Retour à l'accueil
25 décembre 1831 - Numéro 9
 
 

 



 
 
    
VARIÉTÉS1.

Un homme immensément riche eut trois fils, l'aîné s'empara de sa fortune sans vouloir admettre au partage ses deux frères puînés. Un laps de temps s'écoula, le second fils grandit et réclama sa part. Pour réussir plus facilement, il mit dans ses intérêts son frère cadet, lui promettant de partager avec lui le commun bien-être qui en résulterait. La lutte fut longue et acharnée ; enfin, grâces à leurs efforts réunis, il obtint ce qu'il avait demandé. A son tour, le dernier enfant réclama [7.2]une part égale à celle de ses deux frères ; je crois même que, plus modeste, élevé dans des mœurs plus simples et plus frugales, il se serait contenté d'avoir de quoi vivre en travaillant. Le croirez-vous ? ses deux frères, quoi qu'ennemis et violemment ulcérés l'un contre l'autre, se réunirent contre lui ; d'abord ils lui objectèrent son jeune âge, le peu de savoir vivre et de connaissance qu'il possédait. Il leur répondit qu'ils avaient eu bien tort de ne pas lui donner la même éducation qu'ils avaient reçue ; que, dès son bas âge, ils avaient cherché à l'abrutir par un travail forcé, lui donnant à peine de quoi satisfaire ses premiers besoins ; bref, il insista, il fut battu. On crut en être débarrassé pour toujours. Cet état dura quelque temps. L'enfant devint majeur. Il crut devoir s'adresser aux juges du pays, malheureusement ils étaient les amis, les commensaux de ses frères. Ne suis-je pas, leur dit-il, fils du même père que mes frères ? n'ai-je pas comme eux droit à sa succession ? d'où vient qu'ils m'en refusent la plus chétive part ? Il eut beau prier, raisonner, même un peu de menaces se joignirent à ses syllogismes, ce dont les juges se trouvèrent fort scandalisés, il n'obtint rien, il perdit son procès tout d'une voix.

Le jeune homme avait de l'audace et la confiance de son droit. Que fit-il pour rentrer dans l'héritage du père commun dont il avait été si indignement spolié ? Il provoqua dans un combat singulier ses deux frères ; et, plus adroit ou plus fort, il demeura vainqueur. Aujourd'hui il est père de famille et propriétaire. Puisse-t-il à son tour ne pas oublier l'injustice dont il fut long-temps victime. Je le rencontrai l'autre jour et lui dis : Non ignara malis miseris succurrere disco. Il me le promit et, me serrant affectueusement la main, me montra son testament. Tous mes enfans, me dit-il, me sont également chers, ils ont à peu-près la même intelligence, ils partageront également mon héritage, ils sont frères. Il n'y aura dans ma famille ni tyrans ni esclaves, ni maîtres ni valets, ni riches ni pauvres, point d'aristocrates et point de prolétaires. Je répondis Amen.

Marius Ch...

Notes (VARIÉTÉS.)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Fils de huissier et ayant étudié le droit, Marius Chastaing sera l’une des plumes les plus incisives de L’Echo de la Fabrique, et dès le printemps 1832, il se définira, entre autres, comme un « niveleur », intransigeant sur le chapitre de « l’égalité sociale » (n°30, 20 mai 1832). Son importance va croître rapidement au sein du journal où il va inaugurer de nouvelles rubriques, promouvoir la fonction sociale du journaliste, introduire son lectorat aux nouvelles doctrines saint-simoniennes et fouriéristes. Solide sur ce sujet de l’amélioration « physique », Chastaing sera tout spécialement attentif aux conditions de l’amélioration « morale » des travailleurs et œuvrera alors en priorité à leur éducation, littéraire et philosophique. A partir de septembre 1832, il sera rédacteur en chef de L’Echo de la Fabrique à qui il donnera un ton plus militant et plus politique. Il sera remplacé par Bernard en août 1833.
Défendant des positions moins exclusivement mutuellistes, il créera alors à l’automne 1833
L’Echo des travailleurs. Ce dernier journal, plus offensif que L’Echo de la Fabrique ; entendra représenter indistinctement l’intérêt de tous les travailleurs et non principalement ceux des chefs d’ateliers de la fabrique. Après l’insurrection de 1834, il prolongera son travail éditorial par la publication de La Tribune prolétarienne puis du Nouvel Echo de la Fabrique.

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique