qui fut très faiblement démentie par ce fonctionnaire dans sa lettre insérée au n° suivant. (Voy. l’Echo, n° 38, p. 5). M. Gamot crut devoir alors à l’opinion publique qui s’était prononcée contre lui de donner sa démission. Aujourd’hui il ne daignera pas même démentir les propos que lui attribue M. Bouvery… C’est qu’il s’est fait du chemin depuis, et beaucoup. A qui la faute ?
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
(présidé par m. riboud.) Audience du 11 juillet 1833. La seule cause importante a été celle de Perronet contre Cinier et Fatin. Le conseil a ainsi prononcé : « Attendu que le sieur Perronet avait reçu ses pièces avec connaissance des prix ; il est débouté de sa demande en augmentation de façons. » Berger et Perrier, tous deux chefs d’atelier, ont été condamnés à payer, le premier, 150 fr. à Gros, et le second, 45 fr. à Josse, pour contravention à l’égard des apprentis de ces derniers. Le public paraissait étonné de voir siéger les prud’hommes chefs d’atelier. Il s’attendait à une protestation [6.2]et à leur démission, seule réponse, disait-on de tous côtés, convenable et digne des représentans de la classe ouvrière ; l’on murmurait hautement contr’eux dans l’auditoire. Deux prud’hommes titulaires et deux suppléans siégeaient. Mais cet arrangement suffisant pour contenter les amours-propres individuels, nécessaire peut-être pour assurer le paiement du salaire, des suppléans n’était pas du goût des ouvriers présens à la séance. Ils ne sont pas fâchés d’avoir aussi leurs vacances, et autres propos, disaient des gens sans doute mal intentionnés. C’est pour être fidèles à notre devoir de journalistes que nous rapportons ces rumeurs.
SUR LE DIVIDENDE, indépendamment du salaire, a donner aux ouvriers par ceux qui les emploient. La livraison du mois de juillet du Journal des Connaissances utiles, qui vient de paraître, contient un article remarquable dont nous extrayons le passage suivant : « Assurez aux ouvriers un dividende industriel calculé sur l’économie des déchets, la perfection et la masse des produits, après garantie donnée à l’ouvrier du salaire modeste nécessaire à sa subsistance et à celle de sa famille… On ne manquera pas d’objecter qu’associer ainsi les ouvriers c’est les armer contre soi d’un droit de contrôle qu’ils peuvent exercer d’une manière funeste. Nous traiterons dans un article spécial cette objection facile à résoudre. » (E. M. Economie industrielle : Des succès et des revers en industrie, p. 189.) Nous attendons avec impatience cette solution promise pour en faire part à nos lecteurs. Le Journal des Connaissances utiles, en poursuivant ainsi la belle carrière que ses fondateurs lui ont ouverte, et en abordant franchement et avec cette supériorité de talent qui le distingue, les questions les plus ardues de l’économie industrielle, celles qui se rattachent immédiatement à l’émancipation de la classe prolétaire, méritera de plus en plus la faveur avec laquelle cent mille citoyens l’ont accueilli à son début.
Littérature. procès de la glaneuse.
