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28 juillet 1833 - Numéro 30
 
 

 



 
 
    
Littérature.

C’est aujourd’hui le troisième anniversaire de l’un des jours mémorables où le peuple de Paris, se levant dans toute sa force et sa grandeur, balaya les tyrans que l’invasion étrangère avait imposés à la France. Des fêtes, vraiment nationales, consacrent et rappellent ces journées exemples de la justice et de la vengeance du peuple souverain. Nous croyons utile et moral d’interrompre la joie de ces fêtes par le spectacle du Mont St-Michel où gisent tant de nos concitoyens, héros de ces mêmes journées, maintenant proscrits. Ici des réjouissances, là-bas des douleurs atroces et peut-être la mort. Ce contraste inspire plus d’une réflexion amère… Il ne nous est pas permis de les consigner ici.

Le Mont Saint-Michel.

A M. Garnier-Pagès, député de l’Isère.

Près d’une étroite baie où la vague gênée
Vient briser en grondant sa crête mutinée,
S’élève un roc géant, dont le pic escarpé,
Sombre, férugineux, de brume enveloppé,
Offre à l’œil consterné de son aspect sauvage
Les créneaux d’un manoir que les vents de l’orage,
Visiteurs assidus aux longs mugissemens,
Ont rembruni de mousse et d’aqueux filamens.
Complice ténébreux des vengeances royales,
C’est le fort Saint-Micheli aux lugubres annales,
Sicaire aux cheveux blancs, au farouche regard,
Dont la décrépitude a rouillé le poignard,
Et dont l’aspect sinistre, au voyageur qui passe,
Semble encore adresser un accent de menace.
Voila son puits de mort où l’acier effilé
[5.2]Dégoûtait lentement d’un sang coagulé ;
Voila ses souterrains et ses donjons fétides
Où le roc infiltrait ses gouttes homicides,
Où privé du secours de bienfaisans rayons
L’homme moitié cadavre infectait ses haillons !
Que de gémissemens, que de pleurs, que de râles
N’eurent d’autres témoins, sous ces voûtes fatales,
Sous l’accablante nuit de leurs épais barreaux,
Que le ciel qui voit tout, et d’ignobles bourreaux !
Ah ! si pour nous frapper d’une vive lumière,
Surgissant tout-à-coup de leurs lits de poussière
Ces trépassés raidis par un long désespoir,
Ceux dont le sang fuma comme en un abattoir,
Victimes qu’en ces lieux frappa la tyrannie,
Venaient nous raconter leur affreuse agonie ;
S’ils nous disaient comment fut combiné leur sort,
Quels fils avaient ourdi cette trame de mort ;
Comment, des vieilles cours motrice souveraine,
L’infâme courtisane à la voix de sirène,
Ou l’abject favori, dans leur perversité,
A leurs secrets penchans pliaient la royauté :
De tant de noirs forfaits pénétrant les mystères.
Une sainte fureur gonflerait nos artères,
Et tournant vers nos dieux notre front irrité,
Nous n’aurions qu’un seul cri : vengeance et liberté !

Mais, si la voix des morts ne se fait point entendre,
Si la tombe s’oppose à l’éveil de leur cendre,
Interrogez ces murs, ils en disent assez…
Et prostituez-vousautrement pâlissez…
Oui, pâlissez, vous tous qui possédez une aine,
Qu’élève un noble orgueil, qu’un noble amour enflamme ;
Vous tous, qui prosternés vers un grand souvenir,
Pleurez sur le présent, comptez sur l’avenir,
Qui, de la liberté captive et désolée,
Baisez avec douleur la face mutilée,
Et la trouvant plus belle au sein de ses malheurs,
En amant généreux la couronnez de fleurs.
Pâlissez, écrivains que son regard consume,
Champions dévoués dont la brûlante plume,
Vierge d’ambition et de vénalité,
Signale chaque jour une illégalité !
Pâlissez, vous surtout que le peuple révère,
Orateurs courageux, tribuns au front sévère
Qui, d’un mandat sublime orgueilleux et jaloux,
Placés au premier rang, portez les premiers coups !
Saint-Michel a rouvert ses prisons éternelles,
Saint-Michel que le temps aux indulgentes ailes
Avait déjà couvert d’un généreux oubli,
Comme un vil scélérat dont le crime a vieilli ;
Saint-Michel insultant au jour qui nous éclaire,
Offre encore au pouvoir sa justice arbitraire,
Ses haches, ses bourreaux, ses meurtres d’autrefois,
Et le profond secret qu’en gardent ses parois !
Déjà sur leurs vieux gonds ses portes redoutables,
Tournent en frappant l’air de bruits épouvantables ;
Déjà le dur granit de ses raides sentiers
Retentit du pas lourd de sombres cavaliers :
C’est Jeanneii qu’en dépit de la loi protectrice
Aux sombres déités on offre en sacrifice ;
Jeanne, ce fier soldat dont le bras citoyen
Au nom de Saint-Méry voulut joindre le sien,
Jeanne à qui, du destin le caprice servile,
Au lieu du Capitole ouvrit ce noir asile !
Jamais sur plus beau front, la dure adversité
Ne laissa plus de calme et plus de majesté ;
Jamais victime humaine, au couteau désigné,
Plus fière n’avança sa tête résignée.
C’est que le Dieu brûlant dont son cœur est nourri,
Lui montre en Saint-Michel un autre Saint-Méry
Une lutte aussi rude, une mort non moins belle,
Et la Liberté sainte, invincible, éternelle,
Aux applaudissemens du Peuple souverain,
Ouvrant le Panthéon à son buste d’airain.

Paul Chastan (de Nîmes.)

 

 

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