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28 juillet 1833 - Numéro 30
 
 

 



 
 
    
De la nouvelle Organisation

du conseil des prud?hommes

Suite et fin. (Voy. l?Echo, N° 28.)

Avons-nous démontré l?illégalité de l?ordonnance du 21 juin ? Oui, pour ceux qui regardent la constitution comme chose sacrée, inviolable, autant pour le gouvernement que pour les citoyens, parce qu?elle les engage tous deux et principalement le premier, qui n?existe qu?en vertu de l?être qu?elle lui a donné. Cette ordonnance est bien illégale encore sous un autre rapport. Elle devait être précédée de l?avis de la chambre de commerce ; on a omis cette formalité essentielle. Nous ne pensons pas ensuite que la modification permise au décret constitutif de 1806, qui avait force de loi, pût avoir lieu en restreignant le nombre des prud?hommes, mais seulement en l?augmentant. A-t-on daigné s?en occuper ?

Nous avons maintenant à parler de la manière dont a été exécutée cette ordonnance. Promulguée à Neuilly ou au château des Tuileries (voy. l?Echo, n° 28, p. 227. Note au bas de la 1re colonne) le 21 juin, elle devait, avant son exécution, être insérée au Bulletin des Lois ; elle ne l?a pas été et ne l?est pas encore. Rien [1.2]cependant ne remplace l?insertion au Bulletin des Lois. La publicité est la sauvegarde des droits de tous. Cette ordonnance, à part son illégalité native, n?était donc pas exécutoire le 5 juillet, jour où, sur l?ordre du préfet, M. le président du conseil des prud?hommes en a requis l?exécution séance tenante ; mais ne nous inquiétons pas davantage de cette fin de non-recevoir, comme elle ne serait qu?un moyen dilatoire nous y renonçons pour nous en tenir à l?illégalité radicale signalée plus haut, et si nous en avons fait mention ce n?est que pour montrer avec combien de légèreté les droits des ouvriers ont été sacrifiés, et quel empressement on a mis à les dépouiller.

Comment cette ordonnance a-t-elle été exécutée ? Aussitôt la lettre de M. le préfet reçue, M. le président des prud?hommes convoque ses collègues sans leur faire part du sujet de cette convocation, leur lit rapidement et la lettre et l?ordonnance, et sans ouvrir aucune délibération, enchaîné par la majesté d?une ordonnance royale, il écrit les noms des prud?hommes, les met dans un chapeau, et sur son invitation le greffier du conseil tire ces noms de l?urne improvisée dans le même état qu?ils y avaient été mis, ou peu s?en faut. Nous concevons l?impatience du préfet circonvenu, celle des prud?hommes négocians ; mais nous ne concevons pas la complaisance des prud?hommes chefs d?atelier, eux les élus, mandataires de leurs collègues, abdiquent cette noble prérogative sur un ordre royal dont ils ne cherchent pas même à s?enquérir de la légalité. Ils ne craignent pas de mettre en regard les suffrages populaires et l?ordonnance d?un ministre. Ils ne demandent pas d?en référer à leurs commettans. Ils n?offrent pas leur démission ! Ils ne disent pas : nous sommes ici par une volonté bien supérieure à celle du pouvoir exécutif ; ce dernier peut nous déposséder, car il a la force entre les mains, mais nous ne présenterons pas nous-mêmes nos têtes sous le joug, nous ne déchirerons pas notre mandat, nous n?abandonnerons pas les droits de ceux qui nous ont nommés. Faites ce que vous voudrez. Non ; ils boivent jusqu?à la lie le calice d?outrage qui leur est offert, et dans leur personne à tous les prolétaires.

Certes, cette conduite mérite un blâme sévère. Mais, peut-être pris à l?improviste, les prud?hommes fabricans n?ont pas eu le temps de réfléchir à leur démarche : ils ont cru à la légalité de l?ordonnance ; ils se sont soumis? Eh bien ! cette excuse, valable il y a quelques [2.1]jours, ne l?est plus, et les prud?hommes ont continué d?être sourds à la voix de leurs concitoyens ; ils ont continué leurs fonctions ; ils se les sont partagées ainsi qu?on ferait d?une somme d?argent, malgré de nombreux murmures, et leur siège n?est pas si élevé que la plainte de l?auditoire n?ait pu parvenir jusqu?à eux? Trêve alors de nos réflexions. Quel bien pourraient-elles produire ? Mais si les magistrats populaires oublient leurs obligations, enivrés par un contact vénéneux avec le pouvoir, si, rebelles aux avertissemens de la presse, ils ne se complaisent que dans l?éloge et s?irritent contre un blâme consciencieux, quelque modéré qu?il soit ; c?en est assez? Ouvriers ! prolétaires ! voilons la statue de la Liberté et attendons des jours meilleurs.

 

 

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