La Glaneuse avait promis de donner les débats de son procès. Ils étaient attendus avec impatience ; le retard apporté à leur publication faisait craindre qu’on n’eût renoncé à ce grand enseignement populaire. Heureusement nous en sommes quittes pour la peur. Le Procès de la Glaneuse1, vient de paraître. Il contient les 12 articles incriminés, le compte-rendu des audiences des 11 et 17 mai dernier, la défense prononcée par Adolphe Granier, et les plaidoieries recueillies en entier de Mes Dupont, Michel-Ange Périer, et Charassin. Cette brochure a 105 pages in-8° et ne se vend qu’un franc au profit de la souscription ouverte pour le paiement de l’amende à laquelle la Glaneuse a été condamnée. Tous ceux qui n’ont pu assister à ces débats intéressans et entendre les plaidoieries si spirituelles et si énergiques des avocats, seront charmés de faire cette connaissance ; ils feront d’ailleurs acte de bons citoyens à raison de l’emploi destiné au produit de la vente. Sous un autre rapport, la publication de ce procès est un acte éminent [7.1]de patriotisme. Soumettre au jugement de l’opinion publique le verdict du jury lui-même, est le devoir de la presse ; elle ne saurait trop le remplir. Qu’on ne prétende pas que signaler le nom des jurés (voy. pages 25 et 69) c’est attenter à leur indépendance. Il faut avoir le courage de son opinion, la proclamer et la soutenir envers le pouvoir comme envers ses concitoyens, et dès lors les jurés ne sauraient se plaindre de la divulgation de leurs noms. N’est-il pas juste qu’ils reçoivent l’hommage de la reconnaissance publique s’ils ont bien jugé. Si par hasard ils avaient mal jugé… la proposition contraire serait-elle moins juste ? Le procès de la Glaneuse fera époque dans les fastes de la liberté de la presse. Nous en recommandons la lecture aux ouvriers pour qu’ils puissent d’autant se pénétrer des sages et utiles doctrines de ce journal, reproduites et commentées à l’audience par des hommes que le peuple compte au nombre de ses amis, comme le barreau au nombre de ses orateurs. (Voy. les Annonces.)
L’éloge du vin.
iAir : Les gueux, les gueux, Sont des gens heureux. Le vin, le vin, En joyeux refrain, Change le chagrin : Respect au vin ! Vieux sujet ! dit un critique… Moi, je réponds au railleur : Le vin n’est pas politique, Le plus vieux est le meilleur. Le vin, etc. Le vin guérit un malade Bien mieux que la Faculté : Vite, vite une rasade A la pauvre liberté ! Le vin, etc. Plein de la liqueur divine, Dans l’univers je ne vois Que des roses sans épine, Et que des peuples sans rois. Le vin, etc. Sans penser à la vaillance Qui peut conduire au trépas, Buvons ! La sainte-alliance Amis, ne le défend pas ! Le vin, etc. A l’esclavage on vous livre, Mais le vin peut le charmer ; C’est le vin qui nous enivre, C’est le vin qu’il faut aimer. Le vin, etc. Quel prestige encor vous trouble, Et vous fait croire aux abus ? En ce moment je vois double, Et pourtant je n’en vois plus. Le vin, etc. Dès que je suis en goguette, Je croirais, en vérité, Aux sermens d’une coquette, A ceux de la royauté ! Le vin, etc. [7.2]Non, plus de pensers sinistres ! En France tout va très bien… Le système des ministres Se résume en pots de vin ! Le vin, etc. Amédée Roussillac.
i Cette chanson a été chantée par l’auteur à la deuxième séance du Caveau Moderne, qui a eu lieu le 7 de ce mois, et à laquelle MM. Bocage et Filastre ont assisté avec le courageux gérant de la Glaneuse. Nos lecteurs connaissent déjà Bocage, ils apprécieront incessamment Filastre, l’homme de la décoration scénique dans la République, l’Empire et les Cent-Jours. Deux toasts ont été portés à ces illustres convives.
Sur l’amélioration sociale des femmes. (extrait de la Revue Encyclopédique1.) Depuis quarante ans que l’on bouleverse les institutions sociales, en cherchant à y apporter des améliorations successives, quel est le philosophe ou le législateur qui se soit occupé d’une amélioration sociale pour les femmes ? Les femmes elles-mêmes n’y ont point songé ; accoutumées à souffrir et à se tenir dans la gêne, leur état est devenu comme une seconde nature, qu’elles n’imaginent point pouvoir changer. Elles souffrent sans réfléchir et sans chercher à remonter à la cause de leurs maux ; et lorsque le premier mot de leur émancipation future fut jeté en avant et porté jusqu’à elles, de même que ce prisonnier de la Bastille qui, après trente ans d’esclavage, rendu tout-à-coup à la liberté, ne savait plus se mouvoir ni soutenir l’éclat du soleil, et demandait avec instance l’asile de son cachot, de même les femmes, s’effrayant à l’idée d’une indépendance sociale et d’un progrès intellectuel, priviléges jusqu’à ce jour étrangers à leur sexe, ont dès la première parole fermé avec épouvante leurs yeux et leurs oreilles sans consentir à rien regarder et à rien entendre… Sans doute les femmes ont fait d’immenses progrès depuis le christianisme ; elles ne sont plus, du moins dans les pays civilisés de l’Europe, achetées et vendues comme un vil bétail ; on daigne cultiver leur intelligence ; elles ont des droits devant la loi, et elles jouissent effectivement d’une sorte de liberté apparente. C’est là sans doute un progrès réel, mais qui marque bien plus le chemin qui reste à faire, qu’il ne marque la dernière borne de la carrière ouverte à leur sexe par la Providence. Les femmes, dit-on, sont faites pour être épouses et mères ! elles sont émancipées à leur majorité ! elles sont libres de droit ! Quelle triste raillerie, quelle dérision amère dans chacune de ces paroles, lorsque l’on considère à quoi viennent aboutir en réalité tous ces droits chimériques ! les femmes sont faites pour être épouses et mères ! mais il y a au moins un tiers des femmes auxquelles leur position fait obstacle, et qui ne peuvent remplir cette sainte destination. Les mariages qui engendrent d’ordinaire les plus grandes calamités, et ce sont peut-être les plus communs, sont ceux où l’on s’engage en quelque sorte forcément et par contrainte de position. C’est là que se révèle dans toute son étendue le malheur et l’injustice de la condition sociale des femmes. Pour elles, le mariage est d’une nécessité si rigoureuse ; hors du mariage elles demeurent dans un tel état de dépendance, de nullité et d’isolement, que la plupart, au risque de faire le malheur de leur vie tout entière, se marient sans autre but que celui de se marier. C’est ainsi que l’on voit de jeunes et charmantes personnes épouser des hommes vieux et usés ; des femmes aimables et spirituelles se donner à des hommes grossiers et mal élevés ; des femmes modestes et pures s’unir à des hommes vicieux et corrompus : au premier abord on s’étonne d’unions aussi discordantes et aussi folles, et cependant que l’on cherche, que l’on interroge, et si l’on arrive à la vérité [8.1]on verra qu’à toutes se rencontre une raison suffisante tirée des nécessités de la position sociale. Aujourd’hui que l’on prétend que les femmes sont affranchies par le fait autant que par le droit, quelle étrange contradiction n’y a-t-il pas à leur donner, en même temps que cette liberté de se mouvoir, d’agir et de penser, une sorte d’éducation négative qui étouffe leur pensée et la charge d’entraves ? La femme est, dit-on, l’égale de l’homme dans tous les rapports de famille et de société : de droit, sans doute ; mais de fait, étrangère à toutes les grandes idées et à toutes les grandes choses qui captivent les hommes, ne leur demeure-t-elle pas constamment inférieure ? La femme est légalement émancipée à sa majorité : oui ; mais de fait, lorsqu’elle est sans fortune et sans protecteurs, dépourvue comme elle l’est de connaissances spéciales, qu’est-ce donc que cette chimérique émancipation ? La femme est libre dans ses actions ; mais de fait elle est, dans chacun de ses gestes, garrottée par les convenances et tenue sous le joug de l’opinion. Elle est libre d’exercer dans la société les fonctions qui rentrent dans les attributions de son sexe ; mais, de fait, son éducation lui permet bien rarement d’en trouver les moyens, et d’ailleurs l’opinion du monde, inflexible dans sa tyrannie et dans ses exigences, lui défend de travailler de sa propre industrie, sous peine de déroger et de décheoir de sa considération et de son rang. La question de l’amélioration de la condition des femmes, est donc une question fort complexe, car elle dépend à la fois de la réforme de l’éducation et de la réforme des mœurs. Aux hommes appartient la réforme des lois, aux femmes appartient celle des mœurs, c’est donc sur ce point qu’elles peuvent diriger spontanément leurs efforts, car, en modifiant peu à peu les mœurs, elles modifieront aussi peu à peu leur condition sociale. (Livraison de décembre 1832, p. 598 et suiv.)
