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25 décembre 1831 - Numéro 9
 
 

 



 
 
    

L'honorable M. Fulchiron, député du Rhône, a dit à la chambre des députés, dans la séance du 19 décembre, « que ce n'était pas la misère qui avait poussé les ouvriers de Lyon, puisque les plus minces journées étaient de 28 à 32 sous, et que quelques ouvriers touchaient jusqu'à 5 francs. »1

N'en déplaise à M. le député du Rhône, il faut qu'il ait été trompé par quelques personnes intéressées, ou c'est dans un rêve un peu ministériel qu'il a puisé que les ouvriers de Lyon touchaient jusqu'à 5 fr. par jour. Nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs un tableau qui pourra les désabuser de l'impression qu'auraient pu faire sur eux des paroles tombées au hasard de la tribune nationale.

Le petit gros de Naples, dit d'Allemagne, qui se payait 40 à 45 c., a été fixé par le tarif de 55 à 60 c. l'aune pour le chef d'atelier qui, propriétaire des métiers, fournit les harnais, accessoires, etc., et loge ses ouvriers. La journée ordinaire d'un bon ouvrier est de quatre aunes. Le chef d'atelier a toujours payé la moitié du prix à ce dernier, et lorsqu'un ouvrier tisse 4 aunes de gros de Naples, il gagne donc 1 f. 20 c. ; il faut déduire, pour les fêtes, les dimanches et le temps perdu pour le manque de matières, au moins 80 jours, il ne reste plus que 280 [3.2]jours de travail, qui font, à 1 fr. 20 c. pour chaque jour, un total de 336 fr. par an, ce qui donne à-peu-près 89 c. par jour.

Nous demanderons à M. le député du Rhône si avec 89 c. par jour on peut vivre à Lyon, où tout est fort cher ; et s'il croit qu'il faille s'y créer des besoins factices pour engloutir une pareille somme ?...

Passons maintenant à la position du chef d'atelier, et supposons qu'il soit possesseur de trois métiers : quel est son bénéfice sur deux métiers occupés par des ouvriers ? et quel est le produit du sien qu'il fait mouvoir ?

Voici d'abord les frais à la charge du chef d'atelier :

Au plieur, pour une pièce de gros de Naples. : 0 f. 60 c.
Pour remettage ou torsage : 3 f. 
Pour dévidage des trames, terme moyen, pour une pièce de 100 aunes, à 20 grammes
par aune, 2,000 grammes à 4 fr. les 1,000. : 8 f.
Pour cannetage, à 5 c. par aune : 5 f.
Pour l'usure des harnais, remisses, navettes, etc. : 5 f.
[Total :]2 21 f. 60 c.

Pour tissage de 100 aunes à l'ouvrier. : 30 f.
Dépenses : 51 f. 60 c.
La pièce de 100 aunes, au prix du tarif, à 60 c., se monte. : 60 f.
Reste de bénéfice au chef d'atelier. : 8 f. 40 c.
Ainsi, un chef d'atelier a, d'après le tarif, 8 c. par aune.
Bénéfice de deux métiers travaillant toute l'année : 178 f. 80 c.
Produit net du métier que le chef d'atelier fait mouvoir : 425 f. 40 c.
Total : 604 f. 20 c.

Voilà le gain avec lequel M. Fulchiron prétend qu'on peut vivre. Pour toute punition, nous souhaitons à M. le député qu'il soit obligé de vivre avec le double, et nous doutons que son raisonnement soit alors le même. Nous ne mettons pas ici en tableau une femme, des enfans, ce sont des êtres qui ne comptent pas dans les calculs de M. le député. Nous ne parlons pas non plus du loyer, du chauffage, des vêtemens et de toutes les choses nécessaires à la vie : les maîtres et ouvriers en soie ne doivent ni se chauffer, ni se vêtir, et encore moins payer leur location. Voilà la solution du discours de l'honorable député du Rhône.

Quand M. le député saura que le compte que nous venons de faire ne repose que sur le prix porté au tarif, que quelques négocians paient réellement, mais que malheureusement un trop grand nombre ne suivent pas encore ; alors, il ne s'étonnera plus si, dans Lyon, les propriétaires, boulangers, épiciers, etc., ont pris parti pour les ouvriers ; il saura que ces derniers ne consommant plus, resteront long-temps leurs débiteurs de sommes très-fortes, et que peut-être ils seront dans l'impossibilité de jamais solder.

Notes (L'honorable M. Fulchiron Fulchiron ,...)
1 Les rédacteurs de L?Echo de la Fabrique font ici référence au discours de J. C. Fulchiron à la Chambre des députés le 19 décembre 1831 ; publié dans le Moniteur Universel (n°354, 20 décembre 1831).
Jean-Claude Fulchiron (1774-1859) était député du Rhône depuis juillet 1831. Cet ancien polytechnicien, féru de science et d?économie politique, restera député du Rhône jusqu?à 1845 et se maintiendra toujours au sein du parti conservateur. Référence : Adolphe Robert, Edgard Bouloton et Gaston Cougny (dir.), Dictionnaire des parlementaires français, 1889-1891, ouv. cit., tome III, p. 82.
2 Ajouté par les éditeurs.

 

 

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