SOUSCRIPTION En faveur des victimes de novembre 1831. Collecte faite au Ballon, à la Quarantaine, le 7 juillet 1833 : 2 fr. 50 c. Idem au Mouton-Couronné : 2 fr. Total : 4 fr. 50 c. Cette somme a été immédiatement distribuée.
Les quatre maisons ci-dessous désignées, Savoir : MM. Estienne et Jalabert, Gindre, BerlierB, Buisson et Tabard, ont consenti à payer les prix demandés par les ouvriers et qui paraîtront dans le prochain numéro. On nous demande de rectifier ainsi les prix courans portés dans le dernier numéro : Satins : 110 portées, 1 fr. 50 c. Idem : 120 portées pour l’apprêt, 1 fr. 60 c. Serges simples : de 40 à 45 portées, 90 c.
AVIS DIVERS
(240) Un enfant âgé de 11 ans, nommé Joanay Fournier, est absens de chez ses parens depuis le 1er juillet. Voici son signalement : cheveux blonds, veste bleue, pantalon gris, casquette en velours [8.2]noir ; l’œil gauche malade. Les personnes qui en auraient des nouvelles, voudront bien s’adresser à M. Fournier, teneur de livres, Grand-Côte, n° 18, au 2me. (239) L’on désire acheter un métier de tulles de 34 à 36 pouces de large, 24 à 26 de jauge, une onde forte, une belle cage et les nœuds pas trop larges. S’adresser au bureau. (242.) Un atelier de 4 métiers, châles 5/4, tous travaillant, à vendre de suite, avec les ustensiles accessoires et le ménage, à un prix modique ; on cédera le bail qui a six années à courir et est très bon marché. Aux appartemens se trouve joint un jardin. S’adresser au bureau. (195) A vendre, une mécanique en 900, régulateurs de première force, rouleau 5/4, planches d’arcades, 5/4, 6/4, et caisse pour cartons ; le tout en très-bon état, ayant peu travaillé. S’adresser au bureau. PROCÈS de la glaneuse. Prix : 1 Franc. Aux bureaux de la Glaneuse, du Précurseur et de l’Echo de la Fabrique ; et chez tous les libraires. (241) SIROP ANTI-GOUTTEUX De M. Bourée, pharmacien à Auch, sous les auspices du docteur Campardon. Les succès constans et multipliés qu’obtient ce médicament, le font considérer comme le seul agent thérapeutique qui combatte avec avantage et sans danger la goutte et les rhumatismes aigus et chroniques. Il dissipe en quatre jours l’accès de goutte le plus violent, par un usage périodique, prévient le retour des paroxismes, ramène à leur état naturel ces affections remontées, et rend la force et l’élasticité aux parties où ces maladies ont établi leur siège. Le dépôt est à Lyon, chez M. Vernet, pharmacien, place des Terreaux. LE PÈRE LACHAISE, Ou recueil de dessins au trait et dans leurs justes proportions, de tous les principaux monumens de ce remarquable cimetière. Ouvrage moral, neuf en ce genre, et du plus grand intérêt. L’artiste en reproduisant avec fidélité les monumens de ce vaste cimetière, a voulu rendre un hommage aux cendres qu’il renferme, à la gloire de nos arts et à l’illustration de notre siècle. Parmi ces mausolées on distinguera ceux des maréchaux Masséna, prince d’Essling, Davoustprince d’Echmülh, Suchet duc d’Albuféra, Lefebvre duc de Dantzick, Kellermann duc de Valmy, Macdonald duc de Tarente, Pérignon, Serrurier, Lauriston ; ceux du duc Decrès, du général Foy, Fabre de la Martillière, le général Frère, le comte de Valence, le comte d’Aboville, le marquis de la Place, Volnay, Bourke, Cambacérès, Regnaud-St-Jean-d’Angely, Caulaincourt, Camille Jordan, Lanjuinais, Labédoyère, Lallemand, Daru, le baron de Mousseau, le baron Denon, Bailli, de Crussol d’Uzès, de Saint-Simon, Saulx-Tavannes, Greffulhe, G. Monge, Frochot, Bellart, le comte de Sèze, la duchesse de Mazarin, la duchesse de Bassano, la comtesse Demidoff, la baronne Gourgaud ; ceux d’Héloïse et Abeilard. Molière, Lafontaine, l’abbé Delille, Boufflers ; les peintres David, Girodet, Isabey ; ceux de Talma, Mlle Raucourt, Méhul, Réclard, Roussilhe, Panckoucke, Laffitte, Perregaux, Vigier, etc., etc., etc. Ouvrage in-4° Jésus, dessiné, lithographié et publié par Quaglia, ancien peintre de l’impératrice Joséphine, et dont les miniatures ont obtenu la médaille d'or à l’exposition du Louvre (année 1814.) Prix (expédié franco) : 13 Francs. A Paris, chez QUAGLIA, rue du Harlay du Palais, n° 2. On n’expédiera cet ouvrage que d’après une demande affranchie, contenant un mandat sur la poste, ou sur une maison de Paris. Nota. Les personnes qui feront la demande de douze exemplaires à la fois, obtiendront le treizième gratis.
Notes ( De la nouvelle Organisation)
Il s’agit du début d’une série de trois articles qui vont détailler tout au long du mois de juillet les fautes de cette « ordonnance liberticide ». Plusieurs éléments seront soulignés : les entorses nombreuses à la légalité nouvelle née de la Constitution de 1830 dans laquelle c’est le peuple qui octroie et tolère ses pouvoirs à la royauté ; le rôle dévastateur des négociants prud’hommes qui ont tout fait pour entraver une mesure pouvant apparaître comme un résultat de la victoire de novembre 1831 ; la soumission et la perte de combativité, enfin, des prud’hommes chefs d’ateliers. À la suite de ce constat – « L’ordonnance du 15 janvier 1832 était l’Édit de Nantes des ouvriers en soie de Lyon, et l’ordonnance du 21 juin 1833 en est la révocation », va commenter peu après le journal (numéro du 21 juillet 1833) –, et bien que l’institution prud’homme demeure un acquis reconnu, d’autres formes d’actions prendront graduellement le relais.
Notes ( TROUBLES D’ANZIN. – FAILLITE DU CREUZOT.)
L’exploitation de la houille au Creusot datait de 1782 et de la création d’une Fonderie royale. En 1826, une compagnie anglaise, Manbly & Wilson, avait racheté les forges et tenté, notamment en plaçant à la tête de l’entreprise des hommes comme Jean-Baptiste Chaptal puis Henri Fournel, d’en améliorer le rendement. Néanmoins la société fit faillite en 1833, laissant sans emploi près de la moitié de la population. Les forges seront finalement rachetées et relancées en 1836 par les frères Eugène et Adolphe Schneider.
Notes ( Littérature. procès de la glaneuse.)
Procès de la Glaneuse, contenant les douze articles incriminés, le compte rendu des audiences du 11 et 17 mai, publié à Lyon, aux bureaux de La Glaneuse en 1833.
Notes (Sur l’amélioration sociale des femmes....)
L’article « De la condition des femmes au xixe siècle », publié dans la Revue encyclopédique de décembre 1832 était signé Marie de G***.
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